Sous le charme de Sospel. Episode 1 : la Cabraïa

Il est des villes et bourgs où l’on passe, sans jamais s’y arrêter, ou tout au moins s’y attarder. C’est par exemple pour moi le cas de Sospel, qui avait jusqu’à présent le tort d’être situé sur la route qui mène à Tende, où je vais de temps à autres, et, au-delà, à Limone, une des stations de ski les plus proches de Nice. Je m’y étais arrêté une ou deux fois, et le charme de ses terrasses dominant la Bévéra m’avait déjà séduite, mais jamais assez longtemps pour une vraie visite. En ce premier dimanche d’août, ce fut donc pour moi une série de découvertes.

La première, c’est le restaurant où j’ai déjeuné. Pas un de ceux qui longent la rivière : il est blotti, un peu caché, derrière une belle fontaine, non loin de là.

Cette photo a été empruntée, mais voici celle que j’ai pu réaliser de la table…

J’ai cherché en vain son nom, et son histoire. Au point que je me demande si elle n’a pas été déplacée? Si l’un-e d’entre vous peut m’aider à comprendre, merci!
Mais revenons au restaurant. Un accueil très aimable, chaleureux, comme je les aime. Dès l’arrivée, un petit cocktail offert, à base de… gingembre! Vous imaginez comme j’ai apprécié!

Une carte évolutive, en lien avec les opportunités du marché. J’ai hésité! Notamment entre de l’espadon dont la fraîcheur ne faisait pas de doute, vu la proximité des gérants avec les pêcheurs du coin, et du confit d’agneau. Je pensais « de 5 ou de 7 heures ». Mais non, ici, c’est « de 6 heures ». Ce fut le second que je sélectionnai. Et je ne l’ai pas regretté! Fondant, et une sauce si « goûteuse » que je demandai une cuillère pour mieux l’apprécier…

Le tout avec un petit rouge du Var…

Moi qui aime le nez « fruits rouges » et le tannin, j’ai été gâtée! Il faut dire (je l’ai appris depuis) qu’on y retrouve le syrah.

« Cette coopérative provençale réputée pour ses rosés nous a séduits cette fois-ci avec un rouge (syrah/grenache/cabernet sauvignon). Quel joli fruit rouge (fraise, groseille) et quelles belles épices! La bouche est gourmande, légère mais ample, les tannins sont présents mais lisses, c’est la quadrature du plaisir… » (je connaissais la « quadrature du cercle », mais pas celle « du plaisir »!)

Résumons-nous : un espace un peu à l’écart de la foule touristique, une terrasse tranquille proche d’une fontaine, du monde aux petits soins pour la cliente pourtant bien « estrangier », un agneau fondant à souhait dans une sauce aromatique à souhait, un vin à la puissance enveloppée de douceur… Que demander de plus?

Peut-être vous demandez-vous d’où vient son nom. C’est celui de la place où est situé le restaurant. Une fois cela dit, la signification peut rester encore énigmatique, n’est-ce pas? J’ai tout de suite pensé aux chèvres, et mes recherches ultérieures m’ont donné raison…

« C’est ici que l’ on regroupait au XVI e siècle les troupeaux de chèvres
( Cabraïa en sospellois) avant de les mener sur leur lieu de pâture.

La fontaine avait deux fonctions : la partie basse servait d’abreuvoir et la partie haute était réservée aux besoins ménagers. Les entrepôts de sel sur la voie muletière se trouvaient aux alentours ».

C’est la première fois que j’entends parler de ces « deux fonctions », où l’on retrouve la répartition spatiale de certaines maisons montagnardes : le haut pour les humains, le bas pour les animaux…

J’ai par ailleurs recherché l’histoire de ce commerce. Voici ce qu’il en est dit : « La société LA CABRAIA a été créée le 31 juillet 1998, il y a 27 ans. Sa forme juridique est Société à responsabilité limitée (sans autre indication). Son domaine d’activité est : restauration traditionnelle. En 2022, elle était catégorisée Petite ou Moyenne Entreprise. Elle ne possédait pas de salariés. » (source).

Je vous en donne donc l’adresse, pour que vous puissiez en profiter si, un jour, vous passez par Sospel ou y séjournez (le bourg le mérite, je vous le prouverai dans un prochain article) : 1, Place de la Cabraïa à Sospel. Un parking tout proche permet de stationner gratuitement.

Découverte de la Vallée du Jabron

Je viens de réaliser que cela fait plus d’un mois que je n’ai pas écrit sur ce site… Un mois de reprise du travail, tant bien que mal, un mois encore perturbé par les événements… Me voici enfin plus tranquille, sinon sereine (comment pourrait-on l’être, au vu de l’actualité?), et je tente de renouer avec l’écriture. Pas facile, après une telle interruption! Par quoi commencer? Les articles « en retard »? Et Dieu sait s’il y en a! Ou l’actualité?
C’est la seconde réponse qui l’emporte, et je décide de vous faire partager la découverte de la Vallée du Jabron.

Un microcosme verdoyant où des jeunes et moins jeunes tentent de vivre au plus près de la nature, dans une société qui veut échapper à tous les méfaits de nos sociétés modernes et de la mondialisation. Un pari qui serait réussi s’il ne se heurtait aux contraintes de la productivité génératrice de revenus. Nous y reviendrons au détour d’un article. Car oui, je ne pourrai me contenter d’un seul pour partager ce que je vois et vis ici…

Mais commençons par le commencement… Les « Portes », les « Claux » (avec ou sans x), les « Clues »… Ce sont elles qui isolent, et celles qui ouvrent. Vous connaissez peut-être celle de Sisteron, dominée par la citadelle… Dans la vallée du Jabron des synclinaux se rejoignent presque pour « fermer » cette vallée, voie traditionnellement empruntée par les colporteurs pour relier la vallée du Rhône et la Durance, au travers des « Baronnies ». Mais en réalité, elle ne l’est pas totalement, et l’une de ses dénominations est « Vallée sans portes »…

« Alpes de Haute Provence »… cette appellation récente traduit la dualité Alpes-montagnes- climat rude – pastoralisme versus Provence-piémonts et plaines- climat doux-cultures. Ici, les deux se rejoignent en un mélange étonnant. Adrets et ubacs s’opposent d’autant plus que la vallée est globalement très orientée ouest-est (pour prendre la sens de la rivière éponyme). Près de la source du Jabron, tout en haut, à plus de 1000 mètres d’altitude, des champs de lavande éblouissent le regard et parfument l’air. Mais dans la descente la végétation diffère, rendant compte des variations importantes de température et d’un climat déjà partiellement montagnard, qui empêche la plantation de certaines espèces végétales – dont les tomates – avant les Saints de Glace. Et, au moment où ces lignes sont écrites, 21 juillet, la température descend entre 12 et 15 degrés le matin, à l’altitude de Curel (environ 700 mètres), mais monte au-delà des 30 le midi… Une sacrée amplitude!

La vallée fut riche autrefois, car alliant élevage, en particulier de moutons et de chèvres, et agriculture, voire, jadis, viticulture et nuciculture. Elle subit comme nombre de régions de ce type la déshérence des jeunes générations dans les années 50 et 60. Mais vit arriver après 68 des communautés, comme la célèbre communauté de Jansiac, connue sous le nom de la Maison d’Edition qu’elle avait créée, la « Nef des Fous ». Et je me suis promis d’aller rendre visite aux deux femmes qui font perdurer l’esprit de la communauté, près de la crête de la Lure, à plus de 1000 mètres d’altitude. On dit qu’une troisième, d’une autre génération, les a rejointes en 2011… J’espère pouvoir y aller et vous en rendre compte…

J’écris depuis le gîte « La Lure », un des gîtes communaux de Curel. Curel, c’est un village historique sans trop l’être, situé à peu près au centre de la vallée, un de ces villages où il fait si bon vivre que Marseillais, Savoyards, Hollandais et Belges de Binche y achètent des maisons pour venir s’y « poser ». Un village discret s’il en est, où même la mairie se fait invisible, accessible par une impasse pierreuse…

Les gîtes sont à l’extérieur, dans un lieu dénommé « Cabine du Passavour ». Au départ, je pensais « cabane »… rien que de très normal en montagne… Mais non, c’est bien « cabine »… pourquoi??? Une hypothèse serait liée à l’existence d’un bâtiment voisin, devenu salle des fêtes communales, qui aurait peut-être abrité une cabine téléphonique… Mais cela me paraît « léger »… à voir… Quant à « Passavour », je ne l’ai pas trouvé dans les divers dictionnaires de langue d’oc ou provençaux… Certes, on peut penser à l’idée de « passage », mais rien ne l’atteste… Donc le mystère reste entier, concernant le nom de cette ferme datant sans doute du XIXème siècle, donc assez récente.

Le gîte « La Lure »

La plus grosse surprise, à mon arrivée, concerne le nombre de jeunes (plus ou moins) femmes qui oeuvrent dans et pour la nature et ses hôtes, végétaux ou animaux. Elles viennent « d’ailleurs », pour la plupart, et certaines ont vécu une autre vie avant, ont eu des diplômes élevés, ont exercé d’autres professions. Mais ici, elles se fondent dans une forme de « communauté » dont les membres, solidaires bien que parfois concurrents, ont en commun le rejet de la consommation, de la monétarisation, du profit, du stress urbain, des dégradations de la nature.

Les chevrières qui fabriquent des produits à partir du lait de leurs troupeaux. Deux d’entre elles ont un local sous le gîte, véritable laboratoire où elles concoctent de délicieux fromages. Une troisième a une exploitation à 300 mètres d’ici. Une autre encore est située plus bas dans la vallée, mais plus haut en altitude. Et l’on m’a parlé d’un quatrième troupeau, voire d’un cinquième… en quelque sorte, il y en aurait un par bourg.

Une jeune maraîchère produit ses légumes dans de grandes serres, en « total bio ». Déjeunant au Bistrot de Village de Noyers, je l’ai vue apporter une caisse de salades d’une belle fraîcheur. J’ai appris qu’elle s’adonnait à la traction animale, et que les deux magnifiques chevaux que j’avais vus à l’aube dans un pré non loin du gîte lui appartenaient.

Encore une femme, rencontrée ce matin alors qu’elle s’occupait de deux chevaux, dont la robe de l’un m’a questionnée… J’ai ainsi appris qu’on l’appelait « truitée »… de petites tâches noires sur une robe blanc gris… très original! Notre conversation m’a aussi permis d’échanger autour de l’équithérapie. Je m’étonnais en effet qu’on ne profite pas davantage de tout ce qui se faisait dans la vallée pour des personnes en situation de handicap. Or ses chevaux ont été dressés pour ce faire… Elle s’adonne aussi à la culture, et m’a expliqué qu’elle cultivait et cueillait des herbes (des « simples »?) comme on les appelait autrefois.

C’est aussi une femme qui s’occupe des gîtes; passionnée de permaculture… J’ai eu ce matin le bonheur de visiter son jardin, bien orienté sur l’adret, à la belle terre noire enrichie au fumier… Coloris superbement éclatants : jaune des tournesols et des fleurs de courge, orange des courges, rouge des tomates, violet de la bourrache… Sans compter toute la gamme des verts, depuis le vert tendre des butternuts pas encore mûrs jusqu’au vert sombre des feuilles de haricots, en passant par les verts variés des salades et des blettes… J’ai pu goûter de la menthe « chocolat ».

« La Menthe chocolat s’élève jusque ± 60 cm, et ses feuilles lancéolées n’offrent pas un parfum de chocolat, mais plutôt celui de la crème à la menthe utilisée dans les confiseries « After Eight ». »

Par la suite j’ai pu découvrir le parfum si particulier de la livèche (ou « ache des montagnes »). Depuis, j’ai appris qu’originaire de Perse, elle était cousine du céleri.

« La livèche est une plante vivace (c’est-à-dire qui vit plusieurs années) pouvant atteindre deux mètres de hauteur. Elle est reconnaissable à ses larges feuilles découpées en plusieurs lobes dentelés, pouvant rappeler celles du céleri. Cependant, elle tient surtout son surnom de « céleri perpétuel » de son parfum ou goût proche du céleri, qui lui a également valu le sobriquet « d’herbe à Maggi ».

L’été, de jolies fleurs jaunes pâles viennent embellir cette plante sous la forme d’une vingtaine d’ombellules. Sa tige cylindrique et creuse peut servir de paille ; et ses graines de 7 millimètres sont prisées en pâtisserie. Cependant, seules les feuilles de la livèche sont utilisées pour ses propriétés thérapeutiques, après leurs récoltes de Mars à Novembre. »

Que de productrices!

Femmes cultivant, élevant, plantant, dressant… Un univers gynarchique? Cultivent-elles la liberté, avec cet art de vivre si original? Pourtant le travail est rude… et encore, je ne vois que l’été! Partir le matin à l’aube vers l’un des marchés locaux, situés entre un quart d’heure et plus d’une heure de route, pour vendre leur production, tout en continuant à produire… Et il faut entretenir, gérer… Comment font-elles?

Il ya aussi des artistes… Plus discrets/discrètes, presque caché-e-s, ils et elles sont apparemment assez nombreux/euses à s’adonner aux beaux-arts, aux arts plastiques, au graphisme, à la musique. Rien que dans ce tout petit village de Curel, deux violonistes, dont un premier alto, et un saxophoniste… Je n’ai rencontré pour l’instant – et par hasard – que l’une d’entre elles…

Vallée des femmes? Où sont les hommes? Refuge des femmes? Ou de nouveaux risques d’aliénation?

Dernière nouvelle : demain matin, je vais « monter » en altitude, essayer de rencontrer d’autres femmes…