En cherchant ce matin l’explication d’un nom de famille à consonance apparemment anglaise, alors qu’il s’agit d’une famille typiquement française, de la région Grand Est, j’ai découvert un mot. J’adore. J’adore apprendre un nouveau terme. Cela remonte à mon enfance! Dès que j’ai su lire, je me suis plongée dans tous les dictionnaires possibles. Ce furent d’abord bien sûr le Larousse Illustré, puis le Larousse en 20 volumes. Le Quillet… Je passai ensuite aux dictionnaires de langues, et découvris ainsi l’écriture gothique qui m’a séduite. J’étais alors en 6ème. J’avais 9 ans. Vinrent ensuite les délices des Gaffiot et Bailly…
Bref, j’ai découvert un nouveau mot : « hypocoristique ».
Et, en plus, une énigme. Je ne trouvais pas la « racine » de ce mot, ni en grec ni en latin, parmi mes maigres connaissances.
S’il y avait eu un h entre le c et le o, j’aurais imaginé une chanteuse aussi piètre que moi, incapable d’intégrer même un mauvais choeur… Mais il n’y en a pas…
Lors de mes recherches sur le net, j’ai découvert un site où une personne, sous forme de jeu, a fait la même démarche que moi… Je cite donc intégralement ce « jeu ».
«
JEU 48 : Hypocoristique
Hypocoristique : Adjectif du grec hypo, inférieur / en-dessous et du grec chorus signifiant chœur, chant (chorale). La lettre « h » de chorus a disparu pendant la révolution française car considéré comme une marque de noblesse…noblesse qui, rappelons-le, a été alors déchue de ses privilèges. Cet adjectif signifie donc logiquement « en manque de chant » Mon perroquet semble déprimé, je pense qu’il est hypocoristique !Je n’aime pas aller dans ce lieu hypocoristique : c’est angoissant et triste. Par extension il qualifie toutes choses provoquées par ce manque musical. Il a des boutons hypocoristiques qui apparaissent à force de s’enfermer dans le silence.
Attention, c’est une plaisanterie… Le h n’a pas disparu… Mais j’ai beaucoup apprécié ce blog, qui s’appelle Filigrane…
Je pouvais toujours chercher l’étymologie, je ne risquais pas de la trouver!

« Étymol. et Hist. 1893 (DG). Empr. au gr. υ ̔ π ο κ ο ρ ι σ τ ι κ ο ́ ς « caressant » et « propre à atténuer »; cf. l’angl. hypocoristic (1796 ds NED). » (CNRTL)
Mais alors, me direz-vous, quel rapport entre un nom de famille et ce terme?
Le plus simple est que je revienne à la source, le CNRTL.
« (Terme) qui exprime une intention caressante, affectueuse, notamment dans le langage des enfants ou ses imitations. Redoublement hypocoristique; usage, valeur hypocoristique d’un mot. Les procédés formels employés pour créer des termes hypocoristiques sont par exemple les suffixes dits « diminutifs » (fillette), le redoublement (chien-chien, fifille), l’abrègement des prénoms (Mado, Alec), ou le choix de termes conventionnellement hypocoristiques (fr. mon petit poulet, mon chou) (Mounin1974). »
Ainsi, les noms de famille tels que Colas, Collet ou Colson sont des hypocoristiques de Nicolas. Comme Clos, Closse, de Nicolaus…
Mais où est passé le « Ni »?
Nouvelle question, et un autre terme « savant »…
Eh oui, le fait de supprimer le début du mot se nomme une « aphérèse ». On enlève, on ôte, on supprime… « Toine » « Toinette », pour « Antoine » ou « Antoinette ». Et le célèbre anglais « I’m » pour « I am ».
« PHONÉT. ,,Suppression (gr. aph-airesis) d’un phonème ou groupe de phonèmes à l’initiale du mot, par exemple d’une voyelle après voyelle finale du mot précédent : angl. I am > I’m.« (Mar. Lex. 1951), ou de la syllabe initiale dans des noms propres de personnes (Colas < Nicolas, Chardin < Richardin) ou dans des jurons (tudieu < vertu Dieu). »

Attention! A ne pas confondre, bien sûr, avec l’apocope… Mais ça, vous vous en doutiez, n’est-ce pas?
« Coupure qui affecte la finale d’un mot, soit par chute phonétique d’un élément, soit par abrègement arbitraire.« (Mar. Lex. 1951) : 1. Negoti, pour Negotii, est une apocope. Les poëtes français usent quelquefois de l’apocope; ils écrivent, par exemple, Londre pour Londres, je voi pour je vois, encor pour encore, etc. On dit par apocope, Grand’messe, grand-mère, au lieu de Grande messe, grande-mère. Ac.1835. »
Notons que, si vous écoutez les enfants, vous pourrez noter qu’ils et elles sont spécialistes de l’aphérèse : « core » pour « encore », « garde », pour « regarde », « pitaine » pour « capitaine », etc.
Et, si vous ne le saviez pas encore, « chandail » provient de l’aphérèse de « marchand d’ail »… Eh oui!
« Abrév. pop. de (mar)chand d’ail, nom donné au tricot porté par les vendeurs de légumes aux Halles de Paris. Fréq. abs. littér. : 89. »
Nous voici parti-e-s bien loin! Mais ça distrait en ces temps sinistres… et la langue est notre héritage…
Notez qu’en breton on adore les suffixes hypocoristiques, « ou », « ig », « achou »… Si cela vous intéresse, je vous renvoie à un linguiste, spécialiste des hypocoristiques celtiques… ou à cet article publié dans Arbres, du CNRS.
Alors, si l’on vous nomme ou a nommé-e « Ma bichette », « mon p’tit loup », « fifille à son papa », « mon coeur », vous savez maintenant qu’on a fait des « hypocoristiques » sans forcément le savoir. Si on a déformé votre prénom comme « Nany » pour « Danièle », « Fifi », pour « Philippe », « Vavard », pour « Gérard », aussi… Et si en plus on en a supprimé la première syllabe, on a produit une aphérèse!

Si vous voulez aller plus loin et que vous avez du temps à perdre en ce dimanche d’avril confiné, vous pouvez vous initier à « la recette de l’énoncé hypocoristique à l’imparfait » (Bres, 2003), si si, je n’invente rien! Et là, vous allez vous amuser.
« Commençons par une impression : les énoncés que l’on peut qualifier d’hypocoristiques apparaissent comme échoïques, comme si le locuteur parlait à la place de son interlocuteur 3, plus précisément verbalisait un élément du comportement non verbal et/ou vocal de celui-ci. C’est particulièrement net pour (7) dans lequel les mots de l’enfant semblent être l’écho des manifestations de joie de la bête. Comme tels, les énoncés hypocoristiques me semblent relever de la classe englobante de l’énoncé dialogique (Bres et Verine 2002). »
Et voici, pour la bonne bouche, c’est le cas de le dire, la fin de cet article :
« Pareil à l’amateur de bonne chère qui, dégustant la recette perpignanaise du lièvre au chocolat, n’identifiera plus cet ingrédient, croira qu’au contact de la viande de lièvre il a perdu sa saveur cacaotée, et mettra la suavité et l’onctuosité du mets sur le compte de la viande elle-même, le linguiste court toujours le risque double d’effacer le sens ou l’instruction d’un morphème parce qu’il ne le/la reconnaît plus, et d’imputer abusivement, par déplacement métonymique, tel élément du sens produit résultatif à tel morphème, alors qu’il n’est pour rien, ou au mieux simplement partie prenante, dans sa production. Ainsi fait-on, me semble-t-il, lorsqu’on escamote les instructions temporelle et aspectuelle de l’imparfait, qu’on les troque contre la valeur hypocoristique. L’imparfait dans l’énoncé hypocoristique reste lui- même, et c’est fort de cette identité qu’il participe au renforcement de la production du sens hypocoristique. »

Je vous laisse donc vous distraire sainement…
Ouah! Quel article, bravo ! Il plairait beaucoup à mon amie Facebook , Brij Malaise, professeur de lettres avec des bigoudis, abonnée à » La page Désuète et Surannée « . Je me suis bien amusé et j’ai trouvé deux expressions doublement hypocoristiques : « cucul la praline » et « le chienchien à sa mémère » . Enfin j’ai appris que le mot H(4)Y(10)P(3)O(1)C(3)O(1)R(1)I(1)S(1)T(1)I(1)Q(8)U(1)E(1) est valide au scrabble. Traduit en arabe il prend une autre dimension ; تحبُّبي/ كلمة تعجبية.
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Il n’y a pas d’apocope dans grand-mère, grand-messe, grand-rue, grand-chose, grand-place etc. C’est tout simplement un archaïsme. Du latin grandis/grandis/grande où les masculin et féminin étaient les mêmes…
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Merci de votre remarque. Cependant il y a débat à ce sujet, comme le montre cet intéressant article qui retrace l’histoire de ces dissensus : http://parler-francais.eklablog.com/les-secrets-de-grand-mere-a130652550
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