Qui se souvient de ce château en bord de Seine, si près de Paris? Qui a jamais entendu parler du château de Becon? Sans « les Bruyères », si vous pensiez à cela. Quoique. Oui, vous pourriez l’ajouter si vous pensez que tous deux se situent à Courbevoie…
J’ai cherché l’étymologie du terme. Deux pistes trouvées : d’une part, « la terre de Becco », ce dernier étant un nom gaulois; d’autre part, « le phare terrestre » (Claude Bourgeois, 1997). Pas impossible, car il y avait un port à cet endroit.
Bref, un château dominant la Seine, à une époque où ses rives étaient verdoyantes.

« Les Bruyères », c’était un quartier d’Asnières-sur-Seine et de Bois-Colombes… Et, sur le plan ci-dessus, vous pouvez situer le château, car l’île située en face porte toujours le même nom (ou presque) : c’est celle qui soutient le pont de Courbevoie. Difficile d’imaginer autant de verdure à cet endroit, non? Et encore plus un bac, comme celui que l’on voit sur la carte ci-dessous.

Le château fut construit à la fin du XVIIIème siècle, à peu près à l’emplacement de ce qui fut une maison de campagne qui aurait accueilli un temps Richelieu, au hameau de Becon. Au départ, ce n’était qu’une « maison de plaisance », qui appartenait à Mme de Choiseul. Par la suite, le Comte Orsini l’agrandit. Il passa ensuite entre les mains du Comte de Cayla, pair de France, puis à sa fille, puis au docteur Guillée. C’est dans ces lieux que Thiers aurait écrit son Histoire du Consulat et de l’Empire.

Il aurait par la suite abrité une congrégation religieuse frappée d’interdit par l’archevêché de Paris, et enfin servi d’avant-poste aux fédérés pendant la Commune de Paris, ce qui lui a valu quelques dégâts sévères. Et ce fut pour moi l’occasion de découvrir un ouvrage intéressant, qui porte sur la loi du 10 Vendémiaire an IV. Je vous conseille d’y jeter un oeil, c’est passionnant. Et lisible en ligne sur le site de la BNF…

Quels liens, me direz-vous, entre ce livre et le château? Les indemnités, et ce qui a valu une mini-guerre juridique entre l’Etat, Paris et les communes environnantes. J’y ai découvert (pages 140 à 144) ce qui a été nommé « L’affaire du Château de Bécon », au Tribunal de la Seine le 10 décembre 1873.

Or à cette époque il semble que le château ait déjà été racheté par le Comte Stirbey, dont je vous ai déjà parlé dans des articles précédents (vous savez, celui qui a adopté les peintres Achille et Consuelo Fould? Est-ce à partir de ce « secours spécial distribué par voie de répartition administrative » (pour reprendre l’expression du texte) qu’il a commencé à embellir l’édifice, notamment en y ajoutant un escalier monumental?

Lorsque je vous ai parlé du Musée Roybet-Fould, j’ai évoqué les questions que me posaient la présence d’un artiste né dans la même région que moi, le Nord. Plus précisément, pour ce qui le concerne, Valenciennes. Carpeaux était tombé amoureux de son modèle qu’il représenta en buste.

Il avait alors 42 ans, et la jeune femme en avait 20 de moins. Et le 20 avril 1869 Jean-Baptiste Carpeaux épousa Amélie Victorine Marie Clotilde (aussi orthographié Clothilde) de Montfort, dont le père était conseiller général de la Marne et gouverneur du Palais du Luxembourg. Le couple eut très vite trois enfants, dont l’un, Charles, né en 1870, deviendra un photographe explorateur; sa soeur Louise Clément-Carpeaux, née en 1872, sera, elle, sculpteure et écrira sur la vie et l’oeuvre de son père.
Mais l’artiste développa une jalousie maladive à l’égard de sa femme, et le couple se sépara en 1874. Etait-il déjà malade? On peut le penser en voyant son autoportrait peint cette année-là.

Peint au château de Bécon? C’est possible, car c’est à cette époque que Jean-Baptiste Carpeaux fut accueilli par le Prince Stirbey qui le logea dans une dépendance de sa demeure, où l’artiste mourut, un an plus tard, d’un cancer de la vessie. Il n’aura pas vu grandir ses enfants, dont l’aîné avait 5 ans…

Au début du XXème siècle, l’endroit était champêtre : près du château, des moulins, une ferme, comme on le voit sur cette carte.

On y voit les stations de chemin de fer. C’est ce moyen de transport qui va entraîner l’industrialisation de ce coin de paradis, avec des noms célèbres : Guerlain, Cadum, Berliet, Hispano-Suiza. C’est la présence de cette usine qui aurait provoqué le bombardement de Courbevoie lors de la seconde guerre mondiale. Episode douloureux pour la ville. Et qui valut au château une destruction partielle, dont il ne se remit pas.
Il finit par disparaître en 1957.
Heureusement que Buffet en a saisi le charme avant…
