J’ai été saisie par la beauté et la profondeur de quelques vers dits magnifiquement par une personne, et ai recherché le poème de Louis Aragon d’où ils sont extraits. L’oeuvre est longue, et triste… Je me suis demandé si je vous la livrerais en entier ou si je la couperais, moi aussi, et, si oui, à quel niveau. Voici donc le choix que j’ai fait. Mais si d’aucun-e-s souhaitent tout lire, ne craignez rien, vous le trouverez en ligne. Pour les autres, sachez simplement que la suite évoque l’Espagne franquiste… Le titre du poème? Le Vaste Monde
Il fait peut-être (je ne suis pas parvenue à trouver les dates des deux écrits) suite à une lettre d’Elsa Triolet qui commençait comme ceci :
« Il n’est pas facile de te parler. Tu sembles oublier que nous vivons l’épilogue de notre vie, qu’ensuite il n’y aura plus rien à dire et que l’index lui-même d’autres le liront — pas nous.
Je te reproche de vivre depuis trente-cinq ans comme si tu avais à courir pour éteindre un feu. Dans ta course, il ne faut surtout pas déranger, ni te devancer, ni t’emboîter le pas, ni te suivre — quel que soit l’ouvrage — aussi bien couper des branches sèches, il ne faut surtout pas s’aviser de faire quoi que ce soit avec toi, ensemble.«

Où faut-il qu’on aille
Pour changer de paille
Si l’on est le feu
À moins qu’il ne faille
Si l’on est la paille
Fuir avec le feu
La paille est si tendre
Mais vouloir l’étendre Étendra le feu
Qu’on tente d’étreindre
Or il faut l’éteindre
Le long pour l’un pour l’autre est court
II y a deux sortes de gens
L’une est pour l’eau comme un barrage et l’autre fuit comme l’argent
Le mot-à-mot du mot amour à quoi bon courir à sa suite
Il est resté dans la
Dordogne avec le bruit prompt de la truite
Au détour des arbres profonds devant une maison perchée
Nous avions rêvé tout un jour d’une vie au bord d’un rocher
La barque à l’amarre
Dort au mort des mares
Dans l’ombre qui mue
Feuillards et ramures
La fraîcheur murmure
Et rien ne remue
Sauf qu’une main lasse
Un instant déplace
Un instant pas plus
La rame qui glisse
Sur les cailloux lisses
Comme un roman lu
Frais comme l’eau sous la rame…
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