Vous avez dit « Bujour »?

Le bujour et la bujée, photo P. Collinot (1907). Source

Baguenauder sur la toile entraîne souvent des découvertes inattendues, telle que celle-ci. Quadruple fut-elle, comme je vais vous le narrer, si vous le permettez…

La première est d’ordre linguistique. Nous étions l’autre jour dans le Comté de Nice et en Provence (surtout ne confondez pas les deux, vous vous feriez assassiner par les Nissarts!) à la rencontre de la bugadiera, la lavandière. Continuons donc à visiter la France, en guise de « vacances » (c’est d’ailleurs ce qui risque de nous arriver!)… Aujourd’hui nous sommes en Saintonge, pour découvrir la bujour, ou, plus exactement, dans la langue locale, la « bujhour ». Vous le constatez, la racine est identique, avec une simple déformation. Vous avez donc le choix, en revenant au tableau ci-dessus, pour deviner ce qu’est un bujour… Alors, quelle est votre hypothèse?

La seconde concerne un objet. Il est la vedette de ce tableau, bien mis en valeur, au premier plan à droite. Qu’est-ce? Un « cuvier à lessive en terre cuite, de forme ronde. La selle est son support pour le tenir stable. », selon le Glossaire des Mots Oubliés.

Le bujour. Source

Le texte dans lequel j’ai trouvé cette image désigne nettement l’objet comme un bujour fabriqué en Saintonge. Il indique aussi que ce genre d’objets est désigné ailleurs par le terme « ponne ». Devinez ce que j’ai fait? Eh oui, je suis repartie dans Lilo (mon moteur de recherche, pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas ce moteur permettant de financer des associations) et ai trouvé cette autre photo.

Une ponne ?

Ne trouvez-vous pas qu’ils se ressemblent étrangement? La ponne photographiée est située à Marsais (une cinquantaine de kilomètres au nord). Alors je regarde plus en détail sous la photo, et trouve cette description : « AV Ponne ancienne saintongeaise tres décorative h 70 l 92 bon état 650 euros ». Et voilà la clef du mystère… c’est bien un bujour!

Un bujour pouvait contenir de 100 à 200 litres d’eau. Il était souvent entreposé dans une pièce attenant à la maison.

La troisième concerne les hommes. Ceux qui fabriquaient les bujours. Les bujoliers. Ils étaient installés à Saint-Bris-des-Bois, non loin de Saint-Césaire. Pourquoi là? Tout simplement parce qu’à Saint Césaire il y avait des mines d’argile, exploitées depuis le Moyen-Age. De l’argile, du charbon de bois et des cendres, de l’eau… on peut faire de la poterie!

Je ne résiste pas à l’envie d’un copier-coller concernant l’auto-présentation (pour ne pas dire propagande) de la petite ville.

 » Le bonheur est une petite chose que l’on grignote, assis par terre, au soleil…« 

Au coeur de la Saintonge, bordant la vallée du Coran, affluent de la Charente, découvrez Saint Bris des Bois. D’à peine 500 habitants, ce véritable écrin entre vignes et forêts, abrite de nombreux joyaux.

Habité depuis le néolithique par l’homme de Néandertal, Saint Bris des Bois a su conserver ses origines. Ses nombreuses sources et sentiers, son abbaye d’inspiration romane, son église dominant la vallée, en font un paradis pour randonneurs.

Vous qui recherchez la douceur de vivre, la nature à l’état pur, arrêtez-vous à Saint Bris des Bois et observez l’authenticité d’un village paisible et calme. Vous y serez toujours les bienvenus. »

Et, à côté de Saint Bris des Bois, un hameau se nomme… Les Bujoliers!

Pour façonner un bujour, le bujolier utilise une technique très particulière : un montage en 3 fois et en trois parties distinctes. En raison de leur grande taille et de leur poids considérable, ces pièces étaient fabriquées à partir de boudins d’argile crue, superposés en spirale les uns sur les autres à partir d’une galette circulaire formant le fond de la pièce.La base ou cul du bujour était érigée jusqu’au tiers de sa hauteur, la partie ventrue pour le 2ème tiers et enfin le col. Entre chaque opération,un temps de séchage s’imposait pour éviter que l’édifice ne s’effondre.Ils recevaient un décor,estampé à l’aide d’une roulette,en bandes verticales sur la panse et une horizontale à la jonction du col-panse. Une fois séchés naturellement, les bujours et autres poteries étaient montés dans un grenier ouvert au moyen d’un brancard appelé « boyard » pour terminer le séchage pendant une semaine, avant d’accéder au four tunnel où la cuisson allait se poursuivre durant une dizaine de jours à haute température de manière à obtenir du grès. »

A Saint Césaire, ce sont les héros, ces bujoliers! Outre le Musée qui leur est consacré, ils ont donné le nom à une école, un restaurant, une pharmacie..

Reste la quatrième… C’est celle du Musée des Bujoliers, un petit musée présenté sur cette gazette, et sur le site Saintonge-Mérine. Et devinez dans quel hameau il est situé?

Bujours au Musée des Bujoliers

Où l’on retrouve l’iris…

Selon les sources d’histoire locale,

« La Bujée se faisait sur 4 jours :
– 1er jour …..on asseoit la bujhée
– 2ème jour… on coule la bujhée
– 3ème jour… on rince la bujhée au lavoir ou dans le cours d’eau proche de la maison.
– 4ème jour… Le séchage : Le linge est étendu sur l’herbe ou les buissons.
Une fois sec, il sera repassé empesé, plié; puis rangé dans le cabinet (armoire à linge). »

Le cabinet saintongeais

« Le linge sale était d’abord entreposé dans les greniers. Deux fois par an environ, à des dates qui ne devaient pas contrarier les saints du calendrier, on passait à l’action. Entre les draps et autres pièces déposées dans le bujour, on intercalait des racines d’iris coupées en dés, destinées à parfumer et blanchir le linge, ainsi que de la cendre, contenue dans des sachets de toile, pour enlever les taches. » (source: Nicole Bertin Info)

Je croyais qu’il s’agissait des fleurs… Mais apparemment, non, il s’agit des racines, des rhizomes. Leur usage était semble-t-il répandu sur tout le territoire, car j’en ai aussi trouvé des exemples en Dordogne-Périgord, sur ce site qui explicite fort bien, à mon sens, les techniques de la « bugada », « bujée » ou « buée » – troisième nom dérivé de la racine commune. J’y ai appris que les trois grandes étapes de cet événement bisannuel (printemps-automne) étaient surnommées « Enfer » « Purgatoire » et « Paradis ». Dans l’illustration suivante, nous sommes donc au Purgatoire…

Image tirée du blog De Bretagne en Saintonge
Merci à son auteur qui m’a inspiré cet article!

Un commentaire sur “Vous avez dit « Bujour »?

  1. Au lavoir de Keranglaz
    L’étang mire des fronts de jeunes lavandières.
    Les langues vont jasant au rythme des battoirs,
    Et, sur les coteaux gris, étoilés de bruyères,
    Le linge blanc s’empourpre à la rougeur des soirs.

    Au loin, fument des toits, sous les vertes ramées,
    Et, droites, dans le ciel, s’élèvent les fumées.

    Tout proche est le manoir de Keranglaz, vêtu
    D’ardoise, tel qu’un preux en sa cotte de maille,
    Et des logis de pauvre, aux coiffures de paille,
    Se prosternent autour de son pignon pointu.

    Or, par les sentiers, vient une fille, si svelte
    Qu’une tige de blé la prendrait pour sa soeur ;
    C’est la dernière enfant d’un patriarche celte,
    Et sa beauté pensive est faite de douceur.

    Elle descend, du pas étrange des statues,
    Et, soudain, au lavoir, les langues se sont tues.

    L’eau même qui susurre au penchant du chemin
    Se tait, sous ses pieds nus qui se heurtent aux pierres,
    On voit courir des pleurs au long de ses paupières,
    Et sa quenouille pend, inerte, de sa main…

    L’étang mire, joyeux, des fronts de lavandières,
    Et sait pourtant quel deuil ils porteront demain !… Poème d’Anatole Le Braz (1859-1926)

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