Kiss the One we are

Etes-vous anglophone? Moi pas vraiment… Aussi ce titre m’a-t-il interpellée. Et continue-t-il à le faire… même après avoir vu le spectacle ainsi nommé. J’ai bien une idée de ce qu’il sous-entend, mais j’aimerais avoir l’avis de celles et ceux d’entre vous qui connaissent suffisamment cette langue – et j’ajouterai la culture – pour interpréter cette ellipse… A vos claviers, pour les « commentaires »!

L’énigme du titre ne m’a pas empêchée de filer à Chaillot voir ce dont il s’agissait. Chaillot en travaux…

… comme les abords de la Vieille Dame en face, qui commencent à dévoiler la nouvelle perspective depuis la vaste salle, naguère agréable restaurant, désormais ressemblant davantage à un hall de gare avec même un mini-comptoir « speed drink ou food ».

Qu’est-ce qui m’a donné envie d’y aller? Pas d’affiche. Il n’en existe pas! Simplement le texte présent sur le site du Théâtre National de la Danse :

« Daniel Linehan a demandé aux danseurs : « What moves you ? » (qu’est-ce qui vous meut ?) Sur la base de cette question, le public assiste à l’émergence de l’intime chez les neuf danseurs : les indications physiques reçues, les réactions, la mémoire du corps… un dialogue sensible en plusieurs strates s’élabore entre les interprètes et le public sur la joie universelle de danser. »

Me voici donc installée au premier rang, en ce soir de décembre, face à une non-scène noire, plongée dans une semi-obscurité. Y arrivent les un-e-s après les autres des hommes et des femmes, revêtu-e-s d’étranges accoutrements. Iels s’installent à divers endroits, dans des postures variées: debout, allongés, assis. Et demeurent silencieux et immobiles. Pas de musique. La salle attend.

Au bout de minutes qui paraissent longues mais permettent aussi de faire la coupure avec « la vie de dehors », « la vie d’avant ». Un homme se met à émettre des cris . Vêtu de noir. Fesses soulignées par des lèvres de feu… Il crie, agite la tête de droite à gauche, de haut en bas. Ses cris évoquent les animaux, et font naître diverses associations d’idées : homme pré-historique? animal blessé? appel à la meute? souffrance ? plaisir? envie? Puis il se tait. Et tout redevient silencieux.

Encore une attente dans la pénombre et le silence. Une des jeunes femmes debout avance vers le centre de la scène, marqué par un cercle assez large, au centre duquel se trouve un objet rond. Elle se penche et allume un brasero. Un vrai. Du vrai feu. Jamais vu cela dans les ballets jusqu’à présent! Elle regagne sa place et le silence revient.

Les flammes éclairent les corps et visages immobiles des individus sur le sol, mais aussi dans la salle. Le public sent monter l’odeur du feu. Une odeur étrange, pour un univers étrange, où de rares arbustes sont accrochés, sans racines ni appui sur le sol.

Une des personnes, assise les jambes allongées sur le sol, commence à bouger légèrement. J’utilise volontairement l’épicène, car, jusqu’au bout il sera impossible de la faire entrer dans une catégorie de sexe. Elle (car « personne » est féminin!) bouge, remue les mains, les pieds, puis le corps, et finit par ramper, pour progressivement se relever, avec l’aide de deux autres, dont un homme vêtu de blanc. Blanc de deuil ou blanc de la médecine? Par la suite il me semblera médiateur, comme chaman…

Je ne vais pas vous raconter tout le spectacle. Il faut le voir. Ou plutôt il faut le vivre. Dans son originalité. Dans sa singularité. Je devrais dire « dans la singularité de chaque être ». Allier spécificité, singularité, personnalité et unicité, fraternité, solidarité… est-ce ce qu’a voulu faire le chorégraphe? Si tant est que l’on puisse parler de chorégraphie ici, tant tout apparaît comme spontané, mais un spontané travaillé. Encore un oxymore! Tout est oxymore en somme, dans ce que j’ai ressenti de ce spectacle. Peut-être est-ce ce qui le rend si vivant, à la fois léger et profond, esthétique et émouvant, prenant et prégnant… Même le décor devient partie prenante de la danse, lorsque chacun-e se saisit d’un seau de caoutchouc noir pour déverser une sorte de sable ocre rouge sur le sol, créant des vaguelettes, des creux… ou lorsque les pas de danse retravaillent ce décor, sous forme de soleil géant, de formes plus ou moins circulaires….

Si vous ne pouvez aller le voir, voici quelques extraits qui vous parleront mieux que je n’ai su le faire : un ici, qui « montre » et un autre , qui « explique » (mais en anglais!). Un texte très intéressant, aussi, est en ligne.

J’allais oublier de parler des sons. Sons vocaux, comme les cris et chants. Sons musicaux, comme celui produit par un étrange petit instrument ressemblant à un petit tambourin que l’on place sur un micro. Sons de la nature… et musique « moderne », incitant à des danses débridées. Alternance de replis et d’expansion, de calme et d’agitation, de solos et de danse à deux / trois / plus… Tout y est. L’article cité ci-dessus parle d’holisme. Pas mal vu…

Bien sûr, pas d’image. De toutes façons, j’étais trop « prise » pour en prendre. Juste, comme vous en avez l’habitude, celles de la fin (toujours aussi mauvaises!).

J’ai eu le temps, car il y a eu plusieurs rappels. Le public était ravi. Je dirais même « heureux ». Car c’est un de ces rares spectacles qui fait qu’on en sort plus « Humain » et plus « heureux/euse »…