L’ensilage

Le village de Cheminas, où j’ai découvert ce mot

Vous savez combien j’aime découvrir de nouveaux mots. Ce fut le cas l’autre soir, dans une maison de vigneron en Ardèche, dont je vous parlerai quand mon travail me laissera un peu plus de loisir pour ce faire. Autour d’une table d’hôte, nous faisions connaissance. Deux jeunes gens de la Haute Loire venaient des environs du Puy en Velay pour travailler dans le coin. Lorsque je leur demandai en quoi consistait leur métier, ils m’expliquèrent qu’ils faisaient de l’ensilage.

Je pensai tout de suite au « silo », mais nous étions loin des plaines céréalières que je connaissais… Pourtant je n’avais pas tout à fait tort! Lisons le CNRTL, comme d’habitude…

« AGRIC. Opération de mise en silo (pour sa conservation pendant l’hiver) d’une récolte (de grains, racines ou fourrages verts). Herbes et trèfles ramassés pour l’ensilage; prairies artificielles destinées à l’ensilage.L’ensilage repose sur le déclenchement de fermentations qui favorisent la conservation (Wolkowitsch, Élév.,1966, p. 147).

P. méton.La récolte ainsi conservée.Des bêtes (…) sont entretenues l’hiver avec du foin, du maïs, de l’ensilage (Wolkowitsch, Élév.,1966, p. 147). »

C’est donc bien la même racine. Mais alors, pourquoi venir de si loin effectuer ce travail? Les agriculteurs/trices du coin ne peuvent-ils et elles pas le faire? Eh bien non, car cela nécessite des engins qui sont extrêmement onéreux. Iels préfèrent donc souvent « louer » la machine et son chauffeur. L’un des jeunes gens était le chauffeur, l’autre, le patron, qui avait monté sa petite entreprise car il est fan de mécanique.

Inconvénient du métier : le coût en investissement, les déplacements, et les horaires. D’après leurs dires, rentrer dîner à 21h est exceptionnel. Bien souvent, on passe la nuit, ou tout au moins une grande partie de la nuit aux champs.

Avantage du métier : être seul, sur son engin, tranquille. Faire de la mécanique l’hiver, quand on est au repos. Et surtout cela : on ne travaille dans les champs que d’avril à octobre. Un de leurs collègues peut ainsi, l’hiver, aller damer les pistes de ski…

Je me suis depuis enquise de la production de l’ensilage. Sur ces plateaux ardéchois, au-dessus de la vallée du Rhône, c’est de l’herbe qu’on ensile, ce que d’aucuns qualifient d’ « or vert ».

« Dans nos régions herbagères, notre or vert c’est l’ensilage d’herbe, estime Patrice Dubois, directeur de Rhône conseil élevage (Fidocl). La culture de l’herbe s’inscrit parfaitement dans des rotations longues, type : trois années de prairie, un maïs puis une céréale. Un bon ensilage d’herbe apporte une réponse en lait de près de 2 litres pour 1 kg de matière sèche ingérée. »

En hiver, les vaches doivent pouvoir retrouver le goût et la valeur de l’herbe sur pied qu’elles ont connues au printemps. Et pour cela, encore faut-il couper de la bonne herbe au bon stade, qui sèche rapidement au sol pour ne pas dégrader la qualité et assurer une conservation sans moisissure au silo. » (source)

Je me suis demandé la raison du « duo ». Puisqu’il y a un chauffeur, pourquoi un ensileur? La réponse, je l’ai trouvée en recherchant pour vous des images.

Eh oui, il faut deux engins : l’ensileuse, ou récolteuse – hacheuse ou faucheuse – hacheuse – chargeuse et le tracteur qui tire la benne pour collecter ce qui est coupé.

Et en trouvant cette image sur ce site, j’ai aussi trouvé une autre définition de l’ensilage, sur laquelle je vous laisserai méditer.

« L’ensilage est un mode de conservation des fourrages par fermentation anaérobie (en l’absence d’oxygène). Il s’obtient en hachant un fourrage (maïs, ray gras, fétuque, luzerne, méteil…) qui est ensuite gardé en silo. Soigneusement tassé et bâché, il développe des fermentations grâce aux bactéries lactiques contenues dans la plante. Il permet de constituer des stocks plus riches en protéines digestibles dans l’intestin (PDI) et en unités fourragères (UF) que le foin et d’assurer la sécurité alimentaire du cheptel.« 

Déprise

Un nouveau mot est entré dans mon vocabulaire… Déprise… Pas méprise, non, vous avez bien lu : déprise…
Comment l’ai-je découvert? Tout simplement en cherchant à m’informer sur la vallée du Jabron, où je séjourne actuellement!

La déprise… un bien joli mot, n’est-ce pas?

Les politiques du territoire prônent la lutte contre la déprise… De quoi s’agit-il? Du fait que les êtres humains se détournent des activités qu’ils ont menées sur un sol. En l’occurrence, ici, des activités pastorales et agricoles. De ce fait, « la nature reprend ses droits », comme on dit. Pas tout à fait, en réalité, car on sait que les espèces indigènes ont parfois décliné, et qu’au contraire des « colonisateurs » ont tendance à tout envahir… Cela, c’est pour le côté « nature ». Allons voir du côté « espèce humaine ». Ils et elles ont défriché, modifié, à la fois le sol, la faune et la flore, pour s’emparer d’un territoire et en sortir ce qui leur apportait nourriture et/ou richesse(s)… Défrichage, essartage, assèchement, détournement de cours d’eau, plantations, terrasses, etc.

En quoi cela a-t-il plus de valeur que la « nature »? Pourquoi faut-il le préserver? Et surtout, la question que je me pose, c’est à quel moment situer « l’emprise »?

A la Préhistoire, quand les chasseurs sont devenus éleveurs? Quand les cueilleurs sont devenus agriculteurs? Il y a dans les alentours du gîte nombre de témoins de cette époque…

A l’époque romaine, quand la Provincia Romana, où se situe cette vallée, a été conquise par les Romains et que des « villae » s’y sont implantées? La Via Domitia témoigne à elle seule, avec toutes les incertitudes sur son tracé, de leur intérêt pour cette voie de pénétration vers la vallée du Rhône.

Au Moyen-Age? A l’époque des Templiers? Ils ont été intéressés par les lieux, à en juger par le nombre d’édifices qu’ils y ont construits et le nombre de lieux-dits « Granges » qui perdurent : « Les Granges », « Huates Granges »…

Au début du XXème siècle, où l’on a vu progressivement les routes d’abord, puis les villages « descendre », se rapprocher de l’eau au point maintenant de flirter avec un cours qui peut se révéler dangereux lors de ses crues? « Vieux Noyers », « Vieux Curel », ne sont plus que ruines, délaissées Le paisible Jabron est avant tout un torrent… Certes, depuis dix ans, aux dires des autochtones, il n’y a quasiment plus de neige pour le faire gonfler au printemps. Mais les orages et les pluies abondantes se multiplient. Et, par exemple, cet hiver, l’eau a parfois envahi la chaussée.

Où placer le seuil? De la déprise de quoi est-il question? Et de quelle « emprise », en creux, s’agit-il?

Comme une histoire d’amour qui finit mal? Mais au moins on peut « dater » le début de l’emprise…
Ce qui n’est pas le cas, en l’occurrence.

Hier j’ai vu un paysage totalement remodelé par l’Homme. Autour de mille mètres d’altitude, des architectes cherchant à créer une Utopie, au sens premier du terme, à savoir un Lieu Parfait, source de bonheur et de bien-être, avec une société dépourvue de tout intérêt et pouvoir, donc de toute source de discorde et de haine, des architectes, disais-je, ont planté 2000 pieds, en grande partie des conifères, ont créé des terrasses pour les plantations d’arbres fruitiers (non compris dans ce nombre), ainsi que pour le maraîchage, ont modelé le paysage dans une visée de « perfection », au sens plein du terme, ont creusé des étangs, protégé des zones marécageuses, etc.

Ici aussi, au fond de la vallée, on perçoit les traces de l’activité humaine ancestrale. Faut-il la reconstituer? ou en mener une autre, différente, plus soucieuse de ce que l’on nomme « écologie »? Mais comment?

Un exemple des conséquences de ces tensions. Ferlane, une des porteuses actuelles de l’Utopie, a accepté des filets « horribles », selon ses propos, pour protéger les troupeaux des prédateurs présents – j’allais dire « réintroduits » -, en particulier les loups. Replacer ceux-ci dans leur contexte « historique » (voir mes propos sur les périodes) relève-t-il de l’emprise ou de la déprise? Et continuer à garder des troupeaux de chèvres ou de moutons, dans cette nature plus ou moins hostile? Je me souviendrai longtemps de la jeune bergère rencontrée hier sur mon chemin, vivant seule à une heure de piste du premier village… Pas tout à fait seule, car avec trois magnifiques chiens bergers, mais quand même…

Un autre questionnement à propos des modes de culture actuels. Ici règnent le « bio » et la permaculture. Traction animale, refus d’intrants chimiques, utilisation contingentée de l’eau de la rivière, etc. Un microcosme qui vit, se tient, dure, mais jusqu’à quand? et à quel prix? En quoi sont-ils ou elles (plus souvent elles que eux) acteurs/actrices de cette « déprise »?