Déprise

Un nouveau mot est entré dans mon vocabulaire… Déprise… Pas méprise, non, vous avez bien lu : déprise…
Comment l’ai-je découvert? Tout simplement en cherchant à m’informer sur la vallée du Jabron, où je séjourne actuellement!

La déprise… un bien joli mot, n’est-ce pas?

Les politiques du territoire prônent la lutte contre la déprise… De quoi s’agit-il? Du fait que les êtres humains se détournent des activités qu’ils ont menées sur un sol. En l’occurrence, ici, des activités pastorales et agricoles. De ce fait, « la nature reprend ses droits », comme on dit. Pas tout à fait, en réalité, car on sait que les espèces indigènes ont parfois décliné, et qu’au contraire des « colonisateurs » ont tendance à tout envahir… Cela, c’est pour le côté « nature ». Allons voir du côté « espèce humaine ». Ils et elles ont défriché, modifié, à la fois le sol, la faune et la flore, pour s’emparer d’un territoire et en sortir ce qui leur apportait nourriture et/ou richesse(s)… Défrichage, essartage, assèchement, détournement de cours d’eau, plantations, terrasses, etc.

En quoi cela a-t-il plus de valeur que la « nature »? Pourquoi faut-il le préserver? Et surtout, la question que je me pose, c’est à quel moment situer « l’emprise »?

A la Préhistoire, quand les chasseurs sont devenus éleveurs? Quand les cueilleurs sont devenus agriculteurs? Il y a dans les alentours du gîte nombre de témoins de cette époque…

A l’époque romaine, quand la Provincia Romana, où se situe cette vallée, a été conquise par les Romains et que des « villae » s’y sont implantées? La Via Domitia témoigne à elle seule, avec toutes les incertitudes sur son tracé, de leur intérêt pour cette voie de pénétration vers la vallée du Rhône.

Au Moyen-Age? A l’époque des Templiers? Ils ont été intéressés par les lieux, à en juger par le nombre d’édifices qu’ils y ont construits et le nombre de lieux-dits « Granges » qui perdurent : « Les Granges », « Huates Granges »…

Au début du XXème siècle, où l’on a vu progressivement les routes d’abord, puis les villages « descendre », se rapprocher de l’eau au point maintenant de flirter avec un cours qui peut se révéler dangereux lors de ses crues? « Vieux Noyers », « Vieux Curel », ne sont plus que ruines, délaissées Le paisible Jabron est avant tout un torrent… Certes, depuis dix ans, aux dires des autochtones, il n’y a quasiment plus de neige pour le faire gonfler au printemps. Mais les orages et les pluies abondantes se multiplient. Et, par exemple, cet hiver, l’eau a parfois envahi la chaussée.

Où placer le seuil? De la déprise de quoi est-il question? Et de quelle « emprise », en creux, s’agit-il?

Comme une histoire d’amour qui finit mal? Mais au moins on peut « dater » le début de l’emprise…
Ce qui n’est pas le cas, en l’occurrence.

Hier j’ai vu un paysage totalement remodelé par l’Homme. Autour de mille mètres d’altitude, des architectes cherchant à créer une Utopie, au sens premier du terme, à savoir un Lieu Parfait, source de bonheur et de bien-être, avec une société dépourvue de tout intérêt et pouvoir, donc de toute source de discorde et de haine, des architectes, disais-je, ont planté 2000 pieds, en grande partie des conifères, ont créé des terrasses pour les plantations d’arbres fruitiers (non compris dans ce nombre), ainsi que pour le maraîchage, ont modelé le paysage dans une visée de « perfection », au sens plein du terme, ont creusé des étangs, protégé des zones marécageuses, etc.

Ici aussi, au fond de la vallée, on perçoit les traces de l’activité humaine ancestrale. Faut-il la reconstituer? ou en mener une autre, différente, plus soucieuse de ce que l’on nomme « écologie »? Mais comment?

Un exemple des conséquences de ces tensions. Ferlane, une des porteuses actuelles de l’Utopie, a accepté des filets « horribles », selon ses propos, pour protéger les troupeaux des prédateurs présents – j’allais dire « réintroduits » -, en particulier les loups. Replacer ceux-ci dans leur contexte « historique » (voir mes propos sur les périodes) relève-t-il de l’emprise ou de la déprise? Et continuer à garder des troupeaux de chèvres ou de moutons, dans cette nature plus ou moins hostile? Je me souviendrai longtemps de la jeune bergère rencontrée hier sur mon chemin, vivant seule à une heure de piste du premier village… Pas tout à fait seule, car avec trois magnifiques chiens bergers, mais quand même…

Un autre questionnement à propos des modes de culture actuels. Ici règnent le « bio » et la permaculture. Traction animale, refus d’intrants chimiques, utilisation contingentée de l’eau de la rivière, etc. Un microcosme qui vit, se tient, dure, mais jusqu’à quand? et à quel prix? En quoi sont-ils ou elles (plus souvent elles que eux) acteurs/actrices de cette « déprise »?

2 commentaires sur “Déprise

  1. Pour compléter ce dossier sur la déprise rurale, je me suis intéressé à un article de la « Société de Géographie » intitulé « la déprise commerciale dans les villes moyennes est un phénomène mondial » : « On peut parler de phénomène mondial. Il se traduit par la diminution du nombre d’établissements. Par exemple, en Belgique, le nombre de petits commerces a diminué de 48% entre 1947 et 2015 (Bunik, 2018 [2]). Cette tendance est comparable à celle observée dans d’autres pays développés du monde même si l’intensité, les rythmes et parfois les causes de cette évolution peuvent différer. Cette diminution affecte plus particulièrement les centres-villes. Au Royaume-Uni, alors que le commerce de centre-ville représentait en 2000 50% des dépenses, il n’en constituait plus qu’un peu plus de 40% en 2011 et moins de 40% en 2014 [3] (Portas, 2011 [4]). Dans ce pays, le nombre de commerces de centre-ville a diminué de 15 000 unités entre 2000 et 2009, et même de 10 000 unités supplémentaires entre 2009 et 2011. Les surfaces de commerce ont baissé de 14 % à l’intérieur des villes tandis qu’elles se sont accrues de 30 % en périphérie (op. cit. Portas). Au Japon, le taux de vacance des rues commerçantes traditionnelles couvertes atteint 15% en moyenne nationale mais avec de fort contraste selon la taille des villes considérées : de 9% dans les grandes villes à 20% dans les municipalités de moins de 200 000 habitants qui ne sont pas des capitales régionales (op. cit. Bunik). En Allemagne, la diminution de la population touche certaines villes et a des conséquences sur les commerces de centre-villes… »

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