
Dans le train qui me ramenait vers le sud, je cherchais les activités possibles pour ce week-end. Un certain choix, je dois dire, pour cette soirée de vendredi, jour de vacances scolaires. Dont une représentation à l’Opéra de Nice : Marco Polo. L’occasion de revoir ces lieux, et d’une sortie avec de jeunes amies. L’affiche, qui plus est, était alléchante, non?
J’avais oublié que l’Opéra de Nice est comme un théâtre exigu, donc tout en étages… et me voici au 5ème de ces étages, dénommé « Amphithéâtre ». Pour une sujette au vertige, une catastrophe! Je n’ai donc que moyennement pu profiter de la première partie. Nous sommes tous descendus au parterre pour la seconde!

Spectacle déroutant, aux dires des 7 personnes qui constituaient notre groupe. Montrant la déchéance d’un empereur… Mais le reste a semblé peu compréhensible aux ignares que nous sommes. Car je pense qu’il faut avoir lu le livre qui a inspiré l’oeuvre, pour mieux comprendre.

Livre lui-même très déroutant, qui évoque 55 « villes invisibles », sur une thématique ainsi explicitée :
« Les villes comme les rêves sont faites de désirs et de peurs, même si le fil de leur discours est secret, leurs règles absurdes, leurs perspectives trompeuses ; et toute chose en cache une autre. — Moi, je n’ai ni désirs ni peurs, déclara le Khan, et mes rêves sont composés soit par mon esprit soit par le hasard. — Les villes aussi se croient l’ouvre de l’esprit ou du hasard, mais ni l’un ni l’autre ne suffisent pour faire tenir debout leurs murs. Tu ne jouis pas d’une ville à cause de ses sept ou soixante-dix-sept merveilles, mais de la réponse qu’elle apporte à l’une de tes questions. » (Italo Calvino)
Petite information au passage : une architecte péruvienne, Karina Puente, propose 55 oeuvres, chacune représentant une de ces « villes invisibles », qu’elle a dotées de prénoms féminins.
Voici la présentation de l’ouvrage d’Italo Calvino dans un article fort intéressant, qui le traite, lui, de « dépaysant ».
« Dans Les villes invisibles (Le città invisibili, 1972), Italo Calvino met en scène l’empereur Kublai Khan et Marco Polo. Le premier ne peut visiter toutes les villes qu’il a conquises, et il demande au second de voyager pour lui et de les lui décrire. Selon un ordre savant, Marco Polo décrit des villes merveilleuses, tellement extraordinaires qu’elles pourraient être inventées tout autant qu’exotiques. L’ailleurs, à travers ces descriptions et les dialogues qui s’y intercalent, est donc aussi bien géographique qu’onirique, mais aussi linguistique (l’échange entre les personnages est freiné par un problème de langue). On analyse ici les multiples valences de l’ailleurs, dans un texte qui est sans cesse excentrique, excentré, énigmatique. »

Aquarelle de Sylvie Perrot
Si j’avais su cela avant, j’aurais sans doute mieux compris l’étonnant hiatus entre deux scènes. A commencer par les deux premières : à la deuxième, je me demandais comment on était passé de la salle du trône en Asie, où Marco Polo proposait quelques pacotilles à l’empereur, à ce qui semblait être la préparation d’une fiancée pour son mariage!
Côté mise en scène, rien de bien nouveau. Et j’ai trouvé quelque peu stéréotypée l’évocation de l’Asie. A commencer par l’insistance sur la couleur rouge.
Le rythme global est haché par l’alternance répétée, sans transition, ce qui « perd » le/la spectateur-e en permanence.
Mais la chorégraphie est intéressante, et il faut saluer les prouesses des danseuses et danseurs, dont certain-e-s font preuve de qualités exceptionnelles. Seuls, à deux, en groupe… une danse vive, laissant une large part aux « glissements », à mi-chemin parfois du classicisme et du burlesque. Une mention particulière, à mon goût, pour l’allusion aux derviches, fort réussie.
Les articles lus a posteriori confirment mon impression, comme celui-ci:
« La pièce a tous les ingrédients d’une réussite qui n’est pourtant pas totalement au rendez-vous: qui n’a pas lu l’argument peine à comprendre ce qui se joue sous ses yeux, parce qu’au lieu de rester sur le premier degré du voyage et de la lutte entre les deux hommes s’ajoute une dimension philosophique que la danse peine à faire comprendre. La splendeur n’est pas au rendez-vous. Si les costumes de Jean-Pierre Laporte sont magnifiques, son décor n’a pas les moyens de l’opulence et ne se résout pas à une sobriété qui sauverait la mise. »
Une divergence cependant avec son auteure : je n’ai pas adhéré au personnage campé par Eric Vu-Han, qui, tout en finesse pour évoquer la spiritualité, me semblait manquer de puissance pour l’incarnation d’un empereur tel que Kubilaï Khan, souverain de l’Empire Mongol de 1260 à 1294. En voici quelques représentations artistiques:


Le danseur qui incarne Marco Polo est plus crédible à mon sens.

Le jeune Vénitien a en effet 17 ans quand il entre au service de l’empereur, avec son père et son oncle. La jeunesse, l’impatience, l’esprit un peu rebelle du jeune homme sont bien rendus par Alessio Passaquindici.
Ce que je me dis à présent, c’est que je voudrais m’informer davantage sur ce séjour de Marco Polo auprès de l’empereur, lire l’ouvrage d’Italo Calvino, puis revoir le ballet. Et reste une autre question : le traitement de la musique de Francis Poulenc… je ne suis pas assez experte pour en juger, mais cela m’a questionnée…

Les 4 « derviches »

Des personnages symbolisant différents univers

En rouge, l’empereur. En blanc, le jeune Vénitien




































































