Une fête de la mer en catimini

Tous les ans, le 15 août, le port de Nice vibre aux couleurs non plus noire et rouge, mais blanche et bleue. Les pointus sont décorés, fleuris, embellis. Les marins se vêtent de blanc, avec une petite touche de bleu. La circulation est suspendue, et la foule assiste à la procession de la Vierge qui sort de l’Eglise de l’Immaculée Conception, face au port, traverse les quais et est embarquée sur un pointu, avec le prêtre qui va bénir les frêles embarcations et leurs propriétaires. Normalement, des pêcheurs. Mais depuis quelques décennies ils se font de plus en plus rares, comme je le disais dans un article où je présentais cette cérémonie. Ensuite, une messe est célébrée sur les quais, en grande pompe, par l’évêque et toutes ses troupes, en présence des élu-e-s, des habitant-e-s et de nombreux touristes, en milieu d’après-midi. C’est une des grandes traditions de la ville, que respectent tous ses habitants, quelles que soient leurs religions ou leur athéisme.

Cette année, pas moyen de trouver trace d’une annonce de ces festivités sur les sites, ni même dans les journaux. Et difficile de voir, sur le site consacré aux horaires des messes, s’il y en aurait une ce jour-là, vers le port. J’ai quand même réussi à en trouver une, annoncée à 18h30 dans l’église dont je parlais plus haut. Curieuse, je m’y rends. Eglise parée de bleu et blanc, mais vide, si l’on excepte quelques grenouilles…

Une Vierge au-dessus de l’autel, une autre sur le côté…

… et le troisième de l’autre côté…

Les cierges rouges ont été complétés par des bleus et blancs, ce qui donne un air républicain à la statue… mais n’est-ce réellement qu’une impression???

Aucune n’est donc de sortie en ce jour de l’Assomption. Pas de fête donc? En fouinant, je découvre une petite affiche sur la porte.

Des personnes errent, en quête de la messe. Je leur montre l’affiche… Il ne leur reste qu’à tenter d’aller voir sur ce quai, situé de l’autre côté que celui où se déroule habituellement les festivités. Aucune procession en vue. Toujours mue par la curiosité, je fais de même. Tiens, tiens, petite agitation du côté des pointus. Et des gerbes de fleurs?

Visiblement, on les prépare!

Je continue à avancer, et aperçois, au loin, d’autres embarcations parées qui défilent dans l’indifférence générale.

Pas de bateau avec prêtre, mais, au loin, j’entends des chants. Je m’approche. Chants nissarts…

Dans un rectangle ceint de barrières, entourés du bleu non de la Vierge mais des uniformes de police, municipale et nationale, et de gendarmerie, plus des soldats armés, quelques personnes sont là pour assister à la messe prévue. On les a fouillées à l’entrée! Et il y a bien un orchestre typique. La Cimarde? Je ne sais, je suis trop loin pour le voir. Je repars donc, et trouve cette fois des équipages qui déchargent les gerbes de leur pointu. Il s’est donc bien passé quelque chose. Une bénédiction en cachette?Quelques Niçois ont compris, et viennent récupérer les fleurs. Des touristes de passage par là demandent s’ils peuvent aussi en avoir. On leur en donne. Et c’est ainsi que j’ai pu offrir à ma voisine, le lendemain, ce joli bouquet…

Balade aux Tuileries

Le printemps, le soleil, les chants des petits zozios… c’est le moment de profiter des parcs et jardins si nombreux et beaux dans notre capitale… Direction donc les Tuileries. Voilà bien longtemps que je n’y suis allée et, la dernière fois, une partie était un vaste chantier…

Autant faire une arrivée triomphale, non? Pardon pour ce vilain jeu de mots… Bien sûr, je parlais de l’Arc de Triomphe du Carrousel. A ce propos, je me suis interrogée sur l’origine de ce nom. Il vient tout simplement de la situation du monument, sur la place qui portait déjà à l’époque napoléonienne le nom de « Place du Carrousel ». Pourquoi? Parce qu’en 1662, Louis XIV avait célébré de manière grandiose la naissance de son fils, le Dauphin, par un superbe spectacle équestre, donc un magnifique « carrousel ».

Le Grand Carrousel au Louvre, 5-6 juin 1662

Les chevaux sont toujours là… mais moins vivants : c’est un quadrige qui domine les lieux, depuis le sommet de l’arc… difficile à photographier car, en cette fin d’après-midi, le soleil est déjà très à l’ouest…

Il serait aujourd’hui impossible d’imaginer reproduire le spectacle offert par le Roi Soleil… Vous devinez pourquoi? Réfléchissez… une construction moderne, insolite en ces lieux, qui a fait couler beaucoup d’encre et n’est toujours pas acceptée par un certain nombre de nos compatriotes… Vous voyez de quoi je parle ?

Mais la façade de l’aile nord, récemment rénovée, brille de son classicisme intact et plus éclatant que jamais, d’un ocre se détachant sur le bleu du ciel et le vert des buissons bien taillés.

Je ne me lasse pas des innombrables statues qui peuplent – j’allais écrire « qui hantent » – nos espaces verts, et servent de socle aux pigeons orgueilleux, telle cette Nymphe qui ne s’attendait pas à un tel couvre-chef…

Regardez la photo ci-dessus. De nouvelles statues sont venues s’ajouter aux anciennes… Vous les voyez, au fond à gauche?

Continuons à admirer les personnages antiques, plus ou moins mythologiques. Cassandre, d’abord, qui se met ici sous la protection de Pallas.

Joies courbes, n’est-ce pas? Mais il n’y a pas que des courbes féminines à admirer dans ce Jardin… Une petite devinette? A qui appartiennent celles-ci?

A un héros et au Monstre qu’il est en train de tuer… Mi-homme mi-taureau… ça vous dit quelque chose?

Eh oui, Thésée et le Minotaure… On comprend mieux Ariane, n’est-ce pas?

Délaissons maintenant la statuaire pour nous intéresser à la nature. Enfin, la nature bien travaillée, à en croire les panneaux qui expliquent les oeuvres d’art des jardiniers/ères.

Je n’ai pour ma part pas beaucoup vu de ce « bleu précieux »… mais peut-être n’est-ce pas la saison? Il faudra revenir… Par contre, j’ai vu « l’ivoire divin »… enfin, un peu relevé par de l’orangé et du jaune…

Une petite pause sur les fauteuils près de l’un des beaux bassins des Tuileries, pour admirer les « amerrissages » des cols verts et s’attendrir sur les petits canetons. Quand tout à coup surgit, du côté de la Tour Eiffel, un autre arc, en ciel celui-là, tout à fait inattendu vu l’absence de pluie.

Mais il se fait tard, et le soleil commence à décliner derrière l’Obélisque qui se mire dans l’eau et commence à se dévêtir…

Le printemps en février…

Venus et Cupidon, Pontormo, 1533

Cupidon s’était approché un peu trop près des rosiers du jardin de l’Olympe, et fut piqué. Je ne sais si c’est par les abeilles qui butinaient les fleurs ou par les épines. Toujours est-il que son sang, en coulant, donna une belle teinte rouge aux pétales… Cela affola sa maman, Vénus qui accourut vers lui. Dans sa précipitation, le flacon de parfum attaché à sa ceinture se renversa sur les fleurs, leur transmettant les fragrances délicates qu’elles émettent encore…

Une belle légende pour la reine des fleurs… Mais Shakespeare la voit autrement et l’associe à la mort d’Adonis dont Venus est amoureuse…

Vénus pleurant la mort d’Adonis, B. West, 1768

« CXCV. — Tout à coup l’enfant étendu mort auprès d’elle s’évanouit à ses yeux comme une vapeur ; et dans son sang, répandu sur la terre, naquit une fleur pourpre tachetée de blanc, semblable à ses pâles joues et au sang qui en parsemait la pâleur en gouttes arrondies.

CXCVI. — Vénus baisse la tête pour sentir la nouvelle fleur, et la compare au souffle de son Adonis. « Elle sera déposée dans mon sein, dit-elle, puisque Adonis lui-même m’a été arraché par la mort. » Elle cueille la fleur, et la tige laisse échapper une sève verte qu’elle appelle des larmes.

CXCVII. — Pauvre fleur, ajoute-t-elle, c’était ainsi (douce fille d’un père plus doux encore que ton parfum), c’était ainsi que ton père pleurait au moindre chagrin ; croître pour lui seul était son désir comme c’est le tien ; mais sache qu’il vaut autant te flétrir dans mon sein que dans ton sang.

CXCVIII. — Ici fut la couche de ton père, ici dans mon sein ; tu es son héritière, voici ta place. Repose dans ce doux berceau, où les battements de mon cœur te berceront jour et nuit. Il ne se passera pas une minute dans une heure sans que je baise la fleur de mon bien-aimé. » »

Légende et création poétique convergent pour associer la rose à l’amour, et l’on comprend comment le marketing actuel s’en est emparé pour en faire l’emblème de la fête des amoureux/euses le jour de la Saint-Valentin. Mais j’ignore si un jour on a vu fleurir des roses, dans les régions septentrionales de la France, la semaine du 14 février…

Dès l’entrée dans le Parc Suzanne Lenglen, où je suis venue me détendre après une journée de « visio », je suis saisie de stupeur devant le jaune resplendissant de cette rose bien éclose, à la robe non pourpre, n’en déplaise à Ronsard.

Mais elle n’est pas seule. Plus discrètes, derrière, des roses s’épanouissent aussi en cette fraîche journée d’hiver.

Elles défient la glaciale architecture de la tour dont le seul mérite est de refléter les rayons de l’astre déclinant.

La lumière se venge en la déstructurant brillamment…

Les reines des fleurs sont accompagnées de toute une cour, aux éclats de couleurs qui se concurrencent en une symphonie bien orchestrée.

Crocus, jonquilles et narcisses s’épanouissent en déclinant les jaunes, du plus pâle au plus orangé…

Crocus et pâquerettes entourent une souche publicitaire… Celles et ceux qui ont lu l’article posté il y a un mois environ, article qui narrait une promenade sur les quais de l’Ile Saint Louis, reconnaîtront l’effet d’annonce de cette affichette… Heureusement qu’il est précisé « jeune »!

Excusez la mauvaise qualité des photos, mais le crépuscule n’aide pas mon modeste Iphone à réaliser des chefs d’oeuvre! Elles n’ont ici que valeur illustrative…

Qui a pris la couleur de l’autre? Les fleurs ou l’hélicoptère?

Plus modestes, sur la pente d’un des monticules du parc, les pensées n’en sont pas moins colorées…

… par les crayons qui les surplombent?

Bien cachées par un paravent de verdure, d’autres roses, en déclinaison de blancs et de roses…

Le crépuscule arrive, mais je ne résiste pas à l’envie de saisir quelques « sculptures »…

La promenade se termine et il va falloir retourner vers l’agitation de Paris, non sans une dernière contemplation du ciel à l’occident.

Grignan – Episode 3

Je reprends le récit de ma balade matinale à Grignan, récit interrompu sous le coup de l’émotion hier…

Souvenez-vous, je sortais du cimetière jouxtant la Chapelle Saint Vincent… Vous y êtes? Et me retrouvai donc, si vous avez compris la topologie, devant la salle des fêtes, face à ce qui est ici dénommé « Le Mail ». Je viens de vérifier le sens de ce terme, qui pour moi désignait une promenade le long d’un cours d’eau. Eh bien non, pas du tout, c’est seulement une « promenade publique ». Alors, pourquoi faisais-je cette erreur? Tout simplement parce que dans mon enfance j’ai toujours entendu parler du « Mail de la Sambre »… comme quoi des erreurs peuvent perdurer!!!

Au bout de ce Mail, un édifice arrondi, avec des colonnes, m’intrigue… Et, lorsque je m’approche, me ravit… Une belle fontaine, aux eaux claires qui laissent voir des pièces… de quoi protège-t-elle? Je l’ignore…

Une petite grimpette, et me voici longeant les remparts de la ville médiévale. Les époques s’y mêlent et entremêlent…

Les murs sont, comme le long du Mail, ornés de rosiers grimpants.

C’est en effet une caractéristique de ce bourg que de s’être spécialisé dans les rosiers anciens – à propos, je m’aperçois que je n’ai toujours pas écrit l’article sur Bagatelle où je suis allée me promener en juillet!

De verdoyants jardins en contrebas…

Sous les remparts, de nombreux jardins, aussi variés que verdoyants, agrémentés de jolies ferronneries parfois.

Mignon, le cochon, non?

Et des prairies… Dans l’une d’entre elles, des animaux dont la silhouette au loin me frappe. Je m’approche donc… et découvre deux magnifiques porcidés noirs… Bien gras et dodus, pas comme ceux qui errent sur les routes de Corse…

Puis je m’engage dans les ruelles et placettes de la vieille ville, séduite par le calme qui y règne, par la beauté des couleurs, et intriguée par le nombre de chats qui semblent y régner en maîtres des lieux…

Chat gardien des lieux?

Quelques hommes jardinent, arrosent, reviennent du tennis. Tous souriants et aimables. Et les façades ou intérieurs aperçus révèlent la diversité des habitant-e-s comme celle des goûts architecturaux et décoratifs.

Le bien-être n’est pas oublié, et le nombre incroyable de bancs et sièges de toutes sortes en est la preuve…

Bancs privés…
Bancs publics… ne manquent que les Amoureux…

Plus haut le regard butte sur l’étonnante assise rocheuse du château.

Les bougainvillées lui donnent encore plus de relief…

Naturel et artificiel se jouent l’un de l’autre, et l’Homme s’en est donné à coeur joie pour transformer l’éperon rocheux en une subtile composition…

Les « maçons » aussi se sont amusés à glisser des symboles ici et là…

Le jeu du jour… Quels détails symboliques?

Levez la tête… un clocheton… A votre gauche, une petite fenêtre dont le volet porte une date étonnante… Un peu plus loin, on aperçoit la silhouette d’un autre village…

Un clocheton discret!
Regardez la date…
Au loin, la Garde Adhémar???

Le jour est maintenant bien levé. Je redescends vers la Porte du Tricot (original, ce nom n’est-ce pas? je ne suis pas parvenue à identifier l’origine du nom…), surmontée de ce que l’on nomme Tour de l’Horloge (pas original, ça!). C’est la seule des 7 portes de la ville à avoir « survécu »…

Il est l’heure de regagner Le Petit Jeu… un délicieux déjeuner m’y attend.

Il ne reste presque plus rien… Délicieuses, les petites crèpes!
Petits pots décorés par Caroline…

Suivi d’une baignade dans la piscine…. et de profiter de la douceur de ce jardin dominé par la maison d’hôtes…

Le temps de dire « au revoir » à Caroline et Bruno, et je quitte Grignan avec autant de regret que Le Petit Jeu…

Retour aux sources

Le repos au bord du ruisseau, Sisley (1872)

Il y a sept sources dans le terrain de la demeure où je suis « confinée ». Et, chaque jour, les voir jaillir, entendre sourdre l’eau claire entre bruyères et primevères me redonne confiance en la vie, me « re-source »… Je me sens nymphe, sylphide… je me vois sirène… Et je vais chaque jour dégager l’espace, nettoyer le lit, ouvrir les vannes pour que s’écoule l’eau, que coule le ruisseau, portant vers la rivière, puis le fleuve, puis la mer mes rêves d’évasion…

Les tourbillon de Naruto à Awa, Hirochige (1855)

Le Ruisseau

Du creux de la roche moussue
La petite source jaillit.
Du Grand-Salève elle est issue
Et deux brins d’herbe font son lit.

Dans l’ombre on l’entend qui bégaie
Comme un enfant sur les genoux,
Bientôt plus forte elle s’égaie
Et s’amuse avec ses cailloux.

Elle brode de cascatelles
Les blocs à remuer trop lourds,
Comme l’on coudrait des dentelles
Sur une robe de velours.

Les filles de la flore alpestre,
Prenant le frais près de ses eaux,
Écoutent son joyeux orchestre
Soutenant le chant des oiseaux.

De tous les coins de la montagne
Elles s’y donnent rendez-vous,
Chacune amène sa compagne
Et les baisers y sont plus doux.

On n’a que quatre pas à faire
Pour trouver au bord du ruisseau
Le cyclamen que Sand préfère
Et la pervenche de Rousseau.

Théophile Gautier, 1869

Cyclamen de Naples

« Un ruisseau coule dans la cannelure formée par la rencontre des deux pans. Au point où leur écartement cesse, il se précipite dans des profondeurs effrayantes, et forme, au lieu de sa chute, un petit bassin entouré de roseaux et couvert d’une fumée humide. Autour de ses rives et sur les bords du filet d’eau alimenté par le trop- plein du bassin, croissent des bananiers, des letchis et des orangers, dont le vert sombre et vigoureux tapisse l’intérieur de la gorge. C’est là que Ralph fuyait la chaleur et la société ; toutes ses promenades le ramenaient à ce but favori ; le bruit frais et monotone de la cascade endormait sa mélancolie.

Quand son cœur était agité de ces secrètes angoisses si longtemps couvées, si cruellement méconnues, c’est là qu’il dépensait, en larmes ignorées, en plaintes silencieuses, l’inutile énergie de son âme et l’activité concentrée de sa jeunesse.« 

George Sand, Indiana (1832) Source

« .. Je donnerai de ces souvenirs un seul exemple qui pourra faire juger de leur force et de leur vérité. Le premier jour que nous allâmes coucher aux Charmettes, maman était en chaise à porteurs, et je la suivais à pied. Le chemin monte ; elle était assez pesante ; et, craignant de trop fatiguer ses porteurs, elle voulut descendre à peu près à moitié chemin pour faire le reste à pied. En marchant elle vit quelque chose de bleu dans la haie, et me dit : « Voilà de la pervenche encore en fleur. » Je n’avais jamais vu de la pervenche, je ne me baissai pas pour l’examiner, et j’ai la vue trop courte pour distinguer à terre les plantes de ma hauteur. Je jetai seulement en passant un coup d’oeil sur celle-là, et près de trente ans se sont passés sans que j’ai revu de la pervenche, ou que j’ai fait attention. En 1764, étant à Cressier avec mon ami M.du Peyrou, nous montions une petite montagne au sommet de laquelle il a un joli salon qu’il appelle avec raison Bellevue. Je commençais alors d’herboriser un peu. En montant et regardant parmi les buissons, je pousse un cri de joie : »Ah ! Voilà de la pervenche ! et c’en était en effet. »… »

Jean-Jacques Rousseau, Confessions, tome 1 (1836)

Moorgraben, Paula Mendelson-Becker (autour de 1900)