Un fest-noz en Normandie

Je vous ai laissé-e-s hier à Belleville-sur-Mer, plus exactement à l’entrée de la salle de spectacle, Scène-en-Mer. Trois groupes étaient annoncés pour fêter la Saint Patrick. Pénétrons donc dans ces lieux de culture celtique en plein pays normand…


Le premier a suscité mon étonnement. Un groupe de grands gaillards que l’on pourrait imaginer tout droit sortis des Highlands. En tenue superbe d’Ecossais. Le nom du groupe? Celtik en Caux. Voilà qui fait moins écossais, n’est-ce pas? Effectivement, ils sont bien du Pays de Caux, en Normandie. Un groupe de passionnés qui a fait partager sa connaissance du pays du Chardon, en présentant un savoureux cocktail d’histoire de l’Ecosse et de ses héros, de films consacrés à ce pays et de musique du cru. Je ne résiste pas à l’envie de vous faire voir leur « blason », qui allie Normandie et Ecosse…

Les musiciens se répartissent ceux des héros, au gré de ressemblances plus ou moins fantaisistes, car l’humour ne leur fait pas défaut.

J’ai tenté de capter quelques extraits, pour que vous en ayez une idée, mais le résultat n’est pas formidable. En ce petit village, la soirée a compté presque 500 participants payant!

Changement de tonalité (dans tous les sens du terme) avec le deuxième groupe, Ormuz. Beaucoup plus chantant, beaucoup plus poétique aussi. Et beaucoup plus breton, même si la plupart des chansons étaient hélas interprétées en français. Le fil conducteur choisi par le groupe est une noce bretonne, archive INA des années 1900. Vous pouvez regarder la vidéo sur YouTube. A chaque épisode les artistes relient une chanson. Par exemple, cette interprétation d’une chanson religieuse, Santez Anna, qui venait d’être introduite par une scène comique et quelque peu satirique : un prêtre sur scène, dont il est dit qu’il ne monte pas en chaire à moins de 8 grammes (d’alcool dans le sang!) et qu’il a inventé le Godspel breton…

Pour entraîner dans les ridées et andro, un petit groupe de personnes en magnifiques costumes bretons était venu d’une association, Les Bretons du Havre (source des photos : le site de l’association).

Les coiffes de Lorient adaptées à l’âge des femmes : la plus âgée avait la plus ancienne, mais aussi la plus belle.

Le public s’est élancé sur la piste… de quoi constater que peu provenaient de Bretagne, à en juger par l’inexpérience et la difficulté à apprendre!

Le dernier groupe va reprendre le flambeau, côté danse.

Le premier groupe était local, le deuxième venait du Nord, ce dernier arrivait de Dijon… et, si le morceau écouté vous a paru assez calme, Lemonfly a fait une entrée fracassante avec du Métal, qui rompait avec ce qui avait précédé. Son répertoire est très varié, et le batteur a le sens de l’animation, c’est le moins qu’on puisse dire! On a même eu droit à un demi strip-tease… et au déploiement d’une grande banderole pour nous apprendre le breton. Qu’était-il écrit dessus? Nanananananananananeno!

Saint Patrick peut donc reposer en paix (il a été bien fêté!) mais pas trop, si ces musiques et chants, entonnés à la fin par tout le public, lui sont parvenus, en alliant le trèfle au chardon et aux coquelicots.

Barzaz Breiz à La Madeleine (1)

Barzaz Breiz, écrit parfois avec un tiret, vous connaissez peut-être? Sinon, revenons dans le passé.

Nous sommes dans les années 30. Pas de ce siècle ni du précédent, non. Du 19ème. A Paris vivent de nombreux Bretons, dont des étudiant-e-s qui ont suivi des études secondaires dans leur région, mais viennent poursuivre dans la capitale. De nombreux banquets bretons voient se développer les discours autour de l’identité bretonne, tellement mise à mal depuis la Révolution (merci, l’Abbé Grégoire!). Un cercle de jeunes gens se réunit ainsi autour de Le Gonidec. Qui est cet homme? Ni plus ni moins que celui qui a unifié l’orthographe et la grammaire de la langue bretonne. Celtomane, Jean-François, Marie, Maurice, Agathe Le Gonidec de Kerdaniel est considéré comme l’un de ceux qui ont permis au breton d’obtenir le statut de « langue », puisque ses codes étaient dès lors fixés. Au détriment de la richesse des différentes langues parlées sur le territoire breton, soit dit en passant. Mais uniformisation et reconnaissance exigent…

A ce moment, il a déjà beaucoup oeuvré et publié, dont un Nouveau Testament en breton qui lui a valu bien des difficultés avec l’Eglise. Il est en train de préparer ce qui sera sa dernière oeuvre, ce dictionnaire breton-français.

Nul ne le sait à ce moment, mais lorsqu’elle paraît en 1837, il ne lui reste qu’un an à vivre : il mourra l’année suivante, à seulement 63 ans. Sa dépouille sera transférée de Paris à Lochrist, près du Conquet, son lieu de naissance.

Si je vous ai placé la photo du monument funéraire, photo issue de la page Wikipédia, c’est que le monument a une spécificité : il a été érigé en commun par les Gallois et les Bretons, et comporte donc trois langues : Gallois, Breton, et, dans une moindre mesure (il faut hiérarchiser!), Français. Mais voici, en français, la traduction de l’inscription en breton.

« Le Gonidec, homme de bien,
son nom est ici,
en témoignage d’éloge sincère
et du plus tendre amour,
sur une colonne de pierre élevée
par des frères Bretons
de la petite Bretagne, et de
la Grande-Bretagne, Celtes,
parce qu’il aimait son pays
et sa langue bretonne
en laquelle il fit un dictionnaire
et aussi une grammaire,
et parce qu’il traduisit, le premier
toute la Sainte Bible
dans la langue des Bretons.
Œuvre grande, bonne, céleste.

Mais revenons au Barzaz Breiz. Parmi les jeunes gens qui entourent (et sans doute admirent) Le Gonidec, figure le jeune Théodore Hersart de La Villemarqué, natif de Quimperlé. En 1837, il a 22 ans, mais ce brillant titulaire du baccalauréat littéraire, qui s’est inscrit en élève libre à l’Ecole des Chartes, a participé à certains travaux de Le Gonidec et il n’est pas le dernier à se montrer virulent lorsqu’il s’agit de défendre la Bretagne, le « bro ». Persuadé que les  gwerzioù  permettent de retracer une histoire de la Bretagne dont on ne fait que peu de cas dans l’histoire générale de la France, il note depuis 4 ans sur des carnets des chants de la région de Nizon, avant d’élargir son terrain d’enquête vers la Haute-Cornouaille. Son travail ne sera pas reconnu comme « scientifique », et c’est à compte d’auteur que paraît, en 1834, le Barzaz-Breiz.

Mais savez-vous ce que sont les gwerzioù (pluriel de gwerz)?

« Le terme gwerz désigne en fait une forme de chant particulière au répertoire en langue bretonne : une gwerz est un récit chanté, une forme de complainte, de ballade, de mélopée… Eva Guillorel en donne cette définition dans son ouvrage La complainte et la plainte : « […] il s’agit de pièces longues qui décrivent des faits divers tragiques à caractère local, qui montrent un important souci du détail dans les situations décrites et qui rapportent généralement avec une grande fiabilité le souvenir de noms précis de lieux et de personnes […] ».

Les chanteurs intervenaient à maintes occasions, dont les pardons, comme on le voit sur la photographie ci-dessous (source)

En quelque sorte, c’est la version bretonne des aèdes qui transmettaient l’histoire de la Grèce Antique, comme Homère, ou des griots qui portent la mémoire des peuples d’Afrique, encore à l’heure actuelle.

Une coïncidence? Vous savez qu’on dit qu’Homère était aveugle… Voici la photo d’un célèbre chanteur breton…

Puisque je parle d’Homère, c’est le moment de situer l’anecdote suivante : George Sand fut tellement enthousiasmée par le Barzaz Breiz qu’elle dit le situer au-dessus de l’Iliade…

Je ne vais pas continuer sur le sujet, mais, s’il vous intéresse, je vous conseille d’aller voir ce site très riche. Pour un aspect linguistique, c’est ici. On peut en entendre avec des interprétations par des Breton-ne-s, sur You Tube. Par exemple ici ou ici. Bien évidemment, les chanteurs/euses plus connu-e-s s’en sont saisi-e-s. C’est le cas de Denez Prigent, entre autres, dont vous pourrez écouter de nombreuses interprétations. Un reportage de l’INA, aussi, à voir. On y assiste à une séance de collectage de gwerz qui doit ressembler à ce qu’a vécu le jeune La Villemarqué. Une exposition au Manoir de Kernault, il y a 10 ans, présentait ses carnets.

Vous devez vous demander pourquoi je « disserte » sur Le Gonidec, La Villemarqué et les gwerziou.

C’est simple : si on ne connaît pas cette Histoire, on ne peut pas saisir toute l’émotion ressentie hier après-midi en entendant interpréter ces chants et ces récits par de jeunes Bretons, dans un lieu très symbolique de Paris : l’Eglise de la Madeleine. Car c’est ce à quoi j’ai assisté, en ce dimanche 22 janvier, et dont je suis sortie tellement émue que j’ai décliné l’invitation à prendre un verre d’un couple fort sympathique et intéressant, tout aussi amoureux de la Bretagne que moi, et que j’espère revoir bientôt. Une émotion partagée. Je vous en parlerai. Dans un prochain article…

Reflets

Voici une éternité que je n’ai pas poursuivi la série de photos que j’avais intitulée « Reflets »… certaines ou certains d’entre vous s’en souviennent peut-être?

Lors de la récente promenade au Luxembourg, que vous avez peut-être suivie dans mes précédents articles, j’avais remarqué une nouvelle exposition de photographies sur les grilles entourant le Jardin. Donc, bien évidemment, j’ai voulu aller la voir à la sortie.

Et j’ai d’abord « pesté » contre les acteurs de cette exposition. Oui, je sais, j’aurais pu dire « maugréer », « fulminer »…

Pourquoi?

Eh bien, les photos étaient totalement parasitées par les reflets. Sans doute parce que le support est extrêmement brillant? Donc, vous imaginez ma colère. « Ils n’auraient pas pu utiliser du mat? » « Quel dommage ! » « Comment peut-on être aussi peu prévoyant? » etc.

Une fois ce premier moment de mauvaise humeur passé, je me suis prise au jeu. C’était finalement assez intéressant de confronter la réalité ambiante (un couchant sur le carrefour au bas de la rue Soufflot) et la beauté des paysages celtiques, objets de ces photos.

Alors j’ai repris mon Iphone, pour essayer de saisir cet effet miroir plus que surprenant…

Série 1

L’original : Château de Dunottar

Série 2

L’original : Cap Fréhel

Série 3

Rochers sculptés de Rothéneuf - Terres Celtes
L’original : Rochers sculptés de Rothéneuf

Alors, si vous voulez aller admirer les photographies de Philippe Decressac, je vous conseille une autre heure, ou un jour moins ensoleillé, ou les deux… A moins que vous ne préfériez les voir sur le site consacré à cette exposition, et dont j’ai extrait les photographies « réelles » : https://terresceltes.fr/