J’aurais pu créer une devinette, du style « Quel est cet objet mystérieux ? »
Mais vous auriez aisément deviné qu’il s’agit d’un chalut…
C’est l’époque où certains des pêcheurs du Tréport ravaudent leurs filets. Pendant la période des coquilles Saint Jacques (début octobre à fin avril), ils ont en effet modifié l’équipement des chalutiers. Et, lorsque la tempête sévit, ils mettent à profit le temps libre pour nettoyer, sécher, réparer les filets qui ne servent plus.
Alors la plateforme qui jouxte l’écluse d’entrée à l’arrière-port se transforme en un gigantesque tableau coloré… dont voilà un échantillon.
En ce dimanche de septembre qui fête le Patrimoine, un groupe d’artistes et leurs amis proposaient au Tréport une demi-journée sur la thématique présentée dans le titre de cet article.
J’ai eu le plaisir d’en faire partie, et de vivre des moments riches d’émotions, esthétiques certes, mais aussi liées à la véritable synergie qui s’est développée au fil de l’après-midi.
Jean-Claude Boudier entre outils, galets, oeuvres et film sur son art
Point de départ disais-je donc : ce que Jean-Claude Boudier nomme des « galets », ces morceaux de minéraux ramassés au pied des falaises, tombés des platiers, ou dans des anciennes couches sédimentaires sur les plateaux crayeux.
Les outils de l’artiste et sa dernière oeuvre, La Pieuvre (clin d’oeil à Georges Oucif)
Il les transforme en oeuvre d’art, tantôt en maintenant le matériaux original, tantôt en fondant du bronze dans le moule qu’il a fabriqué à partir de celles-ci.
Moules et oeuvres Au mur, tableau de Alain Colliard (exposition actuelle)
Michèle Mareuge, pour sa part, présentait des tissages faits à partir de ses pages de calligraphie, autour du thème des « falaises ». Des merveilles d’oeuvres translucides, avec lesquelles la lumière joue au gré de leurs ondulations.
Michèle Mareuge devant une déclinaison de ses calligraphies du mot « falaise », deux tissages et un tableau
Si je connaissais les sculptures de l’un, je découvrais les tissages et tableaux de l’autre avec intérêt, admiration et bonheur…
Sylvie Henrot, propriétaire de la galerie, a proposé aux organisateurs des Journées du Patrimoine d’organiser un ensemble de micro-événements autour de cette exposition. D’où l’idée du titre, puis de tout ce qui s’est succédé de 15 à 19 heures.
Visite nature au pied de la falaise du Tréport
Une visite au pied de la falaise du Tréport, avec le guide nature Pascal Leprêtre, que j’avais déjà suivi dans ses présentations si passionnantes de la flore et de la faune indigènes.
Le guide Pascal Leprêtre passionnant son auditoire
Il entraîna le groupe dans l’histoire à la fois géologique, architecturale et humaine du Tréport, dans un exposé très complet où il fut, bien évidemment, aussi question de galets. C’est ainsi que j’ai découvert l’ancien tracé des falaises, la composition des galets, l’exploitation qui en était faite autrefois et dont une partie perdure grâce à des concessions de 99 ans…
C’est ainsi qu’à ma grande surprise j’ai découvert qu’il y avait des micro-organismes superbes au coeur de ces galets… lesradiolaires par exemple. Si le sujet vous intéresse, un article les présente ici.
« Promenade ludique » – jeu de piste de l’Esplanade à la Galerie
Au nom de l’association Goéland, j’ai préparé un petit jeu de piste autour de la thématique des galets, pour ramener le groupe de la falaise à l’exposition de manière ludique.
Une belle lumière pour le jeu de piste…
Occasion de mauvais jeu de mots, d’observations amusantes, de découvertes intéressantes aussi, de l’architecture et de l’histoire de la ville, en particulier dans le Quartier des Cordiers.
Les ramiers
Rencontres aussi avec des commerçants, qui vendent des galets… des bonbons, des confiseries, des magnets, ou avec des artisans, comme ce verrier qui fabrique de très beaux galets de verre.
Bref, une petite promenade vivante et bon enfant, dans ce coin de la ville entre pleine mer et port.
Vidéo et composition musicale
Didier Debril, journaliste et compositeur travaillant avec l’IRCAM, avait pour l’occasion créé une oeuvre mettant en scène les galets, les falaises et la mer… Composition électro-acoustique, à partir entre autres du bruit des galets caressés ou chahutés par les flots. Du calme à la fureur des flots déchaînés, puis retour au calme avec un couchant magnifique et des galets éclairés de cette belle lumière… une oeuvre prenante et émouvante… Promis, dès qu’elle sera en ligne, je place ici le lien. Elle est en ligne à présent, ici. Et vous trouverez là une vidéo sur l’environnement de Jean-Claude Boudier, du même vidéaste.
Lecture de texte
Un peu intimidée, et surtout anxieuse car c’est la première fois qu’a lieu une lecture de mes textes (que vous pouvez voir dans la section « Plaisirs des mots »), je m’exécutai à la demande générale et lus les deux poèmes, dont l’un en prose, et leur préambule, écrits spécialement pour cette occasion. Quelle émotion que ce temps de partage de sentiments et d’émotions aussi intimes…
Un moment de convivialité et de synergie artistique
La journée s’acheva par des échanges entre les différentes personnes présentes, chacun-e parlant de son art, certain-e-s expliquant des techniques, telle cette dame explicitant la fonderie et en discutant avec Jean-Claude Boudier, ou cette autre parlant avec passion de la gravure qu’elle pratique… Michèle Mareuge et Philippe Colin échangeant sur les encres et la calligraphie… Didier Debril explicitant la composition musicale… Anne expliquant ce qu’elle venait de découvrir lors des visites organisées à Mers-les-Bains… Toutes et tous réuni-e-s autour de Sylvie Henrot et de son « bénévole », sans qui ces rencontres n’auraient pas eu lieu… qu’il et elle en soient remercié-e-s…
Les textes qui suivent ont été écrits à l’occasion de la Journée du Patrimoine, 22 septembre 2019… Une exposition à la Galerie Résonances, au Tréport, d’oeuvres de Jean-Claude Boudier… autour de laquelle a été conçue une animation intitulée « Avatars de galets. Du patrimoine naturel au patrimoine culturel ». Une découverte de la richesse au pied de la falaise du Tréport, suivie d’un jeu de piste organisé par l’Association Goéland, menant de l’Esplanade au Quartier des Cordiers, puis ramenant à la Galerie pour admirer les sculptures et autres oeuvres exposées, dont celles de Michèle Mareuge, mais aussi écouter une composition musicale et voir un film de Didier Debril, et enfin une lecture des textes qui suivent…
PS : maladroite avec ce logiciel, je ne suis pas parvenue à scinder les strophes…
Préambule
Force et faiblesse… C’est ce que m’évoque le galet, tel que vécu, senti, regardé sur la plage de mon enfance, de mon adolescence et de ma pseudo-maturité…
Que de fois ai-je entendu les adultes, les touristes, jeunes
et vieux, se plaindre des galets et désirer le sable. Mais que ce soit à Nice,
mon autre « chez moi » ou à Mers-les-Bains, haut lieu de mon enfance,
les galets ont représenté pour moi un mystère et un symbole d’antinomie…
Enfant, je descendais en courant, pieds nus, sur les galets
pour rejoindre le sable et la mer. Plus tard, j’appréciais de me baigner à
marée haute, pour nager au plus vite en mer profonde.
J’ai joué avec eux, j’ai vu jouer aussi. Mes enfants. Mes
petites-filles. Et maintenant cela va être le tour de Samuel, qui a initié
cette année une nouvelle génération de grimpeurs, descendeurs et chercheurs de
galets sur la place de Mers. C’est la 6ème que je vois. Une vie.
Je me suis souvent demandé si j’associais les galets à la
vie ou à la non-vie, à l’animé ou à l’inanimé… Un jour, une conversation avec
un ami a fait écho à ce questionnement. Il évoquait pour moi la place du galet
dans le Feng Shui. Elément de Terre, il contribue à l’équilibre, en particulier
pour détruire les effets négatifs de l’Eau… Voilà qui lui redonne un aspect
dynamique dans sa minéralité si statique en apparence…
J’ai choisi de livrer ce jour deux courts textes qui chantent
ces galets, patrimoine naturel, patrimoine culturel….
Avatar 1
Roulé, malmené
Embarqué par les flots
Roulé, maltraité
Façonné par les flots
Il deviendra galet
Fondu dans la masse
Des autres galets
Unique pourtant
Invisible, trop visible
Au regard de l’enfant
Qui recherche le sable
Fin, le sable mouvant
Sous petits pieds fragiles
Imprévisible sous le pied
De l’adulte vieillissant
Qui cherche à s’assurer
Mais risque de tomber
Sur jambes si peu agiles
Fondu dans la masse
Des autres galets
Devient maltraitant
Unique, singulier
Le galet
Si recherché
On vante sa rondeur
Sa douceur
Ses couleurs
Mais aucun des galets
N’a d’égal à lui-même
N’est égal à un autre
La quête du galet…
L’enfant émerveillé
De si brillants jouets
L’adulte enchanté
De formes si variées
Toutes et tous en quête
D’un objet rare et beau
Caché sous la grisaille
De sa peau
Douce et rêche
Chaude ou fraîche
Car telle une coque
La surface anonyme
Peut cacher un trésor
De couleur et de forme
Roulé, malmené,
Le galet résiste
Il résiste à la mer
Le temps a peu de prise
Pourtant il finira
Par devenir poussière
Grain de sable d’abord
Epais, craquant, massant
Puis grain fin si plaisant
Sous le pied du passant
Homme libre,
Quand tu vas voir la mer
Contemple le galet
Si différent
Si semblable
Si faible
Et si puissant…
Avatar 2
Une masse blanche. Elle a chû de la falaise, a quitté le
platier pour venir se rouler à nos pieds… Caressée. Massée. Travaillée par les
flots, le flux et le reflux, la vague écumeuse…
La voici « galet ». Galet de calcaire. Pur mais
pas dur. Lisse et doux au toucher. Prêt à se livrer aux mains de l’artiste et à
ses outils.
L’artiste le pèse et le soupèse, le caresse à son tour. Il
joue de ce galet, le regarde, s’interroge, se questionne, imagine, anticipe,
projette et se projette dans une œuvre future.
L’ovoïde blanc est blessé. Entaillé, fendu, coupé, sculpté, mutilé,
il souffre sous le coup des outils de l’Homme. Il se transforme, se trans-forme.
Peu à peu émergent… Un doigt ? Un ongle ? Un œil ?
Anthropoïsation progressive. Ou animalisation. Ou… Tout est possible au
créateur.
Une masse blanche. Qui n’a plus rien d’une masse. La lumière
joue avec les creux et les reliefs, rompant la blancheur éclatante et projetant
des ombres…
Alors apparaît l’œuvre. Sculpture intégrale. Pas de face
cachée. Tout est fin. Tout est pur. Tout est Beau. Le galet travaillé par les
mains de l’artiste se mue en œuvre d’art…