L’art de la patience : le maquettisme

Je vous ai parlé d’un restaurant que j’avais beaucoup apprécié, la Grillerie du Port qui, comme son nom l’indique, domine le port de Saint-Jean-de-Luz. En voulant y retourner, j’ai découvert qu’il était fermé tout l’hiver. Mais les lieux appartiennent à la Ville, qui les transforme alors – excellente idée pour les personnes plus attirées par la culture que par la gastronomie – en espace d’exposition. C’est donc ainsi que je me suis trouvée dans une magnifique exposition de maquettes de bateaux.

Le premier « batel » repéré porte justement le nom de l’association organisatrice… A moins que ce ne soit elle qui a pris le nom de ce bateau. En effet, le premier date du 19ème siècle, et sa réplique, de la seconde moitié du 20ème. Je ne sais si vous parviendrez à lire l’affichette explicative, mais il y est spécifié qu’il est « équipé pour la pêche à la turlutte, au casier et aux petites lignes ». Vous vous doutez de la recherche que j’ai aussitôt faite: qu’est-ce que « la turlutte »? C’est en Bretagne que j’ai trouvé la réponse, plus exactement du côté de Binic, dans les Côtes d’Armor.

« Les turluttes sont des outils de pêche pour la bouëtte, utilisés depuis au moins le 19ème siècle par les marins Terre-Neuvas. A partir de la mi-juillet, un autre appât était utilisé pour la 2ème pêche à la morue : l’encornet, pêché en particulier dans la rade de Saint-Pierre à l’aide d’une turlutte, petit plomb allongé garni d’une couronne de petites pointes, que le pêcheur agite continuellement à quelques mètres de la surface au bout d’une ligne à main. Quand une piaule (un banc) d’encornets passe sous le bateau, tous les matelots sont mobilisés : « appelés sur le pont au cri de « pique », 3, 4 fois par nuit pour pêcher la boëtte, selon le RP Yvon. Les turluttes pouvaient être peintes en blanc ou en rouge pour attirer le poisson. Sur la turlutte, les initiales gravées représentent celles d’un marin binicais : ce qui permet d’attester que le matériel de pêche était la propriété du dorissier. Cependant, cet usage de graver ses intiales, semble être plutôt rare. »

Si vous n’êtes pas plus spécialiste que moi, vous aurez remarqué des termes inconnus. « La bouëtte » : ce sont les appâts pour la pêche à la morue, d’après le Littré.

« Le dorissier ». La définition ne va pas vous apprendre grand-chose : « pêcheur sur doris »! Cette fois, c’est du côté de Fécamp que j’ai trouvé la réponse.

« Le doris, petite barque originaire d’Amérique du Nord, fut utilisé au temps des voiliers par les Terre-Neuvas pour pêcher la morue sur le Grand Banc de Terre-Neuve puis comme embarcation de service sur les chalutiers et également dans la pêche artisanale. »

En voici un exemple, provenant du Musée des Terre-Neuvas.

Mais revenons au Pays Basque, pour admirer les maquettes faites par les membres de l’association Itsas Begia, en commençant par son éponyme.

Regardez bien la carte sur laquelle elle est placée… A ma grande surprise, elle présente… la Bretagne! Et, plus précisément, le coin de cette région où je vais très souvent…

Autre terme inconnu de moi, une « traînière »… La revue Le Chasse-Marée explique de quoi il s’agit dans un article sur les embarcations basques.

« La traînière (traiñera, treiñerua), de 9 à 12 mètres pour un bau de 3 mètres, est armée par 7 à 11 hommes, patron compris. Légère et maniable, elle a joué autrefois un rôle de premier plan dans la pêche à la baleine. Au début du xxe siècle, elle est utilisée pour la pêche à la sardine, à l’anchois, au chinchard à la senne tournante, ainsi qu’au germon à la ligne de traîne tangonnée. Légère, non pontée, elle est rigidifiée par 9 à 11 bancs. »

Le Socotarra(k?) que vous voyez reproduit ici au 1/40ème est équipé pour la pêche à la sardine et aux anchois.

Je ne vais pas vous présenter toutes les maquettes de cette riche exposition. La dame qui m’a accueillie m’a expliqué que chacun-e en fabriquait plusieurs, ce qui était son cas. Fille de pêcheur, elle ne voyait son père que la moitié de l’année, lorsqu’il revenait des campagnes de pêche au Sénégal…

Progressivement la vapeur a remplacé l’énergie éolienne ou humaine… Voici le premier chalutier à vapeur du port, le Boby.

Un autre chalutier, l’Augustine…

Sur la photo suivante, la réplique d’un thonier.

Ma guide m’explique le progrès considérable qu’a représenté la présence de congélateurs sur les bateaux, dans la seconde moitié du 20ème siècle. Les marins ne stressaient plus autant pour rapporter le fruit de leur pêche à temps dans les ports…

« Dans les années 1950, constatant une forte diminution des apports à la criée, les pêcheurs partent à la recherche des bancs de thons et de sardines au large du Sénégal, du Maroc et de la Mauritanie, renouant ainsi avec leur passé de pêche lointaine. Dans les années 1960, Saint-Jean-de-Luz devient le premier port thonier et sardinier de France grâce à l’apport des navires congélateurs. » (source)

Je vais finir par un bateau emblématique de la pêche au thon, le Bégnat, joliment présenté devant des maisons typiques de l’époque.

Il a fait l’objet d’un film que vous pouvez voir ici, avec une belle bande sonore, la chanson « Euskal Herrian Euskaraz »

Euskal Herrian euskaraz
Nahi dugu hitz eta jolas
Lan eta bizi euskaraz eta
Hortara goaz
Bada garaia noizbait dezagun
Guda hori gal edo irabaz
Zabal bideak eta aireak
Gure hizkuntzak har dezan arnas
Bada garaia noizbait dezagun
Guda hori gal edo irabaz
Euskal Herrian euskara
Hitz egiterik ez bada
Bota dezagun demokrazia
Zerri askara
Geure arima hiltzen uzteko
Bezain odolgalduak ez gara
Hizkuntza gabe esaidazue
Nola irtengo naizen plazara
Geure arima hiltzen uzteko
Bezain odolgalduak ez gara
Euskal Herri euskalduna
Irabazteko eguna
Pazientzia erre aurretik
Behar duguna
Ez al dakizu euskara dela
Euskaldun egiten gaituena?
Zer Euskal Herri litzake bere

Hizkuntza ere galtzen duena
Ez al dakizu euskara dela
Euskaldun egiten gaituena?

Vous ne comprenez pas le basque? En voici une traduction:

Au Pays Basque c’est en langue Basque
Que nous voulons parler et nous divertir,
Travailler et vivre en langue Basque,
Et nous nous y dirigeons !
Et voilà qu’il est l’heure
De perdre ou de gagner cette bataille.
Ouvrez les chemins et les airs
Pour que notre langue respire
Et voilà qu’il est l’heure
De perdre ou de gagner cette bataille.

Si au Pays Basque on ne peut
Parler en langue Basque
Jetons la démocratie
Au fond de la mangeoire
Nous ne sommes pas désespérés
Au point de nous laisser arracher l’âme.
Dites-moi, comment sans langue Basque
Pourrais-je sortir sur la place ?
Nous ne sommes pas désespérés
Au point de nous laisser arracher l’âme.
Un Pays Basque qui parle le Basque
Ce jour viendra
Avant que la patience
Ne nous abandonne
Ne sais-tu pas
Ce qui fait de nous des Basques ?
Ce que serait le Pays Basque
S’il perdait sa langue ?
Sais-tu que la langue Basque
Est justement ce qui fait de nous des Basques ? »

Le Bégnat a aussi fait l’objet d’un livre.

Découverte de l’Opéra Royal de Versailles

Loin d’être une royaliste convaincue, je ne fréquente guère le Château de Versailles, si ce n’est pour ses magnifiques Jardins. Mais en ce soir de fin mars, l’annonce d’un ballet d’un chorégraphe que j’apprécie, Angelin Preljocaj, est bien alléchante. M’y voici donc, aux portes du Palais… ou plutôt de son Opéra, aussi royal que la Chapelle voisine, et que les statues qui me font une haie d’honneur dans la galerie qui n’est pas des Glaces…

Une foule plutôt BCBG attend patiemment… Le temps d’admirer une maquette (de quoi???)…

… et de boire une petite coupe (on ne peut prendre du « gros rouge qui tâche », en de tels lieux!)…

… et c’est l’heure. A ma grande surprise, l’Opéra n’est pas aussi vaste que je l’imaginais.

Vous avez vu? On ne peut pas oublier qu’il est « royal »! Même en regardant la scène! J’ai la chance d’être placée au premier rang d’une Corbeille, premier dans deux sens : de face comme de côté, ce qui m’offre une superbe vue sur le rideau…

Le spectacle comporte trois oeuvres : Annonciation, Torpeur et Noces. Dans l’ordre chronologique, il faudrait placer le dernier en premier, le premier en deuxième, et le deuxième en trois. Car ce sont deux créations anciennes, et une plus récente : respectivement 1989, 1995 et 2023. Et, curieusement, mon ordre de préférence va du plus récent au plus ancien. Je m’explique : j’ai beaucoup apprécié Torpeur. Magnifique danse d’une lenteur et d’une profondeur exceptionnelles. En second, Annonciation. Tout aussi puissante, d’une même tension entre pureté / sérénité et érotisme / volupté.

Aussi étais-je « sur un petit nuage » durant la première partie, et suis-je sortie de la salle, tout à fait subjuguée, ravie, le sourire aux lèvres.

Un petit sandwich et une tartelette aux pommes plus tard, me revoici prête à « m’envoler » à nouveau. Euh… J’allais oublié « et une nouvelle flûte enchantée…

Hélas! Le troisième ballet est heurtant, violent, dérangeant. Je comprends qu’un artiste ait besoin de subventions pour survivre, mais de là à produire sur de tels sujets, il y a une marge. Certes, les interprètes sont toujours aussi bon-ne-s. Certes, la technique y est. Certes, j’ai apprécié certaines figures… Mais je n’ai pas du tout validé le rapprochement des deux premières et de la dernière oeuvre; et j’en voulais (oui, c’est le terme idoine) à celui qui m’infligeait une telle déception. Est-ce le chorégraphe ou la personne qui a fait le choix du programme? Quoi qu’il en soit, mauvais choix pour moi que ce « triptyque« …

Il n’en reste pas moins qu’on ne peut rester insensible à la créativité de Preljocaj, au côté « osé » de ses oeuvres, et à la virtuosité des danseuses et danseurs… et que j’ai passé une excellente soirée dans cet Opéra, tout royal qu’il soit… Vous pourrez en voir des extraits ici (et ailleurs, il y en a beaucoup sur le net). Je ne résiste pas à l’envie de copier pour vous deux photos qui évoquent les passages que j’ai adorés, ballets 1 et 2.

Et, franchement, les ovations étaient bien méritées. Dommage que, pour les saluts finaux, les artistes soient dans la tenue du dernier ballet… je préférais celle du deuxième!