Barzaz Breiz à La Madeleine (1)

Barzaz Breiz, écrit parfois avec un tiret, vous connaissez peut-être? Sinon, revenons dans le passé.

Nous sommes dans les années 30. Pas de ce siècle ni du précédent, non. Du 19ème. A Paris vivent de nombreux Bretons, dont des étudiant-e-s qui ont suivi des études secondaires dans leur région, mais viennent poursuivre dans la capitale. De nombreux banquets bretons voient se développer les discours autour de l’identité bretonne, tellement mise à mal depuis la Révolution (merci, l’Abbé Grégoire!). Un cercle de jeunes gens se réunit ainsi autour de Le Gonidec. Qui est cet homme? Ni plus ni moins que celui qui a unifié l’orthographe et la grammaire de la langue bretonne. Celtomane, Jean-François, Marie, Maurice, Agathe Le Gonidec de Kerdaniel est considéré comme l’un de ceux qui ont permis au breton d’obtenir le statut de « langue », puisque ses codes étaient dès lors fixés. Au détriment de la richesse des différentes langues parlées sur le territoire breton, soit dit en passant. Mais uniformisation et reconnaissance exigent…

A ce moment, il a déjà beaucoup oeuvré et publié, dont un Nouveau Testament en breton qui lui a valu bien des difficultés avec l’Eglise. Il est en train de préparer ce qui sera sa dernière oeuvre, ce dictionnaire breton-français.

Nul ne le sait à ce moment, mais lorsqu’elle paraît en 1837, il ne lui reste qu’un an à vivre : il mourra l’année suivante, à seulement 63 ans. Sa dépouille sera transférée de Paris à Lochrist, près du Conquet, son lieu de naissance.

Si je vous ai placé la photo du monument funéraire, photo issue de la page Wikipédia, c’est que le monument a une spécificité : il a été érigé en commun par les Gallois et les Bretons, et comporte donc trois langues : Gallois, Breton, et, dans une moindre mesure (il faut hiérarchiser!), Français. Mais voici, en français, la traduction de l’inscription en breton.

« Le Gonidec, homme de bien,
son nom est ici,
en témoignage d’éloge sincère
et du plus tendre amour,
sur une colonne de pierre élevée
par des frères Bretons
de la petite Bretagne, et de
la Grande-Bretagne, Celtes,
parce qu’il aimait son pays
et sa langue bretonne
en laquelle il fit un dictionnaire
et aussi une grammaire,
et parce qu’il traduisit, le premier
toute la Sainte Bible
dans la langue des Bretons.
Œuvre grande, bonne, céleste.

Mais revenons au Barzaz Breiz. Parmi les jeunes gens qui entourent (et sans doute admirent) Le Gonidec, figure le jeune Théodore Hersart de La Villemarqué, natif de Quimperlé. En 1837, il a 22 ans, mais ce brillant titulaire du baccalauréat littéraire, qui s’est inscrit en élève libre à l’Ecole des Chartes, a participé à certains travaux de Le Gonidec et il n’est pas le dernier à se montrer virulent lorsqu’il s’agit de défendre la Bretagne, le « bro ». Persuadé que les  gwerzioù  permettent de retracer une histoire de la Bretagne dont on ne fait que peu de cas dans l’histoire générale de la France, il note depuis 4 ans sur des carnets des chants de la région de Nizon, avant d’élargir son terrain d’enquête vers la Haute-Cornouaille. Son travail ne sera pas reconnu comme « scientifique », et c’est à compte d’auteur que paraît, en 1834, le Barzaz-Breiz.

Mais savez-vous ce que sont les gwerzioù (pluriel de gwerz)?

« Le terme gwerz désigne en fait une forme de chant particulière au répertoire en langue bretonne : une gwerz est un récit chanté, une forme de complainte, de ballade, de mélopée… Eva Guillorel en donne cette définition dans son ouvrage La complainte et la plainte : « […] il s’agit de pièces longues qui décrivent des faits divers tragiques à caractère local, qui montrent un important souci du détail dans les situations décrites et qui rapportent généralement avec une grande fiabilité le souvenir de noms précis de lieux et de personnes […] ».

Les chanteurs intervenaient à maintes occasions, dont les pardons, comme on le voit sur la photographie ci-dessous (source)

En quelque sorte, c’est la version bretonne des aèdes qui transmettaient l’histoire de la Grèce Antique, comme Homère, ou des griots qui portent la mémoire des peuples d’Afrique, encore à l’heure actuelle.

Une coïncidence? Vous savez qu’on dit qu’Homère était aveugle… Voici la photo d’un célèbre chanteur breton…

Puisque je parle d’Homère, c’est le moment de situer l’anecdote suivante : George Sand fut tellement enthousiasmée par le Barzaz Breiz qu’elle dit le situer au-dessus de l’Iliade…

Je ne vais pas continuer sur le sujet, mais, s’il vous intéresse, je vous conseille d’aller voir ce site très riche. Pour un aspect linguistique, c’est ici. On peut en entendre avec des interprétations par des Breton-ne-s, sur You Tube. Par exemple ici ou ici. Bien évidemment, les chanteurs/euses plus connu-e-s s’en sont saisi-e-s. C’est le cas de Denez Prigent, entre autres, dont vous pourrez écouter de nombreuses interprétations. Un reportage de l’INA, aussi, à voir. On y assiste à une séance de collectage de gwerz qui doit ressembler à ce qu’a vécu le jeune La Villemarqué. Une exposition au Manoir de Kernault, il y a 10 ans, présentait ses carnets.

Vous devez vous demander pourquoi je « disserte » sur Le Gonidec, La Villemarqué et les gwerziou.

C’est simple : si on ne connaît pas cette Histoire, on ne peut pas saisir toute l’émotion ressentie hier après-midi en entendant interpréter ces chants et ces récits par de jeunes Bretons, dans un lieu très symbolique de Paris : l’Eglise de la Madeleine. Car c’est ce à quoi j’ai assisté, en ce dimanche 22 janvier, et dont je suis sortie tellement émue que j’ai décliné l’invitation à prendre un verre d’un couple fort sympathique et intéressant, tout aussi amoureux de la Bretagne que moi, et que j’espère revoir bientôt. Une émotion partagée. Je vous en parlerai. Dans un prochain article…

Goémon

Un de mes lecteurs assidus, que je remercie au passage de sa fidélité (nous avons eu nos premiers échanges lors du premier confinement!), a transmis en commentaire un beau texte sur la collecte du goémon, suite au précédent article « Varech ».

En écho, j’ai eu envie de rechercher quelques tableaux que je connaissais sur ce thème… et en ai trouvé aussi d’autres…

Avant de les partager avec vous, quelques petites informations complémentaires, si le sujet vous intéresse.

Je reviendrai d’abord sur la distinction entre « goémon d’épave » et « goémon de rive ». Ce que décrit le texte proposé par « Karlhiver », c’est la récolte du goémon de rive. A cet effet, je ne vais pas faire de plagiat, mais vous transmettre un article synthétique du Télégramme qui évoque ces différences. Les photos intercalées ne proviennent pas de l’article, mais de différents musées bretons.

« Goémon d’épave ou goémon de rives, ils n’étaient pas ramassés de la même manière, ni n’avaient les mêmes utilisations.

2006.22.5. Goémonières Musée départemental breton - Musée départemental  breton

Le premier était ramassé à l’aide de grands râteaux. Il était préalablement partagé selon le nombre de personnes présentes à la récolte, la quantité de goémon échoué et les lieux. Dès l’instant où le phare s’arrêtait, le travail pouvait commencer. A Landunvez, toutes les personnes composant la famille comptaient pour le partage, sans obligation de présence pour les enfants.

2006.22.12. Goémoniers Musée départemental breton - Musée départemental  breton

En ce qui concerne le goémon de rive, la coupe occupait autant les femmes, les enfants que les hommes. Les plus robustes goémoniers chargeaient les charrettes tirées par les chevaux. Chaque famille se voyait attribuer une portion de grève. Cette attribution était faite pour quatre ans. Le goémon était étalé ensuite sur la dune pour sécher. Argenton, qui n’était alors que dune, bon nombre de constructions n’existant pas encore, était recouvert de goémon. Le soir, celui-ci était ramassé en tas. Une fois complètement sec, le goémon était brûlé dans des fours creusés à même la dune, et dotés de cloisons en pierres. Il en ressortait des pains de soude qui étaient vendus aux usines afin d’en extraire de l’iode.

Goémoniers. Les paysans de la mer - Histoire - Le Télégramme

Déjà, au XVIII e siècle, le goémon était utilisé comme combustible. Une coupe de goémon de rive était effectuée en septembre pour cet usage. Les algues n’entrent alors dans l’alimentation que sous la forme de «chondrus crispus», séchés et blanchis. Celui-ci est mis à bouillir dans du lait. Son refroidissement s’accompagne d’une gélification qui donne une sorte de flan. Les algues sont, par contre, largement utilisées dans l’alimentation animale, comme apport de protéines végétales. Les algues ont également servi d’engrais pour amender les terres. Au XIX e siècle, le ramassage du goémon de rive a permis le développement d’un vrai commerce. L’arrivée des engrais chimiques a fait disparaître cette activité.

230 idées de Seaweed. goémon | ile ouessant, bretagne paysage, soupe aux  algues

L’usage industriel de l’algue, quant à lui, a débuté avec la fabrication du verre qui utilisait les algues sous forme de cendres. C’est ainsi que dès le XVIII e siècle, la coupe et le brûlage du goémon se sont organisés sur les côtes. A la fin du XVIII e siècle, l’utilisation des cendres de varech a permis de découvrir l’iode. L’industrie locale va alors naître et tourner jusqu’en 1955 environ, avec un quota annuel de 60 à 70 tonnes d’iode. » Source

Les tableaux qui suivent traitent du même thème, mais évoquent, chacun à leur manière, un « éclairage » de celui-ci.
Certains tiennent du « reportage », comme celui-ci, qui rappelle l’importance des fours dans la région de Porspoder.

Déchargement du « tali » de la Marie-Pierre dans l’anse du C’hloc’h à Porspoder.
Huile sur toile de Jean-Marie Couillard. © coll. particulière.
Yves Colin, futur inventeur du « scoubidou », est debout dans la charrette
et vide la cargaison à l’aide d’un croc.
Son père François est resté dans le bateau avec le jeune Didier Bellec.
On distingue au loin les fumées blanches des fours à goémon en activité.
Source

Rien à voir, ou presque, avec la vision épurée de Gauguin…

Gauguin, ramasseuses de varech

… ou encore celle de Sérusier…

Sérusier, Rémasseur de goémon

Un des peintres bretons incontournables, Mathurin Méheut, se situe à l’intermédiaire des deux premiers, dans ce tableau qui montre l’effort des goémoniers sur leurs frêles embarcations.

Mathurin Méheut, Goémoniers sur leurs drômes

« Méheut représente ici le ramassage du goémon sur des drômes, sortes de radeaux de cordes entrecroisées sur lequel les algues sont récoltées à l’aide de bêches. Dans une certaine instabilité, les goémoniers se dirigent grâce à des perches. Les silhouettes des hommes et des femmes montrent l’effort important pour se guider dans les courants marins et le vent. » Source

Les deux tableaux suivants montrent un traitement moderne d’une époque révolue, alors que le second est bien ancré dans sa contemporanéité…

jean-Julien Lemordant, Ramasseurs de varech
Jules-jacques Veyrassat, Chevaux-Le ramassage du varech

Pour celles et ceux d’entre vous qui voulez en voir davantage, un ensemble proposé par Wikiwand.

Je ne pouvais finir cette série par l’un de mes peintres préférés, Boudin, qui, bien que Normand, aimait à séjourner en Bretagne.

Boudin, Brest, La Rade, récolte du varech (1893)

Varech

Plage de Kerneuc, 31 octobre 2021

En écrivant ce titre, je me suis questionnée sur le choix du mot et son orthographe… Allais-je écrire « varech », « varechs », ou goémon (avec ou sans s)? Ou m’adonner aux joies de la bretonnitude et opter pour « bezhin » ou « gouemon »?

Evidemment, pour celles et ceux d’entre vous qui me connaissez, je me suis précipitée sur le CNTRL puis sur le Littré…

Intéressante découverte, comme souvent… Car, si j’avais voulu évoquer une épave, j’aurais aussi pu faire ce choix terminologique.

« Nom collectif de tous les débris que la mer rejette sur ses côtes. Naufrages et varech, qu’est-ce ? ce sont les biens pêchés au bord de la mer, des lacs et des rivières, Arch. des Finances, mss. Instr. sur la Chambre des Comptes, 1701, p. 19. » (Littré)

Le saviez-vous? Moi, non…

Cela viendrait, d’après le Littré, de la racine indo-européenne présente dans « frangere » (bien connue maintenant avec la mode des « frexit »!)

Pour ce qui concerne l’incertitude singulier / pluriel, elle fut vite levée. On peut mettre les deux, car le singulier de « varech » est un singulier collectif et désigne « du varech » ! Donc ex-aequo…

Reste le goémon. Il est plus précis, puisqu’il ne désigne que des algues… « Mélange d’algues marines brunes des genres fucus et laminaire, récoltées sur les côtes bretonnes et normandes, que l’on utilise comme engrais ou dont on extrait de la soude et de l’iode. » (CNTRL)

Mais un point commun : l’épave. En effet, ce qui est rejeté par la mer sur les côtes, comme ce fut le cas dans le Finistère dernièrement, est dénommé « goémon d’épave »… J’aurais donc dû intituler cet article « Goémon d’épave »…

Car j’ai eu envie ce matin de partager avec vous quelques photos prises sur la Plage de Kerneuc, à Fouesnant – pardon, Fouen… En recherchant la bretonnitude, les traducteurs ont laissé le foin mais oublié la vallée (nant)…

Je tiens à préciser qu’aucune des photos n’a été retouchée, ni même recadrée. Il n’est que le « champignon » qui a été pivoté…

L’idée de leur donner des titres m’a titillée, mais je préfère laisser chacun-e

J’ai volontairement laissé les photos dans l’ordre où elles ont été prises, car cela correspond aux changements réels de luminosité, et aux « découvertes » tout au long de cette belle promenade, le visage fouetté par un suroît agréable…

Et une belle surprise en fin de balade…