L’amitié de deux peintres

Sur le compte Facebook d’un de mes amis, un tableau « partagé » depuis un autre site, celui de Yoyo Maeght, une oeuvre de jeunesse de Picasso (1899).

Vous connaissez sans doute l’histoire hélas abrégée trop vite de l’amitié des deux jeunes Espagnols qui, s’ennuyant dans leur pays, décidèrent de le quitter et de venir ensemble à Paris tenter leur chance, à l’Exposition Universelle de 1900. Leur histoire a été narrée dans une belle bande dessinée.

Elle fait écho en moi à celle de Montaigne et La Boétie.

« L’amitié, c’est un nom sacré, une chose sainte. Elle ne peut exister qu’entre gens de bien. Elle naît d’une mutuelle estime, et s’entretient non pas tant par les bienfaits que par bonne vie et mœurs. Ce qui rend un ami assuré de l’autre, c’est la connaissance de son intégrité. Il a pour garants son bon naturel, sa foi, sa constance. Il ne peut y avoir d’amitié où se trouvent la cruauté, la déloyauté et l’injustice. Entre méchants, lorsqu’ils s’assemblent, c’est un complot, et non une société. Il ne s’entretiennent pas, mais s’entre-craignent. Ils ne sont pas amis, mais complices. » (La Boétie, Discours sur la servitude volontaire)

La Boétie avait trois ans de plus que Montaigne. Ils ont 25 et 28 ans quand ils se rencontrent. Montaigne en a 30 quand son ami meurt, comme Alexandre le Grand et Jésus, à 33 ans. Il ne se remettra jamais de cette perte, dont il écrit dans Les Essais :

« Si je compare la vie tout entière aux quatre années pendant lesquelles il m’a été donné de jouir de la douce compagnie et société de cette personnalité, ce n’est que fumée, ce n’est qu’une nuit obscure et pénible. Depuis le jour où je l’ai perdu, je ne fais que traîner languissant, et les plaisirs mêmes qui s’offrent à moi, au lieu de me consoler, redoublent le regret de ma perte : il me semble que je lui dérobe sa part. »

Pour avoir perdu un de mes amis chers décédé trop tôt, Jean Pinquié, je comprends cette difficulté à continuer à vivre, voire, comme je le fais, à écrire (il était un vrai écrivain, lui!) quand l’Autre a disparu…

Jean Pinquié, vers 1999

Une amitié (partagée avec un troisième larron) de 18 ans interrompue par son décès précoce, le 21 février 2007 (14 ans bientôt! Comme si c’était hier…). Mais je ne suis pas ici pour parler de moi… revenons au duo de peintres dont je traite aujourd’hui.

Carlos n’avait qu’un an de plus que Pablo… Ils formaient un joyeux duo d’amis. Et il le soutenait financièrement, car il était beaucoup plus à l’aise que lui.

Vers 1900, avec Angel Fernandez de Soto (source)

Suite à des amours malheureuses avec une danseuse du Moulin Rouge, Carlos Casagemas se suicida, dans le Café de l’Hippodrome (eh oui, il y avait un hippodrome, à l’endroit approximatif d’un magasin de bricolage et de l’Hôtel Mercure), 128, Boulevard de Clichy. Il avait 21 ans quand il s’est tiré, devant ses amis, une balle dans la tête, après avoir tenté de tuer celle qui lui causait tant de tourments.

Picasso fit trois tableaux de son ami mort, d’après les récits de leurs amis communs, car il se trouvait alors à Barcelone.

1901

J’ai déjà parlé ici du tableau qui évoque l’enterrement de Casagemas, oeuvre visible (hors Corona fermeture) au Musée d’art Moderne.

Evocation (1901)

Je ne commenterai pas ce tableau, car je pense que chacun-e ressent et « vit » le drame, mais aussi la puissance de l’évocation et la pérennisation de l’amitié.

Pablo fera revivre son ami dans une toile ultérieure, en plein coeur de sa Période Bleue – dont on dit qu’elle fut inspirée par ce drame.

La Vie (1903)

Un beau MOOC raconte l’histoire, et présente une intéressante – quoique partiellement discutable, peut-être – analyse de la toile. On y apprend que celle-ci avait été peinte sur l’oeuvre que le jeune peintre avait présenté à l’Exposition Universelle à Paris, et qu’il n’avait alors pas réussi à vendre.

Inutile de vous dire combien je suis contente d’avoir découvert le premier tableau, que je ne connaissais pas… Merci à celle et celui qui me l’ont fait découvrir!

Saisir l’instant

Une petite fille courant dans le jardin, ramassant des branchages, s’élançant sur le champ…

Un groupe de jeunes femmes, sur des écrans, échangeant, travaillant, réfléchissant, discutant, se soutenant…

Un jeune chef d’orchestre privé de musiciens, de spectateurs, de concerts, avec ses petits jouant…

Un peintre isolé, penché sur l’oeuvre en cours, créant, créant, créant…

Un couple et son enfant, apportant oeufs, brioche, sourires, et l’apéritif partageant…

Un ami comprenant le désespoir profond, sans retard appelant…

Ce que j’ai vécu hier, et qui permet, jour après jour, de « tenir » dans ce confinement.

Alors, en cette pré-aube où brille un beau croissant montant, un poème d’une écrivaine qui a vécu d’autres confinements, bien plus dramatiques, car juive née en 1927, dont la famille avait décidé de résider en France, et qui a été sauvée par des familles belges : Esther Granek.

Alexi Zaitsev, un peintre à découvrir!
Merci à « Rosalie dans tous ses états« 
Un beau diaporama sur ce peintre ici

Saisir l’instant

Saisir l’instant tel une fleur
Qu’on insère entre deux feuillets
Et rien n’existe avant après
Dans la suite infinie des heures.
Saisir l’instant.

Saisir l’instant. S’y réfugier.
Et s’en repaître. En rêver.
À cette épave s’accrocher.
Le mettre à l’éternel présent.
Saisir l’instant.

Saisir l’instant. Construire un monde.
Se répéter que lui seul compte
Et que le reste est complément.
S’en nourrir inlassablement.
Saisir l’instant.

Saisir l’instant tel un bouquet
Et de sa fraîcheur s’imprégner.
Et de ses couleurs se gaver.
Ah ! combien riche alors j’étais !
Saisir l’instant.

Saisir l’instant à peine né
Et le bercer comme un enfant.
A quel moment ai-je cessé ?
Pourquoi ne puis-je… ?