J’aime à franchir la Seine par un des nombreux bacs qui ont survécu au temps. En ce matin de février, me voici donc rejoignant La Bouille pour ce faire… Quelques kilomètres en amont, un panneau m’avertit que la première traversée du jour ne s’effectuera qu’à 9h30… heure de démarrage du jury auquel je suis convoquée! Vite, changement de direction, pour Duclair, car, décidément, je ne veux pas retourner vers Rouen.
La file d’attente est assez longue, mais l’homme d’équipage « chargé du chargement » (j’ignore le terme technique…) pousse les conducteurs à serrer les voitures, deux gros camions, un tracteur et sa remorque, et me fait monter sur le plateau, l’arrière de la voiture débordant de celui-ci… Pas rassurée, je vérifie à plusieurs reprises que le frein à main tient bien… Et me voici sur le fleuve, au niveau bien élevé en cette saison, et au courant puissant.



Il n’y a pas de beau levant comme parfois, ni de brume pour évoquer le Rhin et ses légendes, ni de ces vagues qui, de temps en temps, font houle comme sur les mers… L’aube point, un peu grise, mais avec une lueur translucide qui adoucit l’horizon.
Et c’est quand même une pause magique après le trajet dans Paris puis sur l’autoroute A 13 toujours bien chargée à l’aube…
Sur le chemin du retour, je ne renonce pas, et me représente au bac de La Bouille, espérant que l’amplitude de fonctionnement dépasse les 7 heures. Et oui, il est là. Le « chargé du chargement », cette fois, est en train d’arroser la cale à grande eau, ce qui me laisse pantoise. Il me fait des signes que je ne parviens pas bien à interpréter, et je pense qu’il va me laisser sur la rive, car le bac, beaucoup plus petit que celui de Duclair, est déjà bien plein. Mais non, il me fait signe d’avancer. Une fois bien en place, bien serrée entre la voiture qui me précède et le fond du bateau, je le vois s’approcher de ma vitre, faire signe que je l’ouvre, et il me donne la signification de ses gestes : je dois éteindre mes phares.
A nouveau cet instant suspendu, où l’on est au volant mais flottant sur les ondes fluviales… J’adore! Mais c’est court, et il faut déjà débarquer. Je fais alors ce que je me promets de réaliser depuis longtemps, dans ce bourg où je ne m’arrête que pour acheter au petit matin les viennoiseries qui me serviront de petit-déjeuner, et parfois de repas en cette période de fermeture des restaurants : je visite l’intérieur du village. La lumière n’était pas bonne pour la photo, et qui plus est beaucoup ont été prises à contre-jour, mais je vous présente quand même quelques photos. J’irai les refaire lorsque soleil et météo seront plus cléments…
L’architecture en est extrêmement variée, malgré une forte empreinte normande. Et certaines demeures contemplent la Seine depuis longtemps, visiblement.

Des petits panonceaux inscrivent le bourg dans l’histoire, et en particulier l’histoire des artistes qui l’ont fréquenté, comme Gauguin, qui l’a peint, ou qui y sont nés, comme Hector Malot. Une anecdote raconte que le mât de beaupré d’un navire est venu casser la fenêtre de la chambre où se trouvait ce nouveau-né… Pour le cas (fort im?probable) où vous ignoreriez ce que c’est, voici un petit rappel.

Le pilote ne devait pas être très clair pour aller planter ce mât sur la berge, car cela signifie que le bateau était perpendiculaire au courant! Etait-ce un navire proche de celui qui est représenté 54 ans plus tard sur le tableau de Gauguin?

Un artiste dénommé Albert Lebourg a peint plus de 90 toiles sur La Bouille, qu’il appréciait particulièrement le matin ou le soir.

Sisley a également beaucoup apprécié le paysage aux environs de La Bouille, qu’il peindra à la fin du même siècle.

Un postimpressionniste normand, Robert Antoine Pinchon, a représenté le bourg en hiver, au début du XXème.

Vous comprenez maintenant, je l’espère, le plaisir éprouvé à fréquenter ces lieux et préférer le bac au moderne et majestueux Pont Flaubert, qui serait, selon un de mes amis, une prouesse technique… Nous y reviendrons…