Une belle découverte : Berthe Weill. 1. Première galerie

Je dois bien l’avouer : je n’avais jamais entendu parler de cette artiste, et l’idée d’aller voir cette exposition ne m’est pas venue spontanément. D’autant que l’affiche n’était guère attrayante! Jugez-en vous-même!

Un nouvel aveu s’impose : j’ai été subjuguée par la force et la beauté de son oeuvre. Et le personnage m’a vraiment intriguée… Dès l’affiche, à vrai dire : que signifiait « Galeriste d’avant-garde »? Et pourquoi ce parti-pris d’un fond rose très « fifille ». Connotation totalement antinomique avec le portrait (dont j’ai appris par la suite qu’il est dû à son amie Emilie Charmy, qui ne l’a pas flattée!) très sombre, que seul éclaire un visage emprunt de finesse, avec un regard pétillant derrière les bésicles et un sourire en coin dont on ne sait s’il faut l’interpréter comme charmeur ou moqueur… La voici en photo, avec la famille Lévy, aux alentours de 1900 (au centre en bas).

Une volonté affirmée de s’installer comme galeriste, à une époque où les hommes dominaient dans ce métier. Elle avait d’abord ouvert une boutique en lien avec sa formation auprès d’un marchand d’estampes, Salvator Mayer, chez qui elle était entrée en apprentissage lors de son arrivée à Paris, depuis son Alsace natale. Mais très vite elle décida de devenir galeriste, avec un objectif précis : sortir des sentiers battus, et notamment de la tradition académique, et faire découvrir des peintres « d’avant-garde ». Nous sommes en 1901, elle a à peine 36 ans. Voici ce qu’elle en dit dans son autobiographie écrite en 1933.

L’adresse – 25, rue Victor Massé, dans le 9ème, a déjà une histoire, dans les Beaux-Arts : ce fut celle d’un certain Théo, qui y a abrité de 1886 à 1888 son frère Vincent… Ci-dessous, la « Vue depuis la fenêtre » qu’a peinte ce dernier à cette époque.

Petite parenthèse : si cette période vous intéresse, je vous conseille un article en ligne sur le site Paris la Douce, auquel j’ai emprunté cette reproduction. Mais revenons à Berthe, au talent d’inventeure, dans le sens profond du terme : celle qui découvre. Et pas n’importe qui : parmi les premiers artistes exposés, un jeune inconnu, Picasso!

Je n’ai pas choisi le Moulin de la Galette, plus connu, mais une autre toile de l’artiste, que je n’avais jamais vue, et qui a suscité en moi des émotions similaires à celles que je ressens devant certains tableaux de Chagall…

Elle a aussi été fait largement la promotion de Toulouse-Lautrec.

Ses réseaux lui permettent d’aller plus avant, de découvrir, encore et encore. Pourtant, elle ne ménage pas ceux à qui elle a affaire!

La liste de ces artistes plus ou moins (in)connus qu’elle a accueillis, encouragés, et dont elle a assuré la promotion commerciale est telle que je renonce à vous la transmettre. Vous la lirez aisément sur les nombreux articles et dans les livres qui lui sont consacrés. Le terme « artistes » a été choisi, car on trouve parmi les productions exposées des objets. J’en ai sélectionné pour vous deux qui ont attiré mon attention sur Paco Durrio.

Vous ne le connaissiez pas non plus? En cherchant à en savoir davantage sur ce sculpteur, je l’ai trouvé représenté par… Gauguin, guitare à la main.

Elle ne s’intéresse pas qu’aux Beaux-Arts… L’électricité éclaire sa galerie dès 1908, avant les grands travaux qui succédèrent à la crue de 1910. Elle fut la première de sa rue à passer du gaz à l’électricité… Autre signe de modernisme, qui, allié au rejet des contraintes et des normes, en font une personne étonnante et si « séduisante »…

De l’arbre au navire

Cet article marque la fin de la série consacrée à mon récent séjour au Pays Basque… et de ceux qui concernent la vie maritime à Saint-Jean-de-Luz. En réalité, c’est peut-être par lui que j’aurais dû débuter la série, car c’est par la visite de cette exposition que tout a commencé. Vous en avez déjà vu une partie, à savoir les maquettes. Mais un autre objectif en est d’apporter, de manière très pédagogique, voire andragogique – n’ergotons pas! – des précisions sur les chantiers navals très présents naguère à Donibane Lohizune et dans les autres bourgades de la côte et de l’intérieur des terres.

Pourquoi parlè-je de péda- ou andra- gogie? Tout simplement parce qu’on y apprend beaucoup sur la conception et la construction des embarcations de jadis, sous forme de posters très bien conçus et d’objets leur correspondant. Je vous propose donc une petite balade dans l’univers laborieux du Labourd d’autrefois (excusez le mauvais cadrage de certaines photos, mais la plupart étaient très en hauteur, et je ne disposais pas d’échelle à roulettes!).

Bien sûr, pas question de reprendre toute l’exposition : je focaliserai sur quelques-uns des thèmes.
D’abord, pour faire un bateau, à cette époque, il faut du bois et du chanvre… Or le Pays Basque regorge de zones sylvestres… Et, quand on recherche des essences exogènes ou exotiques, le commerce maritime est bien vivant…

Quant au chanvre, sa culture dans le sud-ouest de la France est attestée depuis l’époque romaine, et certains chercheurs émettent l’hypothèse qu’elle remonterait à la Préhistoire.

« Les débuts de la culture du chanvre (Cannabis sativa) en France et en Europe occidentale sont mal connus. Jusqu’à présent, les plus anciennes mentions de semences dans cette zone n’étaient pas antérieures à l’époque romaine. Le site humide de fond de vallée d’Al Poux (Fontanes, Lot) a livré des akènes qui tendent à attester la culture du Cannabis dans le Sud-Ouest de la France à la fin de l’âge du Fer. La présence des semences sur le site pourrait résulter d’une culture du chanvre directement sur les bords du ruisseau ou d’un apport des plantes après la récolte pour leur rouissage dans le cours d’eau. Le rôle particulier des contextes humides dans la conservation des semences de chanvre est souligné. » (source)

Les savoir-faire du chanvre textile sont entrés au Patrimoine immatériel de l’UNESCO.

« Jusque dans les années 1960, les agriculteurs entretenaient fréquemment
une petite parcelle de chanvre pour leurs besoins domestiques. Les femmes filaient et tissaient encore à la ferme… »
(source)

Ce n’est pas le sujet, mais notons qu’au Pays Basque son exploitation s’est amplifiée depuis quelques années, avec la relance du textile, au point qu’un article titre « A Saint-Jean-de-Luz, ils sont complètement « chanvrés » (sic)

Par contre, beaucoup plus en lien avec l’exposition, un article sur Le travail du chanvre et ses applications à la navigation et à la pêche dans l’Espagne médiévale vous intéressera sans doute. Mais revenons à l’exposition… Je passe plusieurs panneaux expliquant la gestion forestière au niveau national et la « merveille » que représente la construction des voiliers, pour aller directement au travail du bois pour construire un bateau.

J’ai appris que le gouvernail axial était dénommé « à la bayonnaise »…

J’emprunte les lignes et la photo qui suivent au site « Détours en France ».

« Pour les navigateurs d’autrefois, qui affrontaient les mers les plus lointaines sans GPS ni pilote automatique, bien diriger le bateau était crucial. Le gouvernail d’étambot, qui fut un excellent substitut à la rame de gouverne, est probablement apparu en Extrême-Orient peu après l’an mille puis, deux siècles plus tard, dans les pays scandinaves. Par le jeu mystérieux des assonances et associations d’idées, il en vint plus tard à prendre le nom de « gouvernail à la bayonnaise ». Si les gens de Bayonne, marins chevronnés, n’en sont pas vraiment les inventeurs, ils sont parmi les premiers à l’avoir utilisé systématiquement, sur leurs « naus » au long cours, et à l’avoir représenté, dès le XIVe siècle : levez la tête vers la clé de voûte de la cathédrale Sainte-Marie et vous le verrez ! »

Le Musée Basque en présente un exemplaire magnifique, jugez-en vous-même :

Christian Krohg, une belle découverte…

Je suis allée récemment au Musée d’Orsay, pour y voir diverses expositions, mais il m’en restait une à visiter, qui se termine le 27. Or, hier, c’était déjà le 24. Un jeudi. Juste le jour de la « nocturne ». Belle conjonction! Me voici donc dans le bus qui me conduit vers le Musée d’Orsay, puis la file d’attente (car le billet pris par Internet avait mystérieusement disparu), puis filant vers les salles repérées au préalable.

Et je n’ai pas été déçue! Les émotions ont bien été au rendez-vous!

Bien sûr, il y avait celles que j’attendais, que j’espérais. Dans la série « marins », dont un tableau figurait sur l’affiche (voir ci-dessus!). Cependant je n’avais pas perçu l’originalité (pour l’époque) de son approche : l’angle de vue et le sens du détail. Le tableau reproduit sur l’affiche ci-dessus en est un exemple. En voici deux autres, qui, pour la fan de voile que je suis, illustrent deux des rôles importants sur un voilier…

Saisissant, non? Saisi, sans le « ssant », également!

Cette technique n’a pas été exploitée que sur l’eau… en voici un autre exemple, que j’ai beaucoup aimé.

Quelle intemporalité! Qui d’entre nous n’a pas eu ce geste, au grand dépit des parents ou grands-parents? Et qui ne continue pas à en être témoin, actuellement? C’est l’un des paradoxes que j’ai ressenti au cours de ma visite. A la fois une inscription réelle dans son époque – je dirais même une forme de révolte contre les injustices sociales, de militantisme – et une permanence au travers des siècles, notamment dans les interrelations humaines. Commençons par quelques peintures « narrant » littéralement des faits témoignent de la pauvreté, de l’injustice, de ce que l’on ne nommait pas encore la précarité.

La série de portraits de couturières épuisées par leur labeur est remarquable, et je ne résiste pas à l’envie de la partager avec vous.

Certaines oeuvres montrent combien la beauté subsistent malgré les difficultés, n’est-ce pas? Comme dans un des tableaux les plus connus du peintre, qui prenait parfois comme modèle des prostituées, ce que lui reprochait la « bonne société ».

Venons-en maintenant à ce que j’ai qualifié d’intemporel, de permanent, de « résistant ». En peignant des moments de la vie privée et/ou familiale, l’artiste soulève des émotions empreintes de l’écho qu’ils éveillent en nous. En tout cas, en moi. Car j’ai été très émue, je l’avoue, devant certains tableaux.

Au moment où j’écris ces lignes, il ne vous reste que le week-end pour aller voir l’exposition… Courez-y vite, si vous le pouvez. A défaut, il vous reste le net, où documentaires et photos ne manquent pas pour que vous puissiez « rencontrer » ce Norvégien qui n’a pas été que peintre, mais également écrivain et journaliste…

Naviguons-nous parmi les Fous?

Mes fidèles lecteurs l’ont constaté : ce blog se fait rare, et, après un long silence depuis l’été, sa reprise a été interrompue par un nouveau mutisme… que je romps aujourd’hui, car l’un de vous s’est manifesté pour me parler de son intérêt envers les derniers articles. Cela me donne le courage de reprendre… Et donc de vous proposer ce qui sera le quatrième article sur cette exposition, qui se poursuivait sur les « fous » d’hier et d’aujourd’hui, en se terminant par un tableau dont j’ai eu bien du mal à reconnaître l’auteur… ce sera l’énigme du jour…

Mais revenons au sujet du jour : le Fou du Roi…

Les joueurs/euses d’échec, parmi vous, le savent bien : le fou est situé près du roi, comme la reine. C’est dire la place qu’il occupait dans une cour royale… Imaginez-vous à la place des nobles et monarques au Moyen-Age. C’est l’hiver, il fait froid, on ne chasse plus, on est enfermé dans des châteaux tous plus sinistres les uns que les autres malgré les cheminées et les tentures… On a beau festoyer et lutiner parfois, convoquer des musiciens, trouvères et troubadours pour se distraire, on s’ennuie quand même parfois. Alors, avoir un « boute-en-train » à demeure, pourquoi pas? L’idée fait son chemin, et ces « fous » qui étaient jusque là dehors, et pour lesquels existaient une fête et des élections (comme celle de Quasimodo), commencent à pénétrer et à s’installer dans les demeures royales. Leur rôle va évoluer au cours du temps, et ils deviendront parfois des « Sages » déguisés en « Bouffons »…

L’exposition ne pouvait pas les ignorer, et elle leur fait une large place, dans deux salles qui leur sont consacrées. Une autre salle m’a intéressée. Elle est consacrée au Carnaval de Nüremberg. Et l’on y retrouve la Nef des Fous, dans une version… sur roue… Une thématique que l’on retrouve régulièrement dans le défilé, comme vous pourrez le constater à partir des images suivantes, accompagnées des années concernées…

Excusez la mauvaise qualité des photos, mais je voulais vous montrer les variations d’un char sur un même thème! A quoi fait-il référence? A un théologien de cette époque, dont les écrits sont quelque peu tombés dans l’oubli, mais pas ceux qu’il a fait publier, comme le De Revolutionolibus orbium de Nicolas Copernic, en 1543.

Andreas Osiander (1498-1552) a été un acteur important de la Réforme, notamment pour la ville de Nüremberg. Une anecdote en passant : comme il était devenu ami avec Thomas Crammer, c’est sa nièce qu’a épousé celui-ci, dont le nom ne vous dit peut-être rien? Mais si je vous dis « Archevêque de Canterbury », cela vous parle davantage?

L’autre personnage représenté sur ces chars carnavalesques n’est autre que l’auteur de la Nef des Fous, Sébastien Brant. Si vous n’avez pas lu cet ouvrage, précipitez-vous! Il n’est absolument pas démodé, malgré ses 530 ans…

Et la satire des travers des Humains est irrévérencieuse au possible! Vous pourrez en entendre un extrait, si vous vous rendez au Louvre, ainsi qu’un autre texte enregistré, l’Eloge de la Folie, d’Erasme.

Ce qui me conduit tout naturellement à l’un de mes peintres préférés, Jérôme Bosch, qui ne pouvait pas ne pas être présent dans une telle exposition (oh la belle litote! rires…)

Il est temps maintenant de quitter l’Univers des Fous… ou d’y revenir? Auparavant, un petit florilège de représentations de « Fous » qui m’ont frappée, amusée, intéressée, et que je souhaite partager avec vous.

Et je ne voudrais pas terminer sans un clin d’oeil pour « boucler » avec la cornemuse…

Une expo de ouf (2)

Je vous avais promis une suite à la narration relative à l’expo sur le Fou… Je tiens donc parole, en vous présentant une autre découverte surprenante. En entrant dans la troisième salle, je me suis demandé si ce n’était pas une expo sur le Genre… ou sur les Domina… Jugez-en plutôt…

Ce n’est qu’en lisant les explications, puis en me référant à la littérature médiévale que j’ai compris… Mais ne croyez pas que je vais vous dire de quoi ou de qui il s’agit! A vous de deviner… Si vous trouvez, placez un commentaire. Sinon, réponse demain!

Une expo de ouf!

Le Musée du Louvre présente régulièrement des expositions très intéressantes. Il me tardait d’aller voir celle qui est consacrée au « Fou », qu’il soit ou non dans la nef…

La figure du Fou est abordée sous des angles très variés, et je dois bien avouer que je n’ai pas porté le même intérêt aux divers thèmes, en « mauvaise élève » que je suis. Je me propose donc de vous présenter brièvement ceux qui m’ont le plus intéressée, et délaisserai donc – je vous prie de m’en excuser – une partie de l’exposition.

Point de départ : le Moyen Age

Mais avant cela, première statue, première surprise : je ne sais pourquoi, mais je n’ai jamais associé la cornemuse (ni le biniou!) au Fou, tel qu’on peut le voir à l’entrée de l’exposition.

Je n’apporterai pas ici d’explication, car nous retrouverons cet instrument dans une autre salle, et je vous en parlerai alors plus en détail…

Il n’est pas question non plus que je synthétise tous les discours exposant en détail les innombrables contenus explicatifs. Pour cette période, sachez simplement que j’ai essentiellement retenu qu’était considéré comme « fou » celui ou celle qui s’écartait du dogme catholique, soit en reniant Dieu, soit en se comportant étrangement. Je fus ainsi très surprise de rencontrer ici Saint François d’Assise, qui parlait aux oiseaux…

Je me suis littéralement régalée des nombreux manuscrits exposés, avec des enluminures toutes plus fines, élégantes, esthétiques les unes que les autres. Et comme la lettre mise en avant dans ces textes (le D de Dieu) est aussi mon initiale, je ne résiste pas au plaisir de vous en donner deux exemples…

La seconde lettrine (eh oui, c’est le bon terme!) montre le mot entier, en latin : « Deus »

Les représentations du fou sont déjà bien présentes dans ces manuscrits, et j’ai dû en choisir deux parmi leur grand nombre. La première est une vision satirique de l’Eden, Adam dévorant la pomme. Regardez bien au coin inférieur gauche, vous verrez l’orthographe du mot à cette époque : « fol ». C’est celle qui perdurait encore à la Renaissance, souvenez-vous de ce qui était écrit près de la fenêtre de la chambre de François 1er à Chambord : « Souvent femme varie. Bien fol (est) qui s’y fie ».

La seconde montre un des « accessoires » permettant d’identifier le fou : sa « marotte », sceptre de fantaisie, ici tenue par un moine extravagant.

Dans le même espace se côtoient ainsi les dévoyés qui s’éloignaient de la doctrine chrétienne, voire la vilipendaient, celui qui, au contraire, aimait et vénérait tellement Dieu qu’il fut surnommé le « Fou de Dieu », et les Vierges Folles. A leur propos, je me suis rendu compte que je considérais comme acquis qu’il y avait des « vierges folles » et des « vierges sages », mais que j’ignorais totalement ce qu’il en était. Si c’est votre cas, vous allez pouvoir profiter, si cela vous intéresse, de ce que j’ai appris. A savoir qu’il s’agit d’une parabole du Christ rapportée par Saint Mathieu. Comme elle est courte, je vous la cite dans son intégralité.

« « Le royaume des Cieux est comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prennent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux.
Cinq d’entre elles sont insouciantes et cinq sont prévoyantes.
Les insouciantes ont pris leur lampe sans emporter d’huile, tandis que les prévoyantes ont pris des flacons d’huile avec leurs lampes.
Comme l’époux tarde, elles s’endorment.

Au milieu de la nuit on entend un cri :
“Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.”
Alors toutes ces jeunes filles se réveillent et préparent leur lampe.
Les insouciantes demandent aux prévoyantes :
“Donnez-nous un peu de votre huile car nos lampes s’éteignent.”
Les prévoyantes leur répondent :
“Nous n’en aurons pas assez pour nous et pour vous.
Allez plutôt chez les marchands vous en acheter.”
Pendant qu’elles sont parties en acheter, l’époux arrive. Celles qui sont prêtes entrent avec lui dans la salle des noces et on ferme la porte.

Plus tard, les autres jeunes filles arrivent à leur tour et disent :
“Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !”

Et l’époux leur répond :
“Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.”

Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

Je vous laisse méditer, et reviendrai vous conter la suite demain…

Turner à Monaco

Mes fidèles lectrices et lecteurs m’ont fait remarquer que le blog semblait « mort » depuis quelques temps. Effectivement, je ne parvenais plus à écrire, pour diverses raisons. Mais désormais, promis, je vais tâcher de prendre le temps de le faire, ne serait-ce que pour partager, comme toujours, ce que je découvre. Et hier, c’était l’exposition Turner au Forum Grimaldi, à Monaco.

L’intitulé de l’exposition m’avait interpellée, et, je dois dire, la fonction « marketing » a bien fonctionné car, bien que j’aie déjà vu de nombreux tableaux et dessins de cet artiste, j’avais envie d’en découvrir d’autres. Et j’en ai découvert… Par contre, la notion de « sublime » m’a quelque peu échappé, et ce n’est que ce matin que j’envisage de l’approfondir. La pluie sur Nice aide à la réflexion!

Une belle scénographie

Je ne connaissais pas le Forum, et c’est un lieu étrange, genre gros hangar à peine décoré. Mais, avec quelques décorations sobres et bien pensées, cela fonctionne.

L’impression d’expérimentations permanentes

Tout au long du cheminement, j’ai eu l’impression que je me trouvais face à quelqu’un qui, toute sa vie, aurait recherché quelque chose.
Dans l’expression de la couleur, ou plutôt de la lumière… Mais au fond, les deux ne font qu’une chez Turner. Jusqu’à arriver à une explosion de lumière, comme dans ce tableau.

Dans la façon de traduire les mouvements, en particulier ceux des éléments naturels. La neige en avalanche, les nuages, la pluie, la mer…

Le tableau ci-dessus en particulier m’a rappelé celui de Van Gogh, présenté dans un précédent article…

Le goût des petits détails

Un aspect de sa peinture que j’avais jusqu’à présent négligé : j’ai découvert dans de nombreux tableaux de petits personnages qui situent l’être humain comme infiniment petit par rapport à la nature ou à la violence d’autres humains. En voici quelques exemples.

Jusqu’à, dans l’un de ses derniers tableaux, suggérer les Ombres errantes…

Zao à Deauville

L’intérêt pour Zao Wou Ki est décidément un moteur pour visiter la France! Après Chateaudun, découvert l’été dernier pour aller voir les oeuvres offertes par sa veuve à ce musée étonnamment important pour une ville de cette taille, c’est à Deauville qu’il m’a conduite en ce long « pont » de l’Ascension. Pourtant, ce n’est pas ma destination préférée! Mais la découverte du lieu de convivialité et de sérénité que constitue « Les Franciscaines » me ferait presque changer d’avis… En tout cas, j’ai décidé d’y retourner pour en poursuivre la visite, et la « déguster », car je ne pouvais y faire cette fois qu’une halte assez longue pour une exposition, mais trop courte pour une visite de l’ensemble, et encore plus pour traîner dans le jardin ou lire dans la salle de restauration, de type « réfectoire » avec sa longue table, ou sous la verrière aménagée en bibliothèque cosy.

L’exposition porte un titre intrigant : « Les allées d’un autre monde »…

Je ne ferai pas de longue glose sur cet intitulé, mais comme j’ai choisi quelques éléments de cette riche exposition, je pense que vous construirez vous-même des interprétations de celui-ci. Partons donc, avec ou sans guide, découvrir ces « allées »…

Dès la première série, une hypothèse s’impose…

Un exemple frappant, pour moi, en est un tableau qui m’a beaucoup touchée, et que j’ai eu envie d’appeler « L’Eve eurasienne », j’en demande pardon à l’artiste…

Comme je vous l’ai dit, je ne vais pas disserter sur cette exposition, mais focaliser sur quelques oeuvres, et sur certaines des nombreuses citations qui la scandent.

C’est sans doute un des facteurs de son attrait pour des supports divers, dont de nombreux exemples sont présentés à Deauville.

L’une des caractéristiques de Zao Wou Ki est d’avoir collaboré avec beaucoup de monde. Le résultat en est qu’il a participé, directement ou indirectement, à la création de nombreuses oeuvres et de divers monuments. C’est ainsi, par exemple, qu’on trouve de ses oeuvres aussi bien dans le métro de Lisbonne que dans un collège de la Seyne-sur-Mer (dans ce cas, je devrais écrire « trouvais », car l’oeuvre a été déplacée).

Quant au collège de La Seyne-sur-Mer, c’est son ami Roger Taillibert, l’architecte, entre autres, de la piscine de Deauville, qui a eu cette idée, comme le raconte cette vidéo. Ils étaient tous deux membres de l’Institut des Beaux-Arts.

Il a aussi été ami avec de nombreuses personnalités, dont l’architecte de la Pyramide du Louvre, comme le rappelle cet article de Connaissance des Arts.

Une des toiles achetées par Pei (qui avait, comme Zao, fui la Chine communiste et qu’il avait rencontré dès 1952) a battu un des records de vente chez Soteby’s, un tryptique, « Juin-Octobre 1985 ».

« « C’est l’exemple parfait de la fusion entre les techniques orientale et occidentale, ainsi que de sa philosophie », explique Vinci Chang, responsable de l’art asiatique chez Sotheby’s. Avec une adjudication de 65 millions d’euros, la maison de ventes britannique Sotheby’s signe un nouveau record pour l’artiste, surpassant de loin les 26 millions de dollars décrochés par Christie’s l’an dernier, avec l’œuvre 29.01.64.

Le triptyque « abstrait » est la toile la plus monumentale réalisée par Wou-Ki, elle avait par ailleurs été commandée personnellement par Ming Pei, le père de la pyramide du Louve, un fervent admirateur et ami de l’artiste. » (source)

Une des « trouvailles » des concepteurs de cette exposition est pour moi remarquable : l’idée d’avoir listé tous les « hommages » et les « tributes » de Zao…

Encore un « pont » avec la culture chinoise…
Zao avait traduit bien des textes, et notamment celui de Laozi, que nous connaissons souvent mieux sous le nom de Lao-Tseu, « père » du taoïsme.

La citation qui précède et cette photographie de l’artiste closent une exposition dont vous n’avez eu qu’un aperçu…

Il reste un autre « monde » dont j’ai envie de vous parler, celui de la poésie. Ce sera l’objet d’un second article, si vous voulez me suivre…

Visions chamaniques (2)

Je vous ai laissé-e-s hier devant des oeuvres colorées et complexes, annonçant qu’il en existait, à l’inverse, de très « géométriques ». Avant de vous les présenter, je voudrais revenir sur trois autres aspects de l’exposition. Mais au préalable revenir sur ce que je comprenais mal au début de sa visite.

  1. Petit retour sur ce que l’on désigne par « ayahuasca »

En réalité, « ayahuasca » désigne à la fois la plante, de son nom scientifique « Banisteriopsis caapi« , et la boisson dont je vous ai décrit la composition dans le précédent article. D’où la perturbation cognitive en commençant la visite!

« Ayahuasca signifie littéralement en langue quechua “corde des cadavres” (ou “liane amère” pour ayaqhuaska), quelquefois hâtivement traduit par “liane des esprits” ou “liane des morts” (Deshayes, 2004). Dans cet article et sauf mention contraire, le mot ayahuasca se réfère à la boisson (et non à la liane seule). Également appelée yagé (langue tukano), natem (langue jivaro), caapi (langue tupi), daime et hoasca (usages religieux brésiliens) ou cha (“thé” au Brésil), la boisson ayahuasca est une substance psychédélique. »

L’article dont je viens de citer un extrait explique que l’exploitation actuelle de cette plante et son utilisation dans divers contextes pose des questions juridiques, résolues différemment selon les pays.

« En France, les principales molécules de l’ayahuasca ont été classées comme stupéfiantes en 2005. Cette décision n’a pas été prise suite à des réflexions scientifiques mais en réaction à un fait divers de “prise sauvage” – une prise sans cadre. Notons par ailleurs pour l’anecdote que la France a subventionné la création du centre Takiwasi au Pérou utilisant l’ayahuasca (Bois-Mariage, 2002). »

Centre auquel sont rattachés la plupart des artistes dont je vous ai présentés les statues et tableaux colorés…

Je vous encourage à lire cet article, qui vous apprendra tout ce qu’il faut comprendre sur la plante, ses composants, son usage et le chamanisme.

« Le chamanisme repose sur une conception du monde soutenue par « le postulat de l’existence d’un “monde” différent du monde phénoménal accessible par les sens usuels » (Escande, 2001, p. 21). Le chaman pourrait atteindre cet espace transcendantal de manière contrôlée et avoir ainsi un accès privilégié au monde invisible, celui des esprits. L’homme ordinaire, lui, ne pourrait accéder à ce “monde-autre” qu’à sa mort ou lors de rares occasions avec l’aide et la protection du chaman. Pour accéder à ce “monde-autre”, certaines sociétés avec chaman utilisent des plantes psychédéliques, d’autres non.« 

Les fameuses « planta con madre« , mal traduites, à mon sens, par « plantes-maîtresses« .

Claude Lévy-Strauss s’était intéressé à ce que l’on a appelé « efficacité symbolique » des plantes, liée aux chants des chamans.

Toute une section de l’exposition présente ces chants, et on peut les entendre et lire le sens des paroles. Ce n’est pas la moins intéressante, et j’aurais aimé disposer de plus de temps pour poursuivre cette écoute (peut-être dans un cadre plus intime?).

Mais j’ai pris le temps de « jouer » avec les senteurs proposées dans un petit recoin consacré au piripiri. Qu’est-ce? En le recherchant sur le net, j’ai fait une nouvelle découverte : il existe des « Parfumeurs sans frontière », comme me l’a appris un article consacré au piri-piri.

« le Piri-Piri est une racine extrêmement dure, qu’il faut faire sécher avant de la broyer, pour la réduire en poudre et permettre son extractionAjoutée à de l’eau chaude, cette poudre servait traditionnellement à préparer un bain dans lequel les jeunes gens en âge de se marier s’immergeaient. Ce rituel leur conférait une sublime odeur boisée, ambrée, épicée et cuirée, irrésistiblement envoûtante, d’où son joli nom de Piri-Piri Amour.« 

2. Une fresque retraçant les études sur la plante et ses composants chimiques
La plante a été découverte tôt par les « explorateurs », et les savants en ont décrit les effets depuis plus de 300 ans, comme en témoignent ces herbiers. »
D’abord, une fresque retraçant l’histoire de l’étude de l’ayahuasca. Elle a été découverte tôt, et les savants explorateurs en ont décrit les effets depuis plus de 300 ans, comme en témoignent ces herbiers.

A cette occasion, j’ai découvert une science dont j’ignorais l’existence : l’ethnobotanique…

3. Les expériences psychédéliques

« This is the most powerful drug I have ever experienced« . Ce sont les termes employés par William S. Burroughs, écrivain de la beat generation, pour décrire son expérience d’ingestion de l’ayahuasca.

« Elle peut induire des états modifiés de conscience avec une modification des ressentis corporels, émotionnels et/ou intellectuels et une altération du vécu spatio-temporel. Des vécus angoissants sont fréquemment décrits ; des prises de conscience peuvent survenir. Certains pensent cette expérience comme l’induction d’une régression (sur le plan personnel, groupal et même transpersonnel) qui permettrait des vécus d’introspection, des ouvertures sur l’inconscient ou encore des expériences spirituelles et mystiques.« 

Certains scientifiques insistent sur l’importance, voire la primauté des « cadres » (en anglais, « set / setting ») dans la prise de psychotropes. L’utilisation de ces deux termes par Thimothy Leary a abouti au modèle « substance-set-setting » de Zindberg (1983).

« Ces états dépendant :

  • des molécules psychoactives du produit ;
  • du cadre interne (le “set”) : c’est l’état physique, psychologique, émotionnel et spirituel de la personne ; les attentes, la motivation et l’intentionnalité du sujet en font partie, ainsi que la préparation ayant précédé ou non l’ingestion ;
  • du cadre externe (le “setting”) : c’est l’environnement au sens large comprenant les stimulations sensorielles du lieu de prise, le contexte culturel et la législation locale, le rituel mis en place, la présence d’un tiers de confiance, etc. Les états internes et les perceptions de l’expérience par les personnes observatrices en font également partie ».

Une petite pièce noire présente d’autres expériences psychédéliques, dont l’une à partir d’une lumière que l’on doit fixer en fermant les yeux… Il devrait me manquer l’un des « cadres », car cela n’a abouti à rien… Alors que d’autres créent des oeuvres comme celle-ci!

4. Pour pousuivre avec l’art…

Vous avez déjà vu une poterie. En voici une deuxième, que je souhaite partager avec vous.

L’ayahuasca est utilisée pour teindre les textiles, ou dessiner sur eux…

Une vidéo montre une artiste shipibo en train de faire macérer les écorces, et de préparer la « boue » qui servira à de liant.

La graphie se fait avec des sortes de petits poinçons plats, dont la largeur définit celle du trait. Et voici le résultat… Bluffant, non?

J’espère que vous avez été aussi intéressé-e que moi en découvrant les liens entre psychotropes, chamanisme et arts, grâce aux Shipibo-Konibo. Une photo de l’un d’entre eux avant de les quitter?

Quittons-les, et quittons le Musée, non sans un regard sur un totem gigantesque…

La nuit est tombée, et les jardins du Musée sont parés de cierges lumineux, qui ne portent pourtant pas ombrage à la Vieille Dame…

Empreintes

Le mois dernier, j’avais découvert la remarquable dynamique culturelle d’un petit village normand, Longueville-sur-Scie. Je n’ai hélas pas eu le temps de relater ici cette visite d’une propriété extraordinairement vivante, celle de Pierre et Bernard, qui organisent chez eu des expositions, telles que « De l’Art en ce jardin« , et des concerts, tout au long de l’année… j’essaierai de le faire, promis.

Lors du vernissage, j’avais fait la connaissance de Sylvie. Elle m’avait expliqué qu’elle gérait un espace artistique créé dans… une maison de santé! MédiScie. Or, co-incidence, la semaine dernière, une amie artiste m’a justement envoyé une invitation pour un vernissage : elle allait exposer en ces lieux.

Me voici donc, en premier samedi de juillet plutôt frisquet, sur les petites routes normandes, en direction de Saint Crespin, village d’un peu plus de 300 âmes (depuis le concile de Trente, y compris les femmes!), qui jouxte Longueville, dans la vallée de la Scie. Et je n’ai pas regretté la petite heure de route! D’abord, parce que les paysages sont très beaux et apaisants. Ensuite, parce que chaque hameau recèle des trésors d’imaginaire architectural. Enfin, par ce que j’y ai vécu.

Le rendez-vous se situait à l’église Saint Crespin, du village éponyme. Mais il était précisé qu’une promenade nous conduirait ensuite à la maison de santé MédiScie, puis à l’EHPAD du village, où aurait lieu un concert. Et c’est effectivement ce qui s’est produit. Je ne vais pas tout vous raconter, ce serait trop long. mais plutôt exprimer le plaisir ressenti à constater que des personnes bénévoles et bienveillantes peuvent produire un évènement exceptionnel, dans des sites inattendus, en mobilisant un grand nombre d’acteurs, des habitant-e-s aux artistes.

Empreintes

Empreintes de vie. Empreintes de morts.

Empreintes de la Nature. Empreintes de l’Homme.

Les promesses du titre ont été tenues.

Dans le premier site, l’église, il a été fait le choix de présenter des oeuvres d’artistes qui ont exploité des techniques diverses pour fixer des empreintes. Depuis celles d’un tyrannosaure jusqu’à celles de légers feuillages.

Dans le second, une symphonie de formes et de couleurs. Ici, les empreintes allient les souvenirs du passé, comme ces blockhaus tombés des falaises, aux vécus émotionnels, la poésie d’Anna de Noailles à la prose si poétique de Colette, la calligraphie au tissage, le noir et blanc, décliné en nuances de gris, aux couleurs éclatantes des peintures d’enfants de maternelle…

Enfin, des oeuvres collectives, dans la rue, et d’autres plus personnelles, à l’EHPAD… Une richesse et une variété époustouflantes…

Ce petit miracle, on le doit entre autres à trois femmes. Sylvie Auger, d’abord, à la fois organisatrice et tisseuse de liens. C’est à elle que l’on doit l’initiative, mais aussi la mobilisation d’autant d’artistes de régions différentes.

Sophie Doré, aussi. La maire du village. Elle a été présente, souriante et aimable, tout au long de l’événement. Et n’a pas « fui » à toutes jambes une fois les discours achevés, comme son collègue du Conseil Départemental. Sans doute un des « moteurs » de la vie culturelle du village. Mais aussi investie dans celle de l’EHPAD, où sa maman a travaillé jadis comme aide-soignante.

Anne Legrand, enfin. Une directrice pleine de PEPS : on la trouve à l’église, on la revoit à l’EHPAD, tantôt promenant les résidentes, tantôt servant boissons et petits fours… Accompagnée de ses parents et de ses charmantes petites filles, parmi les personnes âgées. Et attentive à toutes et tous, délicate avec les concertistes qui ont bien du mal à se faire entendre.

Une belle chaîne humaine et humaniste, avec trois femmes comme « maillons forts »… et une belle expérience vécue dans ce petit village… Merci, Sylvie, Sophie et Anne! Mais aussi Sébastien, Pierre et Bernard… Sans oublier Thierry, artiste si souriant et hospitalier… je vous en reparlerai… comme je vous présenterai quelques aspects des oeuvres exposées et de leurs auteur-e-s…