La servante de Proust

Celles et ceux d’entre vous qui suivent ce blog régulièrement savent qu’il est un petit théâtre que j’affectionne, le Poche Montparnasse. Non pour son confort (plus que sommaire) ni pour la facilité du stationnement, mais pour l’accueil aimable et surtout la qualité des spectacles.

Cette fois encore, je ne fus point déçue…

Pourquoi avoir choisi de le voir, moi qui n’aime pas trop les « one (wo)man show » (même si ce n’en est pas tout à fait un)? Tout simplement parce que j’ai vu l’an dernier la très belle exposition sur Proust au Musée Carnavalet, où l’on parlait longuement du rôle étonnant de cette « servante ». Un rappel, donc. Un contrepoint. Un complément?

« Servante » ne me paraît pas tout à fait adapté, comme terme, car, telle que présentée dans cette pièce, je l’appellerais plutôt « dame de compagnie ». Même si elle ne prétend pas être une « Dame », Céleste Albaret, de son vrai nom Augustine Célestine Gineste.

Une performance remarquable de l’actrice, Annick Le Goff. Qui parvient à tenir les spectateurs/trices en haleine pendant 1H15, les faisant passer par toutes les émotions, leur faisant visualiser ce qu’est censée avoir vécu la jeune femme qui accompagna les dernières années de l’écrivain si particulier que fut Marcel Proust.

J’ai moins apprécié le jeu de celle qui intervient dans la seconde partie, Clémence Boisnard, trop statique, presque « empesée ». Dommage… mais peut-être est-ce voulu pour accentuer le contraste?

Je ne vous en dirai pas plus, préférant vous laisser découvrir ce beau spectacle qui nous plonge dans un univers si spécifique, au début du XXème siècle : l’appartement de l’écrivain qui sacrifia son présent au futur de son oeuvre. Et pour celles et ceux qui sont loin des scènes, il reste le livre de Belmont.

Monsieur Proust - Céleste Albaret - Robert Laffont - Poche - Librairie Le  Failler RENNES

Un roman graphique en a été tiré.

Duc et Pioche

Jamais je n’aurais eu l’idée d’aller voir une pièce ainsi intitulée. Quel drôle de titre! Mais me voici entraînée au Théâtre de Poche (et non de Pioche) à Montparnasse, dans la même salle où j’avais assisté à une pièce fort intéressante voici quelques temps… Des banquettes en arc de cercle autour d’une non-scène, et le décor quasi inchangé : un petit bureau couvert de papier et quelques objets pour situer l’époque. En l’occurrence, le XVIIème siècle.

Restait à essayer de comprendre qui pouvait être « Pioche », et de quel « Duc » il s’agissait…

L’acteur incarnant ce Duc est un condensé de séduction, à presque 70 ans, ce qui m’a quelque peu gênée pour suivre intellectuellement. Je ne le connaissais pas, et viens de regarder sur le net de qui il s’agit : François-Eric Gendron. Quant à l’actice, née elle aussi en 1955, elle se nomme Sabine Haudepin. Nom qui vous rappelle quelque chose? Normal, elle est la soeur de Didier Haudepin que vous avez sans doute vu dans des films naguère.

Mais revenons à la pièce. On apprend progressivement que le Duc est auteur de Maximes célèbres… Vous avez deviné? Oui, c’est bien de François de La Rochefoucauld dont il est question.

La pièce traite de son amitié avec une auteure célèbre de l’époque. Cet incroyable Frondeur et séducteur s’est, paraît-il, « assagi » en vieillissant. On parle donc d’amitié entre lui et Marie-Madeleine, des liens qui auraient duré un quart de siècle, de 1655 à 1680, année du décès du Duc, qui avait 21 ans de plus que celle qui lui survivra dix ans encore. Qui était « Pioche »? Avez-vous trouvé? Des indices : amie de Madame de Sévigné, qu’elle a connu quand sa mère s’est remariée avec un oncle de celle-ci, Renaud-René de Sévigné, et à qui elle écrivit un jour :

« Vous êtes en Provence, ma belle ; vos heures sont libres, et votre tête encore plus. Le goût d’écrire vous dure encore pour tout le monde : il m’est passé pour tout le monde et, si j’avais un amant qui voulût de mes lettres tous les matins, je romprais avec lui. Ne mesurez donc point notre amitié sur l’écriture. Je vous aimerai autant en ne vous écrivant qu’une page en un mois, que vous en m’en écrivant dix en huit jours« …

Ecrivaine ayant eu pour conseillers littéraires Segrais et Ménage…

Pioche était le nom de son père, un bourgeois, écuyer du roi et faisant partie de la suite de Richelieu qui lui confia l’éducation de son filleul. Il se faisait appeler Pioche de la Vergne pour paraître plus « noble ». Le prénom de sa fille évoque la nièce du Cardinal, Marie-Madeleine de Vignerot du Pont-de-Courlay, dame de Comballet puis duchesse d’Aiguillon. Isabelle Pena, fille d’un médecin du roi, mère de Marie-Madeleine, était à son service.

Sous quel nom est connue cette Marie-Madeleine Pioche de La Vergne? Avez-vous trouvé? Dans ce pays patriarcal, il faut chercher le nom de l’époux. A 21 ans, elle s’était mariée avec un « vieux » de 38, François Motier, comte de La Fayette. D’où le nom qui passera à la postérité comme celui d’une écrivaine de ce siècle : Madame de La Fayette.

La pièce met donc en scène les deux amis, au moment où l’auteure entreprend l’écriture de ce qui deviendra La Princesse de Clèves. On assiste à la genèse de cet ouvrage. Quelle part du fictif et de la réalité? Impossible à déterminer! Mais j’ai trouvé intéressants les questionnements autour de la conception du roman. Co-conception, en l’occurrence, devrais-je plutôt dire. Quel incipit? Comment rendre les personnages crédibles? Quels lieux choisir pour « décors » de l’action? Peut-on éviter de narrer, pour mieux mettre en valeur les finesses psychologiques? Tel est le thème de cette pièce écrite par Jean-Marie Besset, que j’ai vue (et surtout écoutée) avec beaucoup d’attention, en regrettant de ne pas avoir relu le livre avant…

« 

Des Essais transformés…

Vous l’avez deviné, il ne s’agit pas de rugby. Même si je me suis de temps à autre, pour des raisons affectives et/ou amicales, intéressée à ce sport, le préféré de mon grand-père gascon, pratiqué par mon cousin et par des amis, ainsi que pour des raisons professionnelles, en raison de la démarche « Scrum » prônée dans le management agile. Mais je ne m’y connais pas assez pour disserter ou divaguer sur ce blog à ce sujet (même si l’envie m’en est venue le jour où une émission de radio mettait en exergue le débat sur le genre : football connoté masculin, rugby connoté féminin).

Donc, disais-je, pas de rugby.

Vous commencez à deviner…

Mais oui, bien sûr, il s’agit du livre que j’ai appréciée lors de mon adolescence, parce que l’hédonisme commençait à poindre son nez et n’était pas encore entré en conflit avec l’épicurisme dans un cerveau non encore (dé) formé.

L’auteur dont j’ai adopté la devise « Que sais-je? ».
Celui qui défend son amitié amoureuse avec celui qui a disparu.
Celui qui se réfugie dans sa « bibliothèque » pour fuir le bruit du monde…

Mise en scène et jeu de l’acteur, tout est excellent. La mise en scène est extrêmement sobre et ne joue que sur les indices : cloches, bassine pour se laver, vêtements… Mais cela suffit à filer la métaphore une journée / une vie.

Hervé Briaux joue de tous les registres, sa diction est parfaite, et il épouse par le ton, la voix, le jeu, les idées de Montaigne.

Quant au texte, je l’ai acheté à l’issue du spectacle, bien que j’aie déjà dans ma bibliothèque au moins deux exemplaires des Essais. Pourquoi? Tout simplement parce que j’ai aimé la sélection faite. Les extraits choisis composent une nouvelle oeuvre, parfaitement cohérente.

Je ne vous en citerai que des « extraits d’extraits », afin de vous laisser le plaisir de découvrir les autres.

« Il faut toujours avoir ses bottes aux pieds et être prêt à partir » (suivi d’un développement sur l’inepsie d’anticiper et de craindre, voire de souhaiter mourir de vieillesse).

Montaigne a été élevé en langue latine, et ne pouvait ignorer le poème d’Horace (22-23) extrait des Odes :

« Tu ne quaesieris, scire nefas, quem mihi, quem tibi
finem di dederint, Leuconoe, nec Babylonios
temptaris numeros. ut melius, quidquid erit, pati.
seu pluris hiemes seu tribuit Iuppiter ultimam,
quae nunc oppositis debilitat pumicibus mare
Tyrrhenum. Sapias, vina liques et spatio brevi
spem longam reseces. dum loquimur, fugerit invida
aetas: carpe diem, quam minimum credula postero. »

Traduit ainsi par Leconte de Lisle en 1873 (eh oui, il n’a pas écrit que La Marseillaise!)

« Ne cherche pas à connaître, il est défendu de le savoir, quelle destinée nous ont faite les Dieux, à toi et à moi, ô Leuconoé ; et n’interroge pas les Nombres Babyloniens. Combien le mieux est de se résigner, quoi qu’il arrive ! Que Jupiter t’accorde plusieurs hivers, ou que celui-ci soit le dernier, qui heurte maintenant la mer Tyrrhénienne contre les rochers immuables, sois sage, filtre tes vins et mesure tes longues espérances à la brièveté de la vie. Pendant que nous parlons, le temps jaloux s’enfuit.
Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain
« .

« Tout ce qui peut être fait un autre jour, fais-le aujourd’hui. » Cela dit, non pour le travail, mais pour les plaisirs...

« Ces plaisirs leur eurent bientôt donné un doux gage de leur amour, une fille qui attira les dieux et les hommes dès qu’on la vit. On lui a bâti des temples sous le nom de Volupté.

Les Amours de Psyché et de Cupidon, II »

« Quoi que disent les philosophes, le but ultime de notre visée, c’est la volupté ».

« … de tous les plaisirs que nous connaissons, la poursuite même de ces plaisirs est attrayante. Il faut empoigner les biens et les plaisirs présents, ici et maintenant, car nous n’avons aucune prise sur les choses à venir. »

Pour finir, un passage qui m’a réconfortée, moi qui ai des difficultés à accepter mes paradoxes et tensions internes…

« Toutes les contradictions se trouvent en moi. De bonne humeur – de mauvaise humeur, intelligent – obtus, timide – insolent, bavard – taiseux, dur à la peine – paresseux, menteur – véridique, chaste – luxurieux« .

J’espère que cette sélection dans une autre sélection vous aura plu, et donné envie d’aller voir ce spectacle court mais qui marque l’esprit…