Murmuration

Celles et ceux qui me lisent depuis longtemps ont déjà vu ce titre… Et les autres peuvent découvrir, en remontant au 27 janvier 2022, l’article dans lequel j’expliquais le ravissement de sa découverte. Mais ce n’est ni d’oiseaux ni de langage dont je vais vous parler aujourd’hui… Quoique… En y réfléchissant bien, si, je vais aussi vous parler d’oiseaux et de langage. Car c’est de danse dont il s’agit, et d’une danse qui évoque la murmuration animale, voire humaine, et le langage des membres, comme autant d’axes de vie et de liens labiles.

La salle a été littéralement transportée par l’oeuvre du chorégraphe Sadeck Berrabah, pourtant parfois décrié par les critiques. Et je l’ai été aussi. Transportée… Le mot me semble le plus juste pour décrire l’intensité de l’emprise du spectacle, avec un côté « hallucinant », dans tous les sens du terme. Je ne vais pas trop vous en parler, car il faut le voir. Absolument. Vous en penserez peut-être moins de bien que moi. Mais tentez. Allez partager avec les autres spectateurs cette alternance de « subjugation » et de « défoulement » collectifs.

C’est au 13ème art, cette salle qui propose des spectacles souvent novateurs. Et revenez me dire ce que vous en avez pensé?

Murmuration

Quel joli mot, n’est-ce pas? Connaissez-vous ce terme? Ce n’était pas mon cas, lorsque je l’ai découvert cette semaine dans la Lettre de Thot Cursus à laquelle je suis abonnée. Depuis, bien évidemment, je me suis informée sur son sens.

Le CNTRL ne le connaît pas. Il s’agit donc d’une création récente, voire d’un néologisme?

Ah non! une autre recherche, toujours sur ce site, aboutit à une définition : « Bruit de protestation, de mécontentement, de plainte, de récrimination ». Ah ? J’espérais quelque chose de plus poétique! Elle provient du Dictionnaire du Moyen Français. « Voici encore une de mes lacunes ! », me dis-je, en me précipitant pour comprendre de quoi il ressortait. D’un dictionnaire conçu tout récemment par une équipe de l’Université de Lorraine, pour couvrir une période dont le terminus a quo (encore une découverte terminologique : la date de début, en français vulgaire) est 1330 (avant avènement des Valois et guerre de Cent Ans) et le terminus ad quem (limite de fin) est 1500 (les guerres d’Italie correspondent à une forte modification de la langue). Si la genèse de ce dictionnaire vous intéresse, vous pouvez lire cet article en ligne.

Bref, le terme était utilisé durant cette période, soit avant 1500… pas nouveau! Mais, visiblement, moins ou non utilisé par la suite?

Pas vraiment non plus. Et là, nouvelle surprise : ce phénomène ne s’entend pas (enfin, presque), mais se voit… Et vous en avez toutes et tous vus! Moi-même j’ai souvent tenté de le photographier, sans grand succès : on le doit aux oiseaux ou insectes en vol. Je vous conseille de regarder cette petite vidéo, vous comprendrez mieux.

Encore une surprise : son exploitation dans des chorégraphies, comme ce Projet Murmuration de Sadeck Berrabah, qui en a fait un ballet extraordinaire dont vous trouverez un extrait ici. Le Ballet des Lucioles est visible dans une autre vidéo.

En ce sens, le spectacle de Veronal dont je traitais dernièrement comporte des murmurations. Ce sont d’ailleurs les morceaux que j’ai préférés!

Revenons à l’article qui a suscité mes questionnements.

« On s’intéresse à ce phénomène dans plusieurs disciplines, par exemple, pour la coordination de centaines de drones, dans les techniques de contrôle des foules, dans l’élevage d’espèces grégaires, en marketing et même en éducation. Le phénomène pose aussi d’intéressantes questions en philosophie et en sociologie.

Certes nous prétendons à un certain libre arbitre comme individu, mais nous consentons dans plusieurs situations à adopter les idées et comportements communs à un groupe et de là à concentrer notre attention seulement sur certains éléments. Vu de l’extérieur, plusieurs mouvements sociaux sans coordination correspondent à une murmuration, manifeste du partage des mêmes référents par des milliers sinon des millions de personnes et que des intelligences artificielles ont tôt fait d’amplifier sur les réseaux. »

Pourquoi s’intéresser à cela dans le domaine auquel se réfère Thot Cursus?

« L’école est le principal vecteur de la transmission de référents communs à une société. La murmuration n’a pas de coordination, mais elle peut être influencée. La liberté académique vient avec une certaine responsabilité de ne pas enseigner n’importe quoi ni d’en sous-estimer la portée. Je suis toujours surpris du peu de considérations sociales quand vient le temps d’enseigner l’économie, le marketing ou même la santé. Certaines idées qui ne se situent pas dans le courant matérialiste sont systématiquement écartées. Nous avons le droit d’étendre notre vision au delà de notre seul groupe, sous peine de voir nos capacités de réflexion réduites à «quelques éléments simples et faciles à interpréter». »

Les articles de ce dossier montrent des expériences passionnantes autour de la question « Jusqu’où irions-nous pour nous conformer au groupe », comme reporté dans le film I comme Icare.

« Lors de son procès, le criminel nazi, Eischmann explique qu’il n’était pas difficile pour lui d’envoyer des milliers de personnes à la mort… puisque le langage bureaucratique facilite cela. Le « Amtssprache » ou « langage bureaucratique » dans lequel le locuteur n’assume aucune responsabilité de ses actes ; toute initiative individuelle est inexistante.« 

« D’un point de vue purement cinétique,la murmuration des oiseaux a été modélisée, elle répond à deux règles simples:

  • chaque oiseau réagit à ceux qui l’entourent (5 à 10 voisins)
  • n’importe quel individu peut initier le mouvement du groupe« 

Autrement dit, on passe vite des mouvements collectifs d’oiseaux à des mouvements de foule dangereux, qu’ils soient physiques ou idéologiques… Mais aussi, d’un point de vue plus optimiste, on peut en arriver à l’intelligence collective, ce à quoi aboutit cet article : Les hommes savent-ils murmurer? Dont le titre se poursuit par « ou préfèrent-ils percoler? »

L’exemple des cyclistes qui se coordonnent est proposé dans un autre article sur le même thème.

Mais on observe bien des murmurations dans les villes si l’on filme longtemps et accroît la vitesse des images, comme dans cette vidéo sur Osaka, qui m’a rappelée un très beau film muet vu autrefois. Cela m’a remémoré un film que j’avais adoré, lors de sa sortie, voici quelques années, voire décennies. Dans mon souvenir, il était de Coppola. Mais apparemment non, je ne le trouve pas sur le net. L’avez-vous vu? Une suite d’images aux lumières éblouissantes, montrant les voitures dans une ville à gratte-ciel, sur une musique époustouflante. Ni acteur, ni parole. Qu’images et musique. Si vous en avez une idée, merci de mettre un commentaire, ça me ferait plaisir de le revoir… et c’était bien de la murmuration d’humains.

Des vidéos sont également présentées dans le dossier, pour réfléchir à ce type de phénomène et à ce qu’il peut entraîner de positif ou négatif. Phénomène que l’usage du numérique permet d’amplifier, au travers des réseaux. Je vous invite à lire l’intéressant article sur les foules numériques, tout à fait en lien avec l’actualité récente et le futur proche…

Les arts se sont emparés du phénomène, comme le montrent quelques exemples, comme ce magnifique film du photographe Xavi Bou.

Une exposition en 2020 regroupait des oeuvres autour de ce thème.

Murmurations

Le terme apparaît aussi dans le titre d’oeuvres littéraires, comme le livre de Robert Lock, où l’auteur utilise le « pattern » pour évoquer la vie d’individus en 150 ans.

Murmuration par Robert Lock

Finissons, si vous le voulez bien, par une note d’humour…

Green Humour