Oui, je sais, certains d’entre vous s’en sont plaints, je n’ai pas placé de poème hier. C’est que j’ai eu le choc de ma vie : l’interdiction de regarder la mer, qui pourtant est si proche de moi… Ils ont placé des policiers pour nous en empêcher… Alors, bien sûr, en cette aube d’emprisonnement, je ne puis que vous livrer le poème de mon adolescence…
Il ne me reste plus qu’à me réfugier dans la musique de Debussy, que j’avais particulièrement apprécié voici presque exactement un an lors d’un concert à l’Opéra de Nice…
L’homme et la mer
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
Charles Baudelaire