Il y a longtemps que je n’ai écrit sur les « mots », mais je dois bien avouer que, en ce 11 novembre plus tristounet que jamais, cela me démange… Je regardais ce matin un documentaire diffusé sur France 5 portant sur « l’artiste De Gaulle », quand un passage a suscité particulièrement mon attention. Il était fait référence à un sketch de Poiret et Serrault (autour de 1h30).

Ce binôme ne dit sans doute rien aux plus jeunes, qui connaissent quand même peut-être le second du fait de ses talents immenses d’acteur. Mais le duo a fait rire des générations, des plus vieux, comme mes grands-parents, aux plus jeunes, comme moi enfant. Or, dans le film que je visionnais, il est fait état d’une censure du Président contre un des sketches des deux humoristes. Jusque là, rien de surprenant, me direz-vous.

Le concept de « grandeur de la France » en a entraîné d’autres, y compris à l’encontre de Diderot ou tout au moins d’une de ses adaptations cinématographiques (interdiction de visionner La Religieuse, film de Rivette).

Non, ce qui m’a étonnée, ce sont les termes utilisés pour désigner le Général, « Le Grand Eupalicus » ou « L’Eupalicus Géant ». En effet, le titre du sketch est « Moeurs et coutumes des Eupenlicus », terme qui désigne les Français.
Evidemment, je me suis précipitée sur le net pour rechercher le sens de ce terme, qui échappe à mon latin certes lacunaire…
Rien. Pas un mot. Même pas en référence à ce sketch. J’ai essayé une recherche avec différents moteurs, depuis Qwant jusqu’à Google, puis sur différentes entrées « Eupalicus », associations diverses de « sketch », « Poiret et Serrault », « De Gaulle »… toujours rien. M’est alors venue l’idée d’effectuer une requête sur « Opalicus »… et j’ai appris qu’il s’agissait de minéraux, mais pas que… et une autre sur « censure De Gaulle sketch ». Elles ont abouti à des articles du Monde de l’époque, sur le sketch – intitulé « Un sketch de Poiret et Serrault » Mœurs et coutumes des opalicus » provoque la saisie des actualités » Pathé-Journal » – et sur l’interdiction de photos-montages sur lui en 1959… mais je ne suis pas parvenue à en savoir plus… Peut-être lire l’ouvrage sur la censure des émissions de télévision à cette époque ?
Par contre, j’ai poursuivi ma recherche sur « opalicus »… et voici la surprise qui m’attendait. Dans ce livre de 1833, A classical dictionnary, de John Dymock, une définition étonnante de « opalicus ».

« Opalicus : a man who anoited bathers on coming out of the water. He probably besides oil, dealt of parfumes ». Il est alors fait référence à « Mart.xii.71« . Traduction (merci à mon traducteur particulier!) : » Un homme qui oignait les baigneurs au sortir de l’eau. Il faisait probablement commerce de ces parfums, en plus de l’huile. Les lectures sur ce point diffèrent considérablement« .

Bien sûr, je me suis mise en quête de l’oeuvre à laquelle il est fait référence. En l’occurrence, l’épigramme 71 du livre 12. Pas de chance. Il est très bref, et pas de référence à ce genre d’activité. Par contre, le 70, oui. En voici une traduction – dont j’ignore la scientificité – trouvée sur le net.
» LXX. – SUR APER
Lorsque, naguère encore, le linge d’Aper était porté au bain par un esclave aux jambes torses ; lorsqu’une vieille femme borgne s’asseyait sur sa méchante toge pour la garder, et que le baigneur hernieux lui donnait à peine une goutte d’huile, les buveurs trouvaient dans Aper le censeur le plus âpre et le plus rigoureux. Voyait-il un chevalier boire en sortant du bain, il criait qu’on brisât les coupes et qu’on renversât le Falerne. Mais depuis qu’un vieil oncle lui a légué trois cent mille sesterces, il ne revient plus du bain sans être ivre. Voyez ce que peuvent sur un homme la vaisselle ciselée et cinq esclaves à la belle chevelure ! Alors qu’il était pauvre, Aper n’avait jamais soif. » (texte trouvé ici) – juste pour vous faire un peu rire au passage… Aper, c’est le Sanglier en latin… Il y a eu plusieurs personnages historiquement connus qui ont porté ce nom, mais je ne suis pas parvenue à identifier duquel il s’agit… Ici, il est présenté comme « pauvre », « censeur »… et censurant!
La traduction de « opaculus » est ici ‘baigneur hernieux »… me voici bien avancée, car j’ignore le sens de ce second terme! Certes, il évoque les hernies, mais? Eh oui, c’est bien cela… « qui est atteint d’une hernie » – ou, pour une chose, une excroissance, selon le CNRTL. Il me fallait donc retrouver le texte latin… Le voici:
Lintea ferret Apro vatius cum vernula nuper
Et supra togulam lusca sederet anus
Atque olei stillam daret enterocelicus unctor,
Udorum tetricus censor et asper erat:
Frangendos calices effundendumque Falernum 5
Clamabat, biberet quod modo lotus eques.
A sene sed postquam patruo venere trecenta,
Sobrius a thermis nescit abire domum.
O quantum diatreta valent et quinque comati!
Tunc, cum pauper erat, non sitiebat Aper.
Pas de trace du mot recherché, mais un « enterocelicus unctor », un homme chargé d’oindre d’huile le baigneur, et qui présente une hernie, une excroissance au niveau de l’estomac.

tait-ce donc l’allusion à la silhouette particulière du président en fonction alors? Ou au fait qu’il endormait tout le monde en les « oignant »?
Mais alors, pourquoi ces multiples « hésitations apparentes » sur le mot? ne serait-ce pas une manière de déjouer la censure? Le journal Le Monde s’est-il trompé ou a-t-il volontairement modifié le terme?
Les humoristes ont-ils jouée sur « Européen » en ajoutant le diminutif latin « culus »? Auquel cas on pourrait aussi y voir une référence aux Lilliputiens, et le président serait alors Gulliver…

Ou à un Dieu tout-puissants face à des homoncules.? Connaissaient-ils le texte de Martial et faisaient-ils référence alors à l’orateur? Omnipotent ou ventripotent ?
Quant à l’absence de références à cet épisode, et de diffusion de ce sketch (alors que l’INA présente beaucoup d’autres) sur le net, comment l’expliquer ? L’Ombre du Général – expression à l’origine d’un certain nombre de titres d’ouvrage… – continuerait-elle à planer, par-delà le demi-siècle?
D’où mon Appel du 11 novembre : si l’un-e d’entre vous connaît ce sketch, sait où le trouver, ou tout au moins a des références sur ce mot, je suis preneuse!!!
je suis comme vous très intéressé par le visionnage de ce sketch, un incunable? il n’est pas sur le site de l’INA car ce n’est pas un film de télévision mais de cinéma. C’est un court-métrage destiné aux salles. Peut-être demander à la fondation Gaumont avenue des Gobelins? Ou bien à Bois d’arcy aux archives du cinéma, chercher la référence au CNC.
cordialement JHL
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Je vous remercie de ces pistes, que j’exploiterai dès que possible. Et suis très honorée qu’un artiste tel que vous s’intéresse à mon très modeste blog! Comment l’avez-vous découvert?
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