Raza. Episode 3 : retour(s) en Inde

La dernière photographie de l’épisode précédent comportait, comme je vous le disais, un indice sur la thématique d’aujourd’hui…. Cela aurait pu vous frapper, car une forme inattendue, assez géométrique, envahit l’angle supérieur droit du tableau. Vous l’avez vu, ce cercle noir? En voici un autre exemple, hélas avec une photo un peu floue.

C’est à partir des années 80 un motif que l’on retrouve dans beaucoup d’oeuvres de Raza, ce cercle. Cela coïncide aux va-et-vient, puis à l’installation du peintre en Inde, son pays de naissance, où il va retrouver l’influence de la tradition, de la philosophie, de la religion. Ce « cercle », plus ou moins rond, plus ou moins elliptique, est l’un des symboles prégnant d’une pensée bouddhiste.

Discret au départ, puis prenant de l’ampleur.


Noir au départ, puis prenant des couleurs.

Seul au départ, puis se multipliant… Essayez de compter combien il y en a, dans ce tableau où il se démultiplie, mais aussi se scinde, jouant avec les triangles.

Cette forme, c’est le bindu. Difficile de trouver LE terme qui traduirait ce mot, tant il a de significations symboliques. On pourrait les faire converger vers la notion de Vie, peut-être?

Le bindu finit par devenir thème principal du tableau, souvent associé au jeu des « axes » (nord-sud, est-ouest… je devrais plutôt les placer dans l’ordre inverse car, comme nous le verrons dans un quatrième article né de ma visite dans une autre exposition, que je vous relaterai ultérieurement, les axes des mandalas situent l’est là où nous plaçons le sud…). Ils peuvent être discrets, marqués simplement pas le jeu des couleurs dans ce que j’ai envie de nommer les « écoinçons » – même si ce terme ne s’utilise qu’en architecture, menuiserie, sculpture…

Mais les axes peuvent aussi être très marqués.

Le tableau qui suit trace autour d’un premier bindu un second, suggéré dans une sorte de jeu des formes, simplement tracées : cercles et traits droits découpant l’espace en formes plus ou moins régulières, des triangles marquant les quatre points cardinaux.

Le « bindu », c’est aussi le symbole tracé en rouge sur le front (bindi), que ce soit du jina ci-dessous ou des humains, en lien avec le tantrisme. Nous y reviendrons…

Raza. Episode 2 : rouge… Indien?

Je vous ai entraîné–e-s hier dans les premières décennies de la vie de Raza, durant lesquelles on le voit tenter, essayer, voyager à travers sa vie mais aussi sa peinture. Il est cependant un élément que l’on retrouve tout au long de celle-ci : le rouge. Vous l’avez vu dans l’un de ses premiers tableaux, qui représentaient de jeunes femmes d’Inde, puis dans ses paysages bien « français », et enfin dans des peintures plus abstraites. Plus on avance dans sa carrière, plus cette couleur va devenir prégnante, au point que l’on pourrait considérer qu’elle caractérise l’artiste à partir d’une certaine époque.

Je ne suis pas parvenue à trouver ce qu’il utilisait comme matériau pour que ce rouge soit si éclatant. Mais je suis allée chercher si cette couleur avait en Inde une signification particulière. Oui, elle évoque la joie, le bonheur, l’amour. C’est d’ailleurs la couleur du mariage. Considérant l’aspect pragmatique, le rouge dit « indien » est un oxyde de fer naturel, provenant des sols de latérite rouge. Mais il n’est pas dit que cela soit la composition utilisée par Raza. Car son rouge est si éclatant qu’il me paraît autre. Et car il est bien d’autres « rouges »… Voir par exemple les pigments proposés sur ce site. A ce propos, un joli carnet de voyage en « couleurs ». Bref, si l’un ou l’une d’entre vous sait ce qu’utilisait Raza pour son rouge si lumineux, merci de le mettre en commentaire!

Pour en revenir à l’exposition, même si l’on peut considérer que cette couleur constitue un « fil rouge » (c’est le cas de le dire!), elle devient plus présente lorsque Raza s’intéresse à l’histoire de la peinture de son pays, en lien avec la religion et la philosophie. En témoigne ce tableau, moderne par sa structure, mais relié par le texte à une tradition ancienne (pardon pour la mauvaise qualité!).

Dans certaines oeuvres, le rouge intervient en force parmi d’autres teintes. En voici un petit florilège, commençant par les « transparences », continuant avec les « dégoulinures » (j’ignore le terme technique, excusez-moi!), pour finir en « force »… jusqu’au dernier de ces « extraits » où c’est lui qui domine, dans un panel de nuances qui s’opposent tantôt aux déclinaisons de noir, tantôt aux variations de jaune.

Les salles progressivement sont ainsi envahies par la couleur rouge, qui devient omniprésente et, de discrète, se fait rayonnante, éclatante.

Une explosion de rouge à la fin du parcours, dont je vous parlerai dans l’épisode 3. Juste, avant de nous quitter, un avant-goût avec indice de ce que sera sa thématique.

Raza. Episode 1 : de l’Inde à la France

Encore une belle lacune dans ma culture : je ne connaissais pas Raza. Pourtant, en visitant l’exposition qui lui est consacrée au Centre Pompidou, je me suis aperçue que j’avais déjà vu des tableaux de lui. Difficile de rendre compte d’une exposition aussi riche. J’ai fait le choix de vous proposer un triptyque, dont voici le premier volet.

Nous commençons en Inde, en 1948, avec une sélection de deux tableaux très différents, comme vous pouvez le constater.

L’engagement dans l’art n’est pas un isolement, comme on peut l’observer tout au long de l’exposition; il milite, se bat, et crée avec d’autres. A cette époque, au sein du PAG (Progressive Artists Group), qu’il fonde à 25 ans.

On le retrouve une dizaine d’années plus tard en France. D’abord à Paris. Les tableaux de l’époque font émerger un style tout en trahissant la recherche du jeune artiste.

Il commence à être remarqué, à remporter des prix…

Une série d’oeuvres « informelles », si j’ose dire, montre qu’il dessinait finement, sur n’importe quel support, comme sur ce journal, en 1953.

C’est aussi à ce moment qu’il rencontre l’artiste qui va l’accompagner jusqu’à la fin de sa vie… et s’installer avec elle dans un village que mes fidèles abonné-e-s connaissent bien, car je leur en parle au moins une fois par an, en aficionada de ce petit bourg perché au-dessus de Menton, que j’affectionne particulièrement, Gorbio. A ce propos d’ailleurs, je me demande pourquoi il n’y est pas fait état de la présence de ce peintre?

L’hétérogénéité de son oeuvre jusqu’aux dernières décennies n’a pas dû rendre aisée la scénographie. Mais je l’ai trouvé très réussie, riche et épurée, toute en finesse.

Impossible, bien sûr, de rendre toute la richesse de cette exposition. Voici une petite sélection des 20 années suivantes. D’abord avec l’émergence de ce rouge si intense qui caractérise une partie des oeuvres.

Puis avec les jeux de superposition et la transparence extrême de certains tableaux, en particulier dans une série datant des années 60, dont celui-ci dont j’ai photographié un extrait.

D’autres « extraits » de ses voisins, pour clore ce premier volet.

Une journée de rencontres. Episode 3 : le Musée Cernuschi

Je vous ai déjà narré l’exposition et la démonstration vues dans ce musée. Je ne vous en dirai pas beaucoup plus, mais ne voulais pas le « quitter » sans avoir parlé du peu de collections permanentes que j’y ai vue, et qui m’ont donné envie de le découvrir davantage lorsque les travaux seront finis. En effet, ne sont ouvertes actuellement que les salles consacrées à l’Antiquité. Heureusement, les couloirs et escaliers offrent des espaces où l’on peut admirer de belles pièces. Mais faisons d’abord connaissance avec l’Hôte de ces lieux. Il y a deux ans, l’on pouvait fêter le deux centième anniversaire de la naissance, à Milan, d’Enrico Cernuschi.

S’étant souvent révolté contre les politiques de l’époque, il en vint à voyager de par le monde, et réunit une collection énorme d’objets, notamment du Japon et de Chine. Pour les abriter, il se fit construire la vaste demeure qui est devenue Musée, par suite du don qu’il en fit à la Ville de Paris, à la seule condition que ce Musée portât son nom francisé lorsqu’il fut naturalisé Français après la guerre de 70.

Les récits de l’époque montrent que sa demeure était déjà une sorte de musée, dans lequel étaient donnés les bals costumés qu’adorait le banquier.

Joli brûle-parfum, n’est-ce pas? Mais pas aisé à placer chez soi!

La verrière centrale est de toute beauté, véritable puits de lumière. J’ai tenté de la photographier…

La vitrine au fond comporte une collection de théières et de pots à eau chaude.


Comme je le disais, beaucoup de pièces sont fermées. Mais on peut avoir une idée de la mise en scène dès la première (section Antiquité).

Superbes poteries, donc. Et j’ai aussi admiré de nombreux objets datant d’un millier d’années avant JC. Parmi ceux-ci, je vous laisse deviner ce qu’est celui-ci. Je vous donnerai la réponse dans un prochain article, sauf si l’un-e d’entre vous la donne par commentaire, ce qui serait pour moi une très agréable surprise…

Une belle surprise, j’en eus une : ce fut une des rencontres que je vous avais annoncées en début de semaine. Dans la queue morose qui attendait pour entrer voir la démonstration de calligraphie, il y avait trois femmes dont l’attitude tranchait. Elles bavardaient gaiement, prenant visiblement cette longue attente de manière positive. Durant la démonstration, l’une d’entre elles engagea la conversation, durant les pauses. Ses réparties étaient justes, drôles, et elle irradiait la Vie. Nous nous dîmes « au revoir » à la fin. Mais, une fois sortie, je les retrouvai devant le Musée, et nous engageâmes la conversation. Elles se demandaient notamment où trouver le papier hanji, et je leur parlai de mes magasins de fourniture beaux-arts, Sennelier et… impossible alors de retrouver le nom du second (Adam, pourtant, j’aurais pu m’en souvenir!). Je leur promis de le leur envoyer (ce que je fis, après avoir vérifié qu’il en avait bien, notamment au magasin de Montmartre). C’est ainsi que furent échangées nos coordonnées et que s’initia une relation dont j’espère qu’elle va durer. En particulier parce que deux d’entre elles font du théâtre amateur, et que j’aimerais les voir jouer. Depuis, j’ai appris qu’elles partaient faire un trek au Maroc, pays où j’ai longtemps vécu, et j’ai hâte d’avoir leur récit… Une très belle rencontre de personnes aussi assoiffées de découverte et de partage que moi!

La rencontre du Geste et de l’Esprit (2)

Je vous ai déjà présenté Young-sé Lee, et ne vais donc pas recommencer. Par contre, je ne vous ai pas encore parlé de la « démonstration » qu’il fit de son art, en ce samedi 18 février 2023. Vous avez pu lire hier quelques explications concernant la calligraphie, à partir d’une vidéo sur un autre peintre célèbre. Tout cela, j’ai eu le bonheur de le vivre « en vrai », « en direct », « en live », comme disent les franglophones…

La « palette » (objet qui brille par son absence, soit dit en passant…) est beaucoup plus réduite que celle de son prédécesseur. Les trois couleurs primaires. Du bleu, du jaune, et du cinabre. Couleur que je ne connaissais pas. Et dont j’ai appris depuis qu’il est utilisé depuis l’Antiquité, que jadis en Chine seuls les empereurs pouvaient l’utiliser, et qu’il provient d’un minéral en lien avec le souffre.

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Et surtout du noir. De la « suie » issue du charbon de bois.

«  Le bâton d’encre est, avec le pinceau, le papier de riz et la pierre à encre, un des quatre trésors du lettré, instruments de la calligraphie et de la peinture de lettré chinoise, coréenne et japonaise.

Le liant originel de l’encre de Chine proprement dite, en bâton, est une colle de protéine, colle de peau ou colle de poisson

La préparation de l’encre, qui précède l’exécution d’une calligraphie ou d’une peinture de ce style, consiste à moudre le bâton d’encre sur la pierre à encre, avec de l’eau. La proportion d’encre et d’eau détermine l’intensité de l’encre, et permet d’aménager des contrastes ; notamment dans la peinture de paysages3«  (source)

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Ce que vous voyez au premier plan, c’est le rouleau de papier coréen, fait d’écorce de mûrier. S’il vous intéresse de voir comment est fabriqué ce type de papier, vous pourrez le découvrir ici, ou, en vidéo, là, très pédagogique...

Un seul pinceau pour l’ensemble des oeuvres qui seront créées devant nous. Le peintre m’expliquera à la fin que c’est pour lui très important, comme une gageure, un signe d’expertise en quelque sorte, en tout cas une fierté, et qu’il y tient. Mais que d’autres ont tout un panel de pinceaux de tailles divers et surtout aux configurations de poil différentes. Il ajoute que la qualité du pinceau est extrêmement importante, et qu’il n’est pas toujours aisé de trouver l’objet idoine. Il faut absolument que ce soit du poil de chèvre pur.

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La phase de préparation est donc assez longue; de même que la phase de concentration avant le premier geste. Cela sert, comme je le disais, l’aspect spirituel de la création artistique.

Et voici l’oeuvre achevée, présentée par l’assistante du peintre.

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Elle va rejoindre, malheureusement sur le sol (je vous ai parlé de l’incroyable inorganisation de la séance!), les autres productions récentes.

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Chacune a permis de voir des facettes différentes de cet art… La première (ananas et pommes), notamment, comment on obtient des nuances de couleurs très fines et comment le blanc façonne les formes. La seconde, comment on travaille les courbes et comment l’on dessine finement à l’aide de « points » en pressant plus ou moins le pinceau. J’ai été particulièrement séduite, dans la suivante, par la manière dont les spécificités des bambous étaient rendues, juste par la manière de presser ou non le pinceau, plus ou moins encré, dans un trait sans interruption aucune. Admirez…

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J’étais cependant un peu frustrée car, si vous vous souvenez bien, j’attendais ce que bêtement je considérais comme de la calligraphie (sans doute en lien avec mon expérience d’immersion en pays de culture arabe) : de l’écriture. Aussi fus-je ravie de voir cette attente comblée dans la deuxième phase… Les mêmes mots, en quatre styles différents.

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Vous avez remarqué que, cette fois, le pinceau est tenu bien droit, la main placée assez haut…

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Si, si, je vous assure, ce sont bien les mêmes mots… Hélas, je ne me souviens plus exactement lesquels, mais ils ont un rapport avec « lumière » et « printemps ». Et en voici deux autres interprétations (calli)graphiques.

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Comme je vous le disais, j’ai eu l’honneur de discuter avec l’artiste à la fin, et il m’a fait une démonstration « personnelle ».

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Une journée de rencontres. Episode 2 : l’encre en mouvements

Cet article fait suite au précédent, puisque nous allons retrouver 4 des personnes qui y étaient évoquées.
Mais avant d’en venir à elles, je souhaite vous faire partager tout l’intérêt que j’ai pris à la visite de l’exposition « L’encre en mouvement » qui se déroule actuellement au Musée Cernuschi.

Une chance incroyable! Une place de parking juste en face de l’entrée du musée! Dirigeons-nous donc vers lui…

Certains titres d’expositions sont un peu trompeurs, voire « propagandistes »… Ce n’est pas le cas ici. Et le terme « mouvement » est aussi riche que les perspectives qu’il permet. Vous remarquerez que, dans le titre, j’ai ajouté un « s », pour marquer la pluralité de ces dynamiques. Mouvements artistiques. Mouvements sociétaux. Et mouvements de la main des calligraphes… Tout est présent dans cette exposition qui explique bien comment les calligraphes asiatiques ont investi un art traditionnel et assez strict, s’en sont emparés, et l’ont adapté à leur créativité. Bref, une belle synergie entre passé et présent, entre tradition et création, entre culture et individualité…

Je ne peux pas vous montrer tout ce que j’y ai découvert, bien sûr, mais je peux vous présenter un petit florilège, avec encore toutes mes excuses pour la mauvaise qualité des photos. Elles n’ont ici comme prétention que celle d’un « reportage », pas d’une valeur artistique autre que celle de l’oeuvre photographiée.

Vous l’aurez deviné, c’est un ordre chronologique qui a été adopté pour la scénographie de cette exposition, qui présente des artistes du 20ème au 21ème siècle. Elle commence par la calligraphie au sens premier du terme (la « belle écriture »).

Mais qui était la Dame Qiao? Suis allée chercher sur le net… Merci Wikipédia!

« Da Qiao (entre 175 et 186 – entre 220 et 229) fut une épouse du seigneur de guerre chinois Sun Ce ainsi que la fille de Qiao Xuan lors de la fin de la dynastie Han en Chine antique.« Da Qiao (entre 175 et 186 – entre 220 et 229) fut une épouse du seigneur de guerre chinois Sun Ce ainsi que la fille de Qiao Xuan lors de la fin de la dynastie Han en Chine antique.

On raconte qu’elle était, avec sa petite sœur Xiao Qiao, la plus belle dame du royaume de Wu. On disait que la beauté de Da Qiao faisait tourner la tête à la Lune et même rougir la plus belle des fleurs.

Elle eut une fille avec Sun Ce, Sunshi, qui se maria avec le célèbre général Lu Xun du royaume de Wu, et qui eut pour enfant Lu Kang.« 

Mais l’encre ne sert pas qu’à « écrire ». Et, dans la plupart des oeuvres présentées, « écriture » et « peinture » se complètent. Les guillemets traduisent toutes mes réserves sur la distinction entre les deux, je pense que vous me comprenez… et comprendrez encore mieux en voyant les quelques oeuvres ci-dessous. Comme je n’ai pas l’intention de reproduire l’exposition ni de faire oeuvre de pédagogue, je ne vous présenterai pas les artistes concernés. Mais je pourrai répondre à vos questions, si vous le souhaitez.

La première oeuvre (Wang Zhen, 1922) représente le moine bouddhiste Huaisu, qui vécut au 8ème siècle. Ce célèbre calligraphe chinois aurait planté des bananiers autour de son ermitage pour pouvoir utiliser leurs feuilles comme support d’écriture.

Ce sont donc d’abord des caractères seuls qui sont présentés, puis on découvre comment ils viennent « compléter » (mais lesquels complètent les autres?) des « peintures » figuratives, plus ou moins esquissées, plus ou moins détaillées.

Plus on avance dans le temps, plus on a l’impression que les caractères s’effacent. Ainsi, la découverte des peuples de l’ouest, lorsque les artistes ont fui Pékin, a poussé certains à reproduire ce qui les étonnait.

Puis vint l’époque où les peintres s’intéressèrent aux nus. Telle cette artiste, Pan Yuliang (1895-1977) dans cette oeuvre intitulée « Nu assis au qipao rouge ». Un qipao, c’est une robe longue et ample, qui était autrefois de mise à la cour des Mandchous, avant de se rétrécir, se répandre et se populariser dans les années 1920.

Nous en arrivons à la naissance de l’abstraction, et aux artistes dont certains ont connu une renommée internationale. Je ne citerai que Zao Wou Ki, dont j’ai déjà parlé dans ce blog. Il ne pouvait être absent de cette exposition, bien sûr.

Dans la même salle, j’ai cru reconnaître Soulages, à ma grande surprise… Que faisait-il là? Mais non, ce n’était pas lui, mais un artiste chinois. Avouez que la méprise est explicable?

L’exposition se termine par des oeuvres récentes, dont celles-ci, que j’ai appréciées parce que, selon moi, elles poursuivent la tradition tout en innovant, dans des « styles » très différents.

Une journée de rencontres. Episode 1 : Young-sé Lee

Il est des journées qui commencent de manière assez ordinaire, mais se transforment par enchaînement de faits ou d’échanges… Tel fut ce samedi de février, qui a mis sur ma route des personnes capables de redonner sourire et espoir.

Deux d’entre elles sont arrivées en France depuis les contrées lointaines de l’Asie. Elles n’ont que cela de commun, outre leur force intérieure perceptible. Les 7 autres venaient hier du Vexin pour 2, de l’Est de Paris pour 3, de Paris pour la 6ème et environ de Corte pour la dernière. Mais oublions les considérations géographiques et revenons aux faits.

J’avais décidé de découvrir un des musées parisiens dans lequel je n’ai jamais mis les pieds: le Musée Cernuschi. S’y déroule actuellement une exposition sur l’utilisation des encres, thème qui m’avait alléchée. En outre, il était annoncé une démonstration de calligraphie. Moi qui m’y intéresse depuis ce stage organisé par le Ministère de la Coopération, voici bien longtemps, où j’avais eu la joie de rencontrer Hassan Massoudy – dont bien sûr nous ignorions qu’il allait devenir aussi célèbre! Donc, déjeuner vite expédié, à « l’heure des vieux », voiture, stationnement dans l’enceinte jouxtant le Parc Monceau (une chance!), Musée à 13h15, le seul créneau disponible sur le net le matin même. Une inorganisation assez remarquable, il faut l’avouer. Impossible de télécharger les billets. Un seul guichet pour les renseignements, la librairie, l’achat de billets et leur retrait (mon cas). Et pas moyen de réserver pour la calligraphie, alors qu’on nous annonce à peine une quarantaine de places pour l’événement dont nous apprenons qu’il aura lieu… à 15h30. Sachant que les trois quarts du Musée sont fermés et qu’il n’y a pas de café, l’attente va être longue! Mais le personnel est charmant, et la dame préposée à l’entrée promet de me faire garder deux places. J’aurais pu ajouter le personnel dans les rencontres donnant espoir… Car, par la suite, ils et elles ne furent pas moins de 7 pour gérer avec une amabilité certaine l’inorganisation qui a fini par le stationnement de l’ensemble du public sur un palier où les nouveaux arrivants les doublaient pour aller se mettre à la porte de l’auditorium, d’où le personnel était obligé de les renvoyer vers la queue. Vous pensez bien que deux sont quand même parvenus à « griller » tout le monde, y compris deux personnes âgées qui heureusement avaient apporté leurs sièges! Quant à moi, fort gentiment, il m’en fut apporté un par un charmant jeune homme. Enfin, après cette longue attente, La Rencontre. Celle de Young-Sé Lee.

Je ne saurai en réalité qu’après la séance qui il est. Car nulle présentation. Pas un mot. Aucun organisateur pour nous dire qui nous fait l’honneur de cette démonstration. Et, par la suite, aucun commentaire jusqu’à la fin où, enfin, se noue le dialogue avec l’artiste. Je comprends la nécessaire concentration du peintre, du calligraphe. Ce silence dans lequel il médite, conçoit, crée, avant de situer très précisément le pinceau à un endroit déterminé du « papier ». Mais au moins une affiche aurait pu nous informer sur l’artiste… Bref, tout ce que je vais maintenant vous dire de lui est né de la conversation qu’il m’a accordée à la fin de la démonstration. Et je souhaite le partager avec vous, car vous pourrez ainsi le découvrir. Pas seulement lui. Ses parents aussi.

En effet, Young-sé Lee est fils de deux artistes qui se sont rencontré-e-s en 1949 au Salon des Beaux-Arts de Séoul. Son père, Lee Ungno (décédé en 1989), est présenté en ces termes lors d’une exposition:

« Lee Ungno (1904-1989) est l’un des peintres asiatiques les plus importants du XXe siècle en raison de son rôle pionnier dans la fondation d’un art coréen contemporain, de sa participation au mouvement de l’art informel en France ainsi que de son enseignement de la peinture à l’encre qui inspira plusieurs générations d’artistes. »

Quant à sa mère, In-kyung Park, elle expose actuellement à la Galerie Vazieux, rue du Louvre. Elle avait 23 ans lorsqu’elle fut exposée au Salon où elle rencontra celui qui allait devenir son époux.

« Artiste dès son plus jeune âge, In-kyung Park expose en 1949 au Salon National des Beaux-Arts de Séoul où elle obtient le premier prix de peinture. « 

« À près de 97 ans, sa flamme créative continue de briller. Installée dans une petite maison baignée de lumière, Park In-kyung travaille quotidiennement, entourée par les arbres et la végétation. Le souffle du vent, un rayon de soleil, des feuilles déchues ou des pétales de rose, les éléments naturels sont pour elle une source d’inspiration inépuisable.

Assise au bord d’une table ou allongée sur le sol, l’artiste fait danser son pinceau et glisser l’encre noire sur la surface lisse du papier hanji. De ses mouvements fluides et ses touches assurées naissent des formes simples, presque abstraites, qui viennent chanter son ode à la nature. » (source)

La photo qui suit la montre à une époque récente, toute à son art.

Les deux artistes se sont installés définitivement en France en 1960. Le jeune Young-sé avait donc 4 ans lorsqu’il est arrivé à Paris. Pas étonnant qu’il maîtrise parfaitement le français, comme l’ont découvert les spectateurs/trices qui, au départ, pensaient avoir affaire à un allophone. Car nulle présentation n’a été faite de l’artiste qui allait oeuvrer pendant deux heures devant elles et eux… on en revient à l’organisation!

Artistes Young-sé Lee - Galerie Sabine Vazieux

Ce que je viens de vous dire est possible grâce à la gentillesse de celui-ci, qui a accepté des échanges avec le public – et en particulier avec moi – à la fin de sa démonstration. Il m’a entre autres dit qu’il était en train de refaire son site, et que je n’y trouverais rien. Ensuite, je me suis renseignée sur Internet…

« Artiste d’origine coréenne né en 1956 à Séoul, Young-Sé Lee, arrive très jeune à Paris où il s’initie à la peinture dans l’atelier de son père Ungno Lee, avant de fréquenter la grande chaumière, puis l’École des Beaux-Arts.

Son œuvre, résolument moderne, trouve ses racines dans la tradition asiatique. La nature, traduite de manière informelle, mêle végétal, minéral, eau, terre et lumière, et dialogue avec la richesse des matières et des techniques utilisées par l’artiste. » (source)

« Études à Paris à l’École d’Art Graphique (1974-1975), à l’École d’Art Appliqué (1975-1976), à l’Académie de la Grande Chaumière (1976-1978), et à l’École des Beaux-Arts (1980-1984). Young-Sé Lee participe à plusieurs expositions collectives de peintures depuis 1971 à Séoul, Londres, Paris (Asian Avant-garde, Paris, Salon des Réalités Nouvelles), Francfort (Foire Internationale de Francfort) et également à des expositions personnelles à Séoul, San Francisco, Strasbourg, Paris… Depuis 2010, parallèlement à son travail de peintre, il s’intéresse à la photographie. » (source)

C’est ainsi que j’ai appris que ce peintre et calligraphe avait une autre corde à son arc. En voici un exemple.

Ce fut un vrai plaisir de découvrir cet homme, au travers de sa création, mais aussi des commentaires qu’il voulut bien faire à la fin, à destination d’un public plutôt novice en la matière. Et je me suis promis d’aller à la galerie Vazieux, et d’essayer de trouver ses oeuvres picturales et photographiques dans les galeries et musées…

La danse dans tous ses états

J’avais hésité avant de réserver pour La Scala (de Paris, pas de Milan hélas) en ce mardi 26 janvier gris et terne. Mais curiosité oblige, j’ai finalement joint le théâtre pour ce faire, sachant que, jusqu’à présent, les surprises y étaient plutôt bonnes. Et il faut, me semble-t-il, encourager le « risque » en matière artistique.

L’étonnant rideau de scène

Si peu de spectateurs qu’on les a « surclassés », et que tout le monde s’est retrouvé en orchestre. Moi aussi, qui avait pourtant choisi le second balcon pour être au premier rang! Un petit conseil en passant – une fois n’est pas coutume!- Si un jour vous vous rendez dans ce théâtre, n’hésitez pas à prendre n’importe quel rang d’orchestre, le plan est tellement incliné qu’on voit bien de partout…

En scène, deux danseurs. J’hésitais à placer du féminin. Car l’un des deux a un aspect androgyne marqué. Par la suite, je la classerai plutôt côté « femme », malgré mon rejet intellectuel de la bi-catégorisation de sexe. Vêtus de tee-shirts et pantalons. Une scène plus que sobre : rien que le noir du plancher et du fond. Et une musique répétitive, qui peut parfois sembler lassante. La même répétitivité dans la chorégraphie, par moments. Mais une grâce, une souplesse, et un duo si assorti qu’on se laisse « prendre ». Aussi est-on tout surpris-e de sa brièveté. Je m’attendais à tout moment à voir surgir d’autres danseurs. Mais non. Le duo est et reste seul en scène pour la demi-heure (approximative) que dure le ballet.

Edouard Hue, danseur et chorégraphe, et Yourié Tzugawa

Ensuite, entracte. Nul-le ne s’y attendait, je pense, et personne n’a osé sortir. Pourquoi cet entracte? Pour installer un décor? Nous découvrirons que non, car la scène est tout aussi nue et noire lorsque le rideau se lève. Cette fois, dévoilant un ensemble de 9 danseurs et danseuses, dont les 2 qui nous ont déjà régalé de leur danse voluptueuse.

La seconde partie du spectacle m’a questionnée. Il faut avouer que je n’avais pas lu les commentaires ni les critiques en amont, et que je me suis questionnée sur la signification des tableaux à maintes reprises. Seul un texte en russe m’a éclairée vers la fin. Il y était question d’Ukraine, de chars et de vérité. Mais je n’avais absolument pas fait le lien avant, je dois bien l’avouer.

La succession de pièces extrêmement différentes ne m’a pas totalement séduite. Trop d’écart entre des morceaux très lents, voire sombres, et d’autres très enlevés, voire burlesques. Je n’ai pas non plus apprécié les costumes, il faut le dire. Un simple caleçon trop large. Un soutien-gorge de maillot de bain étriqué. Un tee-shirt de mauvais goût. Peut-être suis-je trop « classique »? Mais, pour moi, cela ne met pas en valeur le corps. Or, dans la danse, ce que j’apprécie, entre autres, c’est l’esthétique corporelle… Il faut dire que, de ce côté, il y a aussi des surprises, car certains membres de la troupe sont loin de correspondre à l’archétype du danseur / de la danseuse. C’est donc un parti-pris. Mais cela m’a gênée. Et surtout entraîné à focaliser sur certains – ou plutôt certaines, d’ailleurs – plus que sur d’autres. Sans compter que, pour moi, cela nuit à l’harmonie générale, à la synergie.

Beaver Dam Company

Je vous donne peut-être l’impression que je n’ai pas aimé ce spectacle? Ce n’est pas le cas. Je l’ai apprécié. Pour son côté novateur, justement. Pour la virtuosité et la grâce des interprètes. Pour certaines pièces à la chorégraphie remarquable. Il y eut donc de très bons moments, qui font oublier les autres…

La compagnie avec son chorégraphe, Edouard Hue. (remarquez à gauche les tas de vêtements, dépouilles d’une des dernières scènes)

Post-scriptum

Après avoir écrit ce qui précède, je suis allée rechercher la présentation du spectacle. C’est l’ascension de Donald Trump qui est représentée dans le second… Je ne l’avais pas deviné!

Si vous voulez avoir un aperçu, rendez-vous sur le site de La Scala. Pour une critique, c’est La Terrasse, ou encore ici.

Gennaro Villani

Comme mes fidèles lecteurs et lectrices le savent, j’aime à suivre le blog « Un jour un tableau »… et, dès que j’ai un peu de temps, je vagabonde à loisirs parmi les oeuvres dénichées par son auteur, et prends du plaisir à en découvrir qui me plaisent particulièrement.
Ce fut le cas cette nuit, avec ce tableau.

Je n’ai pas été la seule à l’apprécier, car, mis en ligne voici seulement trois jours, il compte déjà 306 « j’aime » ou « j’adore »!

J’ai immédiatement plongé sur le net, pour rechercher ce que l’artiste avait créé comme autres oeuvres. Et je n’ai pas été déçue… D’où mon envie de partager avec vous ce jour cette découverte.

Un article lui est consacré sur Wikipedia (oui, je sais, non reconnu scientifiquement!). Ce Napolitain, disparu en 1948, a vécu 63 ans essentiellement en Italie, où il a aussi enseigné. Inspiré par les Fauves, il a produit des oeuvres variées, paysages, instantanés de la vie, (auto-) portraits… Et je dois dire que j’ai été fascinées par certaines d’entre elles. Pas question de vous les montrer toutes, mais en voici un petit florilège…

On voit beaucoup de ses oeuvres en ligne, je vous laisse donc les découvrir. Si toutefois vous souhaitez accéder directement à des diaporamas, vous en trouverez sur la page Facebook qui porte son nom, et sur You Tube, par exemple ici, avec une belle chanson italienne… Le détail d’un pastel sur cette vidéo. Une sélection d’oeuvres sur celle-ci, très riche à mon sens.

Sur Facebook, une page consacrée aux oeuvres introuvables (« rubati » = volées) présente des tableaux admirables ou étonnants, je vous conseille d’y jeter un oeil.

L’Institut Français de Naples avait consacré une exposition à sa période  » à Paris ».La présentation d’une exposition qui lui est consacrée, mais la personne interviewée, hélas, parle trop vite…

J’ai préféré de beaucoup cet entretien avec Ena Villani. Il avait peint sa fille, toute petite… Celle-ci est devenue peintre et poète.

Je ne voudrais pas finir sans un clin d’oeil à l’auteur du blog qui fut à l’origine de cet article…

Lavandaie in fiume

Les lavandières… On les retrouve! A la même époque environ, un autre peintre, Giovanni Ciuza Romagna, les représente d’une tout autre manière…

… Mais c’est une autre histoire, qu’on pourrait aussi poursuivre sur la page FaceBook consacrée à Pavie, Pavia FanPage, qui montre des photos des années 30 et cite le poète Dario Morani.

Marièta dal Burgh (Dario Morani)

I pàch, quand i sbàtan, sa sentan luntan,

in dia nebia dal temp diventan bacan.

Marièta l’e là cun scàgn e caplina,

la prima a rivà da prima matina.

I bràs e ‘l facin culur adls tèra

culur sensa su, culur lavandèra.

In riva dal Burgh la gheva la cà

Cun for’ una glicin, la vid canadà.

L’à fai l’infermiera, l’e stàia a servì

ma le ghe piasù fa cal maste li.

E Paride, bel me’l Deus dal Fium,

l’a stramudà ‘d riva’parer ad nisun.

Dadchì ian furmà famiglia e fiulin,

un po’ da furtuna’ glà daja’l Tesin.

I pàch chi sbatevan rivevan luntan

d’in mes adla nebia, ciucà me campàn

chi sunan a l’ura ad l’Ave Maria

e pòrtan al cor dla gran nustalgia.

Mais c’est une autre histoire… restons à Villani pour terminer, n’est-ce pas? Une énigme pour finir, donc. Situez cette boutique pour le moins polyvalente?