Visions chamaniques (2)

Je vous ai laissé-e-s hier devant des oeuvres colorées et complexes, annonçant qu’il en existait, à l’inverse, de très « géométriques ». Avant de vous les présenter, je voudrais revenir sur trois autres aspects de l’exposition. Mais au préalable revenir sur ce que je comprenais mal au début de sa visite.

  1. Petit retour sur ce que l’on désigne par « ayahuasca »

En réalité, « ayahuasca » désigne à la fois la plante, de son nom scientifique « Banisteriopsis caapi« , et la boisson dont je vous ai décrit la composition dans le précédent article. D’où la perturbation cognitive en commençant la visite!

« Ayahuasca signifie littéralement en langue quechua “corde des cadavres” (ou “liane amère” pour ayaqhuaska), quelquefois hâtivement traduit par “liane des esprits” ou “liane des morts” (Deshayes, 2004). Dans cet article et sauf mention contraire, le mot ayahuasca se réfère à la boisson (et non à la liane seule). Également appelée yagé (langue tukano), natem (langue jivaro), caapi (langue tupi), daime et hoasca (usages religieux brésiliens) ou cha (“thé” au Brésil), la boisson ayahuasca est une substance psychédélique. »

L’article dont je viens de citer un extrait explique que l’exploitation actuelle de cette plante et son utilisation dans divers contextes pose des questions juridiques, résolues différemment selon les pays.

« En France, les principales molécules de l’ayahuasca ont été classées comme stupéfiantes en 2005. Cette décision n’a pas été prise suite à des réflexions scientifiques mais en réaction à un fait divers de “prise sauvage” – une prise sans cadre. Notons par ailleurs pour l’anecdote que la France a subventionné la création du centre Takiwasi au Pérou utilisant l’ayahuasca (Bois-Mariage, 2002). »

Centre auquel sont rattachés la plupart des artistes dont je vous ai présentés les statues et tableaux colorés…

Je vous encourage à lire cet article, qui vous apprendra tout ce qu’il faut comprendre sur la plante, ses composants, son usage et le chamanisme.

« Le chamanisme repose sur une conception du monde soutenue par « le postulat de l’existence d’un “monde” différent du monde phénoménal accessible par les sens usuels » (Escande, 2001, p. 21). Le chaman pourrait atteindre cet espace transcendantal de manière contrôlée et avoir ainsi un accès privilégié au monde invisible, celui des esprits. L’homme ordinaire, lui, ne pourrait accéder à ce “monde-autre” qu’à sa mort ou lors de rares occasions avec l’aide et la protection du chaman. Pour accéder à ce “monde-autre”, certaines sociétés avec chaman utilisent des plantes psychédéliques, d’autres non.« 

Les fameuses « planta con madre« , mal traduites, à mon sens, par « plantes-maîtresses« .

Claude Lévy-Strauss s’était intéressé à ce que l’on a appelé « efficacité symbolique » des plantes, liée aux chants des chamans.

Toute une section de l’exposition présente ces chants, et on peut les entendre et lire le sens des paroles. Ce n’est pas la moins intéressante, et j’aurais aimé disposer de plus de temps pour poursuivre cette écoute (peut-être dans un cadre plus intime?).

Mais j’ai pris le temps de « jouer » avec les senteurs proposées dans un petit recoin consacré au piripiri. Qu’est-ce? En le recherchant sur le net, j’ai fait une nouvelle découverte : il existe des « Parfumeurs sans frontière », comme me l’a appris un article consacré au piri-piri.

« le Piri-Piri est une racine extrêmement dure, qu’il faut faire sécher avant de la broyer, pour la réduire en poudre et permettre son extractionAjoutée à de l’eau chaude, cette poudre servait traditionnellement à préparer un bain dans lequel les jeunes gens en âge de se marier s’immergeaient. Ce rituel leur conférait une sublime odeur boisée, ambrée, épicée et cuirée, irrésistiblement envoûtante, d’où son joli nom de Piri-Piri Amour.« 

2. Une fresque retraçant les études sur la plante et ses composants chimiques
La plante a été découverte tôt par les « explorateurs », et les savants en ont décrit les effets depuis plus de 300 ans, comme en témoignent ces herbiers. »
D’abord, une fresque retraçant l’histoire de l’étude de l’ayahuasca. Elle a été découverte tôt, et les savants explorateurs en ont décrit les effets depuis plus de 300 ans, comme en témoignent ces herbiers.

A cette occasion, j’ai découvert une science dont j’ignorais l’existence : l’ethnobotanique…

3. Les expériences psychédéliques

« This is the most powerful drug I have ever experienced« . Ce sont les termes employés par William S. Burroughs, écrivain de la beat generation, pour décrire son expérience d’ingestion de l’ayahuasca.

« Elle peut induire des états modifiés de conscience avec une modification des ressentis corporels, émotionnels et/ou intellectuels et une altération du vécu spatio-temporel. Des vécus angoissants sont fréquemment décrits ; des prises de conscience peuvent survenir. Certains pensent cette expérience comme l’induction d’une régression (sur le plan personnel, groupal et même transpersonnel) qui permettrait des vécus d’introspection, des ouvertures sur l’inconscient ou encore des expériences spirituelles et mystiques.« 

Certains scientifiques insistent sur l’importance, voire la primauté des « cadres » (en anglais, « set / setting ») dans la prise de psychotropes. L’utilisation de ces deux termes par Thimothy Leary a abouti au modèle « substance-set-setting » de Zindberg (1983).

« Ces états dépendant :

  • des molécules psychoactives du produit ;
  • du cadre interne (le “set”) : c’est l’état physique, psychologique, émotionnel et spirituel de la personne ; les attentes, la motivation et l’intentionnalité du sujet en font partie, ainsi que la préparation ayant précédé ou non l’ingestion ;
  • du cadre externe (le “setting”) : c’est l’environnement au sens large comprenant les stimulations sensorielles du lieu de prise, le contexte culturel et la législation locale, le rituel mis en place, la présence d’un tiers de confiance, etc. Les états internes et les perceptions de l’expérience par les personnes observatrices en font également partie ».

Une petite pièce noire présente d’autres expériences psychédéliques, dont l’une à partir d’une lumière que l’on doit fixer en fermant les yeux… Il devrait me manquer l’un des « cadres », car cela n’a abouti à rien… Alors que d’autres créent des oeuvres comme celle-ci!

4. Pour pousuivre avec l’art…

Vous avez déjà vu une poterie. En voici une deuxième, que je souhaite partager avec vous.

L’ayahuasca est utilisée pour teindre les textiles, ou dessiner sur eux…

Une vidéo montre une artiste shipibo en train de faire macérer les écorces, et de préparer la « boue » qui servira à de liant.

La graphie se fait avec des sortes de petits poinçons plats, dont la largeur définit celle du trait. Et voici le résultat… Bluffant, non?

J’espère que vous avez été aussi intéressé-e que moi en découvrant les liens entre psychotropes, chamanisme et arts, grâce aux Shipibo-Konibo. Une photo de l’un d’entre eux avant de les quitter?

Quittons-les, et quittons le Musée, non sans un regard sur un totem gigantesque…

La nuit est tombée, et les jardins du Musée sont parés de cierges lumineux, qui ne portent pourtant pas ombrage à la Vieille Dame…

Visions chamaniques (1)

Adepte de Mircea Eliade lors de mes études, déjà auparavant intriguée par les rituels grecs anciens, puis ayant assisté à une séance de transe chez les Gnaouas au Maroc, etc. Bref, j’ai toujours été fascinée par le chamanisme. Or voici qu’une affiche m’apprend que le Musée du Quai Branly propose une exposition intitulée « Visions chamaniques ».

Sans prendre la peine d’en savoir davantage sur ce qui est proposé (notamment sans lire le sous-titre!), je m’y précipite par cet après-midi d’automne froid et pluvieux. Personne à la billetterie… Ah si! un homme… et le responsable de la sécurité qui m’oblige à me placer derrière lui! Me voici dans le musée, direction l’exposition, par la « rivière » de mots qui coule sous mes pieds, puis l’escalier qui conduit à l’espace consacré. En passant par une statue sexy…

Première surprise : la découverte de l’ayahuasca. J’avoue que je n’en avais jamais entendu parler. Ce n’est pas un être humain, non, même si on peut en adopter…

« Aidez-nous à poursuivre ces actions de conservation en adoptant une liane d’Ayahuasca ou une autre plante-maîtresse »

Eh oui, c’est une liane qui est ainsi qualifiée sur ce site. Bien sûr, je me suis précipitée sur mon ordi connecté pour savoir ce qu’est une « plante-maîtresse ». C’est une plante qui enseigne, comme les humains. L’ayahuasca est d’ailleurs sur un autre site dénommée « Mère ayahuasca ».

« Plante maîtresse visionnaire et instructrice des plans multi-dimensionnels. Découverte depuis des millénaires par les hommes Médecine d’Amazonie et utilisée à l’origine pour diagnostiquer et soigner les maladies physiques et émotionnelles, pour les guérir sur le plan spirituel. »

Citons parmi ces plantes « Ushpawasha Sanango, Chiric Sanango, Chacruna, Ajo Sacha, Mucura, Uchu Sanango, Bobinzana et Coca« .

Donc l’exposition porte sur cette plante et ses effets sur celles et ceux qui l’ingèrent dans un breuvage « composé de deux ingrédients: la liane Ayahuasca (Banisteriopsis caapi) et les feuilles de chakruna (Psychotria viridis)« , dont la première vidéo (elles sont très nombreuses en proportion de la petite taille de l’exposition) explique qu’il fait d’abord vomir avant de provoquer les hallucinations qui permettent de créer.

Oui, de créer. Des oeuvres d’art. Car les membres de cette peuplade amazonienne, les Shipibo-Konibo, s’en servent pour exploiter dans des arts divers (peinture, sculpture, broderie, poterie) comme en médecine les effets psychédéliques de son absorption.

Je n’en ai pas bu. Mais j’ai pu avoir un aperçu de ses effets grâce à la réalité virtuelle. Ce fut la deuxième surprise. Un casque m’a entraînée dans un univers incroyable, où les serpents entraînent dans un tourbillon vertigineux, par exemple. Tellement vertigineux que j’ai dû abandonner la projection au bout de quelques minutes (elle en dure 18) car j’étais prise de vertige!

Il n’est pas le seul Occidental à avoir tenté l’expérience, comme en attestent quelques oeuvres d’artistes européens ou américains, qui ont remplacé la mescaline par ce breuvage.

Vous l’aurez compris, toute l’exposition tourne autour de la plante, notamment en suivant l’histoire de la botanique, de la préparation du breuvage, puis de la production des diverses oeuvres. Et je dois dire que c’est passionnant. Et intrigant. Comment peut-elle conduire à des extrêmes comme ces sculptures et peintures aux formes étranges et aux couleurs vives, comme à ces textiles ou poteries aux motifs extrêmement géométriques, symétriques, et d’une finesse extraordinaire, troisième surprise de ce parcours muséal qui m’a emmenée bien loin de la grisaille parisienne et de mon travail…

Je vous propose donc un premier aperçu de ces oeuvres. Les autres feront l’objet du prochain article (je ne veux pas vous lasser!)

J’échangeais dernièrement sur la place du vide dans les tableaux… Ici pas de vide, comme vous pourrez le voir sur le détail de la peinture qui suit.

Une sculpture m’a particulièrement marquée, à ce propos. En voici trois détails :

J’aimerais être initiée, pour mieux comprendre tout ce qu’elle représente et symbolise!

Les animaux sont omniprésents, que ce soit en peinture, sculpture ou poterie.