Que penseraient Machiavel et Montesquieu de notre univers socio-politique ? Telle est la question à laquelle tente de répondre la controverse imaginée par Maurice Joly au XIXème siècle et actualisée par Marcel Blüwal avant son décès en 2021, intitulée « Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu » ou « La politique de Machiavel au XIXème siècle, par un contemporain ».

Les Enfers, Maurice Joly va les connaître, car il sera vite reconnu comme l’auteur de ce pamphlet contre l’empereur Napoléon III et va se retrouver rapidement à la prison Sainte Pélagie, pour 15 mois, en 1866 et 1867…

Vous pourrez entendre un entretien avec Marcel Blüwal en 2018, trois ans avant son décès, ici, au moment où il a adapté le texte initial pour le théâtre, en le « modernisant » quelque peu.

« Ma première impression après lecture du texte que Philippe Tesson m’avait proposé pour que j’en fasse l’adaptation et la mise en scène a été double : stupéfaction devant la prescience politique incroyable de Maurice Joly qui écrit ce pamphlet contre Napoléon III en 1864, et ensuite difficulté du travail nécessaire pour en faire un objet théâtral visible par un public d’aujourd’hui ». Ainsi s’exprime-t-il dans la préface de l’opuscule dont j’ai photographié la couverture (ci-dessus). Un travail infernal que ce dialogue avec un auteur du siècle précédent, qui n’avait nullement cherché à écrire une oeuvre « littéraire », encore moins destinée à la représentation théâtrale ?

Pourquoi aux Enfers ? Machiavel, à la rigueur… Mais Montesquieu ? Qu’a-t-il fait de mal pour y être orienté ? Avoir publié en Suisse un ouvrage comme l’Esprit des Lois n’est pas un crime… mieux valait en 1848 éviter la censure… voire la prison… ou pire… Une petite piqûre de rappel ? Un peu de mauvaise vulgarisation ? Montesquieu aime le nombre 3. Il l’utilise pour différencier les catégories de lois :
- celles qui gouvernent les relations entre les peuples : le droit des gens
- celles qui régissent les rapports des gouvernants aux gouvernés : le droit politique
- celles qui régissent les rapports des citoyens entre eux : le droit civil
Elles doivent, pour être efficaces, être adaptées à 3 éléments de l’environnement :
- au régime politique voulu (démocratie, monarchie, despotisme, etc…)
- au physique du pays (climat, qualité, grandeur du terrain…)
- aux mœurs des peuples (religion, commerce, etc.)
D’où le titre de son oeuvre : « J’examinerai tous ces rapports ; ils forment tous ensemble ce que l’on appelle l’esprit des lois
« . Tout ce qui vient d’être dit, plus la différence entre « état de nature » et « état social », dont je n’ai pas parlé, se trouve dans le Livre I.
Poursuivons par le Livre II, où il identifie trois types de gouvernements :
- républicain « celui où le peuple (ou une partie) a la souveraine puissance«
- monarchiste « celui où un seul gouverne, mais par des lois fixes »
- despotique « celui où un seul, sans loi et sans règle, entraîne tout par sa volonté et ses caprices«
Il décrit dans le Livre III ce qui se passe dans une république pervertie : « On était libre avec les lois, on veut être libre contre elles. Chaque citoyen est comme un esclave échappé de la maison de son maître ; ce qui était maxime, on l’appelle rigueur ; ce qui était règle, on l’appelle gêne ; ce qui était attention, on l’appelle crainte. La république est une dépouille. »
NDLR. Toute référence à une actualité quelconque serait bien évidemment pure coïncidence…
Et n’oublions pas la séparation des pouvoirs en 3 branches.

« Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principes, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers » (Livre VI)
Cette séparation des pouvoirs, qui est toujours censée être d’actualité aujourd’hui, est selon lui la condition essentielle pour la liberté : « Lorsque dans la même personne la puissance législatrice est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. » (Livre VI)
Je ne vais pas continuer plus avant… Vous avez compris… L’Esprit de Montesquieu n’est pas si obsolète qu’on pourrait le penser.
A ce stade, je n’ai donc toujours pas compris pourquoi il est aux Enfers. Mais unité de lieu exige, n’est-ce pas : si l’on veut faire rencontrer deux esprits, autant qu’ils se trouvent dans le même lieu… Ah non ! J’oubliais! Les Pensées… Vous vous souvenez, cet ouvrage où il analyse les religions, explique les miracles et considère la Bible comme un livre écrit de main(s) humaine(s)… bref, de quoi aller se faire rôtir…

Rendez-vous demain pour un nouvel épisode, si vous le voulez
Ignare n’ayant pas lu Montesquieu attend la suite avec impatience !
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Merci, c’est gentil… Elle est en cours de rédaction…
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Très fouillé et bien restitué
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C’est trop gentil! Mais il est vrai que cela m’a intéressée de « fouiller »… et j’ai continué… Mais peur d’ennuyer si je continue la série. Qu’en pensez-vous?
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