Une bulle musicale

Quoi de mieux pour clore les fêtes de Pâques que de vivre un concert « prenant »? C’est ce qui m’est arrivé hier, et je me suis félicitée d’avoir choisi de rentrer plus tôt du bord de mer pour assister à la représentation du Messie (alias Messiah) de Haendel dans une église que je vous ai déjà présentée, celle de l’Ile Saint Louis.

Vous avez peut-être remarqué, au-dessus de l’autel, le triangle rayonnant entourant le tétragramme et le pentagramme (entre parenthèses, ces deux mots sont troublants : le premier désigne 4 lettres, alors que le second indique 5 branches…) ?

Tétragramme et pentagramme : du trois au cinq…

Et j’ai été frappée par l’oecuménisme d’une autre manière : le public était très mixte, et la kippa bien présente. Vous remarquerez que l’illustration choisie pour le programme est tout aussi oecuménique!

Mais revenons à l’un des oratorios composé par Haendel, le Messie (1741). Au passage, la date est proche de celle de l’anniversaire de son décès, le 14 avril, qui était en cette année 1759 le jour du Samedi Saint.

Si vous voulez décrypter…

Un Monsieur, devant moi, fait littéralement « dégager » une vieille dame pour qu’elle laisse libre une place sur laquelle il fait s’asseoir… un enfant. J’en suis choquée. Et sa « prétention » est à l’image de sa goujaterie… Seule vision négative durant ces deux heures de Bonheur Partagé.

Un « personnage » – il ne s’est pas présenté, et ce qualificatif lui va si bien! – introduit le spectacle, précisant qu’il salue la présence d’un célèbre compositeur, Dominique Probst. Il le désigne. L’artiste se lève. C’est justement le « prétentieux » que je venais de remarquer! Dommage… En préparant ce texte, j’ai regardé sur le net, et trouvé sa biographie ici et . Il n’est autre que le fils de Gisèle Casadesus et de Lucien Pascal (Probst), directeur de la Comédie Française. Et neveu de Jean-Claude Casadesus. Son épouse est comédienne, l’une de ses filles, Barbara, aussi, et la seconde, Tatiana, chante aujourd’hui. Si j’ajoute qu’un film a été tourné sur sa biographie, il faut avouer qu’il y a de quoi prendre la grosse tête! En continuant mes lectures, j’ai compris que la dame « en retrait » près de lui n’est autre que l’actrice Catherine Chevallier. Et le petit garçon qui dormait sur ses genoux, leur petit-fils, dont la maman chantait ce jour.

La soprano Tatiana Probst est vraiment lumineuse, et sa voix, à la fois chaleureuse, intense et souple. J’ai vraiment adoré son interprétation et le rayonnement de sa personne. Vous pouvez la voir sur cette (mauvaise) photo, aux côtés de l’alto, ici souriante alors qu’au contraire de sa collègue, elle avait gardé un air triste tout au long du concert.

La soprano Tatiana Probst et l’alto Laeticia Gopfert

Mais, après ces digressions, revenons au début du concert, quand l’orchestre s’installe.

Un orchestre remarquable, en accord parfait tant en interne qu’avec les solistes et le choeur. Les choeurs, devrais-je dire, car il y avait deux chorales, avec un chef pour l’un et une cheffe pour l’autre. Une mention spéciale au « choeur » ainsi formé, qui a fait raisonner, avec intensité et émotion, l’oeuvre de Haendel. Quant aux solistes, j’ai préféré la soprano à l’alto, et le baryton basse au ténor. Celui-ci ne semblait pas au mieux de sa forme, alors que Jean-Louis Serre nous a fait vibrer à maintes reprises.

A gauche Pierre Vaelo, ténor, et à droite, Jean-Louis Serre, baryton

Ce furent presque deux heures de vibrations et d’émotions pour un public totalement sous le charme. En ont témoigné les applaudissements enthousiastes à destination des solistes, de l’orchestre, des chef-fe-s de choeur et du choeur lui-même.

Le « personnage » et la cheffe de choeur, Solène Labour

Les deux solistes et le chef d’orchestre Frédéric Loisel

J’ai fait une exception à une règle pour moi sacro-sainte : ne pas enregistrer durant le concert. Lors de la reprise de l’Hallelujah par le choeur, j’ai capté quelques moments de la fin, pour vous les partager. Vous pourrez voir et entendre cette « finale de final », et peut-être comprendrez-vous mieux mon plaisir, j’allais dire le Bonheur pur. Vous n’entendrez hélas pas les solistes, qui se trouvaient à ce moment sur les côtés, hors champ; mais Tatiana Probst chantait aussi…

Un fest-noz en Normandie

Je vous ai laissé-e-s hier à Belleville-sur-Mer, plus exactement à l’entrée de la salle de spectacle, Scène-en-Mer. Trois groupes étaient annoncés pour fêter la Saint Patrick. Pénétrons donc dans ces lieux de culture celtique en plein pays normand…


Le premier a suscité mon étonnement. Un groupe de grands gaillards que l’on pourrait imaginer tout droit sortis des Highlands. En tenue superbe d’Ecossais. Le nom du groupe? Celtik en Caux. Voilà qui fait moins écossais, n’est-ce pas? Effectivement, ils sont bien du Pays de Caux, en Normandie. Un groupe de passionnés qui a fait partager sa connaissance du pays du Chardon, en présentant un savoureux cocktail d’histoire de l’Ecosse et de ses héros, de films consacrés à ce pays et de musique du cru. Je ne résiste pas à l’envie de vous faire voir leur « blason », qui allie Normandie et Ecosse…

Les musiciens se répartissent ceux des héros, au gré de ressemblances plus ou moins fantaisistes, car l’humour ne leur fait pas défaut.

J’ai tenté de capter quelques extraits, pour que vous en ayez une idée, mais le résultat n’est pas formidable. En ce petit village, la soirée a compté presque 500 participants payant!

Changement de tonalité (dans tous les sens du terme) avec le deuxième groupe, Ormuz. Beaucoup plus chantant, beaucoup plus poétique aussi. Et beaucoup plus breton, même si la plupart des chansons étaient hélas interprétées en français. Le fil conducteur choisi par le groupe est une noce bretonne, archive INA des années 1900. Vous pouvez regarder la vidéo sur YouTube. A chaque épisode les artistes relient une chanson. Par exemple, cette interprétation d’une chanson religieuse, Santez Anna, qui venait d’être introduite par une scène comique et quelque peu satirique : un prêtre sur scène, dont il est dit qu’il ne monte pas en chaire à moins de 8 grammes (d’alcool dans le sang!) et qu’il a inventé le Godspel breton…

Pour entraîner dans les ridées et andro, un petit groupe de personnes en magnifiques costumes bretons était venu d’une association, Les Bretons du Havre (source des photos : le site de l’association).

Les coiffes de Lorient adaptées à l’âge des femmes : la plus âgée avait la plus ancienne, mais aussi la plus belle.

Le public s’est élancé sur la piste… de quoi constater que peu provenaient de Bretagne, à en juger par l’inexpérience et la difficulté à apprendre!

Le dernier groupe va reprendre le flambeau, côté danse.

Le premier groupe était local, le deuxième venait du Nord, ce dernier arrivait de Dijon… et, si le morceau écouté vous a paru assez calme, Lemonfly a fait une entrée fracassante avec du Métal, qui rompait avec ce qui avait précédé. Son répertoire est très varié, et le batteur a le sens de l’animation, c’est le moins qu’on puisse dire! On a même eu droit à un demi strip-tease… et au déploiement d’une grande banderole pour nous apprendre le breton. Qu’était-il écrit dessus? Nanananananananananeno!

Saint Patrick peut donc reposer en paix (il a été bien fêté!) mais pas trop, si ces musiques et chants, entonnés à la fin par tout le public, lui sont parvenus, en alliant le trèfle au chardon et aux coquelicots.

Barzaz Breiz à La Madeleine (2)

Petite synthèse pour celles et ceux qui auraient raté le précédent épisode : un jeune noble breton décide de collecter les chants traditionnels, et en particulier ceux qui rapportent l’histoire de la Bretagne, les gwerziou. Il en fait un recueil, publié sous le titre de Barzaz-Breiz : « barzaz » a le même radical que « barde » : c’est un ensemble de poèmes.

La Villemarqué a effectué deux campagnes de collectes, dans la première moitié du 19ème siècle. Il a tenté d’en sortir une histoire de la Bretagne, qui a été contestée pour manque de scientificité.

Maintenant que vous avez compris ce qu’est le Barzaz-Breiz, vous devez vous demander pourquoi j’ai autant développé avant d’en venir, comme vous l’attendez depuis le début, au concert programmé en ce dimanche 22 janvier à l’Eglise de La Madeleine. Nous y venons. C’est tout simplement le titre de ce concert.

Mais pourquoi ce titre? Eh bien, c’est évident! Les textes proviennent pour la plupart de ce recueil de chansons « historiques » bretonnes. On y retrouve la légende de la submersion de la ville d’Ys, ou encore le dialogue avec la mort de Yannig Skolan.

« La vie de Skolan est venue au pays, quiconque la chantera chaque jour aura de Dieu deux cents jours de pardon.
– « Qui va là et frappe aux portes fermées ? ». – « Ma pauvre mère, c’est votre fils Skolan ». – « Qu’il reçoive ma malédiction, la malédiction de ses frères et sœurs et de tous les enfants innocents, des étoiles, de la lune et de la rosée qui tombe sur la terre… ».
En route, Skolan rencontre son parrain qui lui dit : « Noir est ton cheval et noir tu es toi-même, où as-tu été et où vas-tu ? ». – « Je viens du Purgatoire et vais en Enfer avec la malédiction de ma mère ».
Le parrain intercède auprès de la mère. Elle énumère les forfaits de son fils : violer sept de ses sœurs, tuer leurs enfants, briser les vitraux et tuer le prêtre, mettre le feu au blé. Mais son plus grand péché est d’avoir perdu un petit livre écrit avec le sang du Christ.
Le livre, gardé au fond de la mer dans la bouche d’un poisson, est rendu. La mère donne alors le pardon.
Le cheval et Skolan deviennent blancs et il va au paradis avec la bénédiction de sa mère, ses frères, sœurs, des étoiles, de la lune….
« Quand le coq chante au lever du jour, les âmes trépassées vont devant Dieu, ma pauvre mère, j’irai moi aussi ».
(source)

Le programme montre à quel point ils ont été fidèles à leurs sources, rendant ainsi un hommage éclatant aux « bardes » (quel est le pluriel? Bardesses? ou faut-il dire « barzh » au singulier, donc peut-être « barzhou » au pluriel) de jadis et de naguère?

Le trio qui se produisait porte le nom de son créateur, Kêr Vari Kervarec, auquel sont parfois adjoints ceux des autres musiciens, Mehat et Dudognon.

« Le Trio Pêr Vari Kervarec se forme en début 2020, avec la volonté de proposer au public : un voyage dans cette culture bretonne, en se laissant envoûter par ces mélopées où se révèle la mémoire d’un peuple, l’âme profonde de la Bretagne. Composé de Pêr Vari Kervarec au chant en breton et aux bombardes, Loeiz Méhat aux saxophones et biniou et enfin Tony Dudognon à l’orgue, le trio compte une centaine de concerts à son actif dans toute la France.« 

La Bretagne, et en particulier le Finistère, a évidemment publié autour de ce concert. Par exemple, le quotidien Ouest France titrait « Le trio finistérien va jouer à Paris et au Japon ».

« Le trio a enchaîné toujours avec succès, avec « La mémoire d’un peuple » sur le Barzaz Breizh, collection de chants par Théodore Hersart de La Villemarqué paru en 1852.

Ce spectacle est à découvrir dimanche 22 janvier à 16 h, à l’église de la Madeleine à Pari, dans le 8e arrondissement. « C’est grâce au titulaire de l’orgue de la Madeleine, François-Henri Houbart, que le concert peut avoir lieu. Il avait assisté à un de nos concert dans la cathédrale de Quimper. Ce sera un gros concert, avec 1 500 places possibles. » La participation est libre.

Les bretons de Paris devraient être nombreux, ils se sont déjà passé le mot. Le trio se produira également à la basilique Saint-Denis le 25 mars, « là ou Anne de Bretagne a été couronnée reine. » Un disque sera enregistré en avril avec une sortie prévue en fin d’année. Le trio Pêr Vari Kervarec va également partir en tournée à l’automne… au Japon ! »

Le concert était sublime! Rarement ressenti autant d’émotions et d’émotion. Je craignais le contraste, il fut positif.

Et je dois dire que les jeunes musiciens/chanteur ont su exploiter l’espace qu’offre La Madeleine. En se mouvant. En se déplaçant. En situant leurs instruments à deux extrémités d’une hypoténuse imaginaire.

Un membre du clergé est venu rejoindre le groupe et a pris la parole. J’ignorais qui il était. Après une recherche sur le net, je puis vous le dire : il s’agit ni plus ni moins de Monseigneur Patrick Chauvet, ancien recteur de Notre Dame de Paris, devenu curé de La Madeleine.

« Débarqué au cours de l’été de son poste de recteur de Notre-Dame de Paris, Mgr Patrick Chauvet deviendra le 1er septembre curé de la Madeleine.

À la surprise générale, Mgr Patrick Chauvet (auteur du livre « Au cœur de Notre-Dame », Éd. Plon), recteur archiprêtre de Notre-Dame depuis 2016, a été débarqué de son poste par décision du nouvel archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich. À compter du 1er septembre, ce prélat de 71 ans, ordonné prêtre en 1980 par le cardinal François Marty, prendra ses nouvelles fonctions d’administrateur (curé) de la Madeleine.

On peut le voir dans les (mauvaises) photos ci-dessous, à la fin de sa prise de parole, puis lorsque le concert s’est terminé.

Vous l’aurez compris, ce moment de partage avec les Bretons et les ami-e-s de « ma bro » (même s’il n’est que l’un de mes pays d’adoption) a été vraiment exceptionnel et a rompu la ternitude de cet après-midi de janvier parisien, où j’avais été effarée de voir la foule autour des magasins, me demandant pourquoi cette consommation effrénée avant de comprendre que c’est la période de la grande truanderie – pardon, je veux dire des soldes.

Il n’existe pas malheureusement pas encore de CD correspondant à ce programme. Mais vous pouvez les écouter et voir sur quelques vidéos en ligne sur leur page Facebook ou sur You Tube, comme ce concert à Rostrenen, celui-ci à la cathédrale de Quimper (un morceau que j’adore) ou cet autre à Dol de Bretagne.

Il n’est pas dans mes habitudes, vous le savez, de faire de la promotion. Mais pour une fois, je vais en faire pour encourager ce jeune trio si original. Alors,si vous les voir, rendez-vous à la Basilique de Saint Denis le 25 mars, ou, si voulez acquérir leur premier CD, il suffit d’écrire à leur association « porteuse » : mibienkerne@sganarel75 ou d’aller sur ce site. « Mibien », cela signifie « fils ». Quant à Kerne, c’est la Cornouaille. Vous écrirez donc à « Fils de Cornouaille »…

Kan An Anaon, son titre, signifie « Chants des Ames ». Enfin, pas tout à fait, car on ne peut traduire littéralement le dernier terme, souvent interprété par « Trépassés », comme la Baie proche de la Pointe du Raz le rappelle.

« La conception de l’au-delà des Bretons qu’on appelle Anaon est unique en Europe. Les morts et les vivants ne sont pas séparés ; ils vivent dans deux sociétés voisines qui s’interpénètrent à des moments précis de l’année. A l’origine, Gouel an Anaon (la fête des morts) est une fête celtique pour honorer les défunts, c’est devenu une fête catholique teintée d’une tradition païenne encore vivante au siècle dernier. » (source)

« Ce que raconte le Trio Pêr Vari Kervarec, Eliaz Le Bot et Tony Dudognon nous vient des relations singulières qu’entretiennent les bretons avec la mort et l’Au-Delà. Du passage entre la vie et l’Au-Delà, du Chant des âmes au bal des Trépassés. Un seul adage : HIRIE DIME VARCHOAS DIDE (Aujourd’hui c’est moi, demain ça sera toi)« .

Vous remarquerez que je n’ai pas fait état du dernier titre. On ne peut terminer un concert nissart sans entonner Nissa La Bella. On ne peut terminer un concert corse sans chanter Dio di Salvi Regina, ni un concert basque sans l’Euzko Abendaren Ereserkia. Donc, sans surprise, celui-là s’est achevé sur l’hymne breton chanté par le public. Ce sera le seul « bémol » dans cet article : je pense que si le chanteur avait accompagné la foule, cela aurait été plus aisé pour les non-bretonnant-e-s. Alors que même les Breton-ne-s étaient gênées par la force du saxophone. Mais ce n’est qu’un petit détail dans ce magnifique partage dominical.

Barzaz Breiz à La Madeleine (1)

Barzaz Breiz, écrit parfois avec un tiret, vous connaissez peut-être? Sinon, revenons dans le passé.

Nous sommes dans les années 30. Pas de ce siècle ni du précédent, non. Du 19ème. A Paris vivent de nombreux Bretons, dont des étudiant-e-s qui ont suivi des études secondaires dans leur région, mais viennent poursuivre dans la capitale. De nombreux banquets bretons voient se développer les discours autour de l’identité bretonne, tellement mise à mal depuis la Révolution (merci, l’Abbé Grégoire!). Un cercle de jeunes gens se réunit ainsi autour de Le Gonidec. Qui est cet homme? Ni plus ni moins que celui qui a unifié l’orthographe et la grammaire de la langue bretonne. Celtomane, Jean-François, Marie, Maurice, Agathe Le Gonidec de Kerdaniel est considéré comme l’un de ceux qui ont permis au breton d’obtenir le statut de « langue », puisque ses codes étaient dès lors fixés. Au détriment de la richesse des différentes langues parlées sur le territoire breton, soit dit en passant. Mais uniformisation et reconnaissance exigent…

A ce moment, il a déjà beaucoup oeuvré et publié, dont un Nouveau Testament en breton qui lui a valu bien des difficultés avec l’Eglise. Il est en train de préparer ce qui sera sa dernière oeuvre, ce dictionnaire breton-français.

Nul ne le sait à ce moment, mais lorsqu’elle paraît en 1837, il ne lui reste qu’un an à vivre : il mourra l’année suivante, à seulement 63 ans. Sa dépouille sera transférée de Paris à Lochrist, près du Conquet, son lieu de naissance.

Si je vous ai placé la photo du monument funéraire, photo issue de la page Wikipédia, c’est que le monument a une spécificité : il a été érigé en commun par les Gallois et les Bretons, et comporte donc trois langues : Gallois, Breton, et, dans une moindre mesure (il faut hiérarchiser!), Français. Mais voici, en français, la traduction de l’inscription en breton.

« Le Gonidec, homme de bien,
son nom est ici,
en témoignage d’éloge sincère
et du plus tendre amour,
sur une colonne de pierre élevée
par des frères Bretons
de la petite Bretagne, et de
la Grande-Bretagne, Celtes,
parce qu’il aimait son pays
et sa langue bretonne
en laquelle il fit un dictionnaire
et aussi une grammaire,
et parce qu’il traduisit, le premier
toute la Sainte Bible
dans la langue des Bretons.
Œuvre grande, bonne, céleste.

Mais revenons au Barzaz Breiz. Parmi les jeunes gens qui entourent (et sans doute admirent) Le Gonidec, figure le jeune Théodore Hersart de La Villemarqué, natif de Quimperlé. En 1837, il a 22 ans, mais ce brillant titulaire du baccalauréat littéraire, qui s’est inscrit en élève libre à l’Ecole des Chartes, a participé à certains travaux de Le Gonidec et il n’est pas le dernier à se montrer virulent lorsqu’il s’agit de défendre la Bretagne, le « bro ». Persuadé que les  gwerzioù  permettent de retracer une histoire de la Bretagne dont on ne fait que peu de cas dans l’histoire générale de la France, il note depuis 4 ans sur des carnets des chants de la région de Nizon, avant d’élargir son terrain d’enquête vers la Haute-Cornouaille. Son travail ne sera pas reconnu comme « scientifique », et c’est à compte d’auteur que paraît, en 1834, le Barzaz-Breiz.

Mais savez-vous ce que sont les gwerzioù (pluriel de gwerz)?

« Le terme gwerz désigne en fait une forme de chant particulière au répertoire en langue bretonne : une gwerz est un récit chanté, une forme de complainte, de ballade, de mélopée… Eva Guillorel en donne cette définition dans son ouvrage La complainte et la plainte : « […] il s’agit de pièces longues qui décrivent des faits divers tragiques à caractère local, qui montrent un important souci du détail dans les situations décrites et qui rapportent généralement avec une grande fiabilité le souvenir de noms précis de lieux et de personnes […] ».

Les chanteurs intervenaient à maintes occasions, dont les pardons, comme on le voit sur la photographie ci-dessous (source)

En quelque sorte, c’est la version bretonne des aèdes qui transmettaient l’histoire de la Grèce Antique, comme Homère, ou des griots qui portent la mémoire des peuples d’Afrique, encore à l’heure actuelle.

Une coïncidence? Vous savez qu’on dit qu’Homère était aveugle… Voici la photo d’un célèbre chanteur breton…

Puisque je parle d’Homère, c’est le moment de situer l’anecdote suivante : George Sand fut tellement enthousiasmée par le Barzaz Breiz qu’elle dit le situer au-dessus de l’Iliade…

Je ne vais pas continuer sur le sujet, mais, s’il vous intéresse, je vous conseille d’aller voir ce site très riche. Pour un aspect linguistique, c’est ici. On peut en entendre avec des interprétations par des Breton-ne-s, sur You Tube. Par exemple ici ou ici. Bien évidemment, les chanteurs/euses plus connu-e-s s’en sont saisi-e-s. C’est le cas de Denez Prigent, entre autres, dont vous pourrez écouter de nombreuses interprétations. Un reportage de l’INA, aussi, à voir. On y assiste à une séance de collectage de gwerz qui doit ressembler à ce qu’a vécu le jeune La Villemarqué. Une exposition au Manoir de Kernault, il y a 10 ans, présentait ses carnets.

Vous devez vous demander pourquoi je « disserte » sur Le Gonidec, La Villemarqué et les gwerziou.

C’est simple : si on ne connaît pas cette Histoire, on ne peut pas saisir toute l’émotion ressentie hier après-midi en entendant interpréter ces chants et ces récits par de jeunes Bretons, dans un lieu très symbolique de Paris : l’Eglise de la Madeleine. Car c’est ce à quoi j’ai assisté, en ce dimanche 22 janvier, et dont je suis sortie tellement émue que j’ai décliné l’invitation à prendre un verre d’un couple fort sympathique et intéressant, tout aussi amoureux de la Bretagne que moi, et que j’espère revoir bientôt. Une émotion partagée. Je vous en parlerai. Dans un prochain article…

Les plus beaux Ave Maria

Le titre du spectacle m’avait interpellée. Pourquoi vouloir comparer des airs qui sont incomparables?

Néanmoins, comme ce sont des airs qui, pour la plupart, me « transportent », et qu’en outre je ne connais pas le lieu qui accueille chanteuse et organiste, me voici en ce dimanche de novembre parmi la centaine d’auditeurs/trices sur les bancs modernes de Notre Dame de la Salette.

L’église est étonnante : au lieu de la forme classique, c’est une sorte de choeur absolu, avec une hauteur étonnante et une forme originale. Les vitraux augmentent cette impression d’élévation, avec leur forme rectangulaire dont la hauteur est extrême, comparée à leur étroitesse. Ils sont disposés de manière symétrique autour de l’axe autel / porte d’entrée principale. L’orgue, lui, est disposé non face à l’autel, mais sur l’axe perpendiculaire, totalement à gauche, face à l’entrée secondaire. Ce qui donne un plan lui aussi tout à fait original. Mais vaut aux spectateurs/trices de risquer le torticolis car, bien évidemment, les bancs, eux, sont placés face à l’autel!

Comme toujours, je voulais placer dans cet article des photos prises en ces lieux. Mais Mystère… Elles ont toutes disparu! Aucune photo du 13 novembre n’est visible sur mon téléphone, pas plus que sur ICloud. Que s’est-il passé? Une disparition, et non l’Apparition!

Donc, si vous souhaitez comprendre ce que j’expliquais concernant cette église, rendez-vous sur ce site ou cet autre, pour l’orgue.

Mais revenons au concert…

La soprano Corinne Fructus a une voix admirable et m’a séduite tout au long du récital. J’aurais voulu vous la faire entendre, mais je ne trouve aucune vidéo valable sur Internet. Pourquoi??? Quant à l’organiste, il est également chanteur, ce qui n’a pas facilité sa tâche car il tournait le dos au public en chantant. Je me suis d’ailleurs demandé pendant un bon moment où pouvait être le chanteur, avant de réaliser qu’il n’était autre que le musicien! David Lauer est tout aussi discret que sa collègue sur les réseaux. Il vient, comme elle, de la région toulousaine.

Quant au programme, il est fort riche, alliant les Salve Regina aux Ave Maria, avec des intermèdes instrumentaux. Que vous dire, sinon d’écouter, encore et encore, ces remarquables chants, que vous soyez ou non adeptes de la religion catholique. Un palmarès? Pour moi, incontestablement, Gounod reste le summum… Surtout par Barbara Hendricks… des frissons garantis à chaque fois que je l’écoute! J’aime moins la version masculine de Pavarotti… Mais avec Gautier Capuçon, quelle merveille!

Mais je ne sais pas si je ne préfère pas celui de Caccini plus intime? Vous pourrez écouter la version pour choeur ici et son interprétation par une soprano là.

Juste derrière, pour moi, l’oeuvre de Schubert. On se souvient de l’interprétation de Jessye Norman… Saviez-vous qu’elle avait été chantée devant le pape en 1979 par Pavarotti? Et la voici en araméen. Très beau, également…

N’oublions pas Bach, bien sûr! Ni la Callas

Et, pour les adeptes de chants grégoriens, il en existe aussi toute une variété : ici ou , par exemple.

J’espère que vous éprouverez autant d’émotion que moi en écoutant tous ces airs, et les autres que vous trouverez sur le net ou ailleurs (revenez à l’affiche, cela vous donnera des idées…).

Lord of the Dance

Celte de coeur, à défaut de l’être par mon origine (quoique…), j’aime l’Irlande et ses traditions, la musique celtique et les danses de ce pays. Alors, rien de plus naturel que d’avoir envie d’aller voir, pour une fois, un spectacle de musique « non classique ».
Qui plus est, jamais je ne suis allée à la Salle Pleyel. Une occasion en or, donc.

Un ascenseur hors du commun!

Moi qui n’aime pas le « clinquant », j’ai été servie! Paillettes à profusion, images peu esthétiques et aux couleurs violentes, costumes tout droit sortis pour la plupart des vestiaires de Walt Disney, et même poupées Barbie sur la scène, avec la Super Barbie aux cheveux faussement blonds, l’une des danseuses « étoile »… Sans compter des armées d’hommes aux airs de Prussiens mal dégrossis, et une fausse flûte faussement brisée… Je me suis même demandé à un moment donné s’il ne fallait pas y voir du second, voire du troisième degré!

Une bande son elle aussi assez violente, diffusée trop fort, avec une acoustique déplorable…

Mais alors, me direz-vous, vous n’avez pas aimé ce spectacle?

Eh bien si, je l’ai apprécié. De manière inégale selon les moments, mais je me suis laissée transporter par le rythme, la danse, l’atmosphère. Inégale selon les moments, disais-je.

Quelques exemples. La danseuse incarnant une sorte d’elfe au costume ajusté sur un corps parfait, semblant voler sur la scène parfois, et introduisant de l’humour dans des moments inattendus… La chanteuse interprétant avec tant d’émotion des chansons plutôt « romantiques » (mais je ne puis le jurer, je n’ai pas compris la moindre parole…). La danseuse incarnant si bien la Tentation, opposée à la Super Barbie censée représentée la Princesse de Coeur et évoluant sur scène avec tant de lascivité parfois, tant de perversité aussi…

Et bien sûr le Seigneur de la Danse, voire le Dieu… Nous dirions plutôt le Roi… celui qui a laissé tout le public pantois, en sautant, glissant, virevoltant, et en faisant moultes démonstrations de sa virtuosité en claquettes…

Bref, un spectacle qui nous ramène à l’enfance, et nous entraîne loin de la noirceur quotidienne, dans les vertes prairies d’Irlande comme dans une satire des Enfers de Dante. Et que la musique irlandaise est poignante comme dansante!

Il me reste un point à éclaircir : qui est ce « Lord of The Dance » que tend à remplacer celui que l’on voit sur scène? Une projection en préambule, puis en fin du spectacle montrait un danseur visiblement idôlatré, à juste titre semble-t-il, vu sa virtuosité. Qui est-il? Eh bien, j’ai trouvé, en recherchant des informations sur le ballet. Il s’agit de celui qui a interprété le rôle principal depuis sa création en 1996 jusqu’en 1998, date à laquelle il déclare renoncer à danser (il a alors 40 ans), Michaël Flatley. Ce sont donc d’anciennes versions du ballet qui sont projetées, jusqu’au final où on voit le même extrait sur scène et sur écran. Vous pouvez le voir sur cette vidéo ou celle-ci ou encore celle-là. Qui est son remplaçant? Pas trouvé son nom, mais vous pouvez le voir ici ou , en alternance avec la vedette qu’il a remplacée, et qui est le créateur de l’oeuvre.

Couleurs de Voix, couleurs d’Amour(s)

Cela faisait un moment que j’avais noté cette date dans mon agenda, une fois n’est pas coutume. Un de mes amis m’avait annoncé que la chorale dont il fait partie allait chanter en ce mardi 27 septembre. Ce n’était pas la première fois. Mais j’avais raté les précédentes occasions. Alors, blocage de la date. Et me voici, en cette soirée d’un automne précoce – pas d’été indien, cette année! – en train de découvrir le quartier des Batignolles et son Temple.

Au programme étaient annoncés « Suites profanes de la Renaissance ». Non, pas d’allusion à la superbe idée de notre président. Enfin, je crois. Mais à l’époque. Les Cours d’Amour commençaient à passer de mode, mais on continuait à célébrer l’Amour, voire les amours… Qu’elles soient réciproques ou non, désespérées ou heureuses. Et c’est là l’entrée choisie par le choeur et son directeur, Alain Lechevalier. Directeur – soit dit en passant – de cette chorale « A Coeur Joie » depuis 43 ans, puisqu’il en a été le fondateur en 1979 (vive le calcul!).

Deux parties elles-mêmes divisées en deux, des amours malheureuses, voire tragiques, à la célébration du bonheur amoureux. Occasion de réaliser que j’aime les extrêmes : ce sont la première et la quatrième qui m’ont le plus transportée! Mais l’ensemble était remarquable, et, malgré l’option annoncée de ne pas chercher à restituer la langue de l’époque, nous étions bien en pleine Renaissance, avec Josquin des Prés, Janequin et les autres.

Couleurs de l’Amour, donc, du noir au rouge (vu par les cultures asiatiques), en passant par toutes les nuances de gris (non, pas les 50) et de roses.

Couleurs de voix du Petit, puis du Grand Coeur, nous menant du désespoir à la Joie. A Coeur Joie, une vraie « communauté » qu’il fait bon découvrir et qui s’ouvre au public.

Le « Petit Choeur »
Le « Grand Choeur »

N’oublions pas les musicien-ne-s, et principalement la vieilleuse, qui a comblé nos oreilles lors des morceaux interprétés en solo ou avec l’organiste.

Annie Couture

Les intermèdes instrumentaux ont en effet rythmé le concert, avec des oeuvres de Janequin (encore lui!), mais aussi Sermisy, Lupi, Megret (non, pas l’inspecteur).

Bref, vous l’avez compris, un de ces moments de pureté et de bonheur partagé, comme je les aime.

Ah! J’allais oublier de vous donner le nom de cette chorale. Il signifie, en grec, « qui aime le chant ». Vous savez toutes et tous traduire « qui aime » en grec, tant il entre dans la composition de mots français, notamment avec toute la série des collectionneurs (pour la plus grande joie des jeux radiophoniques ou télévisés qui s’amusent à faire découvrir ce qu’est un tyrosémiophile, par exemple). Mais pour la suite du nom, j’en appelle à mon cher Bailly.

« μέλος, εος-ους (τὸ)

I au propre :

1 membre, articulation, aussi bien de l’homme que des animaux ; primit. seul. au pl. IL. 7, 131, etc. ; OD. 11, 599, etc. ; PD. N. 1, 47, etc. ; ESCHL. Pers. 992 ; EUR. El. 1209 ; HDT. 1, 119 ; PLUT. Cor. 6, etc. ; au sg. STR. 83 ; GAL. 4, 589 ; ANTH. 9, 141 ; μέλη καὶ μέρη ou μέρη καὶ μέλη, PLAT. Phædr. 238 a, etc. les membres et les parties ; fig. au plur. membres ou parties d’un tout, NT. Rom. 12, 5 ; 1 Cor. 6, 15, etc.

2 p. suite au plur. les membres, c. à d. le corps entier, NT. Rom. 6, 19, etc. ; 1 Cor. 6, 15, etc.

II membre de phrase musicale, d’où chant rythmé avec art (p. opp. à μέτρον, parole versifiée, métrique) particul. :

1 chant du rossignol, HH. 18, 16

2 chant des instruments (flûte, etc.) PD. P. 12, 19 ; THGN. 761 ; SOPH. (ATH. 175 f)

3 chant avec accompagnement de musique, défini comme un assemblage, PLAT. Rsp. 398 d ; d’où mélodie, PD. O. 9, 1 ; HDT. 5, 95 ; ARSTT. Pol. 8, 5 ; PLUT. Lyc. 21, M. 300 f ; à côté de μέτρον, PLAT. Rsp. 607 d ; au plur. joint à ᾠδαῖς, PLAT. Rsp. 399 c ; p. opp. à ἔπεσι, PLAT. Rsp. 379 a, etc. ; fig. ἐν μέλει, PLAT. Soph. 227 d, en mesure, en cadence, justement ; παρὰ μέλος, PD. N. 7, 69 ; PLAT. Leg. 696 d, Crit. 106 b, etc. ; LUC. Eun. 2, etc. (cf. πλημμελής) sans mesure, c. à d. sans raison, maladroitement

4 p. ext. parole qu’on répète sans cesse, redite, SOPH. Aj. 976 ; EUR. Hipp. 879 ; AR. Pax 289

5 au plur. τὰ μέλη, poésie lyrique, p. opp. à la poésie épique ou dramatique, PLAT. Rsp. 379 a, 607 a, etc.« 

En rébus, cela donne donc.

« Mon premier aime. (Alternative : discipline scolaire abrégée, contrairement aux souffrances qu’elle inflige aux élèves)

Mon second désigne dans la langue d’Homère un chant cadencé. (Alternative : Il manque un outil pour compléter le désordre).

Mon tout est un volatile que l’on apprécie non pour sa chair, mais pour sa voix. »

Car oui, le nom de l’ensemble choral est celui de ce bel oiseau, lui-même chanté par Verlaine.

« Comme un vol criard d’oiseaux en émoi,
Tous mes souvenirs s’abattent sur moi,
S’abattent parmi le feuillage jaune
De mon coeur mirant son tronc plié d’aune
Au tain violet de l’eau des Regrets,
Qui mélancoliquement coule auprès,
S’abattent, et puis la rumeur mauvaise
Qu’une brise moite en montant apaise,
S’éteint par degrés dans l’arbre, si bien
Qu’au bout d’un instant on n’entend plus rien,
Plus rien que la voix célébrant l’Absente,
Plus rien que la voix -ô si languissante!-
De l’oiseau qui fut mon Premier Amour,
Et qui chante encor comme au premier jour;
Et, dans la splendeur triste d’une lune
Se levant blafarde et solennelle, une
Nuit mélancolique et lourde d’été,
Pleine de silence et d’obscurité,
Berce sur l’azur qu’un vent doux effleure.
L’arbre qui frissonne et l’oiseau qui pleure
. »

Eh oui, cet oiseau évoque pour les poètes plutôt des souvenirs douloureux qu’heureux, comme dans la très belle ode de John Keats. Mais les choristes et leur directeur ont fait le choix apprécié de ne pas en rester à la tristesse et de nous emmener vers le bonheur. Merci, Philomèle !

Un corbeau sur scène

Source: site de la Compagnie Baro d’Evel

Un corbeau sur scène, voilà qui n’est guère courant, si l’on excepte les représentations de fin d’année dans les écoles maternelles, où les enfants représentent parfois les Fables de La Fontaine… Or c’est ce qu’il m’a été donné de voir, hier soir, lors d’un spectacle aux Bouffes du Nord.

Un ami m’avait recommandé d’aller voir ce qu’il considérait comme le plus original et « décoiffant » de tous ceux auxquels il avait eu l’occasion d’assister dans sa vie…

Pas de lever de rideau. Dès son arrivée, la spectatrice découvre une scène totalement blanche, constituée de trois panneaux de toile vierge et d’un sol tout aussi immaculé. Comme j’ai raté la photo dans ma précipitation avant le début du spectacle, je ne puis vous la montrer vierge. Par contre, voici la même scène une heure et quart plus tard…

Sur le côté droit, vous apercevez, au bout, en bas, une fente horizontale… C’est par là qu’est entré en scène le premier acteur. Nous vîmes apparaître d’abord un pied chaussé, puis un second, puis des jambes… et enfin l’entièreté du corps d’un grand escogriffe, tenant en main un support de micro. Il se relève, costume noir taché de blanc, et joue un moment en tirant sur le fil du micro, qui finit par entourer le devant de la scène. Le tout accompagné d’un monologue sur le « vide ». Il sort un papier de sa poche, censé être le contenu de son discours.

Surgit alors un corbeau, qui s’en empare et le déchiquète consciencieusement… puis va et vient de bord en bord sur la scène, côté cour, côté jardin et ainsi de suite.

Le monologue reprend, quand un pied nu traverse le même côté droit. Cette fois, dans la fente verticale que vous voyez vers le devant. Il est suivi d’un second pied, de jambes nues, et d’un corps de femme, aux cheveux abondants cachant le visage.

Le ton est donné. Je ne vais pas vous narrer la suite, car cela nuirait à une découverte que je vous conseille de faire. Même s’il y a parfois quelques longueurs – mais sans doute voulues, pour faire prendre conscience du temps qui passe -, les surprises se succèdent dans ce spectacle que je ne puis qualifier, entre danse, acrobatie, peinture, chant, pantomime et théâtre…

Et les applaudissements nourris des personnes présentes étaient bien mérités de ces deux (pardon, corbeau, trois) artistes qui ont montré des facettes très variées de leur talent dans un rythme souvent lent, mais parfois endiablé.

De l’émotion, de l’esthétique, du rire, tout y est pour passer un bon moment malgré l’inconfort des sièges de ce vieux théâtre.

Si vous voulez en savoir davantage, un beau film de présentation ici, un second , et un entretien avec Baro d’Evel ici.

Le jeu d’Anatole

Le Lucernaire propose souvent des spectacles intéressants, originaux, voire drôles. C’est le cas en ce moment, avec ce que je ne sais comment la désigner, la « pièce » intitulée « Le jeu d’Anatole ou Les Manèges de l’Amour ».

Imaginez une scène exigüe, sur laquelle trois à quatre personnages tiennent à peine ensemble.

Et une mise en scène permettant de la transformer en salon, en restaurant, en salle de spectacle, et en belvédère… Une vraie gageure, un pari réussi pour le metteur en scène, Hervé Lewandowski.

Anatole est le stéréotype de l’homme assoiffé de conquêtes. Il se heurte, durant sa vie, à d’autres stéréotypes, de femmes, cette fois. Femmes diverses, tant par la condition sociale que par le style et par le caractère, par les choix de vie aussi. De la « cocotte » pseudo-artiste à la femme bourgeoise, elles se succèdent dans sa vie – et dans son lit – sans qu’il parvienne à les comprendre. Pour les interpréter, une seule actrice.

Mélodie Molinaro est surprenante, inattendue, enjouée, terriblement vivante, et impressionnante dans les diverses facettes de « la femme idéale », qui sont ainsi représentées successivement, jusqu’au dénouement inattendu. Elle chante, danse, virevolte, mais aussi pense, joue et se joue de l’Homme, et émeut…

L’ami fidèle, qui observe, commente, enregistre les méandres des amours d’Anatole, est interprété par Yann Sebile, terriblement séduisant avec sa redingote et son chapeau haut-de-forme…

Quant au troisième homme, il change de costume, de rôle, de ton, tout au long de la pièce, dans une succession incroyable de « seconds rôles ». Tous les personnes incarnés par Guillaume Sorel contribuent à « créer le décor », rendre compte de l’époque et du lieu… et faire rire les spectateurs/trices…

Enfin, proche de la scène, un acteur « invisible » mais pourtant très présent : le pianiste, qui est parfois « convoqué » par les autres, comme un des personnages. Son jeu permet d’évoquer les époques, par des interprétations situées de la musique d’Offenbach, qui accompagne les chansons ou devient fond sonore.

Car la musique est omniprésente et nous entraîne ailleurs, encore ailleurs, dans l’espace comme dans le temps.

Bref, vous l’avez compris, j’ai aimé ce spectacle, qui fait voyager, chantonner, danser sur son siège, et qui fait rire tout en étant au final très profond…

Pour en découvrir davantage, vous pouvez regarder ceci. Mais je vous le déconseille si vous envisagez d’aller voir la pièce… Mieux vaut se laisser surprendre, non?

Point de tige

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s’est vestu de brouderie,
De soleil luyant, cler et beau.

    Il n’y a beste, ne oyseau,
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissié son manteau !

    Riviere, fontaine et ruisseau
Portent, en livree jolie,
Gouttes d’argent, d’orfaverie,
Chascun s’abille de nouveau :
Le temps a laissié son manteau !

Charles d’Orléans (1394-1465)

Plusieurs voix l’ont déclamé. Parmi celles-ci, j’ai retenu pour vous celle d’Alain Bashung. Le Trio Selima en fait une très belle interprétation musicale et vocale. Mais j’ai aussi apprécié, dans son authenticité, la chorale d’enfants / jeunes Les Evolènards. Enfin, on ne peut oublier l’oeuvre de Debussy, la première des 3 Chansons de France.

Primavera, Botticelli (autour de 1480)

Je sais que certain-e-s d’entre vous commencent à se lasser des articles tournant autour du tissu et du linge. Mais je ne pouvais terminer cette « série » de confinement sans aborder ce qui me permit une relation privilégiée avec une de mes grands-mères et une occupation durant mes maladies… la broderie…

Yuri Yakovlevitch Leman

Son apprentissage correspondait à un véritable parcours initiatique.
Au début était le petit canevas, sur lequel nous croisions les fils pour… le point de croix. Le canevas pouvait être vierge. Mais, le plus souvent, il représentait un animal ou un paysage, comme les fonds sur lesquels, petit-e-s, nous organisions les cubes pour représenter ce qui y figurait, et, plus tard, ceux qui guidaient l’assemblage de nos premiers puzzles. Il ne fallait pas se tromper, et croiser toujours dans le même ordre…

Comment résister à la magie des couleurs des échevettes?

A ma grande surprise, j’ai découvert hier en tête de gondole d’un supermarché… des écheveaux de fils et des canevas pour enfants… Occupation de confinement? Et je viens de découvrir, en faisant les recherches pour cet article, que la maison DMC, marque des fils de mon enfance, existe toujours… Elle date de 1746…

Un meuble à échevettes encore vendu actuellement sur le site de DMC

Je ne suis pas de ces générations de femmes qui ont appris à broder l’alphabet avec toutes sortes d’ornements, pour préparer leurs trousseaux ou ceux de leurs filles. Mais je possède encore nombre de draps, serviettes, mouchoirs qui offrent au regard les initiales familiales, depuis les RP des mes grands parents jusqu’aux miennes, en passant pas les HR de mes parents. Et voici peu, le jour de Pâques, la petite voisine a adoré la belle nappe brodée par ma grand-mère…

Et je viens aussi de découper la bordure à mes initiales d’un drap plus qu’usé dans sa quasi-totalité. J’ai jeté le reste, mais gardé « pieusement » le motif brodé.

Mme Arthur peinte par Odilon Redon (1901)

Ah! Le point de tige! Je ne sais pourquoi, mais il m’emballait – beaucoup plus que le point de chaînette, allez savoir pourquoi… Et, lorsqu’à 14 ans j’ai fait une longue maladie, dite « du baiser » (si, si!), c’est ce point qui m’a distraite. J’ai toujours, sagement enfermé dans un coffre, le long napperon brodé de fils colorés sur une toile écrue, au motif floral apuré mais aux couleurs trop vives, souvenir de mes souffrances et de l’apprentissage de la patience.

Après le point de croix, j’ai appris à ourler. Qu’est-ce que j’ai pu passer de temps à ourler des torchons faits à partir de draps anciens que ma grand-mère découpait! Et je détestais cela. je trouvais ces points en U affreux et le processus répétitif. Mais cela m’a permis aussi d’apprendre le point de tige.

Source

Le « tambour » me fascinait, mais je ne l’ai, pour ma part, jamais utilisé… Dommage!

La période de confinement se termine… Le blog va pouvoir progressivement reprendre ses thèmes plus ancrés dans la Vie quotidienne et les plaisirs qu’elle procure. Une dernière image pour clore ce chapitre…

Natasha Milashevich /Наталья Милашевич, 1967
Source