Une belle découverte : Berthe Weill. 1. Première galerie

Je dois bien l’avouer : je n’avais jamais entendu parler de cette artiste, et l’idée d’aller voir cette exposition ne m’est pas venue spontanément. D’autant que l’affiche n’était guère attrayante! Jugez-en vous-même!

Un nouvel aveu s’impose : j’ai été subjuguée par la force et la beauté de son oeuvre. Et le personnage m’a vraiment intriguée… Dès l’affiche, à vrai dire : que signifiait « Galeriste d’avant-garde »? Et pourquoi ce parti-pris d’un fond rose très « fifille ». Connotation totalement antinomique avec le portrait (dont j’ai appris par la suite qu’il est dû à son amie Emilie Charmy, qui ne l’a pas flattée!) très sombre, que seul éclaire un visage emprunt de finesse, avec un regard pétillant derrière les bésicles et un sourire en coin dont on ne sait s’il faut l’interpréter comme charmeur ou moqueur… La voici en photo, avec la famille Lévy, aux alentours de 1900 (au centre en bas).

Une volonté affirmée de s’installer comme galeriste, à une époque où les hommes dominaient dans ce métier. Elle avait d’abord ouvert une boutique en lien avec sa formation auprès d’un marchand d’estampes, Salvator Mayer, chez qui elle était entrée en apprentissage lors de son arrivée à Paris, depuis son Alsace natale. Mais très vite elle décida de devenir galeriste, avec un objectif précis : sortir des sentiers battus, et notamment de la tradition académique, et faire découvrir des peintres « d’avant-garde ». Nous sommes en 1901, elle a à peine 36 ans. Voici ce qu’elle en dit dans son autobiographie écrite en 1933.

L’adresse – 25, rue Victor Massé, dans le 9ème, a déjà une histoire, dans les Beaux-Arts : ce fut celle d’un certain Théo, qui y a abrité de 1886 à 1888 son frère Vincent… Ci-dessous, la « Vue depuis la fenêtre » qu’a peinte ce dernier à cette époque.

Petite parenthèse : si cette période vous intéresse, je vous conseille un article en ligne sur le site Paris la Douce, auquel j’ai emprunté cette reproduction. Mais revenons à Berthe, au talent d’inventeure, dans le sens profond du terme : celle qui découvre. Et pas n’importe qui : parmi les premiers artistes exposés, un jeune inconnu, Picasso!

Je n’ai pas choisi le Moulin de la Galette, plus connu, mais une autre toile de l’artiste, que je n’avais jamais vue, et qui a suscité en moi des émotions similaires à celles que je ressens devant certains tableaux de Chagall…

Elle a aussi été fait largement la promotion de Toulouse-Lautrec.

Ses réseaux lui permettent d’aller plus avant, de découvrir, encore et encore. Pourtant, elle ne ménage pas ceux à qui elle a affaire!

La liste de ces artistes plus ou moins (in)connus qu’elle a accueillis, encouragés, et dont elle a assuré la promotion commerciale est telle que je renonce à vous la transmettre. Vous la lirez aisément sur les nombreux articles et dans les livres qui lui sont consacrés. Le terme « artistes » a été choisi, car on trouve parmi les productions exposées des objets. J’en ai sélectionné pour vous deux qui ont attiré mon attention sur Paco Durrio.

Vous ne le connaissiez pas non plus? En cherchant à en savoir davantage sur ce sculpteur, je l’ai trouvé représenté par… Gauguin, guitare à la main.

Elle ne s’intéresse pas qu’aux Beaux-Arts… L’électricité éclaire sa galerie dès 1908, avant les grands travaux qui succédèrent à la crue de 1910. Elle fut la première de sa rue à passer du gaz à l’électricité… Autre signe de modernisme, qui, allié au rejet des contraintes et des normes, en font une personne étonnante et si « séduisante »…

Solution du jeu YSL et l’Art

Vous avez bien joué? Mais je n’ai vu aucune réponse en commentaires… c’est dommage!

Voici donc la solution du jeu, en images bien sûr.

La première, je pense que vous l’avez deviné, est une tenue inspirée de Matisse (1981).

La deuxième ne présentait pas de difficultés, que vous soyez ou non fan de Mondrian, à qui elle rend hommage en 1965.

Le troisième vêtement n’était pas une robe, mais son motif est bien inspiré d’un peintre dont je vous ai montré la tombe dernièrement, dans son magnifique environnement : Braque.

Il y avait un piège dans la photo de la robe suivante. Le tableau que l’on voyait derrière est de Magnelli. Il fallait regarder de l’autre côté – ce que bien sûr vous ne pouviez pas faire! – pour voir celui de Sonia Delaunay…

Matisse, Mondrian, Braque, Delaunay… Qui sont les autres artistes ? J’y arrive…

La cinquième tenue n’évoquait peut-être rien d’autre pour vous qu’un ensemble de formes géométriques colorées. Pas faux. Mais il fallait les attribuer à l’Américano-Libanaise qui était à la fois poète, écrivaine et artiste visuelle, et qui a disparu en novembre dernier : Etel Adnan.

La suivante est présentée comme si l’oeuvre du grand couturier était influencée par celle d’un peintre et sculpteur américain, Ellsworth Kelly. L’explication jointe est claire : rien n’a été prouvé. Mais les deux artistes sont bien reliés par la présentation qui est faite de leurs oeuvres.

Les adeptes de Tom Wesselmann auront aisément reconnu son style et les traits érotiques de certaines de ses oeuvres.

Enfin, il était difficile de reconnaître Picasso dans la superbe robe longue bicolore (si l’on peut dire… le noir est-il une couleur?)…

Adnan, Kelly, Wessermann et Picasso… tel était le quartet gagnant pour cette série. J’espère que vous vous êtes bien amusé-e ?

La haute couture est-elle un art ?

Je ne pensais pas me poser un jour cette question. Jusqu’à ce jour d’avril où, suite à une suggestion d’un ami, je suis allée voir l’exposition proposée par le Centre Pompidou, Yves Saint-Laurent aux Musées.

Le pluriel interpelle. Il est explicité dans la présentation en ligne sur le site du Centre.

« Elle prend la forme inédite d’un parcours dans les collections permanentes de six musées parisiens: le Centre Pompidou, le Musée d’art moderne de Paris, le Musée du Louvre, le Musée d’Orsay, le Musée national Picasso-Paris et le Musée Yves Saint Laurent Paris.« 

Ainsi, il resterait à voir les 5 autres musées… Pourquoi pas?
Mais, en attendant, je vous invite à une petite visite, qui, effectivement, ne manque pas d’intérêt. Ou plutôt, à un petit jeu : je vais, dans un premier temps, vous proposer les vêtements du grand couturier, tels que présentés dans le musée. A vous de deviner à quel-le artiste ils vous font penser. Vous êtes prêt-e ?

Commençons par les plus faciles…

Passons maintenant à plus difficile…

Avez-vous trouvé? Si non, je vais vous aider, avec une liste des artistes, par ordre alphabétique : Adnan, Braque, Delaunay, Kelly, Matisse, Mondrian, Picasso, Wesselmann.

Résultats dans un prochain article…

L’amitié de deux peintres

Sur le compte Facebook d’un de mes amis, un tableau « partagé » depuis un autre site, celui de Yoyo Maeght, une oeuvre de jeunesse de Picasso (1899).

Vous connaissez sans doute l’histoire hélas abrégée trop vite de l’amitié des deux jeunes Espagnols qui, s’ennuyant dans leur pays, décidèrent de le quitter et de venir ensemble à Paris tenter leur chance, à l’Exposition Universelle de 1900. Leur histoire a été narrée dans une belle bande dessinée.

Elle fait écho en moi à celle de Montaigne et La Boétie.

« L’amitié, c’est un nom sacré, une chose sainte. Elle ne peut exister qu’entre gens de bien. Elle naît d’une mutuelle estime, et s’entretient non pas tant par les bienfaits que par bonne vie et mœurs. Ce qui rend un ami assuré de l’autre, c’est la connaissance de son intégrité. Il a pour garants son bon naturel, sa foi, sa constance. Il ne peut y avoir d’amitié où se trouvent la cruauté, la déloyauté et l’injustice. Entre méchants, lorsqu’ils s’assemblent, c’est un complot, et non une société. Il ne s’entretiennent pas, mais s’entre-craignent. Ils ne sont pas amis, mais complices. » (La Boétie, Discours sur la servitude volontaire)

La Boétie avait trois ans de plus que Montaigne. Ils ont 25 et 28 ans quand ils se rencontrent. Montaigne en a 30 quand son ami meurt, comme Alexandre le Grand et Jésus, à 33 ans. Il ne se remettra jamais de cette perte, dont il écrit dans Les Essais :

« Si je compare la vie tout entière aux quatre années pendant lesquelles il m’a été donné de jouir de la douce compagnie et société de cette personnalité, ce n’est que fumée, ce n’est qu’une nuit obscure et pénible. Depuis le jour où je l’ai perdu, je ne fais que traîner languissant, et les plaisirs mêmes qui s’offrent à moi, au lieu de me consoler, redoublent le regret de ma perte : il me semble que je lui dérobe sa part. »

Pour avoir perdu un de mes amis chers décédé trop tôt, Jean Pinquié, je comprends cette difficulté à continuer à vivre, voire, comme je le fais, à écrire (il était un vrai écrivain, lui!) quand l’Autre a disparu…

Jean Pinquié, vers 1999

Une amitié (partagée avec un troisième larron) de 18 ans interrompue par son décès précoce, le 21 février 2007 (14 ans bientôt! Comme si c’était hier…). Mais je ne suis pas ici pour parler de moi… revenons au duo de peintres dont je traite aujourd’hui.

Carlos n’avait qu’un an de plus que Pablo… Ils formaient un joyeux duo d’amis. Et il le soutenait financièrement, car il était beaucoup plus à l’aise que lui.

Vers 1900, avec Angel Fernandez de Soto (source)

Suite à des amours malheureuses avec une danseuse du Moulin Rouge, Carlos Casagemas se suicida, dans le Café de l’Hippodrome (eh oui, il y avait un hippodrome, à l’endroit approximatif d’un magasin de bricolage et de l’Hôtel Mercure), 128, Boulevard de Clichy. Il avait 21 ans quand il s’est tiré, devant ses amis, une balle dans la tête, après avoir tenté de tuer celle qui lui causait tant de tourments.

Picasso fit trois tableaux de son ami mort, d’après les récits de leurs amis communs, car il se trouvait alors à Barcelone.

1901

J’ai déjà parlé ici du tableau qui évoque l’enterrement de Casagemas, oeuvre visible (hors Corona fermeture) au Musée d’art Moderne.

Evocation (1901)

Je ne commenterai pas ce tableau, car je pense que chacun-e ressent et « vit » le drame, mais aussi la puissance de l’évocation et la pérennisation de l’amitié.

Pablo fera revivre son ami dans une toile ultérieure, en plein coeur de sa Période Bleue – dont on dit qu’elle fut inspirée par ce drame.

La Vie (1903)

Un beau MOOC raconte l’histoire, et présente une intéressante – quoique partiellement discutable, peut-être – analyse de la toile. On y apprend que celle-ci avait été peinte sur l’oeuvre que le jeune peintre avait présenté à l’Exposition Universelle à Paris, et qu’il n’avait alors pas réussi à vendre.

Inutile de vous dire combien je suis contente d’avoir découvert le premier tableau, que je ne connaissais pas… Merci à celle et celui qui me l’ont fait découvrir!

Eternelle maternelle

Cette image a un attribut alt vide ; le nom du fichier est picasso_1.jpg
Mère et enfant, Picasso (1907)

Le 26 mars est une date toute particulière. J’ai vu à cette date chaque année pleurer ma mère. Et à cette même date je l’ai vu rire, s’épanouir, se réjouir.

Elle avait perdu ce jour-là sa fille aînée, ma l’ange Liliane dont je suis allée, toute mon enfance, fleurir la tombe, ma « grande soeur » qui ne fut jamais grande.

Elle avait gagné ce jour-là sa petite-fille aînée, puis, quatre ans plus tard, celui qui sera son seul petit-fils. Mes enfants. Mes enfants dont c’est aujourd’hui l’anniversaire.

Comme c’est également l’anniversaire de celle qui fut la meilleure amie des années collège et lycée, mais aussi des journées survie, des feux de camp et jeux de piste, Claire, et de l’une de mes nièces, Anne la Vosgienne.

« Ma fille », « mon fils »… Quel est le sens de ce possessif, alors que nous souhaitons aux enfants, depuis leur naissance, un belle vie en pleine autonomie?

Deux gâteaux, et combien de bouteilles, qui seront ce soir, comme chaque année, consommés, mais, cette fois, devant Skype ou un autre outil « collaboratif » (n’existe-t-il pas un mot pour désigner le partage non du savoir mais du plaisir? Il faudrait l’inventer!), pour partager un moment de bonheur familial malgré la séparation. Et la pensée des Autres, disparus ou éloignés…

J’ai cherché dans ma mémoire, puis sur le net, un poème qui leur serait dédié. Beaucoup de poèmes d’amour me paraissent mièvres. Peu de poèmes d’amour maternel ont été écrits, et ils le sont souvent aussi. C’est vers les hommes qu’il faut se tourner pour trouver les plus belles poésies dédiées à leurs enfants. Mais elles sont souvent tristes, comme celles de Victor Hugo ou de Lamartine…

Mais j’ai trouvé cette pépite, à force de chercher. Pleine de pudeur. Pleine de sensibilité. Et je la leur offre avec mon amour, en y joignant deux tableaux que j’aime. Là aussi, un étonnement : c’est un des artistes que je considère parmi les plus « machos » qui a peint le mieux, pour moi, la maternité...

Claude dessinant, Françoise et Paloma, Picasso (1954)

Elixir

Ta main
dans la mienne
Ma fille mon sens
avant que la mort n’advienne
Paris, un ange marche
sur ton bitume
suivi par son apôtre
guéri de l’amertume
de vivre
Amal espérance
ce mot que certains prétendent
illusoire
mon rai de lumière
sur mes doutes
les plus noirs
ce peu de chair
pour habiller l’immensité
de ton innocence
ne grandis pas trop vite
que le Temps trébuche
sur ton insouciance
ce miracle de l’heure
qui se désagrège

Kamal Zerdoumi

Maternité, Picasso (1909)

Michel et Enguerrand

En une semaine sont décédés deux hommes; ils avaient vingt ans d’intervalle. L’un, à peine plus âgé que moi, un ami très proche; l’autre, l’ami d’une de mes amies… Deux hommes aux destins si différents, mais que rapprochaient l’intelligence, l’ouverture, et la capacité à vivre malgré les problèmes de santé, à apporter aux autres, à mener avec courage tous les combats…

Hier l’un a été enterré vers Montpellier. L’autre a été incinéré à Aire sur la Lys. Chacun à un bout de la France. Chacun quasi-seul, car il est interdit actuellement de se réunir pour vivre un deuil ou soutenir les proches.

Alors, bien sûr, ce jour, le poème est une offrande, non seulement pour eux, mais aussi pour celles et ceux qui les aiment et les ont aimés, sans pouvoir les accompagner jusqu’au bout du chemin…

Evocation, Pablo Picasso
Source : MAM

La mort dit à l’homme

Voici que vous avez assez souffert, pauvre homme,
Assez connu l’amour, le désir, le dégoût,
L’âpreté du vouloir et la torpeur des sommes,
L’orgueil d’être vivant et de pleurer debout…

Que voulez-vous savoir qui soit plus délectable
Que la douceur des jours que vous avez tenus,
Quittez le temps, quittez la maison et la table ;
Vous serez sans regret ni peur d’être venu.

J’emplirai votre cœur, vos mains et votre bouche
D’un repos si profond, si chaud et si pesant,
Que le soleil, la pluie et l’orage farouche
Ne réveilleront pas votre âme et votre sang.

— Pauvre âme, comme au jour où vous n’étiez pas née,
Vous serez pleine d’ombre et de plaisant oubli,
D’autres iront alors par les rudes journées
Pleurant aux creux des mains, des tombes et des lits.

D’autres iront en proie au douloureux vertige
Des profondes amours et du destin amer,
Et vous serez alors la sève dans les tiges,
La rose du rosier et le sel de la mer.

D’autres iront blessés de désir et de rêve
Et leurs gestes feront de la douleur dans l’air,
Mais vous ne saurez pas que le matin se lève,
Qu’il faut revivre encore, qu’il fait jour, qu’il fait clair.

Ils iront retenant leur âme qui chancelle
Et trébuchant ainsi qu’un homme pris de vin ;
— Et vous serez alors dans ma nuit éternelle,
Dans ma calme maison, dans mon jardin divin…


Anna de Noailles (1876-1933)

Recueil : Le cœur innombrable (1901)