Un château disparu

Qui se souvient de ce château en bord de Seine, si près de Paris? Qui a jamais entendu parler du château de Becon? Sans « les Bruyères », si vous pensiez à cela. Quoique. Oui, vous pourriez l’ajouter si vous pensez que tous deux se situent à Courbevoie…

J’ai cherché l’étymologie du terme. Deux pistes trouvées : d’une part, « la terre de Becco », ce dernier étant un nom gaulois; d’autre part, « le phare terrestre » (Claude Bourgeois, 1997). Pas impossible, car il y avait un port à cet endroit.

Bref, un château dominant la Seine, à une époque où ses rives étaient verdoyantes.

Plan de Roussel, 1733

« Les Bruyères », c’était un quartier d’Asnières-sur-Seine et de Bois-Colombes… Et, sur le plan ci-dessus, vous pouvez situer le château, car l’île située en face porte toujours le même nom (ou presque) : c’est celle qui soutient le pont de Courbevoie. Difficile d’imaginer autant de verdure à cet endroit, non? Et encore plus un bac, comme celui que l’on voit sur la carte ci-dessous.

Le château fut construit à la fin du XVIIIème siècle, à peu près à l’emplacement de ce qui fut une maison de campagne qui aurait accueilli un temps Richelieu, au hameau de Becon. Au départ, ce n’était qu’une « maison de plaisance », qui appartenait à Mme de Choiseul. Par la suite, le Comte Orsini l’agrandit. Il passa ensuite entre les mains du Comte de Cayla, pair de France, puis à sa fille, puis au docteur Guillée. C’est dans ces lieux que Thiers aurait écrit son Histoire du Consulat et de l’Empire.

Il aurait par la suite abrité une congrégation religieuse frappée d’interdit par l’archevêché de Paris, et enfin servi d’avant-poste aux fédérés pendant la Commune de Paris, ce qui lui a valu quelques dégâts sévères. Et ce fut pour moi l’occasion de découvrir un ouvrage intéressant, qui porte sur la loi du 10 Vendémiaire an IV. Je vous conseille d’y jeter un oeil, c’est passionnant. Et lisible en ligne sur le site de la BNF…

Quels liens, me direz-vous, entre ce livre et le château? Les indemnités, et ce qui a valu une mini-guerre juridique entre l’Etat, Paris et les communes environnantes. J’y ai découvert (pages 140 à 144) ce qui a été nommé « L’affaire du Château de Bécon », au Tribunal de la Seine le 10 décembre 1873.

Le Château en 1871

Or à cette époque il semble que le château ait déjà été racheté par le Comte Stirbey, dont je vous ai déjà parlé dans des articles précédents (vous savez, celui qui a adopté les peintres Achille et Consuelo Fould? Est-ce à partir de ce « secours spécial distribué par voie de répartition administrative » (pour reprendre l’expression du texte) qu’il a commencé à embellir l’édifice, notamment en y ajoutant un escalier monumental?

Lorsque je vous ai parlé du Musée Roybet-Fould, j’ai évoqué les questions que me posaient la présence d’un artiste né dans la même région que moi, le Nord. Plus précisément, pour ce qui le concerne, Valenciennes. Carpeaux était tombé amoureux de son modèle qu’il représenta en buste.

La Fiancée, Carpeaux, 1869 (source)

Il avait alors 42 ans, et la jeune femme en avait 20 de moins. Et le 20 avril 1869 Jean-Baptiste Carpeaux épousa Amélie Victorine Marie Clotilde (aussi orthographié Clothilde) de Montfort, dont le père était conseiller général de la Marne et gouverneur du Palais du Luxembourg. Le couple eut très vite trois enfants, dont l’un, Charles, né en 1870, deviendra un photographe explorateur; sa soeur Louise Clément-Carpeaux, née en 1872, sera, elle, sculpteure et écrira sur la vie et l’oeuvre de son père.

Mais l’artiste développa une jalousie maladive à l’égard de sa femme, et le couple se sépara en 1874. Etait-il déjà malade? On peut le penser en voyant son autoportrait peint cette année-là.

Autoportrait, Carpeaux (1874)

Peint au château de Bécon? C’est possible, car c’est à cette époque que Jean-Baptiste Carpeaux fut accueilli par le Prince Stirbey qui le logea dans une dépendance de sa demeure, où l’artiste mourut, un an plus tard, d’un cancer de la vessie. Il n’aura pas vu grandir ses enfants, dont l’aîné avait 5 ans…

Au début du XXème siècle, l’endroit était champêtre : près du château, des moulins, une ferme, comme on le voit sur cette carte.

On y voit les stations de chemin de fer. C’est ce moyen de transport qui va entraîner l’industrialisation de ce coin de paradis, avec des noms célèbres : Guerlain, Cadum, Berliet, Hispano-Suiza. C’est la présence de cette usine qui aurait provoqué le bombardement de Courbevoie lors de la seconde guerre mondiale. Episode douloureux pour la ville. Et qui valut au château une destruction partielle, dont il ne se remit pas.

Il finit par disparaître en 1957.

Heureusement que Buffet en a saisi le charme avant…

Le Château de Bécon, Bernard Buffet, vers 1949

Des pays scandinaves à l’Inde en passant par la Valachie…

Il a suffi d’une recherche sur le net, destinée à trouver un endroit intéressant à visiter non loin de La Défense, pour que, ce jour-là, je me retrouve dans le pavillon de la Suède et de la Norvège de l’Exposition Universelle de 1878 – vous savez, celle qui a donné naissance au Trocadéro?

Si vous connaissez l’emplacement de celle-ci, vous allez vous dire que je perds la raison… La preuve dans le panorama de celle-ci…

On est loin de La Défense, n’est-ce pas? Alors, comment le pavillon de la Suède et de la Norvège a-t-il pu « glisser » du centre de Paris à Courbevoie?

Il faut revenir près de 10 ans en arrière pour le comprendre. Les berges courbevoisienne de la Seine, à cette époque, commençaient à attirer nobles et bourgeois. Il faut aussi se souvenir que c’est là que s’était amarré le bateau ramenant les cendres de Napoléon. Je ne vais pas vous retracer toute l’histoire, mais vous expliquer pourquoi on trouve dans ces lieux une maquette de La Belle Poule.

Maquette exposée au Musée Roybet Fould

La Belle Poule ne pouvait remonter la Seine. Elle s’arrêta à Cherbourg. Et, le 18 décembre 1840, les cendres furent transbordés sur le vapeur Normandie. Elles auraient pu être transportées par voie terrienne, mais le gouvernement craignait trop les émeutes et a privilégié la voie fluviale…

Transbordement des cendres de Napoléon en rade de Cherbourg
(tableau exposé au Château de Versailles)

Et le relais continue…. Après un arrêt au Havre, c’est à Val-de-la-Haye, non loin de Rouen, qu’elles sont chargées le 9 décembre sur le bateau La Dorade, qui s’amarra au quai de Courbevoie le 14.

L’arrivée de La Dorade à Courbevoie
(tableau exposé à La Malmaison)
Tableau exposé au Musée Roybet Fould

Cela explique que le Musée Roybet Fould consacre une pièce à cet évènement. On y trouve notamment une étonnante collection d’assiettes.

Est-ce cet évènement qui poussa à investir sur les terrains du coin? La proximité de Paris? La beauté des paysages? Toujours est-il qu’en cette année 1869 George Barbu Stirbai, né en 1828 à Bucarest, en Valachie (une des provinces constitutives de ce qui devint en 1861 la Roumanie), commença à acheter des terres le long de ces berges, et vint s’installer au Château de Bécon.

Le Château de Bécon vers 1870

Comment ce Roumain est-il devenu ministre des Affaires Etrangères en France de 1866 à 1867, j’avoue ne pas l’avoir compris… Si vous avez des idées, je suis preneuse… Placez un commentaire!

Buste du Prince Georges Stirbey exposé au Musée Roybet Fould

Le Prince de Valachie – eh oui, il était prince! il en existe hors des contes de fée…- n’est pas resté seul dans ce domaine. Il épousa sa maîtresse, une femme étonnante, Valérie Wilhelmine Joséphine Simonin. Ne la cherchez pas sous ce nom, elle est plus connue sous trois autres noms : Mme G. Fould, Melle Valérie et… Gustave Haller.

Vous voulez des explications? Le premier est son nom d’épouse. Le second, son nom de scène, et le troisième, son nom d’artiste.

« Mlle Valérie », c’est son nom de théâtre. « Elle entre au Conservatoire de Paris en 1850, y suit le cours de déclamation de Samson et remporte le 1er prix de comédie en 1852. Elle débute alors au Théâtre de l’Odéon dans l’Honneur et l’Argent. En juillet 1853 jusqu’en 1858, elle est pensionnaire au Théâtre Français. »

La jeune Valérie a défié sa famille en épousant le fils d’Achille Marcus Fould, banquier et ministre, et est parti avec son époux, Gustave-Eugène Fould, homme politique et écrivain – homme de théâtre, pourrait-on dire, connu sous le nom de Jalin, vivre à Londres. Alors que, née d’un père chimiste, restaurateur de livres anciens, après avoir bénéficié d’une éducation très ouverte et d’une instruction étendue, elle s’était orientée d’abord vers le théâtre, elle en vint ensuite à la sculpture et devint l’élève de Carpeaux – une des raisons de la présence d’oeuvres du Valenciennois dans cet endroit.

Elle a exposé une sculpture au salon de 1857 et son oeuvre y fut remarquée. Mais elle s’adonnait aussi à la littérature sous le même pseudo. Elle relia écriture et beaux-arts en écrivant sur la peinture, dont elle devint une des pièces maîtresses quand fut enfin reconnue aux femmes le droit d’exposer et d’être primées.

« Avant-hier a eu lieu la première réunion du jury d’admission pour le Salon des artistes Femmes exposant au Palais de la Femme. Le jury est composé de Mmes Demont-Breton, Gustave Haller (sculpteur), Achille Fould, Coutan-Montorgueil, Léon Comerre, Huillard, Pégard et Vallet-Bisson. » (La Presse, 10 mai 1900)

Relisez la liste ci-dessus. Remarquez-vous quelque chose? « Achille Fould »… si vous m’avez bien lue jusqu’ici, cela doit vous rappeler des souvenirs… Qui est cette femme dénommée « Achille Fould », comme le beau-père de Valérie. Ce ne peut être lui, il est mort en 1867. Ni son fils, mort en 1884 après des années de paralysie. Non, c’était une de leurs descendantes… La fille de Valérie. Car, de son mariage avec Gustave-Eugène Fould étaient nées deux filles : Consuelo, en 1862, et Achille Valérie, en 1865. Toutes deux devinrent… peintres. Et eurent droit chacune, comme atelier, à… un pavillon de l’Exposition de 1878. On y revient! Car Le Prince, ami, amant, puis époux de leur mère les considéra comme ses propres filles. Chacune eut droit à un atelier sur les terrains proches du château de Becon…. on y revient.

Pour la cadette, le pavillon des Indes.

Côté Seine
Côté rue

Pour l’aînée, le pavillon de la Suède et de la Norvège. Le seul que j’ai pu visiter.

Je reviendrai dans un prochain article sur ce que contient ce Musée si étonnant…