
Je n’avais pas entendu parler de cette exposition, mais un ami m’y a entraînée, et je ne l’ai pas regretté, loin de là. J’ose affirmer qu’elle enrichit. Elle nourrit la pensée. Surtout en ces temps troubles où l’on se sent parfois en tension entre nos valeurs et nos réactions… Les Archives Nationales présentent ce que je nommerai des pistes de réflexion autour des questions vives que sont l’articulation politique / religion(s), Etat / Eglise(s) ou autres organisations autour des religions, et l’impact sur le juridique, voire le quotidien. Passionnant et très riche!
Je vous emmène donc dans l’Hôtel de Soubise, remarquable exemple d’architecture et de jardins classiques.



Le parcours est d’abord historique, et commence avec l’histoire de Socrate. J’aimerais citer un vieil article (paru dans Le Monde en 1956!) à ce sujet, qui montre comment on en arrive (encore maintenant, hélas) à des aberrations comme le procès et la mort du philosophe.
« DEPUIS deux mille cinq cents ans Socrate est resté pour nous ce qu’il était pour ses contemporains : l’homme des contrastes. Il est l’avocat du pur entendement, mais aussi le messager de l’Erôs ; le philosophe critique, mais aussi l’homme guidé par des avertissements lumineux ; le porte-parole d’une morale pratique, mais aussi le visionnaire qui se sent rattaché aux essences éternelles. Son procès ajoute à son ambiguïté ou plutôt y met le sceau. Condamné pour impiété, c’est-à-dire pour introduire des nouveautés dans la religion et la cité, il était profondément religieux et parfait citoyen, soumis plus qu’aucun autre aux rites et aux lois. A l’heure où la raison ébranle les anciennes règles, son propos tend plutôt à retourner d’une certaine manière le rationalisme contre lui-même pour le mettre au service de la tradition. Mais ses juges n’ont su comprendre cet étonnant paradoxe. Sans doute parce que, au delà des affirmations et des négations qui opposent les hommes, Socrate a découvert une source plus originaire, la pensée interrogative ou dubitative, une certaine synthèse ou plutôt unité de la pensée interrogative et de la pensée dubitative. Et cette attitude, qui fait du doute une interrogation continue, il la maintint jusqu’au bout, capable de fixer la mort et de lui parler face à face. » (source)

Après Socrate, on en arrive assez vite à Jésus, bien sûr. A l’accusation de « blasphème » porté contre lui par Caïphe, lorsqu’il maintint son affirmation de filiation divine.

Trois expressions, trois motifs de sanction au nom des autorités… de l’Etat ou religieuses? « Lèse-majesté »; « blasphème »; « hérésie ».

Les rois de la récente France vont s’emparer de ce système « confusionnant » (si j’ose dire) pour asseoir progressivement leur pouvoir, y compris face à la toute-puissante Eglise catholique et à ses papes.

Et celui qui fut sanctifié et devint Saint Louis n’a pas été le plus tendre, en faisant brûler au fer rouge les lèvres des personnes accusées de blasphème! Et il a régné 43 ans… Or c’est sa canonisation, en 1297 qui permit la sacralisation de la dynastie royale et conforta sa puissance.
Un peu de généalogie pour se rafraîchir la mémoire et voir comment on en est arrivé à celui qui fut assassiné par l’un d’entre eux, devenu roi parce que la branche des Valois s’éteignait?

Et ça se corsa… car les protestants s’en mêlèrent, si j’ose dire…

Un tableau m’a particulièrement frappée, et j’ai eu la chance de l’entendre commenter par mon ami, féru d’histoire et doté d’une forte capacité d’objectivation. C’est le Typus religionis. Comment cette allégorie des ordres religieux, saisie chez les Jésuites, a-t-elle pu m’échapper jusqu’à présent?

Je ne vais pas tout vous dévoiler, et vous laisse en découvrir la richesse par vous-même. Mais, pour en revenir à Ravaillac et Henri IV, ce tableau inverse l’opinion répandue par l’histoire : l’assassin est parmi les personnages qui grimpent l’échelle menant au navire, alors qu’Henri IV est parmi les personnages de droite, destinés à sombrer…


Ce qui fait écho à ce tableau.


On voit à quel point la « diabolisation » a été exploitée par les uns et les autres, aboutissant aux supplices, tortures, crimes… et aux accusations plus ou moins (in)justifiées, comme celles qui figurent sur ce long rouleau correspondant au procès de Guichard, évêque de Troyes.

Vous l’avez compris, l’exposition est très riche et pousse à s’interroger et questionner ses propres principes. Au détour d’une salle consacrée à l’Histoire…

… une télévision! Qui apparaît comme anachronique, c’est le moins qu’on puisse dire. Pourquoi siège-t-elle là? Parce qu’elle évoque un événement qui touche à la question soulevée : le match de football où le fait que la Marseillaise soit sifflée par une partie du public (en particulier les supporters corses) a provoqué l’ire présidentielle, et poussé Jacques Chirac, alors président de la République, à quitter le stade avant le début de la rencontre. Son discours évoque à la fois le blasphème « (« atteinte aux valeurs essentielles de la République) et une forme de sacrilège… Je vous laisse regarder cela sur les archives de l’INA.
Un autre téléviseur relate les débats autour du port du voile, et la dernière salle est consacrée à ce sujet et à celui de la censure… Quand défendre la laïcité entre en tension avec la liberté d’expression… Vous voyez comment cette exposition « remue les méninges »!

