J’avais eu l’occasion, voici quelques années, de voir jouer Arditi, Vanneck et Luchini dans la pièce de Yasmina Reza, « Art ».

Je ne vous donnerai pas la date, mais c’était avant le Covid, entre 1995 et 1998. Une pièce qui m’avait séduite, et vous reconnaîtrez que le trio était impressionnant. Si vous le souhaitez, vous pouvez la voir intégralement sur YouTube, elle est en ligne. C’est intéressant à deux titres : la pièce, certes, mais aussi les acteurs encore jeunes… Certains l’ont rejouée depuis, et elle est encore souvent à l’affiche…
En ce mois de novembre 2025, c’est une troupe d’amateurs qui l’interprétaient pour la première fois. Eux sont de vrais amateurs – j’allais ajouter « éclairés, certes », car ce qualificatif leur irait bien. Mais la metteure en scène est une vraie professionnelle. Et j’ai admiré ce qu’elle a pu tirer d’une salle des plus ordinaires (un rez-de-chaussée d’immeuble) où les spectateurs, assis sur des chaises pliantes, étaient au même niveau que les acteurs. Certes, l’auteur avait indiqué la nécessaire sobriété des décors, mais la petite troupe éphémère a réussi, avec des éléments sortis des demeures de chacun, à nous transporter de lieu en lieu. Car on est tantôt chez Serge, le riche collectionneur qui s’est offert le tableau, chez Marc, l’ingénieur en aéronautique, l’adepte du bon vieux temps, et chez Yvan, la « cigale » qui va épouser la fille d’un papetier pour qui il est « représentant de commerce ». Le « marqueur » des lieux? Un seul indice. Un tableau, justement… des plus classiques… voire une « croûte » comme le qualifie le texte.
« « Le salon d’un appartement. / Un seul décor. / Le plus dépouillé, le plus neutre possible. / Les scènes se déroulent successivement chez Serge, Yvan et Marc. / Rien ne change, sauf l’œuvre de peinture exposée. »
Reconnaissez que c’est une belle gageure que d’oser se produire dans de telles conditions! Eh bien, le challenge a été réussi! Et les spectateurs/trices étaient enchanté-e-s de ce spectacle au rythme soutenu… et ébahi-e-s, il faut le dire, devant la performance de chacun. Le célèbre monologue de Marc notamment! Brillamment interprété, sans trou ni hésitation… emportant le spectateur dans les dédales des pensées et ressentis de celui qui m’a fait penser au clown blanc, vous savez, celui qui fait rire mais qui ne parvient pas à être heureux? « . Comme le dit le personnage :
« Je ne suis pas content mais d’une manière générale, je ne suis pas un garçon qui peut dire, je suis content. »
Mais chaque acteur méritait amplement les félicitations de la cinquantaine de personnes présentes, dont des spécialistes et des élus du coin (peu, trop peu!). Et le fait que deux d’entre eux aient largement dépassé la quarantaine que sont censés avoir les héros n’a absolument pas gêné. J’avoue m’être posée la question : « qu’est-ce qui pousse des personnes déjà très occupées par leur vie professionnelle, amicale, personnelle et familiale à apprendre un texte que l’aspect volontairement « ordinaire », du point de vue du langage, rend difficile à mémoriser? Et j’ai été heureuse de faire la connaissance de celle qui les avait suivis dans cette aventure (ils avaient choisi la pièce) et entraînés, coachés, formés, tout en la mettant en scène dans les conditions décrites ci-dessus. Elle m’a demandé de ne pas la citer, mais je peux dire qu’elle est très engagée dans l’accompagnement de personnes qui ont envie ou besoin de s’investir ou se détendre, avec le yoga, le rire et le théâtre. Le texte qui suit est extrait de son site.
« VENEZ RENCONTRER L’ARTISTE QUI SOMMEILLE EN VOUS ET LE PARTAGER AVEC LES AUTRES.
A partir de jeux et exercices d’entraînement du comédien, vous développez votre conscience du corps, de la voix et activez votre qualité de présence. Vous stimulez votre imaginaire, votre créativité et l’expression de votre personnalité sur la scène comme dans la vie. »
C’est exactement ce qui a été vécu ce soir-là. Un véritable « partage » permis par la passion d’une artiste et de trois amateurs, soutenus par des réseaux familiaux et amicaux… Une vraie « bulle » loin du quotidien… Et, si la fin de la pièce reste ambigüe (l’amitié survit-elle à ces « déballages », comme disait ma grand-mère?), le devenir de la troupe ne l’est pas : un élan commun entre les acteurs, entre eux et leur professeure, et entre l’ensemble et celles et ceux qui ont eu le plaisir d’assister à ce qui, espérons-le, était une « première ». Reste à trouver les lieux qui pourront les accueillir, les financements qui permettront de poursuivre l’aventure, les soutiens artistiques et politiques (au sens large) qui donneront à d’autres le même plaisir partagé… Si vous avez des idées, placez-les en commentaires de cet article, les idées leur seront transmises…