Equilibration

Il y a longtemps que je n’ai écrit sur un mot, après qu’il m’eut intéressée ou plu. Or un ami m’a reprise alors que je parlais d’équilibre/équilibrage, pour utiliser le terme « équilibration ». Il n’en fallait pas plus pour m’intriguer et déclencher, comme le savent mes lecteurs/trices assidu-e-s, une recherche. En ce matin un peu gris de mi-août, je vous en livre quelques résultats, avec beaucoup de modestie…

Premier résultat, qui ne vous étonnera pas : il a plusieurs sens. Je vais donc focaliser sur celui qui m’intéresse, car concernant le corps humain. Je dis « corps » a priori, mais nous serons vite entraîné-e-s au-delà de celui-ci! Que dit donc le CNTRL?

« Ensemble des moyens permettant à un organisme vivant de trouver ou de maintenir son équilibre physique. Nécessité d’une intégrité absolue de l’appareil d’équilibration chez les candidats pilotes (Langlois, Binet dsNouv. Traité Méd.,fasc. 7, 1924, p. 164). »

Et l’Académie Française?

« 1.Ensemble des actions et des réactions qui permettent à un individu de se maintenir en équilibre.

2.Marque de domaine : physiologie.Marque de domaine : médecine.Mise en œuvre physiologique ou thérapeutique des moyens destinés à maintenir un équilibre dans le corps d’un être vivant.Un des principaux desseins de la réanimation médicale est l’équilibration du milieu intérieur. »

Tout cela renvoie donc à la notion d’ « équilibre ». Là aussi, une vraie polysémie! Mais, en adepte inconditionnelle d’Edgar Morin, je privilégie la vision systémique…

« Qu’est-ce que la complexité ? Au premier abord, la complexité était issue (complexus : ce qui est tissé ensemble) de constituants hétérogènes inséparablement associés : elle pose le paradoxe de l’un et du multiple. Au second abord, la complexité est effectivement le tissu d’événements, actions, interactions, rétroactions, déterminations, aléas, qui constituent notre monde phénoménal. Mais alors la complexité se présente avec les traits inquiétants du fouillis, de l’inextricable, du désordre, de l’ambiguïté, de l’incertitude. »

D’où l’importance de la notion d’ « équilibre », ou plutôt de « déséquilibre ».

« Deux conséquences capitales découlent donc de l’idée de système ouvert : la première est que les lois d’organisation du vivant ne sont pas des lois d’équilibre, mais de déséquilibre, rattrapé ou compensé, de dynamisme stabilisé. La seconde conséquence est que l’intelligibilité du système doit être trouvée, non seulement dans le système lui-même, mais aussi dans sa relation avec l’environnement, et que cette relation n’est pas qu’une simple dépendance, elle est constitutive du système. »

Nous allons donc trouver la notion d’ « équilibration » dans tous les domaines qui ont trait au vivant, donc à l’humain.

Un posturologue (autre terme découvert récemment, j’ignorais son existence!) travaille essentiellement cette équilibration.

« La posturologie s’intéresse au système postural qui comprend les mécanismes musculo-articulaires et nerveux. Ces mécanismes sont impliqués dans l’équilibre, que ce soit en état statique ou mobile. La posturologie accompagne les personnes qui souhaitent retrouver un bon schéma moteur afin d’éviter les déséquilibres et asymétries qui entraînent des compensations physiques et causent des douleurs. 

La posturologie cherche à comprendre, à diagnostiquer et à traiter un ensemble de pathologies en tenant compte des interactions des différents systèmes qui composent l’individu. En effet, pour se tenir debout, l’être humain doit lutter contre la gravité et continuellement rechercher l’équilibre en sollicitant notamment ses forces musculaires. Pour conserver sa verticalité, il doit sans cesse adapter son corps à son environnement en fonction des signaux extérieurs reçus par ses capteurs neurosensoriels. » (source : Ecole d’Assas)

Loin de moi l’idée de vous faire un cours sur la posturologie, j’en serais d’ailleurs bien incapable! Mais cette idée de « capteur » est captivante, non? D’autant qu’on conçoit aisément que ces « capteurs » sont en lien avec des systèmes divers et variés…

Une image, empruntée à l’ECAP (école de kinésiologie) évoque ces interactions.

Encore ne concerne-t-elle qu’un muscle!

Pour ma part, j’avais rencontré l’équilibration avec Piaget. Rien d’étonnant à cela puisque, comme vous le savez peut-être, Piaget, si exploité par les penseurs en pédagogie et didactique, était avant tout un scientifique. Voici quelques extraits empruntés au site de la Fondation Jean Piaget.

« L’équilibration est pour Piaget le processus fondamental qui permet de comprendre l’apparition de conduites et de connaissances assurant une emprise de plus en plus grande du sujet à la fois sur ses propres actions et sur les transformations de la réalité extérieure.

C’est ce processus qui explique l’apparition de systèmes cognitifs rendus de plus en plus puissants en raison des propriétés mathématiques des structures opératoires dont ils sont composés, ou qui rend compte de la façon dont les pouvoirs et les propriétés des systèmes préopératoires ou opératoires préalablement acquis s’intègrent au sein des nouveaux systèmes. »

Et de conclure un peu plus loin.

« L’universalité de fonctionnement de l’équilibration, qui s’applique aux phénomènes biologiques, psychologiques et sociaux, aussi bien que physiques, fait de la notion d’équilibration un concept explicatif de portée aussi vaste que tous les principes de la physique auxquels il se rattache d’ailleurs souvent (celui de moindre action par exemple).« 

Mais pour moi comme pour l’ami à l’origine de ces questionnements, et donc de cet article, ce n’est pas que « physique ». Ou alors, avec un sens très ouvert de ce terme.

Pourquoi ne pas se permettre de penser sa personnalité, voire sa vie, sous forme d’équilibration? Voilà qui laisse à penser, n’est-ce pas? Voire à se lancer dans une perpétuelle recherche d’un déséquilibre assumé?

J’ai découvert la somathèque

En allant dîner ce soir-là au restaurant argentin proche de chez moi, El Sur, « Le Bistro simpatico de Paris » – comme le présente son site -, je savais que je mangerais de délicieux empenadas et que je pourrais m’amuser à déguster le très bon guacamole avec des chips de maïs…

Je savais aussi qu’il me serait possible de goûter à un nouveau Malbec (encadrés en jaune, ceux que j’ai déjà tentés, et en vert le « nouveau », plus léger que les autres…

Je savais aussi que j’allais passer une bonne soirée avec mon « meilleur ami » qui adore ce restaurant car il est ce qu’on appelle un « viandard » (non pas dans le sens de « mauvais chasseur », mais dans celui de « grand mangeur de viande », et je dirais pour ma part plutôt « très amateur de bonne viande »). Le tout dans une ambiance chaleureuse, avec des serveurs et serveuses tou-te-s aussi jeunes et tou-te-s aussi sud-américain-e-s, bien que provenant de pays différents (Argentine, Mexique, Chili…).

Ce que j’ignorais, c’est que j’allais discuter philosophie avec l’une des personnes qui nous servaient! Et découvrir un nouveau mot, voire un nouveau concept : la « somathèque », que cet étudiant d’origine chilienne exploitait dans le contexte de la thèse qu’il prépare.

Dès qu’il l’a prononcé, mon cerveau d’helléniste (même pas distinguée!) a vite tourné. Soma, le corps. Thèque, l’endroit où l’on dépose, conserve, permet de consulter. Mais qu’est-ce qu’on peut bien conserver dans un corps? « Des traces… des souvenirs… Les marques de sa vie… etc » tenta-t-il de m’expliquer.
Un peu frustrée quand même, car il ne pouvait passer sa soirée à notre table, je décidai de m’enquérir de son sens et de son exploitation par la suite. C’est maintenant chose faite, et, si vous le voulez bien, je vais partager cela avec vous.
Le « papa » de ce concept, le voici : Paul B. Preciado, un Espagnol qui a eu comme conseiller pédagogique Jacques Derrida, pour vous préciser la « filiation intellectuelle ». Née comme Beatriz en 1970, iel a commencé quarante ans plus tard une « transition douce » et est devenu Paul.

« Pour son ouvrage Testo Junkie, Preciado expérimente pendant 236 jours un dispositif d’écriture accompagné d’une prise de doses de testostérone synthétique en gel, exercice s’inscrivant plus largement dans le cadre d’« expérimentations performatives et biotechnologiques de la subjectivité sexuelle et de genre. » (2008, p. 301). »

« La testostérone en tant que « liquide performatif » (Preciado, cité dans Smith, 2023)
participe à cette manifestation de notre transitude qui, à défaut d’être perceptible dès le premier instant, doit d’abord se constituer dans l’imaginaire. D’où l’importance des récits et de leur valeur poétique dans notre mise au monde trans : « C’est dans notre imagination en tant que force de transformation politique que nous commençons à devenir trans. » (Preciado, 2023)
. »

(source)

« Preciado a été professeur d’histoire politique du corps, de théorie du genre et d’histoire de la performance à l’Université Paris VIII et a été directeur du Programme d’études indépendantes (PEI) du Musée d’art contemporain de Barcelone (MACBA).
[ 5] Il a été conservateur des programmes publics de la documenta 14, de Kassel et
d’Athènes
. » (Wikipedia).
Mais ce n’est pas tout : il a aussi écrit, réalisé des films, et été commissaire d’expositions. Sans compter qu’il a partagé la vie de Virginie Despentes de 2005 à 2014…

Mais revenons à la « somathèque ». Le philosophe s’exprimait en ces termes dans un interview à l’occasion de son invitation en tant qu’ « invité intellectuel » au Centre Georges Pompidou en 2020 :

« La notion du corps est une des plus imprécises en philosophie. L’idée moderne de corps en tant qu’ensemble d’organes, le corps-objet biologique, n’est qu’une des fictions politiques du discours anatomique et médical. Il est aujourd’hui nécessaire de faire place à la notion de somathèque, un appareil somatique dense et stratifié, pour nommer et intervenir sur l’ensemble des pratiques de (re) production, de gestion et de destruction du corps, mais aussi de résistance et de contre-culture. La notion de somathèque surpasse et inclut le corps-anatomie pour penser une archive politique et culturelle vivante faite de représentations, de langages et de codes informatiques et traversée de flux organiques et inorganiques. »

« Le corps, c’est une somathèque : un ensemble de représentations, de rituels, de techniques, de normes de théâtralisation.” (2020) »

Voilà, vous en savez autant que moi, je vous laisse poursuivre vos découvertes, si le sujet vous intéresse. J’ai pour ma part trouvé d’innombrables écrits sur ces sujets… mais je suis encore loin de tout comprendre!!!

Une expo de ouf (2 bis)

Je vous avais promis de vous donner la solution… La voici donc : il s’agit d’un philosophe de l’Antiquité Grecque, que d’aucun-e-s (comme moi) avaient tendance à considérer comme un « Sage »… Aristote! Eh oui… Alors, comment se fait-il qu’on le trouve représenté en si fâcheuse posture?
A l’origine, de violents débats autour de la philosophie, dans la Sorbonne médiévale (mais pas seulement!). Il a été victime des controverses entre l’Eglise et la Science. Dans un tel cas, les partis cherchent à nuire aux personnes qui leur sont opposées. De nos jours, c’est plutôt aux vivant-e-s. Mais à cette époque, aucun problème pour attaquer les mort-e-s, donc Aristote.

Qu’avait-il donc fait qui lui a valu un tel traitement artistique? Tout simplement d’avoir été amoureux de la maîtresse d’Alexandre le Grand, Phyllis. Les trouvères ou troubadours se saisirent de l’histoire, et ainsi naquit le Lai d’Aristote.

Moi qui faillit devenir médiéviste et qui suis fan des Lais de Marie de France, je dois bien avouer que je ne connaissais pas ce lai. Je ne résiste donc pas à l’envie de vous le livrer tout entier, ce qui vous permettra de méditer cette nuit…

Aristote, qui avait pour élève Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.), reprochait à ce dernier de se laisser déconcentrer de ses royales fonctions par la courtisane Phyllis dont il était éperdument amoureux. Obéissant, le brave roi de Macédoine cesse donc de fréquenter la donzelle et s’en retourne traiter les affaires de l’État. Apprenant les raisons de son abandon, la gourgandine décide de se venger du vieux philosophe et tente de le séduire en se pavanant sous ses fenêtres en tenue légère. Notre Stagirite tombe sous le charme ! Phyllis annonce alors au sage que s’il veut la posséder, il devra d’abord se livrer à un petit caprice et, sellé et bridé, se laisser chevaucher par la belle. L’éminent barbu accepte ce jeu sans se douter du tour qu’on est en train de lui jouer. En selle et hue ! voilà Phyllis qui se promène à dos d’Aristote dans les jardins du roi, le fouettant pour le faire avancer. Alexandre du sommet de sa tour, assiste à cette scène accablante. Amusé, il reproche tout de même à son maître de n’avoir point de raison et d’avoir cédé au jeu de la tentation. Le philosophe est bien contraint d’admettre qu’il n’a su résister à son désir, mais profite de la situation pour donner la leçon à son pupille : si même le sage succombe, que de précautions doit prendre le jeune et fougueux Alexandre pour ne pas se laisser prendre aux pièges de la séduction. Comme le dit Aristote : «Veritez est, et ge le di, / Qu’amor vaint tout et tout vaincra / Tant com cis siecles durera » (Lai d’Aristote version de M. Delbouille, v. 577-579).

Au fait, nouvelle énigme : qu’est-ce donc qu’un Stagirite?

Une philosophie nouvelle ?

Hier soir un bel homme, relativement jeune, grand et carré, souriant, sur le plateau de Quotidien, l’émission de Yann Barthès, que j’aime à suivre parfois… Plein d’humilité et d’humour, il jouait le jeu des animateurs/trices de l’émission et se pliait à toutes leurs demandes, allant même jusqu’à manger une « pizza » à la pâte faite à partir de pommes de terre.

Charles Pépin, puisque tel est son nom, est philosophe. Les philosophes ne sont donc pas tous des vieux barbons barbants ou pérorants ?

Il se trouve que j’ai commandé son livre la semaine dernière pour quelqu’un qui avait déjà assisté à un de ses entretiens. Et j’ai compris pourquoi. Une « fausse simplicité » dans son approche philosophique, qui en réalité entraîne beaucoup plus loin et plus profond qu’il n’y paraît. De la vulgarisation? Peut-être. Mais alors, elle est vraiment bien faite.

Le livre est maintenant en ma possession… Je vous tiendrai donc informé-e-s de mon ressenti… je ne me permettrai pas de parler d’analyse!