Quand Gorbio rime… et rythme avec flamenco…

L’an dernier, Michel Isnard, maire de Gorbio, annonçait sa décision de se retirer… et ses craintes de voir disparaître le festival flamenco qu’il organisait chaque année avec la complicité amicale d’Isabelle. Moi qui aimais ces soirées, j’ai donc pensé qu’elles allaient disparaître, comme avaient disparu avant elles les festivals Tahiti et Afrique organisées aussi dans ce petit village perché au-dessus de Menton, si discret mais si vivant.

Heureuse surprise que de découvrir sur le site de la bourgade qu’un 19ème festival allait avoir lieu cette année. Vite, inscription… et, le soir dit, arrivée précoce sur le site, de manière à trouver une place de parking, ce qui n’est pas une mince affaire là-haut! En descendant du parking, nous voyons que notre repas se prépare… ça sent bon la paëlla!

Cuisson sur place de la paëlla, toujours aussi bonne!

Et puis le plaisir d’aller retrouver le personnel des Terrasses et leurs habitué-e-s, pour un apéritif sur la place. Toujours aussi sympathique.

Le bar restaurant Les Terrasses, sur la place de Gorbio


Et la vue sur l’orme vétuste est toujours aussi belle…

L’orme, et des volets en trompe-l’oeil…

La table voisine, au café, était occupée par trois personnes fort sympathiques… A notre plus grande joie, nous les retrouvons placées à la même table que nous… 6 plus trois égal 9, nous respectons donc bien la règle actuelle du « 10 au plus »…

Deux jours plus tard, nous nous retrouverons, cette fois à une table proche de la scène, sur invitation de l’ancien maire en personne, qui nous a fait la gentillesse de nous la réserver…

Le spectacle commence par la musique et les chants, comme toujours. J’apprécie toujours autant les voix extraordinaires des trois chanteurs, soutenues par les guitares et percussions. J’aime particulièrement celle de Jesus de La Manuela, qui me fait toujours autant vibrer (surtout lors des messes gitanes!), alors que d’autres lui préfère la puissance de celle d’Emilio Cortes ou la force étonnante (et détonnante si j’ose) de Cristo Cortes.

La plus jeune des danseuses entre en scène la première… Sa virtuosité ne fait pas de doute, bien que je la trouve un peu « froide » et « technique ».

Céline Daussan

Ce qui m’a toujours frappée dans ces spectacles, c’est la connivence manifeste des artistes entre eux, allant parfois jusqu’à la manifestation de soutien et d’admiration.

Après elle, ce sont deux jeunes danseurs qui se succèdent, avec deux styles très différents. J’avoue avoir un faible réel pour le second, Lucas del Luco.

Lucas del Luco

Puis vient le tour de Lisa Carmen, dans une sublime robe telle qu’on les imagine en pensant « flamenco ». Rien à faire, je préfère nettement ce style à la robe courte avec tablier des premières danses…

Lisa Carmen

Elle évolue, joue avec les volants, avec le châle, et se révèle d’une souplesse remarquable…

Puis arrive le tour de celle qui m’enchante depuis plusieurs saisons. J’admire sans vergogne son magnifique visage à la beauté pure et sérieuse.

Un autre des stéréotypes du flamenco me réjouit : la danse subtile des mains et des doigts… Elle en possède tout l’art…

Pas besoin de chichis, de recherche de virtuosité extrême, d’esbrouffe… Toute la force de la retenue, de la violence contenue, de la passion réservée donne cette puissance attendue du flamenco, pour ce qui me concerne.

Avec le chanteur Cristo Cortes

Une finale en apothéose pour cette troisième soirée de festival, avec l’ensemble des danseurs/euses… puis les personnes qui sont à l’origine de ces soirées bonheur…

Nous saluons avec révérence Luis de Almeiria, et prenons grand plaisir à constater qu’Isabelle Cortes n’a pas perdu de son dynamisme, et n’a besoin ni de robe extraordinaire ni de talons pour danser à merveille…

Michel Isnard et Luis de Almeria
Luis de Almeria et Isabelle Cortes

Michel Isnard prend ensuite la parole, pour un « adieu » au public – il passe la main pour la suite des festivals – et un vibrant message d’amour…

Bien sûr, les deux maires qui se sont succédés n’ont pas manqué de souligner que, sans la force, le courage et le dynamisme des nombreux/euses bénévoles, rien ne serait possible. Et ce sont elles et eux qui envahissent la scène en fin de soirée pour un défoulement bien mérité avec le nouvel élu, Paul Couffet, qui visiblement ne manque pas de tonus.

La soirée se termine donc dans une belle ambiance, et nous saluons les organisateurs et nos trois voisins de table, que nous espérons revoir…

C’est alors une petite balade nocturne pour faire découvrir le vieux village à mon hôte.

Montée et descente des rues pavées et souvent couvertes, pour arriver devant l’église Saint Barthélémy (1683) à la façade toute en trompe-l’oeil.

Au passage, des portes attestent de l’ancienneté des édifices…

Une extraordinaire symbiose interculturelle

C’était pour moi une gageure que de réserver pour un tel spectacle… je me demandais vraiment ce que cela pourrait donner… Mais cette témérité a payé! J’ai rarement vu un spectacle aussi intéressant, voire passionnant (dans tous les sens du terme) et surtout porteur d’un optimisme extrême…

De quoi s’agit-il? Vous demandez-vous peut-être… Eh bien, il s’agissait d’une rencontre entre la musique, le chant et la danse flamenco d’un côté, et la musique/le chant japonais… Une danseuse et une cantatrice, entourées, soutenues, portées, mises en valeur… que dire?… par un orchestre et des chanteurs tour à tour très discrets, ou au contraire dynamisants…

La scène est celle du Théâtre de Chaillot… Au centre, un cercle délimité par des spirales métalliques non fixes… Au départ, cercle parfait, il sera progressivement détruit, devenant ainsi pure symbole de la disparition possible des frontières culturelles et de l’osmose idéale entre les cultures, aussi éloignées soient-elles à l’origine. Car quel écart plus important qu’entre la chaleur / l’érotisme / la passion du flamenco, et la froideur / la pureté / l’esthétisme figé de l’art japonais ? Entre les mouvements plus que rapides de la danseuse et les déplacements plus que lents de la chanteuse, le ton était donné dès le départ… Non, pas tout à fait le départ, car la première partie est à situer un peu à part…

Un duo de… mime ou danse?

Hors du cercle, un seul corps, quatre mains… Le danseur, placé derrière la danseuse… faut-il utiliser ce terme? car les corps, cachés dans d’amples vêtements aussi noirs que le décor, restent d’une immobilité presque parfaite… Et les bras apparaissent, disparaissent… Et les mains caressent l’air, le bras, le corps…

Le public reste en haleine devant un tel spectacle, d’une pureté aussi forte que l’érotisme qui s’en dégage… dans un paradoxe qui annonce la thématique de la suite…

Deux univers distincts…

Le jeu se fait ensuite en deux espaces bien distincts. Alors que le cercle est réservé au flamenco, la cantatrice japonaise évolue et chante en restant à l’extérieur. Revêtue d’un superbe manteau très large, avec traîne, elle tourne lentement autour de l’espace réservé, pour de temps à autres s’arrêter et entonner des airs d’une finesse et d’une pureté infinies…

… qui se rejoignent progressivement…

Nous assistons alors à un rapprochement progressif des univers, passant par la médiation de la musique… Les musiciens jouent un rôle qui se développe au fur et à mesure du spectacle… Musique asiatique et musique flamenca passent du contrepoint à l’alliance… La dynamique est surprenante… Et la chanteuse rejoint peu à peu les musiciens, tandis que la danseuse reste seule au centre du cercle de ces derniers…

… jusqu’à ne faire qu’un

La dernière partie est ainsi plus qu’étonnante, et démontre brillamment que des univers musicaux et gestuels aussi éloignés peuvent se rejoindre en une harmonie remarquable. J’ai été littéralement fascinée – le mot n’est pas trop fort – par cette alliance pour le moins inattendue. Et chants, danse, musique, font éclater une joie et un optimisme porteurs de sens.

Pour sortir du « ressenti » et aller plus loin…

Je m’aperçois que je n’ai pas dit un mot qui permette de situer le spectacle, ni de connaître les artistes. Je vais donc maintenant réparer ces lacunes!

Il s’agit d’une programmation dans le contexte de la 4ème Biennale d’art flamenco au Théâtre National de la Danse de Chaillot : Cuentos de Azucar.

« … cette biennale se caractérise par la rencontre d’artistes venus d’univers et de cultures en apparence très éloignés. C’est par exemple le cas d’Eva Yerbabuena qui, après un voyage au Japon, a intégré à son spectacle le chant d’Anna Sato… »

Voilà, vous avez maintenant le nom des artistes… Pour en savoir davantage sur Eva Yerbabuena, voici son site. Pour ma part, je tiens à préciser qu’elle ne se limite visiblement pas au flamenco. C’est une danseuse complète, qui semble maîtriser aussi la danse contemporaine.

Je n’ai pas trouvé beaucoup d’informations sur Anna Sato… Une page Facebook… Mais il faut dire que je ne lis ni n’écris le japonais… Donc si vous pouvez m’aider à la comprendre davantage, merci de collaborer! Je rajoute un mot in extremis, car je viens de trouver, au moment de publier cet article, son site officiel.

Un dernier mot, sur les costumes. Une recherche évidente d’antinomie, au départ, pour renforcer le hiatus. Les costumes d’Anna Sato sont superbes et fort bien mis en valeur par la chanteuse – danseuse en l’occurrence. J’ai moins aimé ceux de Eva Yerbabuena, car les tissus manquaient selon moi de tenue. Mais peut-être était-ce voulu pour évoquer un autre écart implicite : aristocratie / peuple???

Bien sûr, je n’ai pas pris d’images, sauf à la toute fin, comme d’habitude, de mauvaise qualité, mais que je joins car libres de droit (belle excuse, non?).

Mais on en trouve sur le site de ce photographe. Cela vous donnera une petite idée… toute petite… car tout est dans le mouvement, les sons, et les enchaînements… Quelques extraits sont en ligne sur YouTube. Dans ce premier, composé d’extraits, vous assisterez au début du spectacle, le couple de danseur/danseuse que j’évoque en première partie du texte, puis à la déambulation de la Japonaise autour du cercle, et enfin à des solos d’Eva Yerbabuena. Dans celui-ci, la danseuse s’exprime sur fond de chant et musique japonais, puis l’on assiste à une transition avec le flamenco… Un reportage sur la conception de la chorégraphie… Le teaser est peu explicite, mais on entend bien la voix… C’est aussi le cas sur cet extrait musical.