Coques en stock

Tout a commencé par un transport de fonds… Pas de liquidités, bien sûr, mais des oeuvres d’art. « Des photos », m’avait dit l’amie pour laquelle je m’étais engagée. Ce qui m’a conduite, un vendredi matin, au Nord de la Gare du Nord, autrement dit dans un quartier exotique pour l’adepte de la Rive Gauche que je suis. Et m’a aussi amenée à de multiples SMS et communications téléphoniques avec une artiste inconnue, qui me semblait bien stressée pour être réellement une artiste. Une représentation, je m’en rends compte. Pourquoi pensais-je que les artistes devaient être plus « zen » que les autres???

Nomade, je le suis. Et une nomade vit dans le moment présent. Fixer un jour de rendez-vous des semaines à l’avance relève du défi. Et fixer une heure de rendez-vous la veille un challenge. Bref, nous parvînmes quand même à nous retrouver, au pied de son immeuble, en ce vendredi matin. Vite, transformer ma compagne à 4 roues en « utilitaire », en abaissant les sièges arrière et en libérant le maximum de places (j’ai toujours dans ma voiture des couvertures, un sac de couchage, un oreiller, un réchaud et du matériel divers! sans compter que ce jour-là, partant en week-end, j’avais aussi une valise et mon ordinateur…). Une dame descend, nous nous saluons après qu’elle eut observé l’espace disponible. Puis elle redisparaît dans l’immeuble. J’attends dans ce quartier qui ne me semble guère accueillant… Elle revient avec un immense carton plat. Puis repart. Je place le carton au fond du coffre. Il ne reste plus guère de place pour autre chose! Sachant qu’elle avait bien spécifié que rien ne devait être placé au-dessus. Trois autres allers et retours. Mais, cette fois, des sacs avec des cadres plus petits et entassés. Tout finit par entrer. Nouveau salut. Et me voici partie vers la Picardie. Ce n’est que le lendemain, en effet, que je gagnerai la Normandie, plus exactement Le Tréport, où ma cargaison est attendue. Le samedi, impossible d’approcher la galerie de mon amie : marché plus fête foraine! J’attends donc le soir pour effectuer la livraison. Et rassurer enfin l’expéditrice. Je réalisai alors que j’ignorais la teneur de ce que j’avais transporté, que je n’avais ni compté ni vérifié ce que m’avait confié une parfaite inconnue! Et j’eus hier la preuve d’une erreur. Pas dans le nombre ni l’état. Non, tout était bien parvenu. Mais dans la teneur. Je pensais avoir transporté des photographies en noir et blanc. Pourquoi? Encore une représentation! J’ai réalisé que pour moi « photo d’art = photo en noir et blanc »… Pourquoi? Mystère…

Car les oeuvres enfin acheminées au Tréport, à la Galerie Résonances, sont bien des oeuvres d’art. Et pourtant éclatantes de couleurs.

Hier soir avait lieu le vernissage, et j’ai pu découvrir ce qui avait meublé mon véhicule pendant plus de 24 heures… Relisez le titre de cet article. Qu’a pu photographier cette Dame? Je vous aide avec un premier tableau (pris un peu de travers, excusez-moi…).

Vous avez deviné ? La mer ? Que nenni. Pourtant vous n’en êtes pas loin… Une autre photo ?

« Mais ce n’est pas une photo, c’est un tableau ! », ai-je souvent entendu dire hier soir. A juste titre. L’artiste elle-même considère qu’elle fait des tableaux… mais sans pinceaux (ni queue d’âne!). Simplement avec son appareil-photo.

Cathy raconte que, face à un groupe de jeunes élèves, elle leur avait proposé un brainstorming autour de la question « à quoi cela vous fait-il penser? », et avait obtenu un grande palette de réponses…

Alors, que photographie-t-elle ? Pensez au titre…

Des coques.

Pas des oeufs, non. Mais l’allusion au Capitaine Haddock pourrait vous aider. Des coques de navires, oui. En Bretagne ou au Maroc, pour la plupart des oeuvres présentées ici. Mais aussi dans bien d’autres ports. En voici deux autres exemples, toujours aussi mal pris.

Inutile de vous dire que j’ai beaucoup aimé. Expression plate, certes. Et cela ne me ressemble pas. Je suis d’accord. Mais « j’ai aimé » est ce qui me semble le plus fort, en l’occurrence. Et cela m’a rendu envieuse. Car moi aussi, je photographie parfois des coques, à marée basse. Souvenez-vous, j’avais fait une série à Camaret. Et une autre au Crotoy. Et des photos isolées, aussi, sur divers cours d’eau. Descendre sur la grève, patauger dans la vase, je connais. Choisir l’angle, la lumière, le cadrage… Mais jamais réussi d’aussi belles photos… C’est ça, l’art.
Seul bémol pour moi : j’aurais préféré des tirages « mat » pour la plupart d’entre elles… Mais il doit y avoir une raison au choix effectué de les faire en « brillant »?

Une dernière, hélas mal « rendue » par mon Iphone, d’autant qu’elle est exposée dans l’escalier qui descend à la cave. Cette fois, c’est à Tanger que les trois ont été prises.

Saisir l’instant, mais aussi magnifier les traces de l’usure et de l’abandon, des coups et des marques, de l’imperfection et de la destruction… Devenir médiateur-e entre le Temps et l’Homme, l’Objet et le Sujet, l’Anéantissement et la Vie… L’oeil de l’Artiste et la Magie des technologies…

La fibule

Nuit d’angoisse, je ne parviens pas à dormir… J’allais vous livrer un poème de Louise Ackermann, Le Cri, mais je me suis rappelée vous avoir promis un poème de Mririda N’Aït Attik, cette poète berbère que j’ai découverte lorsque je résidais au Maroc. Si sa poésie vous intéresse, sachez qu’il en existe un recueil par René Euloge, publié sous le titre Les Chants de la Tessaout.

Une des éditions des poèmes de Mririda n’Aït Attik

Vous ne le savez peut-être pas, mais la Tessaout, ou Tassaout, est une rivière qui descend du Haut Atlas marocain vers le fleuve dont le nom signifie « Source de Vie », l’Oum Er Bia. Eh oui, vous remarquerez que, pour une fois, la racine est identique à celle du mot grec, pour désigner la vie, « bios »… rare, mais cela arrive…

J’ai connu la Tessaout lors de mes nombreuses randonnées dans l’Atlas, dont je vous parlerai peut-être un jour.

Une partie de la Vallée de la Tessaout, et le village de Megdaz où est née Mririda N’Aït Attik

Hélas mon recueil est à Nice, et celui d’un ami qui le possède également, aux Arcs sur Argens… j’ai donc dû me contenter des quelques rares poèmes publiés sur le net pour faire mon choix ce jour. Celui que je vous propose évoque un des bijoux qui m’a fascinée et me fascine encore.

Parmi les nombreux bijoux, deux belles fibules…

La fibule

Grand-mère ! Grand-mère ! depuis qu’il est parti, 

Je ne songe qu’à lui et je le vois partout… 

Il m’a donné une belle fibule d’argent, 

Et lorsque j’ajuste mon haïk sur mes épaules, 

Lorsque j’agrafe le pan sur mes seins, 

Lorsque je l’enlève, le soir, pour dormir, 

Ce n’est pas la fibule, mais c’est lui que je vois !

 

-Ma petite fille, jette la fibule et tu l’oublieras 

Et du même coup tu oublieras tes tourments…

-…Grand-mère, depuis bien des jours, j’ai jeté la fibule, 

Mais elle m’a profondément blessé la main. 

Mes yeux ne peuvent se détacher de la rouge cicatrice, 

Quand je lave, quand je file, quand je bois… 

Et c’est encore vers lui que va ma pensée !

 

-Ma petite fille, puisse Dieu guérir ta peine ! 

La cicatrice n’est pas sur ta main, mais dans ton cœur.

Mririda N’Aït Attik, traduction René Euloge

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