Autour du peintre du « Tableau »

A la suite de la représentation de cette adaptation de la pièce de Yasmina Réza, je me suis questionnée sur le nom de l’artiste imaginaire (discutable… peut-être un condensé d’artistes) qui serait l’auteur-e du tableau autour duquel tourne une grande partie de l’intrigue : Antrios. Juste par curiosité. Juste pour m’amuser. J’ai envie de vous présenter aujourd’hui le fruit de mes réflexions. En toute modestie. Sans prétention aucune. Simplement parce que je me suis dit que la pièce pouvait/pourrait aussi être vue autrement…

Le mot ne semble pas exister. Je suis prudente, car je ne lis pas tous les alphabets! J’ai donc cherché à en identifier les connotations possibles.

1. Proximité avec une grande figure de l’Antiquité grecque : Anteros

Le nom a deux connotations en grec ancien : d’une part, antíos qui désigne un opposé, un contraire, et d’autre part Ἀντέρως (Antéros, l’anti-Eros), terme constitué de « Eros » et « anti », soit le contraire d’Eros, d’où l’idée d’ « Amour retourné ». Selon une version, il serait fils d’Arès (dieu de la guerre, entre autres) et d’Aphrodite (déesse de l’amour). Logique, comme « contraire » ! Selon une autre version, il aurait été engendré par Poséidon et un frère des Néréides.

 Version 1 : évocation des géniteurs

C’est Pausanias qui en parle le premier, mais on le retrouve, tant dans la littérature grecque que dans la littérature romaine, chez de nombreux auteurs.

Pausanias, Description de la Grèce 1. 30. 1 (trad. Jones) (récit de voyage grec, IIe siècle ap. J.-C.) : « Devant l’entrée de l’Académie [en dehors d’Athènes] se trouve un autel à Éros (Amour), avec une inscription selon laquelle Charmos fut le premier Athénien à dédier un autel à ce dieu. L’autel dans la ville appelé l’autel d’Antéros (Amour vengé), disent-ils, a été dédié par des étrangers résidents, parce que l’Athénien Meles, dédaignant l’amour de Timagoras, un étranger résident, lui ordonna de monter au point le plus élevé du rocher et de se jeter. Lorsque Meles vit que Timagoras était mort, il souffrit de tels remords qu’il se jeta du même rocher et mourut ainsi. À partir de ce moment, les étrangers résidents adorèrent Antéros comme l’esprit vengeur de Timagoras. »

Pausanias, Description de la Grèce 6. 23. 5 : « Dans l’une des palestres [dans la ville d’Élis] se trouve un relief montrant Éros (Amour) et Antéros (Amour rendu), comme on l’appelle. Éros tient une branche de palmier, et Antéros essaie de lui prendre la palme. »

Ovide, Fastes 6. 90 (trad. Frazer) (poésie romaine, Ier siècle av. J.-C. au Ier siècle ap. J.-C.) : « ‘Ô [Vénus-Aphrodite] gracieuse Mère des deux Cupides (Amours) [c’est-à-dire Éros et Antéros],’ dis-je, ‘accorde-moi ta faveur.’ La déesse regarda le poète. »

Fresque de Pompéi : Aphrodite et les deux jumeaux (source)

Cicéron, De Natura Deorum 3. 21 (trad. Rackham) (rhétoricien romain, Ier siècle av. J.-C.) : « Le troisième [Cupidon-Éros], qui est le même qu’Antéros, [fils] de Mars [Arès] et de la troisième Vénus [Aphrodite]. »

Sénèque, Phèdre 274 et suiv. (trad. Miller) (tragédie romaine, Ier siècle ap. J.-C.) : « Toi déesse [Aphrodite], née de la mer cruelle, que l’on appelle mère des deux Cupides (Amours) [c’est-à-dire Éros et Antéros], ce garçon espiègle et souriant. »

Nonnos, Dionysiaques 47. 332 et suiv. (trad. Rouse) (épopée grecque, Ve siècle ap. J.-C.) : « [Ariane se lamente après avoir été abandonnée par Thésée sur l’île de Naxos :] ‘Les images mêmes d’Éros (Amour) et d’Antéros (Amour rendu) sont-elles jalouses de moi ? Car j’ai vu une vision délicieuse de mariage accompli dans un rêve trompeur, et le beau Thésée était parti.’ »

 Version 1 : symbolisme

Platon le met en scène dans le Phèdre. Socrate parle de l’amour entre un éromène et un éraste.

« Mais, tout comme celui qui de quelque autre a pris une ophtalmie est hors d’état de prétexter une cause à son mal, lui, il ne se doute pas qu’en celui qui l’aime, c’est lui-même qu’il voit, comme en un miroir : en sa présence, la cessation de ses souffrances se confond avec la cessation des souffrances de l’autre ; en son absence, le regret qu’il éprouve et celui qu’il inspire se confondent encore : en possession d’un contre-amour (antéros) qui est une image réfléchie d’amour. »

— (255d, trad. Léon Robin) »

« Platon, Phèdre 255d (trad. Lamb) (philosophe grec, IVe siècle av. J.-C.) : « Lorsqu’il est avec l’amant, tous deux cessent de souffrir, mais lorsqu’il est absent, il languit comme on languit après lui, et il a l’image de l’amour, Antéros (amour contre amour) qui loge en son sein, qu’il appelle et croit être non pas amour mais amitié seulement, et son désir est comme le désir de l’autre, mais plus faible ; il veut le voir, le toucher, l’embrasser, et probablement peu de temps après son désir est accompli. »

 Version 2

Il serait fils de Poséidon et Néritès, frère des Néréides.

Élien, Sur les animaux 14. 28 (trad. Scholfield) (histoire naturelle grecque, IIe siècle ap. J.-C.)

 « Poséidon était l’amant de Nérides [fils de Nérée], et que Nérides lui rendait son amour, et que c’était l’origine du célèbre Antéros (Amour mutuel). »

2. L’Anteros des astrologues

« A cette période, l’Astéroïde 1943 Anteros faisait partie de la « liste critique ». Sa position était considérée comme « mal connue ». Par une série de prises de vues, nous avons mesuré ses positions (sur chaque image séparément). Les positions obtenues ont été communiquées au Minor Planet Center MPC.

A droite, figure un compositage de la série d’images. l’Astéroïde qui se déplace rapidement sur le fond des étoiles est bien visible aux positions 1, 2, 3 et 4 (respectivement au moment de la prise de vue des quatre images). Sur la gauche, figure le résultat de la réduction astrométrique en mode automatique de notre logiciel de traitement d’image TRIMASS. » (Source : David Romeuf)

(1943) Antéros est un astéroïde Amor, découvert le 13 mars 1973 par James B. Gibson au complejo Astronómico El Leoncito, en Argentine.

Pour en savoir plus : https://www.therapyame.com/2024/08/22/1943-anteros-et-lamour-retrouve/

2. Deux homophones non homographes

La symbolique de l’Etre Humain dans toutes ses dimensions

Contrairement à la vision divine ou à l’image d’un corps céleste, nous voici redescendus sur Terre, avec la racine du terme « anthropos ».

Source : Romain Garnier. Nouvelles réflexions étymologiques autour du grec ￿νθρωπoς.

En ce sens, les trois personnages seraient typiques de la race humaine… mais je ne vois pas pourquoi Réza aurait transformé le théta en tau…

Une autre connotation : l’entrisme

Homophones, mais pas homographes : les deux racines peuvent se confondre dans un théâtre !

« Tactique consistant à s’introduire dans une organisation, un parti, pour en infléchir l’orientation. »

Telle est la définition du CNRTL… Je vous laisse transposer dans le contexte de la pièce…

3. Une dernière proximité, homophone et homographe : l’antre

Pas besoin de longs discours, pour évoquer l’antre dans toutes ses dimensions, physiques comme symboliques.

En antithèse totale du blanc, tant physiquement que symboliquement !

Synthèse

Le nom est connoté, pour des hellénistes ou amateurs/trices de l’Antiquité grecque, à deux filiations : d’une part à l’amour homosexuel, et d’autre part à une idée de « retour », tantôt dans le sens qu’il prend dans l’expression « en retour », tantôt dans le sens de « contraire ». Dans la mythologie, le couple Eros / Anteros est riche d’interprétations. La littérature s’en est emparée avec l’antérotisme… Et la psychanalyse n’est pas en reste (Source).

Il s’agit dès lors de questionner la dynamique du groupe social d’appartenance de chaque personnage, mais aussi celle du trio d’amis. Amis? Amants? Amoureux? Les femmes sont bien absentes de la pièce, à l’exception de celle que va épouser, sans enthousiasme, Yvan…

Questionner le « groupe », c’est aussi ce qu’évoque la connotation à l’entrisme. Le lien possible avec l’anthropisme, lui, suggère plutôt l’opposition humains / divins, l’artiste étant soit médiateur soit « entre les deux » et parfois victime de cette non- ou bi- appartenance.

Enfin, l’antithèse antre/noirceur, clarté/blancheur est si évidente qu’elle ne peut que résonner en chacun-e des spectateurs/trices…

Pour les hellénistes, le choix de la connotation sera lié à la prononciation des acteurs. En effet, dans un cas il s’agit d’un omicron (o ouvert et léger), alors que dans le second c’est un oméga (o fermé et grave)… C’est donc la manière de prononcer « Antrios » qui oriente vers telle ou telle connotation…

Agapè

Je n’aime pas transcrire les mots grecs dans notre alphabet, car cela les dévalorise, à mon sens. C’est le cas particulièrement de celui dont il est question aujourd’hui. Dans notre langue moderne, il est souvent transformé en « agape ». Ce terme renvoie à une forme de repas en commun, attesté dans le paléochristianisme, notamment par Tertullien. Un vif débat à ce sujet évoque la différence entre ce repas que certains considèrent comme « de charité » (par exemple, les veuves y étaient invitées) et le partage de l’Eucharistie. En voici un exemple, qui occupe 15 pages de la Revue d’Histoire Ecclésiastique 7 (1906) pp. 5-15, où un certain Fr (Frère?) X. Funk, de Tubinge, contre-argumente contre un prélat.

« L’existence, dans l’antiquité chrétienne, du repas de charité, au sens admis jusqu’ici, a été combattue, en 1902, par Mgr Batiffol dans ses Études d’histoire et de théologie positive. J’ai montré alors, dans la Revue d’histoire ecclésiastique (t. IV, pp. 4-21), qu’on n’est pas fondé à se départir de l’opinion universellement reçue, qu’en particulier Tertullien (Apolog. c. XXXIX) est un témoin indiscutable de l’agape.« 

« Tertullien dit du repas en question: « Editur, quantum esurientes capiunt; bibitur, quantum pudicis utile est ». J’ai fait remarquer que le passage ne peut pas s’entendre de l’Eucharistie, mais bien du repas de charité connu sous le nom d’Agape, et que « des expressions de ce genre, abstraction faite de certaine littérature mystique ou pseudomystique, ne se rencontrent jamais dans un passage qui traite de l’Eucharistie. »

Pas question, je vous rassure, que j’entre dans ce débat. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, ce ne sont pas les agapes, mais « agapè ». Toute la différence tient dans l’accentuation, qui correspond à un éta en grec. Le voici en grec ancien.

Car les Hellènes étaient plus fort-e-s que nous! Ils et elles (ou elles et ils) avaient trois mots pour le concept d’ « Amour » : eros, philia et agapè.

« Eros, c’est le désir du bien sensible, mais aussi de toute autre objet digne d’attachement, la beauté par exemple. La philia c’est l’amour désintéressé qui prend soin de l’homme, de l’ami, de la patrie, en qui la volonté et la noblesse de coeur ont maîtrisé les passions humaines. Le mot agapè a parfois le sens d’Eros, mais plus souvent le sens de philia. Le dictionnaire grec donnent les sens suivants au mot agapè: 1- Accueillir avec amitié, traiter amicalement, 2- se contenter de, être satisfait de, 3- Aimer, chérir. Parmi les mots de même souche, on remarque agapètikos, tendre, affectueux, agapèteos,qui mérite d’être aimé ou désiré, agapèsis, affection, tendresse. » (source)

Vite, le Bailly!!

« ἀγάπη,ης (ἡ) [ᾰᾰ]

1 affection, Spt.Eccl.9, 1 ;particul. amour fraternel, NT.1 Cor.13, 1 ; amour divin, Phil.1, 283 ;NT.Luc.11, 42 ;2 Cor.5, 14 ;rar. amour au sens de passion, Spt.Cant.2, 4, 5 ;titre d’honneur (Votre Amour) Bas.4, 381 ;Nyss.3, 1073 edd. Migne ||

2 objet d’affection, être aimé, Spt.Cant.2, 7 ||

3au pl. agapes, repas fraternels des premiers chrétiens, NT.2 Petr.2, 13,etc. ;au sg.Clém.1, 384, 1112 Migne. »

Mais pourquoi, allez-vous me demander, parler de cela aujourd’hui?
Tout simplement à cause d’une sculpture qui a attiré mon regard, hier au couchant, sur la Promenade des Anglais. Sculpture dont j’ai fait des photos, que voici…


A vous de retrouver dans la liste qui suit l’expression signifiant « je t’aime » en grec. Un petit piège : elle est en majuscules, pour que ce ne soit pas trop facile!

Fou d’Amour ou Amour fou?

Dans ce troisième épisode concernant l’exposition du Louvre, nous allons parler d’amour. Enfin, continuer à parler, car nous avons déjà rencontré l’amour de Dieu avec Saint François d’Assises, le désir amoureux avec Aristote… Nous en arrivons maintenant à l’érotisme, limite pornographie. Cela commence avec des satires de l’amour courtois. Le fou s’interpose entre les représentants des deux sexes… Mais il symbolise avant tout le plaisir physique, du désir à l’orgasme.

On en arrive ainsi à la gravure qui suit, où le fou se cache dans l’angle droit, tandis qu’une fontaine représente le Manneken-Pis de l’époque.

C’est ainsi qu’on le voit passer, cornemuse au dos, devant la porte où des couples font ripaille… voire plus…

Habituellement, ce sont les sirènes qui attirent par leur chant… Ici, c’est le fou qui attire par sa musique…

Et je ne commenterai pas les images qui suivent!

Une expo de ouf (2 bis)

Je vous avais promis de vous donner la solution… La voici donc : il s’agit d’un philosophe de l’Antiquité Grecque, que d’aucun-e-s (comme moi) avaient tendance à considérer comme un « Sage »… Aristote! Eh oui… Alors, comment se fait-il qu’on le trouve représenté en si fâcheuse posture?
A l’origine, de violents débats autour de la philosophie, dans la Sorbonne médiévale (mais pas seulement!). Il a été victime des controverses entre l’Eglise et la Science. Dans un tel cas, les partis cherchent à nuire aux personnes qui leur sont opposées. De nos jours, c’est plutôt aux vivant-e-s. Mais à cette époque, aucun problème pour attaquer les mort-e-s, donc Aristote.

Qu’avait-il donc fait qui lui a valu un tel traitement artistique? Tout simplement d’avoir été amoureux de la maîtresse d’Alexandre le Grand, Phyllis. Les trouvères ou troubadours se saisirent de l’histoire, et ainsi naquit le Lai d’Aristote.

Moi qui faillit devenir médiéviste et qui suis fan des Lais de Marie de France, je dois bien avouer que je ne connaissais pas ce lai. Je ne résiste donc pas à l’envie de vous le livrer tout entier, ce qui vous permettra de méditer cette nuit…

Aristote, qui avait pour élève Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.), reprochait à ce dernier de se laisser déconcentrer de ses royales fonctions par la courtisane Phyllis dont il était éperdument amoureux. Obéissant, le brave roi de Macédoine cesse donc de fréquenter la donzelle et s’en retourne traiter les affaires de l’État. Apprenant les raisons de son abandon, la gourgandine décide de se venger du vieux philosophe et tente de le séduire en se pavanant sous ses fenêtres en tenue légère. Notre Stagirite tombe sous le charme ! Phyllis annonce alors au sage que s’il veut la posséder, il devra d’abord se livrer à un petit caprice et, sellé et bridé, se laisser chevaucher par la belle. L’éminent barbu accepte ce jeu sans se douter du tour qu’on est en train de lui jouer. En selle et hue ! voilà Phyllis qui se promène à dos d’Aristote dans les jardins du roi, le fouettant pour le faire avancer. Alexandre du sommet de sa tour, assiste à cette scène accablante. Amusé, il reproche tout de même à son maître de n’avoir point de raison et d’avoir cédé au jeu de la tentation. Le philosophe est bien contraint d’admettre qu’il n’a su résister à son désir, mais profite de la situation pour donner la leçon à son pupille : si même le sage succombe, que de précautions doit prendre le jeune et fougueux Alexandre pour ne pas se laisser prendre aux pièges de la séduction. Comme le dit Aristote : «Veritez est, et ge le di, / Qu’amor vaint tout et tout vaincra / Tant com cis siecles durera » (Lai d’Aristote version de M. Delbouille, v. 577-579).

Au fait, nouvelle énigme : qu’est-ce donc qu’un Stagirite?

Couleurs de Voix, couleurs d’Amour(s)

Cela faisait un moment que j’avais noté cette date dans mon agenda, une fois n’est pas coutume. Un de mes amis m’avait annoncé que la chorale dont il fait partie allait chanter en ce mardi 27 septembre. Ce n’était pas la première fois. Mais j’avais raté les précédentes occasions. Alors, blocage de la date. Et me voici, en cette soirée d’un automne précoce – pas d’été indien, cette année! – en train de découvrir le quartier des Batignolles et son Temple.

Au programme étaient annoncés « Suites profanes de la Renaissance ». Non, pas d’allusion à la superbe idée de notre président. Enfin, je crois. Mais à l’époque. Les Cours d’Amour commençaient à passer de mode, mais on continuait à célébrer l’Amour, voire les amours… Qu’elles soient réciproques ou non, désespérées ou heureuses. Et c’est là l’entrée choisie par le choeur et son directeur, Alain Lechevalier. Directeur – soit dit en passant – de cette chorale « A Coeur Joie » depuis 43 ans, puisqu’il en a été le fondateur en 1979 (vive le calcul!).

Deux parties elles-mêmes divisées en deux, des amours malheureuses, voire tragiques, à la célébration du bonheur amoureux. Occasion de réaliser que j’aime les extrêmes : ce sont la première et la quatrième qui m’ont le plus transportée! Mais l’ensemble était remarquable, et, malgré l’option annoncée de ne pas chercher à restituer la langue de l’époque, nous étions bien en pleine Renaissance, avec Josquin des Prés, Janequin et les autres.

Couleurs de l’Amour, donc, du noir au rouge (vu par les cultures asiatiques), en passant par toutes les nuances de gris (non, pas les 50) et de roses.

Couleurs de voix du Petit, puis du Grand Coeur, nous menant du désespoir à la Joie. A Coeur Joie, une vraie « communauté » qu’il fait bon découvrir et qui s’ouvre au public.

Le « Petit Choeur »
Le « Grand Choeur »

N’oublions pas les musicien-ne-s, et principalement la vieilleuse, qui a comblé nos oreilles lors des morceaux interprétés en solo ou avec l’organiste.

Annie Couture

Les intermèdes instrumentaux ont en effet rythmé le concert, avec des oeuvres de Janequin (encore lui!), mais aussi Sermisy, Lupi, Megret (non, pas l’inspecteur).

Bref, vous l’avez compris, un de ces moments de pureté et de bonheur partagé, comme je les aime.

Ah! J’allais oublier de vous donner le nom de cette chorale. Il signifie, en grec, « qui aime le chant ». Vous savez toutes et tous traduire « qui aime » en grec, tant il entre dans la composition de mots français, notamment avec toute la série des collectionneurs (pour la plus grande joie des jeux radiophoniques ou télévisés qui s’amusent à faire découvrir ce qu’est un tyrosémiophile, par exemple). Mais pour la suite du nom, j’en appelle à mon cher Bailly.

« μέλος, εος-ους (τὸ)

I au propre :

1 membre, articulation, aussi bien de l’homme que des animaux ; primit. seul. au pl. IL. 7, 131, etc. ; OD. 11, 599, etc. ; PD. N. 1, 47, etc. ; ESCHL. Pers. 992 ; EUR. El. 1209 ; HDT. 1, 119 ; PLUT. Cor. 6, etc. ; au sg. STR. 83 ; GAL. 4, 589 ; ANTH. 9, 141 ; μέλη καὶ μέρη ou μέρη καὶ μέλη, PLAT. Phædr. 238 a, etc. les membres et les parties ; fig. au plur. membres ou parties d’un tout, NT. Rom. 12, 5 ; 1 Cor. 6, 15, etc.

2 p. suite au plur. les membres, c. à d. le corps entier, NT. Rom. 6, 19, etc. ; 1 Cor. 6, 15, etc.

II membre de phrase musicale, d’où chant rythmé avec art (p. opp. à μέτρον, parole versifiée, métrique) particul. :

1 chant du rossignol, HH. 18, 16

2 chant des instruments (flûte, etc.) PD. P. 12, 19 ; THGN. 761 ; SOPH. (ATH. 175 f)

3 chant avec accompagnement de musique, défini comme un assemblage, PLAT. Rsp. 398 d ; d’où mélodie, PD. O. 9, 1 ; HDT. 5, 95 ; ARSTT. Pol. 8, 5 ; PLUT. Lyc. 21, M. 300 f ; à côté de μέτρον, PLAT. Rsp. 607 d ; au plur. joint à ᾠδαῖς, PLAT. Rsp. 399 c ; p. opp. à ἔπεσι, PLAT. Rsp. 379 a, etc. ; fig. ἐν μέλει, PLAT. Soph. 227 d, en mesure, en cadence, justement ; παρὰ μέλος, PD. N. 7, 69 ; PLAT. Leg. 696 d, Crit. 106 b, etc. ; LUC. Eun. 2, etc. (cf. πλημμελής) sans mesure, c. à d. sans raison, maladroitement

4 p. ext. parole qu’on répète sans cesse, redite, SOPH. Aj. 976 ; EUR. Hipp. 879 ; AR. Pax 289

5 au plur. τὰ μέλη, poésie lyrique, p. opp. à la poésie épique ou dramatique, PLAT. Rsp. 379 a, 607 a, etc.« 

En rébus, cela donne donc.

« Mon premier aime. (Alternative : discipline scolaire abrégée, contrairement aux souffrances qu’elle inflige aux élèves)

Mon second désigne dans la langue d’Homère un chant cadencé. (Alternative : Il manque un outil pour compléter le désordre).

Mon tout est un volatile que l’on apprécie non pour sa chair, mais pour sa voix. »

Car oui, le nom de l’ensemble choral est celui de ce bel oiseau, lui-même chanté par Verlaine.

« Comme un vol criard d’oiseaux en émoi,
Tous mes souvenirs s’abattent sur moi,
S’abattent parmi le feuillage jaune
De mon coeur mirant son tronc plié d’aune
Au tain violet de l’eau des Regrets,
Qui mélancoliquement coule auprès,
S’abattent, et puis la rumeur mauvaise
Qu’une brise moite en montant apaise,
S’éteint par degrés dans l’arbre, si bien
Qu’au bout d’un instant on n’entend plus rien,
Plus rien que la voix célébrant l’Absente,
Plus rien que la voix -ô si languissante!-
De l’oiseau qui fut mon Premier Amour,
Et qui chante encor comme au premier jour;
Et, dans la splendeur triste d’une lune
Se levant blafarde et solennelle, une
Nuit mélancolique et lourde d’été,
Pleine de silence et d’obscurité,
Berce sur l’azur qu’un vent doux effleure.
L’arbre qui frissonne et l’oiseau qui pleure
. »

Eh oui, cet oiseau évoque pour les poètes plutôt des souvenirs douloureux qu’heureux, comme dans la très belle ode de John Keats. Mais les choristes et leur directeur ont fait le choix apprécié de ne pas en rester à la tristesse et de nous emmener vers le bonheur. Merci, Philomèle !

Des fleurs aux pleurs, des pleurs aux peurs

Les cimetières – mes lecteurs/trices fidèles le savent – sont parmi mes lieux préférés. J’aime la compagnie des personnes qui ont quitté ce monde turbulent… Me promener dans ces lieux calmes et souvent fort beaux, déambuler dans les allées en essayant de deviner ce qu’a pu être la vie que seule quelques chiffres, quelques mots, quelques images évoquent…

Aussi n’est-il pas étonnant que, pour la reprise de ma vie parisienne, j’aie choisi une pièce qui se déroule dans ce contexte.

J’avais lu de bonnes critiques sur la pièce, et par co-incidence, une affiche venait d’être placée sur la descendante des colonnes Morris, non loin de chez moi.

C’était aussi l’occasion rêvée de découvrir un théâtre que je n’avais jamais fréquenté, dans une rue pour moi légendaire… Me voici donc, en ce premier jour du mois de septembre tant attendu, prête à affronter la montée rude du début de cette rue. Le théâtre se situe tout en haut, à l’intersection avec la rue Junot. Je découvre que c’est le voisin du Moulin de la Galette, et me demande quels liens il a eu historiquement avec celui-ci. Il faudra que j’enquête…

Mais aujourd’hui, j’en resterai à la pièce.

Un décor fondé sur le hiatus minéral / végétal, couleur vive des fleurs / déclinaison de gris, artifice / réalité… Je découvrirai, au fur et à mesure du déroulé de la pièce, toute l’ingéniosité des choix de ses éléments… Je ne vous en dis pas plus, c’est à vous de découvrir quand vous verrez cette pièce.

Onze personnages, mais seuls trois sont « incarnés ». Et bien incarnés. L’héroïne, gardienne de ce cimetière. Et deux hommes. Cela vous fait penser à du « boulevard »? On en est loin, bien loin, et de plus en plus loin au fur et à mesure que se déroule… Dois-je dire « l’action »? Elle est loin d’être linéaire, et les repères temporels relèvent du challenge de l’écriture scénaristique et de l’exploitation du décor… Ou « le texte »? Car c’est lui qui porte tout, faisant passer les spectateurs/trices par toute une palette d’émotions, au point qu’à la fin, les sièges ne se vidèrent que lentement, pour laisser à chacun_e le temps de s’en remettre.

Je ne vous en dirai pas davantage. Pour que vous puissiez découvrir vous-même cette oeuvre originale, portée par une actrice étonnante et détonnante, Caroline Rochefort. Juste un mot pour vous expliquer le titre qui m’est venu spontanément à l’esprit. Les « peurs » ne sont pas celles de la mort, mais celles de la vie, et surtout de l’amour…

Poésie et musique : le duo Ojos

J’aime le jeudi soir aller écouter du jazz à la Péniche Le Marcounet. Ceux et celles d’entre vous qui me suivent depuis longtemps le savent bien. Mais en ce jeudi d’août, j’ai décidé de découvrir un groupe dont je n’avais jamais entendu parler. Ojos. Oui, Ojos, c’est son nom.

Un concert gratuit en plein air était annoncé à une heure raisonnable (19h) Cour Saint Emilion. Bon, je ne suis pas fan de cet endroit, mais ce n’est pas trop loin… Je regarde donc sur le net, et trouve des clips et autres vidéos. Cela me plaît. J’irai donc.

Arrivée sur place, je cherche. Pas de podium en vue. Comme il a plu, le concert est peut-être annulé? Mais au moins le podium serait encore là… Rien du côté du cinéma, je repars dans l’autre sens… et finis par découvrir, devant la FNAC, une installation assez rudimentaire, et quelques personnes qui squattent les rares bancs posés face à celle-ci. Il ne reste qu’à attendre…
Deux jeunes sont en train de faire des réglages… Je reconnais la chanteuse découverte sur le net quelques heures auparavant. C’est donc là. Et le concert va avoir lieu.
J’ai aimé. Mot affaibli mais le seul qui convienne.

J’ai aimé la personnalité des deux jeunes gens. Les gestes et la danse de la jeune femme. Sa voix aussi, bien sûr. Le jeu de guitare du musicien. La succession improbable de sons vifs et doux. De mots violents et tendres. Des langues espagnole et française. Une palette incroyable pour un concert qui, hélas, n’a pas duré longtemps. Car tel est le format de « Musiques en terrasses » à Bercy Village.

Une petite vidéo (mauvaise) qui vous donnera une idée…

La présentation sur le site n’est pas des meilleures. Jugez-en plutôt…

« 4 AOUT : Ojos

Hadrien et Elodie prêtent leur voix à des chansons originales et créatives, écrites et produites par leurs soins. Leurs compositions sont parsemées de slogans en espagnol, répétés plusieurs fois, les rendant plus mystérieuses. Le groupe s’identifie à de La Pop, mêlant français, anglais et espagnol. »

Pourquoi cette expression « prêtent leur voix »? Alors qu’il et elle écrivent leurs textes!

A la fin du spectacle, la plupart des spectateurs/trices dansaient, debout près des artistes. Une belle ambiance!

Je n’ai pas trouvé celui de la chanson que j’ai préférée, « Le Volcan qui dort« . On comprend mieux en écoutant sur YouTube que lors du concert… Ni celui de Corazon sin cara.

Mais en voici un autre, magnifique déclaration d’amour, « Seule« .

« Je traque le jour pour que la nuit ne s’arrête pas
La nuit personne ne voit la couleur de mes pas
Y olvidé como respirar

Que faut-il que je fasse je te sens jubiler si je m’efface
J’essaierai d’avancer, arme au poing, résignée à te faire face
Dime que dices tu, que dices a mi bella locura
Avec toi je respire pas

C’еst trop facile de dire quе tu m’aimes quand j’suis sola
J’écume mes mots le long des marches de notre immeuble
Mais t’es trop beau quand tu m’enlaces et je suis plus d’humeur
Y yo no puedo mas que tontería

Quand tu seras mort, quand t’auras tort, qu’est ce qu’il restera
Y a plus que le silence de mes désirs quand tu t’en vas Regarde ce que t’as fait de moi
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La Fontaine Médicis

Certains lecteurs s’étant plaints de la longueur de mes textes, j’ai découpé, comme vous avez pu le constater, la visite au Jardin du Luxembourg en épisodes. Voici donc le troisième, qui va nous permettre de nous attarder sur l’endroit que je préfère, comme beaucoup d’autres je pense : la Fontaine Médicis.
Elle n’était plus dans son état « normal » ces derniers temps, car elle a subi des travaux de restauration. Aussi fut-ce un bonheur de la retrouver, même si, comme je le disais précédemment, je doute de l’apport des chrysanthèmes à son environnement, comme à l’ensemble du Jardin d’ailleurs…

La perspective est en est, à mon sens, un peu gâchée… Même s’il fait toujours aussi bon flâner, lire ou méditer tout au long du bassin.

Autant je déteste les arbres torturés pour plaire à des goûts de classicisme ou d’extravagance, autant me plaisent les coeurs de lierre qui bordent le chemin en un hymne à l’amour.

En cette saison l’eau s’orne de couleurs, oscillant entre l’or et l’orange, formant grâce aux ris autant de tableaux étranges.

Polyphème est toujours en train d’espionner les jeunes Amants… Approchons-nous doucement…

Ah la jalousie! Quels crimes n’a-t-on point commis en son nom! Le faune offre un fond sonore aux tendres ébats du couple.

Je ne vous en dirai pas davantage sur cette légende, car ce serait encore bien long. Il paraît que l’article sur la Velléda a saoûlé mon lectorat. Donc cette fois, silence.

Par contre, je me suis intéressée à l’étrangeté du lieu et ai cherché à en savoir plus sur son histoire. (Si cela ne vous intéresse pas, passez directement à la dernière photo!)

Pour en savoir davantage sur cette magnifique pièce du Jardin du Luxembourg, je me suis renseignée sur le site du Sénat, d’où proviennent textes et images qui suivent.

Au début, une Grotte de style « Nymphée »

« Marie de Médicis avait envisagé pour la décoration du jardin du palais qu’elle venait de faire construire à Paris, dans le faubourg Saint-Germain-des-Prés, nombre de grottes, fontaines, bassins et terrasses avec jeux d’eau. Aujourd’hui, seule la fontaine Médicis est le témoignage des réalisations souhaitées par la reine.

La Grotte du Luxembourg

La reine voulait retrouver l’atmosphère des nymphées et fontaines des jardins italiens de son enfance, en particulier celle de la grotte de Buontalenti dans les jardins de Boboli à Florence.

La Grotte de Buontalenti, en Italie, conçue pour François 1er de Médicis, entre 1582 et 1593

Elle en confia la réalisation à l’ingénieur florentin Thomas Francine, qu’elle avait par ailleurs chargé de conduire les eaux de Rungis jusqu’à Paris.

C’est probablement lui qui, vers 1630, dessina les plans de la grotte et non Salomon de Brosse, l’architecte chargé de la construction du Palais du Luxembourg. »

La grotte du Luxembourg au XVIIe siècle
Hyacinthe de La Peigna – Dessin à la plume, Paris, Musée Carnavalet
Crédit photographique : Photothèque des Musées de la Ville de Paris/cliché : Andréani

Et la Grotte devint Fontaine

Ce n’est qu’à la fin du 18ème siècle que la Grotte devint Fontaine…

« En 1799, le Palais du Luxembourg devient le siège du Sénat conservateur. D’importants travaux sont menés tant dans le palais et ses dépendances que dans le jardin. La grotte n’est pas oubliée.

Chalgrin, alors architecte du palais, la fait restaurer. Il s’adresse aux sculpteurs Duret, Ramey et Talamona pour restituer les figures fluviales alors ruinées. Les armes des Médicis et de Henri IV sont remplacées par un simple rectangle à congélations. Il fait placer dans la niche principale une petite Vénus en marbre et transforme la grotte en fontaine en alimentant en eau le petit bassin situé au devant. »

Changement de site

Le saviez-vous? La Fontaine a été par la suite carrément déplacée !

« C’est au moment du percement de la rue Médicis, au début des années 1860, que les changements les plus importants intervinrent. Le nouveau tracé du préfet de la Seine, le Baron Haussmann, nécessitait la destruction d’une partie des dépendances du Sénat et le déplacement de la fontaine Médicis.

Plan représentant le jardin du Luxembourg à la fin du XVIIe siècle
Document conservé au Centre historique des Archives Nationales (O/11687/B pièce 732).

Ce percement, pratiqué en grande partie aux dépens du jardin du Luxembourg, souleva de vives protestations. Le projet d’Haussmann fut violemment combattu. Le Sénat, par l’intermédiaire de son architecte, Alphonse de Gisors, présenta un contre-projet. Le gouvernement passa outre. Au moment où les travaux allaient commencer, quinze opposants au projet adressèrent en décembre 1860 une pétition au Sénat qui eut pour conséquence l’ajournement des travaux jusqu’à la fin de l’année 1861.

La grotte fut finalement déplacée en 1862. Elle fut démontée, pierre par pierre, et rapprochée du palais d’environ trente mètres. Alphonse de Gisors restitua alors la couronne et les armes de France et des Médicis. Il fit construire au devant, entre deux rangées de platanes, un bassin long d’une cinquantaine de mètres qu’il orna de vasques. »

L’eau jaillit du bec du Cygne…

L’arrière de l’édifice constitue la fontaine proprement dite, et c’est de Zeus, transformé en Cygne pour mieux séduire la belle Léda, que coule l’eau, entre les jambes de celle-ci, en un symbole puissant renforcé par le voisinage d’un jet d’eau.

L’Amour à l’Abbaye

Peu d’expositions tentantes, en ce moment, en Pen-Ar-Bed. Néanmoins l’Abbaye de Daoulas propose, jusqu’en décembre, une exposition sur l’Amour. Voilà qui est doublement alléchant, car j’aime ce site et son environnement proche, le fond de la rade de Brest…

En route donc vers Daoulas, par cet après-midi de grisaille – le soleil des jours précédents s’est enfui sous les nuages… Aucune idée de ce qui m’attend, car le site officiel est peu explicite, et je n’ai pas recherché, comme je le fais parfois, les articles sur cet événement. Je découvre l’affiche en arrivant. Surprenante. Peu esthétique, à mon goût. Ce rouge et ce jaune, pourquoi? Par contre, le sous-titre fait énigme « Récits d’Orient, récits d’Occident »… Et le « sur-titre » (si j’ose ce néologisme) aussi : que signifie le terme écrit en langue arabe? Il ne reste qu’à entrer pour en savoir davantage. A l’accueil, une charmante jeune fille offre un plan de l’abbaye (ignorant que j’y suis déjà venue maintes fois) et n’en dit pas davantage sur l’exposition.

Un projet d’une ambition délirante

Des affiches dès l’entrée apportent quelques explications, en une introduction didactique de la visite.

Le projet semble bien ambitieux : couvrir tous les siècles depuis l’Ancien testament, et ce, pour deux contrées aussi différentes… Le tout dans un espace relativement restreint. Une sacrée gageure!

Et c’est tout le problème de cette exposition, il faut bien l’avouer.

Un atout : l’optimisation des espaces

Malgré une belle muséographie, dont voici quelques illustrations.

A droite, des affiches du XIXème… Au fond, des gravures et tableaux… et, au milieu, des »biscuits » ou autres statuettes…
Tableau, statuette en bois et marionnettes
Pour regarder non par la serrure, mais par le trou… des gravures, films ou photos allant de l’érotisme au porno, en passant par l’humour…

Dans chaque salle, à l’exception de celle où figure ce « mur à trous », Orient et Occident sont rapprochés, pour mieux montrer les différences et invariants. Mais les supports sont extrêmement variés, ainsi que les objets exposés. Trop, peut-être?

Des Testaments à aujourd’hui, que d’époques « survolées »…

La première salle, bien sûr, est consacrée au couple infernal… Adam et Eve, tels que vus dans la Bible et interprétés en Islam. On y apprend notamment que, comme la notion de « péché » est absente de cette religion, la pomme « Malus » n’apporte pas le mal « Malum »…

Adam et Eve, version orientale

On parcourt ensuite les débuts de l’Islam et le soufisme, puis le Moyen Age et l’Amour courtois, avant d’en arriver aux époques plus récentes…

Un hymne à l’Islam éclairé, et une réflexion sur la « tentation »

L’Islam éclairé est mis en valeur, sous forme de textes qui montrent combien il était ouvert, et d’enluminures et dessins divers.

Non seulement l’Islam apparaît, au fil de l’exposition, comme beaucoup plus ouvert qu’on ne le pense généralement, mais en outre les moeurs des époques concernées sont représentées comme libres, toute source de plaisir étant acceptée, qu’il s’agisse de couples hétéro- ou homosexuels.

L’exposition tend à démontrer que chacune des civilisations a eu des périodes d’ouverture et des périodes de rejet des plaisirs et des amours.
Ainsi en fut-il, par exemple, pour l’homosexualité, considérée dans la Grèce Antique comme une des voies de l’Education, avec des Maîtres comme Socrate et leurs disciples, jeunes gens qu’ils éveillaient aussi physiquement. En Orient aussi, l’homosexualité a été à certaines époques vécue comme ordinaire. Peut-être davantage pour les jeunes femmes que pour les jeunes hommes? Ou a-t-on fait davantage silence pour ces derniers?

A ces périodes admissives s’opposent les restrictions diverses. Celles qui notamment sont liées à l’idée du « péché de chair », de la « luxure », contrôlées par l’Eglise à partir du Moyen Age, et par la bourgeoisie après la Révolution.

Ainsi est né le concept de « Tentation ». Je n’ai pas photographié celle de Saint Antoine, et ai été plutôt séduite par l’image qui suit…

Cette réflexion s’achève sur des notes plutôt tristes, avec notamment les morts d’amant-e-s célèbres (j’y reviendrai), mais aussi positives, avec des oeuvres presque iconoclastes de jeunes femmes artistes dans des pays bridant les libertés, comme celle-ci…

Une extrême diversité d’objets, de sons et d’images

Vous l’avez compris, malgré un aspect très pédagogique/andragogique et une volonté de narration muséographique, on ressent quelque peu une impression d’assemblage hétéroclites d’objets, de sons et d’images.

Mais je ne nierai pas que certains des objets exposés sont très intéressants, et souvent très esthétiques. Cela va des poteries aux tableaux, en passant par les statuettes et une collection de récipients contenant toutes les « potions » pour l’amour…

Coupe aux amoureux, Chypre, 14ème siècle

Omniprésence de la littérature, de la musique, des beaux-arts et du 7ème art

Disséminés à divers endroits, de confortables espaces pour regarder, voir, entendre… des oeuvres d’art, des poèmes, de la musique, et beaucoup de films.

La mort d’Atala
Une des nombreuses illustrations des
Mille et Une Nuits

Vous ne verrez ici aucun extrait des films projetés, mais sachez qu’ils ont fait revivre Fernandel admirant une danseuse orientale, Jean Marais en séducteur de dame, et des acteurs/actrices du cinéma muet dont je ne me rappelle plus le nom, sans oublier les couples célèbres comme ceux de West Side Story et, bien évidemment, Roméo et Juliette dans des versions très différentes, mais toujours aussi émouvantes.

Un autre écran, interactif, pour choisir parmi les plus célèbres chansons d’amour… Dont celle-ci, qui vous rappellera peut-être quelque chose?

Dans ce foisonnement, le visiteur/la visiteuse peut choisir, jouer, élire, se prendre en photo, et même raconter une histoire d’amour, parler de ses amours, de ses expériences sentimentales ou érotiques… pour ensuite être entendu par les autres…

Et la Bretagne, dans tout ça?

Bien sûr, elle était déjà présente dans la partie « Amour courtois » et dans la légende de Tristan et Yseult… Mais elle a droit à une vitrine entière, avec à nouveau statuettes et images..

J’ai beaucoup aimé la série de cartes postales anciennes, mais aussi une série de bijoux dont j’ignorais l’existence : les épingles de pardon, Ar spilhenn Pardon. Je précise que nous « sortons » de l’exposition, car j’ai raté la photographie, et vous en propose donc d’autres, pour mieux comprendre de quoi il s’agit, concernant ce bijou qui préludait à l’amour, pardon, à « karantez« …

… Je lui faisais signe,
Elle ne venait pas.
Je lui offrais des noix,
Elle ne venait pas.
Je lui achetais une belle épingle,
Elle vint alors.
Ai-je bien fait ma mère?
– Oui, mon garçon,
Ton père faisait ainsi avec moi.
(Entendu à Scaër) (source)

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L’usage des épingles de pardon était fort local, puisqu’il est attesté dans les limites de la Cornouaille et du pays pagan ; un petit débordement par le sud sur le pays vannetais est envisageable, si l’on en croit notre malicieuse paludière. Malgré tout, ces jolies fantaisies étaient un produit d’importation, fabriquées jusqu’en Bohême et peut-être même en Afrique du Nord, comme semblent en témoigner certains ornement très arabisants.

Elles mesurent de 8 à 12 centimètres et sont constituées d’une tige surmontée d’une perle de tête assez volumineuse, autour de laquelle sont attachées des chaînettes elles-mêmes agrémentées de perles de taille plus réduites et de breloques. Ces pendeloques étaient en nombre variable, de une pour les acheteurs les plus modestes et jusqu’à trois pour ceux qui avaient les moyens. » (source)

Pour finir, il faut… une chanson d’amour, non? En voici une très belle… et une autre, qui nécessite que vous sachiez dire « je t’aime » en langue bretonne : « da garan ».

Le jeu d’Anatole

Le Lucernaire propose souvent des spectacles intéressants, originaux, voire drôles. C’est le cas en ce moment, avec ce que je ne sais comment la désigner, la « pièce » intitulée « Le jeu d’Anatole ou Les Manèges de l’Amour ».

Imaginez une scène exigüe, sur laquelle trois à quatre personnages tiennent à peine ensemble.

Et une mise en scène permettant de la transformer en salon, en restaurant, en salle de spectacle, et en belvédère… Une vraie gageure, un pari réussi pour le metteur en scène, Hervé Lewandowski.

Anatole est le stéréotype de l’homme assoiffé de conquêtes. Il se heurte, durant sa vie, à d’autres stéréotypes, de femmes, cette fois. Femmes diverses, tant par la condition sociale que par le style et par le caractère, par les choix de vie aussi. De la « cocotte » pseudo-artiste à la femme bourgeoise, elles se succèdent dans sa vie – et dans son lit – sans qu’il parvienne à les comprendre. Pour les interpréter, une seule actrice.

Mélodie Molinaro est surprenante, inattendue, enjouée, terriblement vivante, et impressionnante dans les diverses facettes de « la femme idéale », qui sont ainsi représentées successivement, jusqu’au dénouement inattendu. Elle chante, danse, virevolte, mais aussi pense, joue et se joue de l’Homme, et émeut…

L’ami fidèle, qui observe, commente, enregistre les méandres des amours d’Anatole, est interprété par Yann Sebile, terriblement séduisant avec sa redingote et son chapeau haut-de-forme…

Quant au troisième homme, il change de costume, de rôle, de ton, tout au long de la pièce, dans une succession incroyable de « seconds rôles ». Tous les personnes incarnés par Guillaume Sorel contribuent à « créer le décor », rendre compte de l’époque et du lieu… et faire rire les spectateurs/trices…

Enfin, proche de la scène, un acteur « invisible » mais pourtant très présent : le pianiste, qui est parfois « convoqué » par les autres, comme un des personnages. Son jeu permet d’évoquer les époques, par des interprétations situées de la musique d’Offenbach, qui accompagne les chansons ou devient fond sonore.

Car la musique est omniprésente et nous entraîne ailleurs, encore ailleurs, dans l’espace comme dans le temps.

Bref, vous l’avez compris, j’ai aimé ce spectacle, qui fait voyager, chantonner, danser sur son siège, et qui fait rire tout en étant au final très profond…

Pour en découvrir davantage, vous pouvez regarder ceci. Mais je vous le déconseille si vous envisagez d’aller voir la pièce… Mieux vaut se laisser surprendre, non?