Des parents gaullistes excédés envoient leur ado révolutionnaire en RDA (en allemand, DDR) : « Tu vas voir ce que c’est, le communisme! »
Elle y va, elle y retourne, encore une fois… jusqu’à ce que la vie en décide autrement.
Un témoin de cette époque, son ami de l’époque, vient de réapparaître dans sa vie, bien, bien, bien longtemps après. Pas tout à fait « réapparaître », car il n’avait jamais disparu réellement, et elle avait notamment pensé à lui lors de la chute du mur de Berlin, puis l’avais cherché sur le net quand celui-ci a commencé à se densifier – en vain, son nom était si fréquent!, et l’avait trouvé, quelques temps auparavant, découvrant qu’il était devenu expert de littérature… française!
Et voici que lui-même s’est mis à la rechercher, et l’a contactée…
Réminiscences obligent, j’ai envie de partager ce matin quelques airs qu’il et elle aimaient écouter ensemble, parfois en compagnie d’autres jeunes, dont la jeune fille de la famille qui l’hébergea une année, ou Klaus, l’étudiant d’Erfurt…
Deux noms surgissent à sa mémoire, en premier : Ferrat et Reggiani. Des airs entendus et réentendus, chantés, des paroles connues par coeur… J’ignore pourquoi, ce ne sont que des airs sombres, tristes, effrayants… qui correspondent à l’ambiance morose de ce triste jour gris de confinement. Mais en même temps, qui évoquent des souvenirs d’affects forts, d’amour et d’amitié, de chaleur partagée, d’une interculturalité dont nous ne connaissions pas le nom. Je vous laisse imaginer 2, 3, 4 ou plus… selon les jours… adolescent-e-s allemand-e-s et une jeune Française – dont ils et elles adoraient se moquer de l’accent dans leur langue – discutant pendant des heures, échangeant leurs idées, refaisant le monde, se révoltant en permanence, et écoutant, chantant, fredonnant…
Jean Ferrat

Dé Ferrat, c’est Nuit et Brouillard qui vient en premier. Peut-être par écho à l’histoire et au quotidien de cette « Allemagne de l’Est » où mes ami-e-s vivaient si mal le manque de liberté et la pression des envahisseurs? Le film d’Alain Resnais était pourtant déjà ancien… Vous le savez sans doute, Nacht und Nebel est le nom de code des directives « Richtlinien für die Verfolgung von Straftaten gegen das Reich oder die Besatzungsmacht in den besetzten Gebieten » qui ont entraîné la déportation et l’extermination de toutes les personnes représentant « un danger pour la sécurité de l’armée allemande » (saboteurs, résistants, opposants ou réfractaires à la politique ou aux méthodes du Troisième Reich). Enfants nés pourtant bien après la fin de la guerre, c’était un groupe d’ados révoltés, qui portaient en eux les stigmates d’une histoire propre aux générations précédentes… Trois générations, pour trois guerres redoutables, chacune dans son style. Et des ados allemands et français, qui plus est, uni-e-s dans cette même haine de la dictature, de la stigmatisation, de la guerre et des violences.
Même symbole des combats qui étaient menés, tout au moins par les idées et dans les échanges, à ce moment, que la chanson Potemkine, et tout ce que véhiculait l’histoire de cette mutinerie mise en image par Eisenstein…

En particulier la haine contre les Soviétiques. Non pour l’idéologie de base, mais pour l’interprétation politique qui en avait été faite, et qui s’était traduite en invasions, ingérences, ou autres violences qui n’étaient pas que symboliques.
La troisième chanson écoutée quasiment en boucle était La Montagne. On ne parlait pas encore d’écologie, à cette époque, ou fort peu… Mais c’était une bande d’écologistes avant l’heure… Et la désertification des campagnes et montagnes les inquiétaient profondément. Et puis, écouter cette évocation des sommets, dans une chambre un peu sombre en plein mois de juillet, leur permettait de « respirer » l’air pur qu’elle insuffle à qui l’entend.

Serge Reggiani

Un autre chanteur apprécié du groupe d’ami-e-s était Serge Reggiani. 1965, c’est l’année où il interprète Le Déserteur. En bons antimilitaristes à tout crin, ils et elles ne pouvaient pas ne pas aimer cette chanson, mise en musique du poème de Boris Vian. La version de l’époque était précédée par la lecture du poème de Rimbaud, Le Dormeur du Val, qui en quelque sorte « introduisait » le second texte, en le contextualisant tout en montrant son universalité.

L’année suivante, nouvelle attaque contre la guerre et ses ravages, cette fois au travers de « Les loups« . Les loups, qui ont tout de suite étaient vus comme des symboles de ces envahisseurs qu’étaient, en 1940… les Allemands… (alors que les paroles, signées Vitalie, parlaient de véritables loups qui avaient envahi Madrid). Cette chanson va devenir emblématique pour les soixante-huitards… jusqu’à ce que son titre soit repris, bien des années plus tard, par un philosophe français pour dénoncer l’élection du président actuel… Mais c’est une autre histoire…
Jean Ferrat, l’idole de ma jeunesse ; Ado révolté ! … Les années ont passé, il a été détrôné par Georges Brassens qui m’a fait aimé la poésie (Paul Fort « Le petit cheval », Francis Jammes « La prière », Victor Hugo « Gastibelza »…)… J’ai soigneusement gardé le 33-Tours-25 cm de Georges Brassens -Sa guitare et les Rythmes : Cadeau d’un copain de la fin des années 1960. Sur la face 1 : Les Sabots d’ Hélène « Les sabots d’Hélène
Etaient tout crottés,
Les trois capitaines
L’auraient appelé’ vilaine,
Et la pauvre Hélène
Etait comme une âme en peine…
Ne cherche plus longtemps de fontaine,
Toi qui as besoin d’eau,
Ne cherche plus: aux larmes d’Hélène
Va-t’en remplir ton seau. ». Sur la face 2 « La mauvaise herbe » : « …Les hommes sont faits, nous dit-on
Pour vivre en bande, comme les moutons
Moi, je vis seul, et c’est pas demain
Que je suivrai leur droit chemin
Je suis de la mauvaise herbe, braves gens, braves gens
C’est pas moi qu’on rumine et c’est pas moi qu’on met en gerbe
Je suis de la mauvaise herbe, braves gens, braves gens
Je pousse en liberté dans les jardins mal fréquentés… ». … Il est un autre poème qui résume bien l’état d’esprit d’une certaine jeunesse de Mai 68 : « Les oiseaux de passage » de Jean Richepin « …Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu’avril bourgeonne
Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;
Ca lui suffit, il sait que l’amour n’a qu’un temps.
Ce dindon a toujours béni sa destinée.
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs : » C’est là que je suis née ;
Je meurs près de ma mère et j’ai fait mon devoir. »
Elle a fait son devoir ! C’est à dire que oncque
Elle n’eut de souhait impossible, elle n’eut
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
L’emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu… » Un clin d’oeil au « Bateau ivre » de Rimbaud !
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Joli texte mais de reggiani je préfère « il suffirait de presque rien » de ferrat : la montagne. Pour le reste il s’est bien planté.
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