L’art du détour. Episode 2

Je vous ai laissé hier – haletant-e-s, j’en suis sûre, et attendant avec impatience la suite – sur les hauteurs du Bellet, au milieu des vignes. Objectif : redescendre côté ouest (je vous rappelle que c’est de là que j’étais partie!) pour aller acheter terreau pour agrumes et carburant pas trop cher dans la vallée du Var.

Nouveau chemin en lacet pour commencer la descente. Et tout à coup, une enseigne. Annonçant… un producteur d’agrumes. Vite, volant à droite, pour prendre un petit chemin et pénétrer dans une cour.

Hors du temps. C’est l’expression qui me vient en premier lorsque je sors. Un endroit hors du temps. Des serres. Des outils et engins un peu pêle-mêle. Un vieux Volkswagen décoré de jaune, bleu, etc. Et une maison sans âge, avec large baie vitrée ouverte sur la cour. Des tables rondes en métal et fauteuils semblent attendre des invités du XIXème siècle.

Une dame sort, s’essuyant les mains et s’excusant « Je reviens du marché ». Je lui explique ma quête. « Hélas, nous n’en avons plus en ce moment. Mais nous devrions en recevoir demain. » Pas envie de partir si vite… je poursuis donc la conversation. Et lui demande depuis combien de temps existe cette pépinière. « C’est la cinquième génération », me répond-elle. Je lui fais alors remarquer que cela vaudrait la peine d’écrire l’histoire de la famille. « C’est en cours ». Nous continuons à échanger, et elle m’explique, avant que je ne parte, qu’elle est contente de m’avoir rencontrée, que je suis fort sympathique, dénonçant les gens désagréables qu’elle reçoit parfois. Je quitte à regret ces lieux enchanteurs, me promettant d’y revenir plus tranquillement.

Avant d’écrire ces lignes, j’ai regardé sur le net ce que l’on voyait de cette famille. C’est le fils, Sébastien, qui a repris l’exploitation. On le trouve sur Facebook. Un article sur le net le présente en action. Mais surprise : un autre article de journal sur lui m’apprend que ses agrumes fournissent des tables de grands chefs, mais aussi que son grand-père n’est autre que le peintre Vincent Fossat, dont une rue de Nice porte le nom, et qui figure en bonne place au Musée Masséna.

La famille Del Fossat est d’origine italienne, installée à Nice dès le XVIème siècle. L’originalité de l’oeuvre de ce peintre réside dans le fait qu’il a été le peintre officiel du Muséum d’Histoire Naturelle, au moment de sa création par Barla, en 1846 – à cette époque, le Muséum se situait sur la Place Saint François, dans ce que l’on nomme « La Vieille Ville ». Il avait développé ses talents d’aquarelliste avec le corsaire Ambroise Louis Gameray, et faisait des planches botaniques et des reproductions d’animaux pour le musée, en aquarelles mais aussi en lithogravure comme le montre cet exemple emprunté à un très intéressant article scientifique à son sujet.

Mais en parallèle, il peignait les paysages niçois.

Il a entre autres peint le fameux « Château de l’Anglais » qui a été si défendu par les Nissarts récemment car menacé de destruction, et est actuellement en cours de rénovation.

Et le Pont des Anges qui enjambait le Var près de son embouchure.

Et l’on comprend mieux le nom donné à la Pointe de Rauba Capeu (le vent, « Voleur de Chapeaux »), en voyant cette oeuvre.

Si cela vous intéresse, vous pourrez trouver la biographie de ce peintre dans cet article. On y apprend notamment l’intérêt de Monod pour les oeuvres du Muséum.

« En septembre 1922, l’éminent professeur Théodore Monod, alors jeune assistant au Museum d’Histoire Naturelle de Paris visite le Museum de Nice et ne peut retenir un « long cri d’admiration », en découvrant les aquarelles. Il note dans ses carnets personnels en septembre 1922 : « Figurez-vous qu’il y a là quelque chose d’unique au monde : une collection d’aquarelles merveilleuses de champignons, de plantes et de poissons . Il y en a peut-être cinquante cartons représentant, peut-être, mille planches ou plus . Et tout cela est totalement inconnu, je suis un des rares privilégiés qui connaissent ce trésor inouï et d’une inestimable valeur . C’est l’œuvre d’un peintre -à la fois grand artiste et observateur scrupuleux- qui gagnait cinq francs par jour pour créer de l’Immortel, de la Beauté, les seules choses qui ne puissent passer ni vieillir.»

J’ai trouvé un portrait de lui, mais dont la reproduction est interdite. Vous le verrez ici.

Qu’est-ce qui relie le peintre à la belle propriété horticole? Cela reste à découvrir… En attendant, nous poursuivons la descente vers la Vallée du Var… ce sera l’objet d’un troisième épisode…

Photos ou tableaux ?

Je suis abonnée à une liste de diffusion relative à la photographie (à laquelle j’ai emprunté la photo ci-dessus), et la sélection de ce week-end m’a fait découvrir des oeuvres que j’aurais, dans d’autres contextes, prises pour des tableaux. En l’occurrence, il s’agit de photographies de Phyllis Schwartz, une artiste canadienne qui se présente en ces termes :

« I am a multi-disciplinary artist and curator who works in photography, ceramics and publishing. I am an Emily Carr University of Art + Design graduate with a concentration in photography and the recipient of the Canon Photography Award. » (source)

Bien sûr, je suis partie en quête de son site et l’ai trouvé. Je dois avouer que je n’aime pas tout ce qu’elle fait, mais que j’ai été séduite par quelques photos, qui, comme je le disais, évoquent autant la peinture que cet art. La série Leaving Reality m’a particulièrement intéressée.

Voici ce qu’en dit l’artiste :

« Leaving Reality est un roman graphique lyrique. Chaque image présente une histoire qui peut être interprétée de multiples façons. Ces images juxtaposées et surréalistes invitent les spectateurs à regarder de plus près et à créer leur propre récit unique.

Les images abstraites sont des cyanotypes, des impressions lumineuses [Lumen Print], des chimigrammes et des formes hybrides créées à l’aide de techniques de collage analogiques et digitale. Ce corpus d’œuvres est le résultat d’expériences qui ont débuté en avril 2022 lors d’une résidence d’artiste à la Wallace Stegner House à Eastend, en Saskatchewan, et il a été développé lors d’un mentorat en photographie expérimentale à l’Agora School of Experimental Photography de Barcelone en 2022 et 2023.« 

J’avais déjà entendu parler de cyanotype, mais me revoici confrontée à ce terme étrange… Vous savez ce que c’est? Je vais avoir recours à un blog que j’ai trouvé intéressant : avecunphotographe.fr

« On doit l’invention du procédé en 1842 à Sir John Frederick William Herschel, 1792 – 1871, astronome et chimiste, qui mit au point le procédé en travaillant sur la sensibilité à la lumière des sels de fer. Anna Atkins, une botaniste britannique, 1799-1871, utilisa la technique du cyanotype pour ses ouvrages d’herbiers en photogrammes. Ce fut l’une des premières – sinon la première – publication d’ouvrage photographique !« 

« Après avoir préparé un négatif numérique, il faut un peu de ferricyanure de potassium, du citrate de fer, une feuille de papier et de l’eau. Après exposition à la lumière du jour, le tirage est simplement lavé et le cyanotype est fait !« 

Facile, non? Mais, comme le dit l’auteur de ce blog, qui ne manque pas d’humour, « il est facile d’apprendre les trois accords de guitare mais avant de jouer du Django il y a du chemin à parcourir.« 

Vous l’aurez compris, Phyllis Schwartz ne se contente pas de cyanotypes, elle allie cette technique à d’autres… Allez voir son « cyanotypes portfolio« … l’art de s’inspirer de la botanique!

Une journée de rencontres. Episode 4 : la Fraternité Vietnamienne

Cette journée du samedi 18 février a été si riche que je ne parviens pas à en sortir! Nous nous sommes quittés, souvenez-vous, au Parc Monceau et au Musée Cernuschi. J’avais parlé de 7 rencontres. Si vous avez bien compté, il y en eut déjà 4 au Musée : l’artiste Young-sé Lee et les trois charmantes dames rencontrées lors de sa démonstration. J’aurais pu aussi, comme je vous l’ai dit, ajouté la personne adorable qui fait l’accueil de l’exposition, mais je ne l’ai pas comptée. De retour du Musée, il faut penser aux nourritures plus terrestres… Or il est un restaurant où j’ai souvent eu envie d’entrer sans jamais oser le faire.

C’est sans conteste l’un des plus petits, pour ne pas dire minuscules, de la capitale. Imaginez une devanture composée d’une porte et d’une fenêtre… Une pièce où l’on a peine à circuler entre 7 ou 8 tables… et, au bout, une toute petite cuisine. Au mur, des posters du Vietnam et des images pieuses. Tout est simple, vivant, « vrai ». A mon arrivée, une table est occupée par deux messieurs. Sur une autre mange celle que l’on imagine être la cuisinière, à en juger par sa charlotte (sur la tête, pas dans l’assiette). Un petit bout de femme, tout sourire, nous accueille, nous souhaite la bienvenue, demande où nous souhaitons nous installer, puis apporte une carte. Je choisis. Elle me suggère de changer de choix, me propose, à la place des nems, une autre entrée. J’accepte. Et je n’ai pas regretté ! C’était tout simplement divin!

Mais avant cela, la cuisinière avait fini son Pho. Et j’ai assisté à une scène que je n’aurais jamais imaginée. Le « client » de la table d’en face s’était levé, était allé choisir une bouteille de vin parmi la dizaine située sur une étagère au fond du restaurant, l’avait débouchée, et en avait proposé à la dame, qui a accepté. Mais le vin n’était pas destiné au verre : il l’a versé dans la soupe. J’ai ainsi retrouvé, dans ce petit restaurant vietnamien, ce que mon grand-père d’adoption faisait quand j’étais petite : chabrot.

« Chaque matin, il faisait chabrot, vidait une chopine de rouge sur le bouillon, dans son écuelle. Rien de tel pour reprendre vigueur (Pourrat, Gaspard des Montagnes,La Tour du Levant, 1931, p. 172) »

Bon, il avait bien un béret (il était « cadet de Gascogne », comme il disait avec accent), il versait bien le vin dans son fond de soupe ou de potage, mais il ne buvait pas à l’assiette, il se servait d’une cuillère. Et ce sont sans doute les premières gouttes d’alcool que j’ai bues, car, quand j’ai commencé à grandir, il m’a laissé faire comme lui…

Petit intermède culturel, si vous permettez. Pourquoi « chabrot »? Je voyais un lien linguistique avec « chèvre », et j’avais raison. C’est bien la racine « capra » que l’on retrouve. « Capra », c’est la chèvre. « Capreolus », le chevreuil. L’idée est qu’on lape la soupe agrémentée de vin comme les capridés lapent l’eau…

« Étymol. et Hist. 1876 chabrol (A. Daudet, Jack, t. 2, p. 50); 1876 chabrot (Gaz. des trib. ds Littré Suppl.). Terme prob. originaire du Périgord (fa chabroù « boire du vin dans du bouillon » d’apr. FEW t. 2, p. 304b) d’où il a passé en Limousin : fa chabroù, fa chabrol (Mistral, s.v. cabroù) et dans d’autres dial. occitans comme le gascon où il est relevé par Lespy sous les formes chabrò, chabròl, chabrot; chabroù (chabrol) proprement « chevreuil » (Mistral, loc. cit.) est issu du lat. capreolus, la forme chabrot s’expliquant par substitution du suff. -ottu, v. -ot. Le syntagme fa chabroù a tiré sa signification partic. de béue à chabro littéralement « boire comme une chèvre », c’est-à-dire « boire dans son assiette ». (CNTRL)

Donc, pour en revenir à nos moutons (pardon, nos capridés, pas ovidés), le client se sert, travaille, et sert la cuisinière qui « fait chabrot ». Inattendu, non?

La conversation s’est donc tout naturellement engagée avec les deux hôtes voisins. Celui qui s’était servi est un vieux client de la maison, et m’a racontée qu’elle était tenue avant par une vieille Vietnamienne, qui vivait dans une chambre au-dessus. Une immigrée qui avait choisi de rester en France, un « personnage », cette Maï, d’après lui. Elle est décédée il y a trois ans, et c’est lui, en tant qu’agent immobilier (son agence est toute proche, rue Santon, qui a effectué la vente à la nouvelle propriétaire, la jeune femme qui m’a accueillie. Et qui est venue s’asseoir et discuter avec nous. Arrivée en France pour faire ses études, elle a choisi d’y rester, elle aussi. Elle a passé un doctorat, a été « qualifiée » pour devenir « maître de conférences » (être titularisée pour enseigner en université), mais est « barrée » pour obtenir un poste, selon ses dires. Apparemment, son objet, l’enseignement catholique au Vietnam, suscite des réticences. J’ai trouvé trace de cette thèse sur le net. La soutenance a eu lieu à l’Université Paris Diderot le 25 mai 2016.

« 10:25 – 11:15 Le Thi Hoa (SPHERE)
L’histoire du système éducatif catholique au Vietnam de 1930 à 1990.« 

« Cette thèse vise à saisir l’histoire de l’éducation catholique au Viêt Nam aux XIXe et XXe siècles, en particulier la formation des prêtres et des catéchistes depuis l’époque des vicaires apostoliques occidentaux jusqu’en 1975 au Sud. Il est indéniable que l’enseignement profane catholique s’est appuyé sur la politique éducative de la colonisation française au début du XXe siècle et s’est développé sous les première et seconde Républiques du Sud Viêt Nam. La thèse situe en effet l’évolution de l’enseignement – public et privé – à travers les mutations de la société vietnamienne : persécution contre les chrétiens, colonisation française, guerre d’Indochine à partir de 1946, accords de Genève et exode de catholiques vers le Sud en 1954, proclamation de Diêm comme président de la République du Sud en 1955, érection de la hiérarchie ecclésiastique en 1960 qui change le rôle des missions. L’enjeu de notre travail n’est pas de contribuer à l’écriture d’une « contre-histoire » du catholicisme vietnamien et de sa place dans l’éducation mais de proposer une plus juste relecture de la place des catholiques dans l’histoire moderne et contemporaine du Viêt Nam. »

Vous pouvez voir ses articles sur le net. Elle publie sous le nom de Marie Le Thi Hoa. Ici, sur le rôle des papes dans la paix au Vietnam. , sur les réfugiés catholiques au Vietnam et en France.

Donc, en attendant, elle tient ce restaurant toute la semaine, sans aucun jour de fermeture; le lendemain, elle attendait 12 personnes pour un anniversaire. En y retournant la semaine suivante, j’ai appris qu’en réalité il y avait eu deux anniversaires ce jour-là, et elle était tout heureuse de me raconter cela.

Un couple entre, est accueilli, s’installe à une table toute proche. J’ai oublié de signaler que le Monsieur, après avoir servi la cuisinière, avait rempli nos verres aussi. Comme j’avais acheté une bouteille (choisie par moi, prix unique 14 euros!), j’ai proposé à ces voisin-e-s un verre, et la conversation s’est engagée. Elle, en reconversion professionnelle, est apicultrice dans le Val d’Oise et fait des études à l‘Ecole des Plantes. J’ignorais totalement l’existence de cet établissement! Nous avons donc parlé « abeilles » et surtout échangé autour de la difficulté à être reconnu comme « herboriste », dans un pays au lourd passé, concernant l’usage des plantes.

« En Europe, à partir du Moyen Âge, trois corporations se différencient et sont souvent en lutte : les herbiers (dénomination médiévale) qui deviendront les herboristes, qui récoltent et vendent des plantes indigènes séchées (médecine la moins chère et disponibles pour tous à l’époque) ; les apothicaires (qui deviennent pharmaciens au XIXe siècle, avec une école nationale et une centralisation de l’organisation du métier ; ce sont alors les pharmaciens qui forment les herboristes qui sont tolérés, mais souvent critiqués par les pharmaciens) qui fabriquent et vendent des remèdes plus complexes et préparés à base de plantes, de minéraux et de substances animales ; et les médecins qui soignent souvent des personnes et des animaux et ont obtenu des monopoles sur le suif des chandelles, ou les poids et mesures. La médecine des simples est en partie inspirée de la « médecine des signatures » qui lie la santé aux équilibres de l’univers et sous-tend une prédétermination divine. »

Sans oublier le sort réservé aux femmes expertes en ce domaine, qui finissaient souvent en cendres, car considérées comme « sorcières »!

Mais la jeune femme n’avait rien d’une sorcière, rassurez-vous. Elle et son époux avaient pour une fois confié leurs deux bambins aux grands-parents pour profiter de Paris, où lui travaille en ce moment en tant que spécialiste d’échafaudages, sur le chantier de Notre Dame. Donc tout près de ce restaurant, situé au 65 rue Galande. Lui n’a jamais aimé les études, et son père, pour lui donner une leçon, l’avait fait embaucher dans une entreprise d’échafaudages. Pas de chance pour le papa: le garçon s’est pris au jeu, a aimé ce métier, et est maintenant responsable dans l’entreprise à qui a été confié ce chantier immense!

Un moment donc de convivialité, d’échanges, de voyages dans les espaces et dans les vies. De quoi oublier guerre, luttes et morosité ambiante… Pour une vraie chaleur humaine, une vraie « fraternité ». Ce mini-resto mérite bien son nom! Ce n’est pas le cas d’Eataly, qui pourtant l’expose en grand, et où cela fait deux fois que je renonce à dîner tant l’ambiance y est désagréable et l’accueil peu sympathique.

Retour aux sources

Le repos au bord du ruisseau, Sisley (1872)

Il y a sept sources dans le terrain de la demeure où je suis « confinée ». Et, chaque jour, les voir jaillir, entendre sourdre l’eau claire entre bruyères et primevères me redonne confiance en la vie, me « re-source »… Je me sens nymphe, sylphide… je me vois sirène… Et je vais chaque jour dégager l’espace, nettoyer le lit, ouvrir les vannes pour que s’écoule l’eau, que coule le ruisseau, portant vers la rivière, puis le fleuve, puis la mer mes rêves d’évasion…

Les tourbillon de Naruto à Awa, Hirochige (1855)

Le Ruisseau

Du creux de la roche moussue
La petite source jaillit.
Du Grand-Salève elle est issue
Et deux brins d’herbe font son lit.

Dans l’ombre on l’entend qui bégaie
Comme un enfant sur les genoux,
Bientôt plus forte elle s’égaie
Et s’amuse avec ses cailloux.

Elle brode de cascatelles
Les blocs à remuer trop lourds,
Comme l’on coudrait des dentelles
Sur une robe de velours.

Les filles de la flore alpestre,
Prenant le frais près de ses eaux,
Écoutent son joyeux orchestre
Soutenant le chant des oiseaux.

De tous les coins de la montagne
Elles s’y donnent rendez-vous,
Chacune amène sa compagne
Et les baisers y sont plus doux.

On n’a que quatre pas à faire
Pour trouver au bord du ruisseau
Le cyclamen que Sand préfère
Et la pervenche de Rousseau.

Théophile Gautier, 1869

Cyclamen de Naples

« Un ruisseau coule dans la cannelure formée par la rencontre des deux pans. Au point où leur écartement cesse, il se précipite dans des profondeurs effrayantes, et forme, au lieu de sa chute, un petit bassin entouré de roseaux et couvert d’une fumée humide. Autour de ses rives et sur les bords du filet d’eau alimenté par le trop- plein du bassin, croissent des bananiers, des letchis et des orangers, dont le vert sombre et vigoureux tapisse l’intérieur de la gorge. C’est là que Ralph fuyait la chaleur et la société ; toutes ses promenades le ramenaient à ce but favori ; le bruit frais et monotone de la cascade endormait sa mélancolie.

Quand son cœur était agité de ces secrètes angoisses si longtemps couvées, si cruellement méconnues, c’est là qu’il dépensait, en larmes ignorées, en plaintes silencieuses, l’inutile énergie de son âme et l’activité concentrée de sa jeunesse.« 

George Sand, Indiana (1832) Source

« .. Je donnerai de ces souvenirs un seul exemple qui pourra faire juger de leur force et de leur vérité. Le premier jour que nous allâmes coucher aux Charmettes, maman était en chaise à porteurs, et je la suivais à pied. Le chemin monte ; elle était assez pesante ; et, craignant de trop fatiguer ses porteurs, elle voulut descendre à peu près à moitié chemin pour faire le reste à pied. En marchant elle vit quelque chose de bleu dans la haie, et me dit : « Voilà de la pervenche encore en fleur. » Je n’avais jamais vu de la pervenche, je ne me baissai pas pour l’examiner, et j’ai la vue trop courte pour distinguer à terre les plantes de ma hauteur. Je jetai seulement en passant un coup d’oeil sur celle-là, et près de trente ans se sont passés sans que j’ai revu de la pervenche, ou que j’ai fait attention. En 1764, étant à Cressier avec mon ami M.du Peyrou, nous montions une petite montagne au sommet de laquelle il a un joli salon qu’il appelle avec raison Bellevue. Je commençais alors d’herboriser un peu. En montant et regardant parmi les buissons, je pousse un cri de joie : »Ah ! Voilà de la pervenche ! et c’en était en effet. »… »

Jean-Jacques Rousseau, Confessions, tome 1 (1836)

Moorgraben, Paula Mendelson-Becker (autour de 1900)