De l’arbre au navire

Cet article marque la fin de la série consacrée à mon récent séjour au Pays Basque… et de ceux qui concernent la vie maritime à Saint-Jean-de-Luz. En réalité, c’est peut-être par lui que j’aurais dû débuter la série, car c’est par la visite de cette exposition que tout a commencé. Vous en avez déjà vu une partie, à savoir les maquettes. Mais un autre objectif en est d’apporter, de manière très pédagogique, voire andragogique – n’ergotons pas! – des précisions sur les chantiers navals très présents naguère à Donibane Lohizune et dans les autres bourgades de la côte et de l’intérieur des terres.

Pourquoi parlè-je de péda- ou andra- gogie? Tout simplement parce qu’on y apprend beaucoup sur la conception et la construction des embarcations de jadis, sous forme de posters très bien conçus et d’objets leur correspondant. Je vous propose donc une petite balade dans l’univers laborieux du Labourd d’autrefois (excusez le mauvais cadrage de certaines photos, mais la plupart étaient très en hauteur, et je ne disposais pas d’échelle à roulettes!).

Bien sûr, pas question de reprendre toute l’exposition : je focaliserai sur quelques-uns des thèmes.
D’abord, pour faire un bateau, à cette époque, il faut du bois et du chanvre… Or le Pays Basque regorge de zones sylvestres… Et, quand on recherche des essences exogènes ou exotiques, le commerce maritime est bien vivant…

Quant au chanvre, sa culture dans le sud-ouest de la France est attestée depuis l’époque romaine, et certains chercheurs émettent l’hypothèse qu’elle remonterait à la Préhistoire.

« Les débuts de la culture du chanvre (Cannabis sativa) en France et en Europe occidentale sont mal connus. Jusqu’à présent, les plus anciennes mentions de semences dans cette zone n’étaient pas antérieures à l’époque romaine. Le site humide de fond de vallée d’Al Poux (Fontanes, Lot) a livré des akènes qui tendent à attester la culture du Cannabis dans le Sud-Ouest de la France à la fin de l’âge du Fer. La présence des semences sur le site pourrait résulter d’une culture du chanvre directement sur les bords du ruisseau ou d’un apport des plantes après la récolte pour leur rouissage dans le cours d’eau. Le rôle particulier des contextes humides dans la conservation des semences de chanvre est souligné. » (source)

Les savoir-faire du chanvre textile sont entrés au Patrimoine immatériel de l’UNESCO.

« Jusque dans les années 1960, les agriculteurs entretenaient fréquemment
une petite parcelle de chanvre pour leurs besoins domestiques. Les femmes filaient et tissaient encore à la ferme… »
(source)

Ce n’est pas le sujet, mais notons qu’au Pays Basque son exploitation s’est amplifiée depuis quelques années, avec la relance du textile, au point qu’un article titre « A Saint-Jean-de-Luz, ils sont complètement « chanvrés » (sic)

Par contre, beaucoup plus en lien avec l’exposition, un article sur Le travail du chanvre et ses applications à la navigation et à la pêche dans l’Espagne médiévale vous intéressera sans doute. Mais revenons à l’exposition… Je passe plusieurs panneaux expliquant la gestion forestière au niveau national et la « merveille » que représente la construction des voiliers, pour aller directement au travail du bois pour construire un bateau.

J’ai appris que le gouvernail axial était dénommé « à la bayonnaise »…

J’emprunte les lignes et la photo qui suivent au site « Détours en France ».

« Pour les navigateurs d’autrefois, qui affrontaient les mers les plus lointaines sans GPS ni pilote automatique, bien diriger le bateau était crucial. Le gouvernail d’étambot, qui fut un excellent substitut à la rame de gouverne, est probablement apparu en Extrême-Orient peu après l’an mille puis, deux siècles plus tard, dans les pays scandinaves. Par le jeu mystérieux des assonances et associations d’idées, il en vint plus tard à prendre le nom de « gouvernail à la bayonnaise ». Si les gens de Bayonne, marins chevronnés, n’en sont pas vraiment les inventeurs, ils sont parmi les premiers à l’avoir utilisé systématiquement, sur leurs « naus » au long cours, et à l’avoir représenté, dès le XIVe siècle : levez la tête vers la clé de voûte de la cathédrale Sainte-Marie et vous le verrez ! »

Le Musée Basque en présente un exemplaire magnifique, jugez-en vous-même :

Conséquences (inattendues?) du développement de l’industrie…

J’ai eu la chance d’assister hier à une conférence très intéressante, dont le thème était l’influence des estampes japonaises sur la peinture française de la fin du 19ème et de la première moitié du 20ème siècle.

JLa conférencière maîtrisait visiblement son sujet, et a réussi à captiver un public nombreux, en plein après-midi de cette belle journée ensoleillée, avec un exposé très bien et très abondamment illustré. Je ne vais, bien évidemment, pas le reprendre ici. Sachez, pour votre intérêt, qu’il est en ligne : elle propose, sur son site, d’accéder à ses conférences en ligne, pour la modique somme de 7 euros… et elles les valent largement!

Un petit mot au passage aussi pour l’association organisatrice, que je découvrais à cette occasion, et dont je viens d’ouvrir la page Facebook. Elle propose visiblement un programme très intéressant!

Pas question, comme je le disais, de « piller » ni même dévoiler le contenu très riche de l’exposé. Juste quelques points qui m’ont particulièrement marquée, et que je vais vous présenter sous forme de jeu. Voici longtemps que je ne vous avais pas fait jouer!

Influences du Japon

Observez donc les tableaux ci-dessous, et tentez d’y retrouver des éléments qui évoquent le Japon…

Commençons par l’artiste qui possédait une impressionnante collection d’estampes, Van Gogh…

Enigme 1 : quel mont est représenté sur ce tableau?

Enigme 2 : quels points communs entre l’estampe de Korin Ogata (18ème) et le tableau de Van Gogh (1889)?

Continuons avec Manet…

Enigme 3 : Zola est représenté par le peintre, assis à son bureau, à Paris. Pourtant, le Japon est bien présent. Comment? Attention, deux réponses sont faciles, la troisième l’est beaucoup moins. Et je ne parle pas de la manière dont l’écrivain est représenté!

La villa de Giverny regorgeait d’estampes, et Monet ne s’est pas privé de s’en inspirer (pensez aux nymphéas!). (Source de l’image)

Enigme 4 (pour rire un peu) : quels éléments rappellent le Japon dans le portrait de son épouse (1876)?

Enigme 5 (encore plus!) : quel élément du décor de son jardin, évoquant le Japon, Monet a-t-il peint 47 fois (enfin, dans les tableaux qui nous sont parvenus!)?

Plus difficile cette fois : de quelle nationalité est le peintre qui est à l’origine de l’oeuvre suivante (1888)?

Enigme 7 : de qui est ce tableau qui fut considéré comme « japonisant », et pourquoi?

Mais pourquoi ces influences? Deuxième manche du jeu!

Pourquoi ces influences, à ce moment précis?

Question 1. Qui est représenté sur ce tableau? En quoi est-ce en lien avec le « japonisme »?

Question 2. On parle de « japonisme » à cause de cet homme. Mais qui est-ce? En quelle année eut-il l’idée de désigner ainsi le mouvement?

Question 3. Une adresse à Paris : le 22 rue de Provence. On y allait chez un personnage portant un prénom wagnérien mais un nom à consonance asiatique. Qui était-il? Et pourquoi allait-on chez lui?

Question 4. Un « Musée rétrospectif »… cela fait un peu « pléonasme », non? Dans le « Palais de l’Industrie »… inattendu, non ?

Et pourtant! Il eut lieu en 1965… Combien d’oeuvres originaires d’Asie y sont présentées?

Question 5 : Une délégation japonaise vint à Paris en 1867… à quelle occasion? Quels liens avec le « japonisme »?

Question 6. Deux ans plus tard, une exposition étonnante…

Question 7. Encore des expositions! On voit bien les dates, mais ils ont oublié l’année! Quelle était-elle?

On assiste ainsi, en trois décennies, à une véritable expansion du japonisme. Est-ce à dire que les oeuvres japonaises n’étaient pas connues avant? Que nenni, mais c’est une autre histoire.

Je ne veux pas finir sans évoquer deux artistes dont a abondamment parlé la conférencière hier et que, pour ma part, je ne connaissais pas (encore des lacunes, direz-vous!).

Winslow Homer

« Winslow Homer débute comme reporter dessinateur durant la guerre de Sécession, avant de peindre des scènes décrivant le quotidien de l’armée et du monde rural dans la précision naturaliste qui dominait alors la peinture américaine. Après un séjour parisien, Homer adopte un temps la palette impressionniste, puis trouve sa marque définitive, entre réalisme et symbolisme. » (Musée d’Orsay)

Quels liens avec le japonisme? Il passe par un voyage en France, où cet Américain né à Boston découvre les peintres de l’Ecole de Barbizon – et souvenez-vous qu’un des grands de cette Ecole fut Daubigny, l’un des maîtres de Van Gogh (voir article de 2023), et va sans doute aussi fréquenter les milieux artistiques et les expositions à Paris. Souvenez-vous, 1867, c’est la date de l’Exposition Universelle évoquée ci-dessus!

Le tableau qui suit devrait en évoquer d’autres, pour vous…

Il est parmi les premiers peintres à avoir « tronqué » des objets, et ainsi fait en sorte que le hors-champ, par son absence, devienne si puissant.

En 1887, Monet va inverser l’orientation, remplacer la voile par les rames, et les hommes par les femmes…

On trouve sur le net de nombreuses vidéos qui présentent l’immense oeuvre de l’artiste, mais quasiment toutes en anglais. Je vous laisse donc choisir… Mais pour une présentation de l’homme, je vous conseille la National Gallery.

Henri Rivière

Encore un peintre que je connaissais pas, et qui fut fort inspiré par le Japon. Voici ce qu’en dit la présentation sur Gallica (BNF).

« Henri Rivière (1864-1951) a commencé sa carrière par le dessin et l’eau-forte avant de devenir, en 1886, metteur en scène et scénographe du théâtre d’ombres au cabaret du Chat noir, situé au pied de la butte Montmartre. En 1890, sous l’influence de l’estampe japonaise qu’il collectionne, il découvre la gravure sur bois en couleurs, dont il maîtrise toutes les étapes, du broyage des couleurs à l’impression. Ses suites, nées de la fréquentation régulières des côtes bretonnes, l’inscrivent dans l’histoire de l’estampe comme un acteur majeur du renouveau de l’estampe en couleurs. Il donne aussi ses lettres de noblesse à la lithographie en couleurs grâce à plusieurs séries de paysages (Le Beau pays de Bretagne, La Féerie des heures, Aspects de la nature), dont certains inspirés par la capitale (Paysages parisiens et Les Trente-six vues de la Tour Eiffel). En 2007, son fonds de l’atelier, entré par dation, est venu enrichir les collections du département des Estampes et de la photographie. »

Henri Rivière avait réuni une impressionnante collection d’estampes japonaises, comme l’explique le site de la BNF, Gallica.

On comprend qu’elles aient inspiré son oeuvre…

Candide en Floréal…

Le jardin de Millet à Barbizon, Millet

Je te salue, ô Terre, ô Terre porte-grains,
Porte-or, porte-santé, porte-habits, porte-humains,
Porte-fruits, porte-tours, alme, belle, immobile,
Patiente, diverse, odorante, fertile,
Vestue d’un manteau tout damassé de fleurs
Passementé de flots, bigarré de couleurs.
Je te salue, ô coeur, racine, baze ronde,
Pied du grand animal qu’on appelle le Monde,
Chaste espouse, du Ciel, asseuré fondement
Des estages divers d’un si grand bastiment.
Je te salue, ô soeur, mere, nourrice, hostesse
Du Roy des animaux. Tout, ô grande princesse,
Vit en faveur de toy. Tant de cieux tournoyans
Portent pour t’esclairer leurs astres flamboyans ;
Le feu pour t’eschauffer sur les flotantes nues
Tient ses pures ardeurs en arcade estendues ;
L’air pour te refreschir se plait d’estre secoux
Or’ d’un aspre Borée, or’ d’un Zephyre doux ;
L’eau, pour te destremper, de mers, fleuves, fonteines
Entrelasse ton corps tout ainsi que de veines

Hé ! que je suis marri que les plus beaux esprits
T’aient pour la plupart, ô Terre, en tel mépris :
Et que les coeurs plus grands abandonnent superbes,
Le rustique labeur et le souci des herbes
Aux hommes plus brutaux, aux hommes de nul prix,
Dont les corps sont de fer, et de plomb les esprits …

Guilhem Sallusti deu Bartàs (1544-1580)

Dans le jardin du bey, John Frederick Lewis

Que faire quand on ne sait plus de quoi sera fait l’avenir et qu’on ne peut plus faire tout ce que l’on aime? Nous assistons en ce moment, pour une partie de la population, à un vrai retour à la terre. Celles et ceux qui ont fui dans les campagnes se réfugient dans les plaisirs – corvées ou corvées – plaisirs de la culture. Retour aux sources ancestrales? Besoin de se sentir « vivant-e-s », en accord avec Gé, la Terre Mère? Activité démontrant l’utilité, sinon sociale, du moins personnelle? Défoulement individuel, à défaut de fêtes collectives? Toujours est-il que nous sommes, je pense, un certain nombre à bêcher, piocher, biner, sercler… tous mots plus ou moins oubliés, qui ressurgissent de nos passés de descendant-e-s d’agriculteurs, de fermiers, de propriétaires terriens, de cultivateurs en un mot. Nomade redevenue par force et contrainte policière sédentaire, je n’échappe pas à cette vogue…

Et le cadeau d’anniversaire offert par mes jeunes ami-e-s et voisin-e-s m’y a encore plus poussée : plants de framboisiers, de groseillers, et de fraisiers… Vous l’avez deviné, j’aime les fruits rouges! Sans compter un paquet joliment emballé du fumier de leurs équidés et un autre de paillage. Le moment de renouer avec l’enfance, quand j’aidais ma grand-mère dans son vaste jardin. Et de me dire « Mais comment faisait-elle pour entretenir tout cela et nous régaler ainsi de fraises de diverses espèces, depuis la petite fraise des bois jusqu’aux juteuses grosses fraises, de groseilles blanches, roses, rouges et à maquereaux? de liqueur de cassis, de cerises à l’eau de vie et de poires au chocolat? » Elle dont ce n’était ni le choix, ni la vie rêvée… Pas plus que la mienne, soit dit en passant…

L’offrande des fraises, Mathurin Méheut (1933) Source

Et de repenser à l’un des écrivains qui a nourri mon adolescence et que j’ai tenté de faire aimer à de plus jeunes, Voltaire… Ne sommes-nous pas toutes et tous un peu « Candide » en ce moment ? Et puis, « germinal », « floréal », « prairial », quels jolis noms pour désigner un temps qui est, serait ou pourrait être perdu… Germinal est fini, nous sommes entré en Floréal…

Floreal2.jpg
Gravure Salvatore Tresca d’après Louis Lafitte, vers 1797-1806.
120 avrilRose
221 avrilChêne
322 avrilFougère
423 avrilAubépine
524 avrilRossignol
625 avrilAncolie
726 avrilMuguet
827 avrilChampignon
928 avrilHyacinthe
1029 avrilRâteau
1130 avrilRhubarbe
121er maiSainfoin
132 maiBâton-d’or
143 maiChamérisier
154 maiVer à soie
165 maiConsoude
176 maiPimprenelle
187 maiCorbeille d’or
198 maiArroche
209 maiSarcloir
2110 maiStatice
2211 maiFritillaire
2312 maiBourrache
2413 maiValériane
2514 maiCarpe
2615 maiFusain
2716 maiCivette
2817 maiBuglosse
2918 maiSénevé
3019 maiHoulette

A ce propos, avez-vous lu l’étonnant rapport de Fabre d’Eglantine (un nom prédestiné!!!) ? Il est accessible en ligne, jetez-y un oeil…

Je vous invite donc, si vous participez au grand décompte national, d’utiliser ces noms de jours… plus beaux que les chiffres, non ? en attendant « Fritillaire »… Mais au fait, savez-vous ce qu’est une fritillaire?