Une belle famille de vignerons

En ce samedi de mai, direction la Loire. En autocar, fait rarissime pour moi. Avec l’association qui nous permet de découvrir l’oenologie, Vanvino.

Pour y visiter une exploitation viticole, à Croquant (ça ne s’invente pas!), hameau de Saint-Père (ça non plus, à quelques temps de l’élection au Vatican!). Si vous ne situez pas cela, pas de soucis : c’est près de Cosnes-sur-Loire.

Après deux heures de route environ, nous parvenons au Domaine Couet, que nous sommes venu-e-s découvrir.

Ce n’est pas un domaine que j’y ai visité, mais une famille que j’ai découverte, au travers des récits d’Emmanuel Couet, qui nous a reçu avec l’aide de son épouse et de ses enfants, Edouard et Diane. Je me propose de vous retracer rapidement ici ce que j’ai retenu de ses confidences. Descendant direct d’une famille de vignerons, il a repris l’exploitation de son père, maintenant octogénaire, qui continue à l’aider activement.

Notre hôte nous a ainsi appris qu’autrefois les viticulteurs du coin diversifiaient leur activité. Ses grands-parents étaient à la fois éleveurs, agriculteurs et viticulteurs. A présent, ce n’est plus guère possible, d’après lui, en raison du coût des matériels nécessaires. Il se consacre désormais uniquement à la vigne et au vin. A une exception près : un gîte est désormais exploité.

La veille de sa naissance, le 13 octobre 1976, sa mère vendangeait encore… Au passage, il nous fait remarquer à quel point le climat a changé : désormais, on vendange en septembre, quand ce n’est pas fin août (le 24) comme en 2011… et, cette année, ce devrait être le 8 septembre si l’on en croit l’expérience qui veut que l’on compte « 100 jours après la fleur ». Or la floraison a déjà commencé!

Edouard, qui a 11 ans, suit son père, et s’intéresse aussi bien à la viticulture qu’aux loisirs offerts par la nature : chasse et pêche, passions de son grand-père… Il tient déjà des discours experts sur la vigne, et ne manque pas d’humour…

Emmanuel s’est marié tardivement (selon ses dires!), cela fait seulement 12 ans. Son épouse, qui a entre autres été comptable à Paris, l’épaule visiblement beaucoup, en le libérant de l’administratif, de la comptabilité, et des aspects commerciaux. C’est elle aussi qui a préparé pour le groupe de beaux plateaux de charcuterie et fromage pour accompagner la dégustation. Et qui dresse les tables avec ses deux enfants. Qui encaisse les achats, et sera là aussi pour la livraison le midi, à Myennes, des cartons de vins achetés…

Il n’hésite pas à nous parler de sa vie, et en explique joies et difficultés sans détours. La viticulture est soumise aux aléas climatiques et, depuis quelques années, ceux-ci sont nombreux, et les surprises parfois dures à supporter. Ce fut le cas l’an dernier. 2023 a été marquée par une surabondance de pluie… Le sol n’absorbait plus l’eau. Et le mildiou s’en est mêlé! Seuls les ceps plantés sur des coteaux ont pu échapper un peu à la catastrophe, grâce au ruissellement. Cette année, c’est le contraire. Voilà deux mois qu’il n’a pratiquement pas plu… Il se remémore ce qu’il appelle les « millésimes difficiles ». 2004, avec un mois de septembre « pourri ». Or c’est le mois avant les vendanges qui « fait la maturité ». Il y a eu des années « sans récolte ». 2016, à cause d’une « gelée noire ». Comme en 1991. En 1961, il a même gelé en juin, le jour de la fête du village! En 2000, c’est la grêle qui a détruit entre 95 et 98% des récoltes. Depuis, la famille a souscrit une assurance, car ce n’est pas seulement l’année de la grêle qui est concernée : les dégâts perdurent pendant deux ans. Ils ont aussi installé deux éoliennes dans les vignes de Pouilly pour « brasser l’air » : « parfois on gagne 1 degré » sur un rayon de 100 à 150 mètres autour de l’engin.

Une autre difficulté, partagée par tout le secteur, provient du manque de main d’oeuvre, qui pousse à faire venir des saisonniers étrangers, en passant par des sociétés spécialisées. Mais il faut les loger, ce n’est pas toujours simple! Et fidéliser quelques salarié-e-s à l’année est une gageure, semble-t-il.

C’est ainsi que les trois générations de la famille Couet continuent à oeuvrer sur leurs terres, malgré les incertitudes de l’avenir…

De l’hybride au franc de pied

A la fin de l’épisode précédent, nous étions prêt-e-s à déguster. Mais, avant que le vin n’arrive dans nos verres, il a fallu bien du travail ! Si vous vous souvenez, je vous ai parlé de la famille qui tient ce domaine depuis trois (et bientôt 4) générations. Nous allons donc remonter dans le temps pour comprendre comment le vignoble s’est constitué. Plus exactement, dans les années 20. La demeure que vous avez vue date de 1920. Les premières plantations, de 1921.

La vigne rouge, Van Gogh (1888)

1888. Le peintre a saisi les nuances de rouge des vignes pour les magnifier. Mais c’est un drame qui se joue. Si les feuillages ont cette couleur, c’est que les plants sont malades. Un ver venu des Etats-Unis les détruit à une vitesse incroyable. Un an après qu’il a peint ce tableau, la production de vin en France n’est plus que de 23,4 millions d’hectolitres, alors qu’elle atteignait, 13 ans avant, en 1875, 84,5 millions d’hectolitres. Pour comparaison…

La deuxième production mondiale après l’Italie (55% de rouge, 26 de blanc et 19 de rosé) Source CNIV

Pourquoi évoquer le phylloxéra? Pour comprendre le choix fait par l’aïeul de notre hôte de ne planter que des hybrides.

« L’histoire de l’Agriculture ne nous a conservé, à aucun moment et pour aucune autre plante cultivée, le souvenir d’une crise aussi grave que celle traversée par les vignes de l’ancien continent lorsqu’elles furent envahies par le Phylloxéra » Gustave Foex, 1900. (source)

Dans les années 20, on sort à la fois de la Grande Guerre et de la crise viticole. La plantation d’hybrides ou de porte-greffes est l’une des trois options pour lutter contre le phylloxéra, les deux autres étant la lutte chimique et la modification des méthodes culturales, comme l’immersion des terres évoquées par le conférencier. Ce sont donc des plants venus des Etats-Unis qui ont pris racine sur cette terre solognote, constituée pour les 2/3 d’argile à silex et le reste d’argile avec sable.

Argile à silex en Vendômois (source)

On comprend la relation entre terrain et culture.

« Ces argiles ont également l’avantage de retenir l’eau et d’éviter aux vignes de souffrir de stress hydrique les années sèches. En outre, il ont un effet tampon très utile à l’automne, quand le temps est pluvieux. En effet, l’eau descend très doucement dans les argiles avant d’être absorbée par les racines huit à dix jours plus tard. Cela permet aux vignerons de ramasser les raisins avant qu’ils ne pâtissent de ces pluies trop tardives. Des sables ou mêmes des argiles légères laisseraient descendre l’eau beaucoup plus vite jusqu’aux racines des vignes. Une pluie d’automne peut alors mettre en péril une récolte en moins de deux jours. » (source : La Revue du Vin de France)

Pour ma part, j’ignorais le lien entre les sols et l’aspect gustatif… Eh bien, il semble qu’il soit fort, comme l’explique ce vigneron de Vouvray :

« Si le silex est trop présent, il induit un déséquilibre gustatif avec des notes de céleri, estime-t-il. L’argile lisse les textures, mais n’apporte pas de minéralité. Le silex apporte minéralité et rectitude au vin et, avec l’âge, des épices et des notes fumées. »

« La texture d’un vin est d’autant plus serrée que les argiles d’origine sont lourdes. Les vins d’argiles lourdes sont droits, complexes, caractérisés par des notes de pierre à feu. » (ibidem)

Le type spécifique du sol a un nom d’oiseau : « perruche ».

« Perruche (sol) vigne (perruches ou les perruches) : ce type de sol (argile à silex) se rencontre surtout dans la vallée de la Loire. Il est constitué de terres argilo-siliceuses, avec une abondance de silex en surface qui permettent un bon assainissement du sol. C’est un terroir idéal pour une production de vin rouge. En très bonne exposition et sur sous sol calcaire, les blancs y sont excellents.

Les aubuis

Les perruches ont pour pendant les aubuis. Ils sont situés dans la partie basse du coteau, ce sont des sols argilo-calcaires pierreux, terres chaudes, fertiles et perméables sur lesquelles le chenin se plaît particulièrement bien. » (Source)

On comprend donc la richesse du terroir choisi par Kléber Marionnet en ce début du XXème siècle… Joseph Kléber est né en 1897 à Soings où son père, Clotaire, s’était marié en 1889. D’une longévité exceptionnelle, puisque décédé en 1992… 95 ans! Les vignes ont été plantées l’année de son mariage avec Renée Juliette Peltier, née en 1902. Celle-ci venait de perdre son père l’année précédente. Dans la liste des maires de Soings, on retrouve trois fois le nom de Peltier (à la Révolution, de 1819 à 1842 et de 1944 à 1971). Un hasard? Mais je m’égare… revenons à l’histoire du domaine. Peut-être un lien entre sa constitution, le décès du beau-père et le mariage ?

Ce sont donc des hybrides qui ont été plantés sur ces « perruches » et « aubuis ». Un « cépage américain », nous a-t-on dit. Le domaine, à cette époque, fera jusqu’à 57 hectares (il en fait 10 de plus aujourd’hui).

Le site officiel en montre une partie, située autour des maisons et bâtiments administratifs, commerciaux et techniques.

Source : le site du Domaine

Il est temps d’en venir à la vigne elle-même. Je n’ai malheureusement pas pu visiter le domaine lui-même, pour mieux comprendre. Toutes les explications ont été données en un seul lieu, sur la petite parcelle que vous voyez au coeur du triangle formé par les maisons. Il y reste des plants hybrides. Et, pour m’amuser, j’ai parié qu’ils étaient taillés en « guyot ». Et même « en guyot simple »…

Vieux cep taillé en guyot, avec le « palissage »

Et j’ai gagné! Il faut dire que, comme j’ai naguère travaillé sur la taille de la vigne, j’ai encore quelques souvenirs… Et c’est le plus facile à reconnaître…

Source

Depuis cette époque, les plants se sont diversifiés.

Bien sûr, du Gamay. Dont un très particulier, le « Gamay de Bouze ».

« D’après le traité d’ampélographie de Viala-Vermorel, cette variété a pris naissance en Côte d’Or, vraisemblablement à Bouze, petit village des environs de Beaune. C’est un Gamay à jus rouge, le plus anciennement connu, et le père de tous les autres (Chaudenay et Fréaux). Le jus de ses raisins était très coloré, et donnait à l’époque des vins rustiques mais recherchés par leur générosité. L’INAO l’a exclu complètement des cépages recommandés il y a une quinzaine d’années. Cette variété a, aujourd’hui, pratiquement disparu et c’est par hasard qu’Henry Marionnet a pu récupérer une parcelle.La vinification est similaire à celle d’un Gamay classique. Le raisin est cueilli à la main et trié, puis disposé en petites caisses. Les grappes intactes sont mises en cuve pour 6 jours de fermentation intracellulaire afin d’obtenir un jus très dense, avec une couleur intense très foncée, marquée par les fruits noirs, la fraise des bois et un goût de terroir. » (source)

A l’accueil, une collection de bocaux au contenu original permet de « voir » les grappes en toute saison… Un premier exemple :

En 1989 a été planté du Sauvignon.

Oh joie, j’ai appris un mot, ou plutôt une expression : « franc de pied ». Qu’est-ce que cela signifie? Que le pied n’a pas été greffé sur un « porte-greffe », qui le rendrait plus résistant, notamment au phylloxéra (on y revient). A ce propos, vous ai-je parlé des rosiers? Non, car j’avais expliqué leur rôle dans l’article sur le vignoble de Belleville… Mais ici, à ma grande surprise, très peu de ces rosiers qui permettent de déceler la présence du vilain puceron. Bien sûr, la question a été posée « Pourquoi? ». La réponse fut surprenante : ici, c’est une plus grosse bête qui les mange. Les chevreuils se révèlent être un véritable fléau pour les vignes… et pour les rosiers!

Autre cépage : le Chenin. Rabelais en parlait déjà au XVIème siècle, dans Gargantua.

 » Ce faict, et bergiers et bergieres feirent chere lye avecques ces fouaces et beaulx raisins, et se rigollerent ensemble au son de la belle bouzine, se mocquans de ces beaulx fouaciers glorieux, qui avoient trouvé male encontre par faulte de s’estre seignez de la bonne main au matin, et avec gros raisins chenins estuverent les jambes de Forgier mignonnement, si bien qu’il feut tantost guery. « 

Et un cépage original, dont je n’avais jamais entendu parler : le Romorantin, dont on attribue l’implantation dans cette région à François 1er.

« Il faut remonter le temps sur rien moins que 5 siècles pour rencontrer les ceps de vigne, originaires de Bourgogne, qui ont donné naissance au Romorantin. François 1er, en épicurien averti, décide la plantation de 80 000 pieds de vigne près du château de Louise de Savoie, sa mère, sur la commune de Romorantin, d’où le nom du cépage qui naîtra sur cette terre d’adoption. Les pieds seront plantés à l’automne 1517 et sont aujourd’hui encore à l’origine du cépage Romorantin. » (source)

Les vendanges, sur le domaine, sont effectuées manuellement. Voilà qui mérite d’être souligné, n’est-ce pas? La main d’oeuvre cependant ne se trouve pas parmi les autochtones, malgré le chômage hélas bien présent dans le coin : « 70 chômeurs à Soings », déclare notre hôte. Ce sont essentiellement des Bulgares gérés par une entreprise d’intérim, et des Turcs résidant à Romorantin qui effectuent ces vendanges, en commençant par le Gamay.

J’ai commencé cet article par le fléau d’autrefois. Il faut malheureusement aussi évoquer celui d’aujourd’hui : l’esca.

« L’esca est un syndrome caractérisé par l’expression souvent irrégulière de symptômes sur les organes herbacés tels que des anomalies de coloration et des dessèchements et par la présence de désordres vasculaires et de nécroses dans le bois, à caractère évolutif. 

Ce syndrome a le plus souvent été décrit selon la vitesse de développement des symptômes foliaires en deux formes distinctes, une forme lente et une forme apoplectique. Mais des observations récentes tendent à montrer que ce syndrome peut aussi être décrit selon un gradient de sévérité allant de quelques feuilles symptomatiques au cep entier foudroyé avec de nombreux stades intermédiaires affectant un ou plusieurs sarments, un ou plusieurs bras. » (source)

Actuellement les chercheurs tentent encore de trouver des remèdes contre cette maladie dont l’origine n’est pas encore complètement connue. Ce serait une association de champignons et de bactéries, dont certains seulement ont été identifiés. Ils pénètreraient par le bas. Des viticulteurs ont donc essayé de « noyer » les plants durant l’hiver pour tuer les assassins potentiels. Mais c’est très risqué! Au domaine de la Charmoise, on a essayé une autre solution : la musique. Des boîtes à musique ont été placées dans les vignes. Essayer de comprendre pour vous expliquer m’a permis d’apprendre un nouveau mot : la génodique. Savez-vous ce que c’est?

Explication apportée sur le site du constructeur, Genodiscs

« C’est dans les années 90 que la physique quantique a montré, grâce à Joël Sternheimer, docteur en physique théorique et musicien, qu’à chaque acide aminé contenu dans les protéines (présentent notamment dans la vigne) correspond une onde qui peut être retranscrite en une note de musique à l’aide de calculs. C’est ce qu’on appelle la génodique! »

Joël Sternheimer, connu aussi comme chanteur sous le nom d’Evariste

Les boites diffusent donc des séquences musicales de 7 minutes, à intervalle régulier. Cependant, le scepticisme du viticulteur qui nous reçoit est évident… « On est très risqués », ajoute-t-il. Oui, car le franc de pied, vous l’aurez compris, est beaucoup plus fragile que l’hybride. Alors pourquoi s’entêter? Tout simplement parce qu’il produit des vins de qualité, et des crus originaux. C’est une autre histoire, que je narrerai dans un autre texte, si vous voulez continuer à me suivre..

Le vin de Belleville

Eh oui! J’ai bu du vin à et de Belleville… Saviez-vous qu’on en produit environ 200 fillettes par an?

Fillette de Clos des Envierges

Le raisin est produit par l’équipe de jardiniers municipaux, qui ont pour ce faire suivi une formation spécifique sur site, avec des spécialistes de la viticulture. Ce dimanche 6 octobre, c’était la Fête de la Vigne à Paris, et trois d’entre eux accueillaient dans l’après-midi les visiteurs et visiteuses tel-le-s que moi, tandis que d’autres le faisaient ailleurs… J’ai ainsi découvert qu’il y avait au moins dix vignes à Paris, moi qui ne connaissait que celle de Montmartre et l’expérience menée sur les toits de l’Hôtel de Ville.

Vignoble au coeur de Belleville

La Clos des Envierges est situé en bordure nord – est du Parc de Belleville. Planté de pinot meunier, de chardonnay, et de nouveaux cépages en cours de conception à partir d’anciens, il présente l’aspect de vignes bourguignonnes, avec des rosiers au pied de chaque ligne… J’avais appris qu’ils servaient à prévoir les maladies de la vigne, en étant plus fragiles et donc atteints avant elles, mais une autre version a été apportée par la jeune jardinière qui m’a guidée : comme on utilisait autrefois des chevaux pour la viticulture, les épines auraient permis d’écarter ceux-ci des pieds lorsqu’ils tournaient en bas des rangs pour remonter, et ainsi protégé les premiers pieds.

Rosiers et pinot meunier

La culture de la vigne est traditionnelle à Belleville. En effet, comme autrefois la commune était indépendante, le vin y coûtait moins cher car il échappait à l’octroi, et les Parisien-ne-s venaient faire la fête en buvant le vin guinguet – qualificatif donné au petit vin aigrelet, qui est à l’origine du terme « guinguette », le saviez-vous? – dans les… guinguettes du quartier. Moi qui aime les mots, j’ai aussi appris l’origine du verbe « grapiller » : on laissait, et on laisse encore, les grappes trop petites ou tombées à destination des habitant-e-s, dans le contexte du glanage légal, coutume sur laquelle Agnès Varda a réalisé un magnifique documentaire, Les Glaneurs et la glaneuse.