Incursion discrète chez les Boulangers

Je vous ai laissé, souvenez-vous, au numéro 11 du Quai d’Anjou. Il est temps de poursuivre la promenade, qui amène quelques mètres plus loin au numéro 7 dont le porche, lui aussi, est ouvert, ce qui suscite ma curiosité.

Au fond du porche, une salle ouverte laisse à penser qu’il vient de s’y dérouler un banquet. Ce qui, par ces temps de « barrières », est en soi surprenant.

Une autre porte, sur la droite, fermée mais vitrée, laisse entrevoir une galerie faisant penser à un musée. A tout hasard, je manie la clanche – pardon, la poignée – et, bien que je n’aie pas prononcé le fameux « Sésame, ouvre-toi », la porte s’ouvre, découvrant effectivement un univers engageant, fleurant bon le pain chaud.

L’entrée

Dommage que je ne puisse vous transmettre le plaisir olphactif!

Une plaque explique au/à la visiteur/euse l’histoire de l’édifice, sa destination et sa composition.

Corporation des maîtres boulangers? Voilà qui attise ma curiosité! Vous êtes prêt-e-s pour un petit détour historique? Revenons 1500 ans en arrière, à l’époque du roi Dagobert (vous savez, celui qui aurait mis un jour sa culotte à l’envers?). C’est lui qui commença à réglementer la vente du pain. Les paysans faisaient cuire leur pain au « four banal », ainsi appelé à cause du « ban », la redevance due au Seigneur du coin pour avoir le droit de s’en servir (outre le fait qu’on devait entretenir le four et le chemin qui y menait).

Four à pain. Enluminure extraite du Tacuinum sanitatis (vers 1390-1400)
Four à pain. Enluminure extraite du Tacuinum sanitatis (vers 1390-1400)

Vous avez sans doute, dans vos explorations touristiques été amené-e à voir l’un de ces fours, dont certains ont subsisté, voire commencent à être de nouveau utilisés pour des fêtes locales. Ainsi, à Urval, en Dordogne, on explicite ainsi l’événement:

« Chauffe du four : cette opération dure environ 1h30. Allumage du feu dans le four et alimentation en bois pendant environ 1h. Evacuation des braises. Nettoyage du four.
Mise au four du pain (15 minutes) et cuisson pendant 45 minutes
« .

Four banal du XIVème, remis en état, à Urval (source)

Point de « boulanger » à l’époque médiévale, mais le métier de « talmelier » (ou « talemelier »). Le terme apparaît dans des textes du XIIIème siècle.

« Du vieux-francique *tarewamelo « farine de froment », lié au néerlandais tarwemeel composé de tarwe (« froment ») et de meel (« farine »). Le talemelier ou talemeslier est un métier, cité dans le Livre des Métiers d’Étienne Boileau en 1268. Il figure aussi dans le Dictionnaire de Godefroy, cité à partir d’archives départementales de 1288. Albert Dauzat y voyait sans l’expliquer une influence des verbes ancien français taler (battre) et mesler (mélanger). A l’origine, il s’agit d’un tamisier qui tamisait la farine de froment grossière reçue des moulins. Plus tard, pour diversifier son activité, il a obtenu le droit de cuire le pain dans le four banal, devenant également « fournier« . Dès qu’il a pu obtenir le droit d’avoir son propre four, il est devenu l’équivalent de « panetier » ou de « pâtissier« . »

Ainsi, à l’origine, les boulangers étaient parfois des fermiers. Fermiers? Oui, car ils payaient le fermage, la redevance, soit au Seigneur, soit à la commune ou à d’autres propriétaires, comme certaines congrégations religieuses.

Calendrier médiéval (source)

Mais pourquoi les appelle-t-on, par la suite, « boulangers », le savez-vous?

Le terme, d’après le CNTRL, apparaîtrait en 1100 et aurait une origine picarde. Bienvenue chez les Ch’tis! Je vous laisse découvrir le petit « pavé » qui expose cela scientifiquement.

« 1100 lat. médiév. bolengarius subst. Abbeville (Recueil des Actes des Comtes de Ponthieu, éd. Brunel, 11 dans Bambeck Boden, pp. 186-187); autres textes pic., ibid.; ca 1120 bolengerius (Cartulaire de l’abbaye de Saint Martin de Pontoise, no40, 35 dans Quem.); ca 1170 bolengier (Aymeri de Narbonne, 2122 dans T.-L.); 1299 boulanger (Chart. de Charles d’Anjou dans Gdf. Compl.). Terme d’orig. pic.; prob. élargissement normalisant par le suff. -ier* de l’a. pic. boulenc « celui qui fabrique des pains ronds » (fin xiies., Charta Peagiorum urbis Ambianensis, quae est Philippi Comitis Flandriae dans Du Cange, s.v. bolendegarii [plur. boulens]), lui-même dér. avec suff. -enc (issu du germ. -ing, littéralement « celui qui fabrique les pains »; cf. a. fr. *tisserenc, tisserand*) d’un a. b. frq. *bolla « pain rond » (FEW t. 15, 1, p. 176) que l’on peut déduire du m. néerl. bolle « pain rond », Verdam [néerl. mod. bol « id. »], a. h. all. bolla, glosé pollis « fine farine de froment » (Graff t. 3, col. 96), m. h. all. bolle « farine de résidu », « pâtisserie faite avec cette farine » (Lexer) que Marchot dans Romania t. 47, pp. 207-211 rapproche du lat. pollen « fleur de farine », v. aussi Falk-Torp t. 1, p. 91. L’hyp. selon laquelle bolengier serait dér. de l’a. fr. bolenge « bluteau », xiiies. agn., G. de Biblesworth, Traité, 155 dans T.-L. (Wedgwood dans Romania, t. 8, pp. 436-437; Marchot, ibid., t. 47, pp. 211-213) fait difficulté des points de vue géogr. et chronologique. »

Si l’étymologie est pour vous zone obscure, pas de problème, passons directement à la suite. Vous l’aurez compris, le boulanger est soumis aux taxes diverses et au versement d’une sorte de loyer. Et c’est parfois dur pour lui de bien gagner sa vie, alors que le prix du pain est réglementé (quand il est, par la suite, propriétaire de son propre four, il travaille souvent en famille : pas de diversification, dans ce cas, des sources de revenus).

Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais -
Codex Vindobonensis, series nova 2644 : préparation du pain (source)

Ils s’organisent et s’associent jusqu’à fonder une « corporation de métier ».

« Dans les bourgs et villes du Moyen Âge, après l’An Mil, les artisans s’organisent sous forme d’associations professionnelles, les « corps de métiers », aussi appelés selon le lieu : « gildes » (ou « guildes »), « hanses »

Ces associations organisent l’entraide et sévissent contre les franc-tireurs qui voudraient casser les prix ou dénaturer les pratiques professionnelles. Elles sont hiérarchisées, avec des maîtres, des compagnons et à la base des apprentis. Leur direction est assurée par des maîtres élus, les jurés, réunis en « jurandes » ou « maîtrises ».

Après quelques années de formation auprès d’un maître, les apprentis deviennent compagnons. Ils vont alors de ville en ville pour compléter leur formation chez différents maîtres. Les meilleurs, s’ils en ont les moyens, exécutent un « chef-d’oeuvre » et le soumettent à un jury. Ils peuvent alors devenir maîtres à leur tour. »

Un texte écrit en 1315 nous en apporte une preuve, en mettant en scène un boulanger, Roger le Passeur. Je vous situe le contexte : les Parisiens écrivent au prévôt pour se plaindre du prix élevé du pain.

« Au temps où les gens de Paris trouvaient que le pain était cher, en l’année 1315, ils avaient prié le prévôt de s’enquérir de l’affaire, et de voir si les boulangers ne ramassaient pas trop de sous. Roger Le Passeur fut nommé avec Pierre de Gournay pour défendre leurs confrères talemeliers et pour démontrer à tous que, s’ils avaient beaucoup de sous, on ne pouvait pas dire vraiment, comme de la boulangère de la chanson, qu’ils ne leur coûtaient guère. » (source. Attention, authenticité non prouvée)

Un intéressant ouvrage raconte la cérémonie durant laquelle on devient « maître ». Je ne suis pas parvenue à copier, mais vous le trouverez ici.

Pour faire bref, naquit la Corporation des Maîtres-Boulangers, à l’image d’autres corporations plus connues.

Atget, Eugène. Siège de la Corporation des Maîtres-Boulangers (1916)
Musée Carnavalet (source)

A côté de la corporation existe aussi la confrérie. Aux XVIIIème siècle apparaissent les Compagnons Boulangers du Devoir du Tour de France. Puis vont naître les syndicats, et une Confédération qui sera actée en 1884. En 1889, c’est le Syndicat Général de la Boulangerie qui voit le jour.

« En 1889, se tient au Palais du Trocadéro et sous la présidence de M. CORNET – Président du Syndicat de la Boulangerie de PARIS – le deuxième Congrès National de la Boulangerie. Les statuts d’un Syndicat Général de la Boulangerie Française y sont adoptés.

Le Président CORNET devient le Président de ce Syndicat Général dont le siège social est provisoirement situé au 7, quai d’Anjou, dans un hôtel particulier de 1642, situé dans l’Ile Saint-Louis. »

Au passage, nous avons ainsi la date de construction de l’Hôtel que je vous fais visiter virtuellement…

Mais je ne suis pas là pour écrire l’histoire de la boulangerie! Revenons donc à notre visite… Pour rappel, nous sommes ici.

Plan affiché dans l’entrée

Il est un meuble qui m’a toujours séduite, par sa simplicité et l’évocation de sa fonction… j’en ai acheté un dès que j’ai pu! C’est la maie. Eh bien, me voilà gâtée! Une exposition de maies, toutes plus belles les unes que les autres!

Les murs sont ornés de grandes reproductions de dessins qui présentent les différentes phases de la fabrication du pain.

Puis on arrive à un palier, qui dessert un escalier et une pièce d’où sort l’odeur alléchante dont je vous parlais au début.

Une machine à pétrir (je ne connais pas le nom technique fait écho à celle qui ornait l’entrée :

Et un objet m’impressionne, mais, comme il n’y a pas de commentaires, je ne comprends pas bien de quoi il s’agit…?

Le fournil des Boulangers du Grand Paris situé au rez de chaussée de leur superbe  siège au 7 quai d’Anjou vient de subir une rénovation majeure. Fours et batteurs dernière génération à écrans interactifs faciliteront le travail et permettront des économies substantielles d’énergie, le matériel de viennoiserie permettra des formations au CQP de tourier. Dans le laboratoire de pâtisserie  il sera possible d’opter pour des cuissons à basse température et à vapeur, bref de quoi donner envie de mettre la main à la pâte ! Le nouveau fournil peut accueillir 8 à 12 stagiaires avec possibilité de louer une salle dans les étages supérieurs.

J’apprendrai, au fil de mes recherches pour écrire ce texte, que la pièce dont la porte entrouverte laisse percevoir une activité artisanale intense est effectivement un site de fabrication du pain.

« Le président Franck Thomasse et son équipe voulaient mettre à  disposition un outil attractif, performant  permettant à différents acteurs de la filière de réaliser des présentations de gamme où des formations en boulangerie, viennoiserie  mais aussi des stages en pâtisserie et  en snacking.

L’adresse prestigieuse sur l’ile de la Cité à deux pas de la cathédrale Notre Dame, est également très attractive pour les boulangers étrangers de passage à Paris lors de salons professionnels. La première fournée est imminente et les réservations affluent ! » (source)

Et la photo nous éloigne du four banal!

Source ; site de l’AIPF (Association Internationale du Pain Français)

Mais une incursion au premier étage (sur la pointe des pieds) renvoie dans le passé : un magnifique vestiaire en bois précède l’entrée du Syndicat. Pas de photo, il faisait trop sombre!

En redescendant, un dernier coup d’oeil sur la salle qui m’avait intriguée au début.

Le portail que vous apercevez au font me permet de retrouver la Seine et les bruits de Paris, après cette parenthèse totalement inattendue. Direction maintenant la pointe de l’Ile… mais c’est une autre histoire…

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