Avril en fête(s)

Leone di San Marco, Vittore Carpaccio (1546)

Il faisait hier une journée de printemps typique de ces régions septentrionales : à l’aube, de la brume… Puis un ciel bleu et pur… Mais un vent froid qui ne permet pas d’apprécier la chaleur du soleil autrement qu’à l’abri des auvents… Mais les oiseaux s’en sont donné à coeur joie, à choeur voix, pour fêter l’Italie, la Révolution des Oeillets et les soixante-huitard-e-s…

Revolucion de las Claveles

Alors, en ce dimanche matin, je vous propose d’écouter le chant des oiseau, et d’abord, pour celles et ceux qui n’ont pas la chance de se promener par monts et par vaux, par bois et par prés, il y a un moyen de le faire virtuellement… Diffusez des huiles essentielles qui vous rappellent la nature, et regardez les magnifiques vidéos réalisées par certain-e-s amateurs/trices ou ornithologues, avec des vues splendides et des enregistrements authentiques… Par exemple, puisque c’est l’oiseau qui séduit le poète (et philosophe) que j’ai eu envie de vous faire découvrir ce matin, la linotte…

Une belle vidéo sur la linotte

Printemps du Nord

Linotte
Qui frigotte,
Dis, que veux-tu de moi ?
Ta note,
Qui tremblote,
Me met tout en émoi.

Journée
Illuminée,
Soleil riant d’avril,
En quel songe
Se plonge
Mon cœur, et que veut-il ?


Sur la haie,
Où s’égaie
Le folâtre printemps,
La rosée,
Irisée,
Sème ses diamants.

Violette
Discrète,
Devant Dieu tu fleuris ;
Primevère,
A la terre,
Bouche d’or, tu souris.

Petite
Marguerite,
Conseillère du cœur,
Ta couronne
Mignonne
Epèle mon bonheur.

Blanche et fine
Aubépine,
A tes pieds, la fourmi
Déjà teille
Et réveille
Son brin d’herbe endormi.


La mousse
Qui repousse
Attend l’or du grillon ;
La rose,
Fraîche éclose,
Rêve au bleu papillon.

Mais, fidèle
Hirondelle,
Au nid toi qui reviens,
La tristesse
M’oppresse…..
Où donc sont tous les miens ?

L’eau sans ride
Et limpide
Ouvre de ses palais,
Où tout brille
Et frétille,
Les réduits les plus frais.

Sur la branche
Qui penche,
Vif, l’écureuil bondit ;
La fauvette
Coquette
Se lustre dans son nid.


La grue
En l’étendue
A glissé, trait d’argent ;
Dans l’anse
Se balance
Le cygne négligent.

La follette
Alouette,
Gai chantre des beaux jours,
Dans l’azur libre
Vibre,
Appelant les amours.

Journée
Illuminée,
Soleil riant d’avril,
En quel songe
Se plonge
Mon cœur, et que veut-il ?

Dans l’onde
Vagabonde,
Aux prés, sur les buissons,
Sous la ramée
Aimée,
Aux airs, dans les sillons,


Tout tressaille
Et travaille,
Germe, respire et vit,
Tout palpite
Et s’agite,
Va, chante, aime et bénit.

Mais mon âme
Est sans flamme…..
Beaux jours en vain donnés,
Nature
Calme et pure,
O printemps, pardonnez !

Linotte
Qui frigotte,
Dis, que veux-tu de moi ?
Ta note
Qui tremblote
Met mon cœur en émoi.

Henri-Frédéric Amiel, Heringsdorf, sur la Baltique, 1847.

Les mots qui désignent la linotte parfois sont aussi mélodieux… Oublions le « linnet » anglais, trop proche du nôtre, mais le « fanello » italien le « pardillo » ou le « jilguero » espagnol, voire le makolagwo polonais chantent aussi…

Par contre, pourquoi avoir, en français, stigmatisé ce pauvre volatile qui est devenu symbole de l’étourderie?

Je me suis amusée à rechercher si c’était aussi vrai dans les autres langues… Eh non! Nulle part, si l’on en croit le tableau comparatif emprunté à ce site.

PaysLangueExpression équivalenteTraduction littérale
Pays de GallesGalloisPen dafadTête de mouton
AllemagneAllemandSpatzenhirn Cerveau de moineau
AngleterreAnglaisBirdbrain Tête d’oiseau
AngleterreAnglaisEmpty headed person Personne à la tête vide
États-UnisAnglaisAirhead Tête d’air
États-UnisAnglaisBird brain Cerveau d’oiseau
États-UnisAnglaisScatterbrain Cerveau éparpillé
IrlandeAnglaisFeather brain Cerveau à plumes donc d’oiseau
ArgentineEspagnolCabeza de chorlito Tête de linotte ou de chevalier (oiseau)
ArgentineEspagnolCabeza de novia Tête de fiancée
ArgentineEspagnolCabeza hueca Tête creuse
EspagneEspagnolCabeza de chorlito Tête de linotte
CanadaFrançaisCervelle d’oiseau
CanadaFrançaisPetit cerveau
CanadaFrançaisTête de piocheImbécile
HongrieHongroisSzeleburdiEtourdi
ItalieItalienCervello di gallina Cerveau de poule
BelgiqueNéerlandaisKip zonder kop Poule sans tête
BelgiqueNéerlandaisMèteko (Leuvense / Louvain) Stupide (patois, racine inconnu)
Pays-BasNéerlandaisEen hoofd als een vergiet hebben Avoir une tête comme une passoire
Pays-BasNéerlandaisLeeghoofd Tête vide
BrésilPortugaisCabeça de bagre Tête de silure (poisson-chat)
BrésilPortugaisCabeça oca Tête creuse
RoumanieRoumainCap sec Tête vide
RussieRusseдырявая голова Une tête à trous
SlovaquieSlovaqueVetroplachLa personne qui dissipe le vent

« Chorlito », j’ai vérifié, c’est le pluvier, pas la linotte! Comme vous le voyez, la linotte n’est pas le seul avidé visé… Il y a aussi le moineau (pour nous, c’est sa cervelle!), le pluvier, la poule… et l’oiseau en général… parfois associé aux femmes… Et si on faisait l’inverse, donner une « tête de femme » aux oiseaux? Il y en a qui ont déjà eu l’idée… Les Egyptiens par exemple…

Sans compter les Harpies… Mais c’est une autre histoire…

Connaissez-vous cette chanson interprétée par Annie Cordy? Heureusement, Grou se réclame de ce qualificatif… un moment d’humour par auto-dérision…

Il était temps de réhabiliter la linotte… Michèle Bernard s’en est chargée, heureusement!

Plus d’ piles dans la télécommande
Et l’aquarium n’a plus de poissons
L’écran est vide et tu t’ demandes
« Mais qui donc a pu couper le son ? »

Ton magnéto, ta calculette
Qui pataugent dans le goudron chaud
Foutus tes dicos, tes disquettes
Et même ta souris qu’a dit ciao !

Tout ce que t’avais mis en mémoire
Ton disque dur, comme une armoire
Bourrée de linge et d’ naphtaline
Un gros bug et y a tout qui s’ débine

C’était une blague, non, c’est pas vrai

Pas b’soin d’ te faire hara-kiri
Mais quand même, si ça t’arrivait
Écoute-moi, est-ce que t’as appris

Au moins une chanson par cœur
Dans ta tête de bois, ta caboche
Celle que tu veux : Le p’tit bonheur
La Javanaise ou Les trois cloches

Rien qu’une chanson qui t’ fait du bien
Mais tout entière, couplets, refrain
Et va pas m’ raconter d’histoires
Que t’aurais pas l’ temps, pas d’ mémoire

Dans une tête de linotte
Y a toujours quelques notes
Un trésor tout petit
Qui chantera toute sa vie


J’ veux pas jouer les rabat-joie
Mais la vie, ça fait pas qu’ des risettes
T’as plein d’ gadgets au bout des doigts
Mais t’as comme du brouillard dans ta tête

À voir le monde par des lucarnes
Un beau jour, on se retrouve tout nu
Sans rien, pas d’ami, pas de larmes
Et la peur de traverser la rue

Un coup d’ blues, une vacherie du sort
Nous v’là projetés dans l’ décor
D’un mauvais film où, sans doublure,
Faut quand même savoir faire bonne figure

À la guerre ou même en cabane
Dans un scanner, on s’ sent tout p’tit

Et dans le silence de son âme
On est content d’avoir appris

Au moins une chanson par cœur
Dans ta tête de bois, ta bobine
Celle que tu veux : Le déserteur
Frou-frou, Laisse béton, Nuits de Chine

Rien qu’une chanson pour t’nir le coup
Quoi qu’il arrive et jusqu’au bout
Et va pas m’ raconter d’histoires
Que t’aurais pas l’ temps, pas d’ mémoire

Dans une tête de linotte
Y a toujours quelques notes
Un trésor tout petit
Qui chantera toute sa vie


Dans une tête de linotte
Y a toujours quelques notes
Un trésor tout petit
Qui chantera toute sa vie

Composition, Pierre Tal Coat (1954)

A tire d’ailes

Etretat Interior, Matisse (1920)

J’ai reçu dernièrement un joli cadeau… Une chanson basque, que j’ai beaucoup aimée. D’où mon envie de vous la faire découvrir… Voici la vidéo reçue… La chanson est interprétée par John Kelly & Maite Itoiz. C’était en 2008, l’année de la disparition de celui qui l’a mise en musique et interprété le premier, en 1974, Mikel Laboa. Une autre version en est présentée, filmée en 2011, que je trouve moins authentique, plus « travaillée ». Mais il faut reconnaître qu’elle prend de l’ampleur avec le choeur… En 2018, la chanteuse la reprend seule, en s’accompagnant d’une harpe, avec le choeur Son Espases. Très émouvant… Et mon coeur balance entre cette dernière et la magnifique interprétation de Laura Latienda et Gaztelu Zahar (2016), avec une voix plus grave, un choeur d’hommes et un orchestre plus « populaire ». Une autre chanteuse s’en est emparée, Anne Etchegoyen. Très belle voix également…. Bref, je ne me suis pas lassée de l’écouter encore et encore…

Femme et oiseau dans la nuit, Miro (1942)

Mais je n’ai pu m’empêcher d’en rechercher les paroles… Les voici donc, en basque puis traduite en français.

Txoria txori

Hegoak ebaki banizkio
nerea izango zen,
ez zuen aldegingo.
Hegoak ebaki banizkio
nerea izango zen,
ez zuen aldegingo.

Bainan, honela
ez zen gehiago txoria izango
Bainan, honela
ez zen gehiago txoria izango
eta nik…
txoria nuen maite
eta nik…
txoria nuen maite.

L’oiseau

Si je lui avais coupé les ailes

il aurait été à moi

il ne serait jamais reparti

Si je lui avais coupé les ailes

il aurait été à moi

il ne serait jamais reparti. 

Mais, ainsi, il n’aurait plus été un oiseau,

Mais, ainsi, il n’aurait plus été un oiseau,

et moi… j’aimais l’oiseau !

et moi… j’aimais l’oiseau !

Source traduction

Hassan Massoudy (copyright)

Et, bien sûr, j’ai voulu en savoir plus, non seulement sur la chanson, mais sur ceux qui l’ont créée.

« En 1968, Mikel est allé dîner un soir avec sa femme dans un restaurant de Saint-Sébastien, ainsi qu’avec Joxean Artze. Le poème Txoria Txori de Joxean Artze (alors âgé d’environ 25 ans), a été écrit sur une serviette ce soir là ! C’était un acte de résistance contre l’interdiction faite par le régime franquiste d’utiliser la langue basque. Sa femme le lui a lu, et lui a dit que c’était un beau poème. Il l’a lu à son tour, et il lui a beaucoup plu aussi. Quand ils sont rentrés à la maison, il l’a mis en musique en très peu de temps. Mikel Laboa a présenté pour la première fois la chanson au théâtre Astoria de Saint-Sébastien. »

Voici ce qu’en dit son auteur dans un interview (source)

« J’avais 24-25 ans lorsque je l’ai écrit. Le thème de l’oiseau figure souvent dans nos vieux recueils de chants. Il m’avait semblé que l’on pouvait l’assimiler à l’image de la liberté. Ici apparaît le dilemme de la liberté de la personne proche que l’on souhaite posséder. Mais la liberté de ces personnes existe… il faut choisir . Ou vous attachez la personne et vous la possédez comme un oiseau en cage, ou vous aimez la personne telle qu’elle est, et alors, si elle souhaite partir, vous devez la laisser partir. C’est pour cela que je n’ai jamais possédé d’oiseau en cage. Je leur jette du pain par la fenêtre et s’ils viennent se nourrir, je les observe et je me contente de cette contemplation. Parce que c’est comme cela que je veux que les oiseaux soient… »

Un bel hommage a été rendu aux deux amis, décédés à dix ans d’intervalle, par Maialen Lujanbio.

Wikipédia recense 17 interprètes différents pour cette chanson, dont Joan Baez, qui l’a interprétée au Concert pour la Paix, aux arènes de Bilbao – certain-e-s se sont quelque peu amusé-e-s de sa prononciation! Totalement différente, la version d’Arraya : on passe du romantisme à la contestation forte… Un autre choeur d’hommes, Pyrénéens, Vaya con Dios, l’a reprise un peu dans le même sens. Car cette chanson a connu beaucoup d’avatars… Le mieux est de revenir à son co-créateur, Mikel Laboa. Une vidéo avec de belles images du pays et des sous-titres en espagnol, et une autre avec des photos de lui et des illustrations parlantes…

Mikel Laboa avait fondé le groupe culturel Ez Dok Amairu, dont la signification est « Il n’y a pas de treize » (pas de « malédiction ») – d’ailleurs, le chanteur avait l’habitude de numéroter ses albums, mais passe du 12 au 14…

Quelques membres de Ez Dok Amairu
Il n’y a pas de treize…