Créativité tous azimuths

Non, je ne vais pas vous faire entendre Dalida… Mais simplement me faire le relais d’une jeune femme qui écrit des paroles pour des chansons. Lorsque je lui ai suggéré de publier un recueil de ses oeuvres, elle m’a répondu que ce n’étaient pas des poèmes, mais des paroles de chansons… Voilà qui a, vous l’imaginez, suscité des réflexions ultérieures… dont je vous fais part ici… et que je vous propose de prolonger. Quelles différences entre les deux?
D’ailleurs, certaines chansons n’ont-elles pas été simplement la mise en musique de textes poétiques? Je pense entre autres à « Je suis venu, calme orphelin… » chanté par Reggiani… Et combien d’auteur-e-s et interprètes de chansons sont tout aussi poètes que les autres? Il n’est qu’à penser à Brassens, parmi tant d’autres, ou à Gainsbourg, qu’on célèbre ces jours-ci.

« C’est la vie.

Lisse comme la Seine en septembre,
Légère comme un tas de cendres,
Douce et fière comme de l’acier,
Froide comme une seconde passée,
La vie c’est à prendre,
Mais jamais à laisser.
La vie c’est l’infini derrière des yeux fermés,
La vie c’est un pari qu’on ne gagnera jamais.

Envier le soleil sur la joue d’un enfant,
Toucher une larme dans l’œil d’un amant,
La sécher dans le creux de son cou,
Etre soi même et devenir fou.
La vie c’est un délit pour ceux qui ont tout dit,
La vie c’est une envie qui crie à l’infini,
La vie c’est un choix qui sans cesse recommence.
Faut-il vraiment se fier à tous ces sens ?
Une collection de souvenirs, tout un tas d’avenirs,
Pour ne pas se faire mal, il faut être fakir.

Peur, désir et oubli de soi,
Frisson d’un soir et peur du lendemain,
Empreinte d’une nuit et grand émoi,
La vie comme une étincelle le long de mes reins,
Me brûle à jamais , chaotique et sublime
Me voilà funambule au dessus de l’abîme,
Me voilà sirène au fond de l’océan,
Me voilà écume, te voilà mon amant.

Tout au creux de tes bras là ou rien ne m’atteint,
Là ou je serais moi , là ou je me sens bien,
Tu feras une danse au hasard de tes mains,
Le temps d’un instant tu seras mon destin.
Mon âme en transe, brûlée de tes yeux bruns,
La chaleur de ton souffle, ce feu qui me ronge,
ton odeur qui m’essouffle, une envie de mensonge,
La vie c’est pas après pas,
Une brusque envie de toi. »

Anne-Laure, janvier 2021

J’apprécie déjà beaucoup la phrase introductrice de sa page Facebook : « Poésie, échecs, musique
et insoutenable légèreté de l’être. »

Et le fait qu’avec d’autres, elle se bat pour la survie de la production et de l’interprétation musicale. Parmi d’autres combats qu’elle livre sans répit et parfois à son détriment. En voici la trace, avec une dédicace « Pour Manu »…

« Quand la norme devient l’énorme

Au royaume des p’tits chiens

les rois sont les borgnes

Au royaume des moutons, les loups sont légion

Au royaume des cons, gagne celui qui cogne

La vraie révolution commence aux balcons

Quand la norme devient l’énorme

Pendant que tu continues ta triste besogne

Fais tes calculs et dirige les opérations

Ecoute bien et entends notre grogne

Arrête de nous prendre pour des pions

Quand à la vie on substitue la mort

A l’envi on remplit les ports

Les ports d’armes, les ports de masques

Les porte-avions, les portes fermées

Jusqu’à ce qu’on en ait plein les basques

Et qu’on veuille tout faire péter

Quand à la vie on substitue la peur

A l’envi on nourrit les abuseurs

Les aboyeurs et les inquisiteurs

Les législateurs et les millions par heure

Alors même que la liberté se meurt

Et qu’on mange tous des pâtes au beurre. »

Résumons-nous.

Elle écrit. A 16 ans, elle avait déjà produit un roman, qu’elle a ensuite détruit…

Elle joue. Aux échecs, en tournoi. A de nombreux autres jeux, où elle gagne souvent!

Elle joue. De la musique : saxo, piano, harmonica, violon… rien ne lui fait peur. Seule. Ou en groupe. En « batucada », lors de la dernière manifestation de Cahors. En famille ou entre ami-e-s. En orchestre, pour du jazz ou d’autres types de musique.

Elle s’intéresse aux formes alternatives de pédagogie.

Elle cultive son jardin. Dans tous les sens que l’on peut donner à cette expression.

Et c’est une merveilleuse photographe. Je vous laisse en juger en visitant ce site.

Peut être une image de enfant, debout et plein air
Miroir d’eau, Bordeaux, Anne-Laure Fleurette

Bref, comme elle le dit, une « créative », une « subversive », une « inventive ».

Difficile pour de tels êtres de se faire accepter, comprendre, intégrer, « inclure ». La société est si rigide… j’allais écrire si « frigide »…

Peut être un gros plan de aliment, rose et nature

Vous l’aurez compris, j’ai une grande admiration pour cette femme…

Un kilomètre à l’ouest… mais un peu plus d’une heure !

En ce 11 novembre, comme je vous le disais, j’avais décidé de me promener, comme j’aime tant à le faire, dans les rues de la capitale. D’habitude, il règne, les dimanches et jours fériés, une joyeuse atmosphère, empreinte d’affection familiale, d’amitié, d’amour… Sans compter la curiosité des touristes, leur air ravi en découvrant les trésors tant convoités, leurs sourires pour les selfies et photos de groupe… Ce jour-là, c’était sinistre. Des fantômes ambulants, masqués, s’éloignant de l’autre lorsqu’ils se croisent, déambulant plus que musant…

Pas moyen d’aller, comme j’aime tant à le faire, explorer en détail un petit bout de quartier un peu éloigné. Je suis donc repassée là dans des endroits déjà bien connus, et ai revu des lieux que je connais déjà bien. Quelques détails cependant ont changé…
Je vous propose donc de suivre cette balade, et de partager avec moi cette tristesse ambiante, que ne rompent que la beauté des édifices et quelques détails plus ou moins artistiques…

Le Pont de la Tournelle m’a conduite sur l’Ile Saint Louis. Personne sur les berges, dont ne profitent que les goélands et les canards.

Pas de file devant Berthillon. On n’a plus droit aux glaces. Pas de musiciens sur le pont qui mène à l’arrière de Notre Dame… le silence n’est rompu que par un hors bord de la police, filant sur la Seine désertée par les bateaux-mouche. Et par le bruit des grues. Car les travaux, eux, continuent, comme je vous l’ai montré dans une photo récemment publiée ici et comme le montre celle-ci.

Me revoici rive gauche… « ma » rive! La rareté des voitures est surprenante à cette heure, et je m’amuse à traverser et retraverser la large rue… Vais-je prendre la rue de Bièvre? Une nouvelle oeuvre l’orne, plutôt inattendue à cet endroit…

J’imagine l’artiste en train de la créer! Comme a-t-il ou elle fait pour déjouer les rondes policières, si fréquentes dans ce coin?

La suite est bien triste… Tout est fermé, déserté, voire grillagé… Les plaisirs sont abandonnés…

La culture est interdite (vous avez déjà vu le magasin de musique Avanti la Musica sis à cet endroit), et les galeries ne peuvent plus jouer leur rôle de promotion de l’art et des jeunes artistes… un beau projet pourtant ?

Et finalement, ce sont les traces du passé qui donnent un peu de « couleur » et de « gaieté » – oh, bien relatives! – à toute cette grisaille… Je retrouve avec plaisir la boutique de calicot qui me ravit, à chacun de mes passages…

Et l’ancienne « Tonnellerie centrale » voisine rappelle à quel point il a pu y avoir de commerces de vins depuis ce lieu jusqu’à Bercy…

Nous sommes 5, rue des Grands Degrés. Peut-être ne savez-vous pas que le bois pour les constructions et productions de tout genre était débarqué tout près de là, comme l’atteste le nom d’une rue proche, la rue de la Bûcherie? (merci au site que je viens de découvrir en recherchant l’origine de cette enseigne, site qui porte un nom qui me correspond « Parislenezenlair« …

En face, les péniches, peu nombreuses, restent sagement amarrées face aux travaux gigantesques de la réfection de la vieille dame.

Me voici arrivée au Square René Viviani – dont le nom rend hommage à celui qui fut au début de sa carrière député socialiste élu deux fois dans le 5ème arrondissement -, square où j’ai passé jadis des heures en attendant que le service des urgences de l’Hôtel Dieu veuille bien me recevoir… Il a changé depuis, car une statue y a été placée en 1996, en hommage à Saint Julien… Elle a remplacé la pelouse sur laquelle je me reposais…

J’en ai fait plusieurs fois le tour, tant pour prendre des photos que pour essayer de comprendre ce qu’elle représentait… Car elle allie des airs de monument aux morts à des tonalités de statues évoquant les plaisirs…

J’ai bien sûr cherché par la suite à en savoir plus sur cette statue. En réalité, c’est une fontaine… je ne suis pas perspicace! L’artiste se nommait Georges Jeankelowitsch et l’a créée peu de temps avant sa mort, alors qu’il avait 63 ans. Vous ne le trouverez pas sous ce nom dans les plaquettes touristiques. En effet, il avait modifié son patronyme en « Jeanclos », et, les dernières années, en hommage à sa mère, avait ajouté le patronyme de celle-ci, Mossé. D’où la signature de ses dernières oeuvres « Georges Jeanclos-Mossé ». Un personnage étonnant, visiblement ouvert à différentes cultures, que je me promets de découvrir un peu mieux plus tard… Mais revenons square Viviani…

Ce qui a peu changé, au regard de sa longévité, c’est le célèbre robinier qui va bientôt fêter ses 420 ans.

Bon, d’accord, il n’existait pas encore lorsque Dante ou encore Pétrarque sont venus à l’église voisine… mais quand même, ce n’est pas mal, non? A propos d’église voisine, elle a eu une histoire plus que mouvementée, dont je vous parlerai peut-être un jour où je pourrai y entrer… car en ce moment, elle est aussi victime des interdictions, dont celles de célébrer ensemble en un lieu consacré un culte quel qu’il soit. En l’occurrence, il s’agit de l’Eglise grecque-melkite-catholique. Pour celles et ceux qui seraient comme moi béotiens en matière de religions, je décrypte, grâce à ce que j’ai lu sur un site qui présente la multitude incroyable de rites orientaux. Grec, car les Pères de cette église ont écrit en grec. Melkite (du terme désignant un « empereur »), car lors du Concile de Chalcédoine, en 451, il y eut schisme avec les Monophysites (alors là, ne m’en demandez pas plus pour l’instant!) qui leur donnèrent ce nom. Enfin, catholique, car un nouveau schisme se produisit au XVIIIème siècle et une partie se rattacha à Rome, tandis que d’autres sont orthodoxes. En bref, un culte byzantin mais catholique, dont les textes fondateurs sont en langue grecque, qui se pratique dans ces lieux depuis 1889.

Impossible d’y entrer, disais-je. J’enchaîne donc par la rue Galande, ordinairement si gaie et vivante avec ses boutiques exotiques, ses restaurants qui le sont tout autant – un vrai tour du monde en quelques mètres! – et le fameux studio de cinéma, lui aussi actuellement condamné. Pas un chat. Je suis seule. Comme diraient certain-e-s, c’en est même « flippant »! Et cela perdure jusqu’à la Place Maubert ! Même la boutique Tahnh Binh, où j’allais autrefois acheter mon sac de riz avant de repartir au Maroc, est déserte! pourtant, elle est ouverte, elle! Au passage, je m’interroge à nouveau sur la Société d’Instruction élémentaire. Voici un bon nombre de fois que je me promets de rechercher de quoi il s’agit, mais je ne l’ai toujours pas fait!

M’engageant à nouveau à mener cette enquête, je poursuis ma route et m’aperçois que certains immeubles ont pris des couleurs qui tranchent sur la grisaille environnante…

L’heure est dépassée, et il me reste encore un peu de chemin à faire… Vite, pressons-nous! Ah non, pas tant que cela, car la devanture du traiteur grec m’appelle… Echo à l’église admirée un peu plus tôt? Et… c’est ouvert, en ce 11 novembre à 17h… devinez ce que j’ai fait ? Je suis allée échanger un peu avec le charmant jeune Grec qui tient cette alléchante boutique au nom évocateur, Le Pirée !

Eh oui, délices de l’Hellas… vrai taboulé, hommos et pain azyme, tiropites, aubergine farcie, gâteaux mielleux à souhait… sans oublier vin de Crète et Néméa… tout y est passé… et je dois avouer que ce fut un régal par la suite, en écoutant de la musique grecque, bien sûr. Non, non, pas le sirtaki, mais les Chants traditionnels grecs, interprétés par Vivi Kassou. On s’échappe comme on peut!

Accords parfaits et contrastes

En réponse au Relais musical, vient d’être posté un lien vers un morceau que je découvre. Et je ne résiste pas à l’envie de vous en parler immédiatement, tant il m’a enthousiasmée. Au sens premier du terme, relatif à la divinité.

Une voix étrange, pouvant atteindre des aigus extrêmes, en harmonie avec l’instrument à vent qui l’accompagne. Ceci pour la première partie, où intervient aussi une guitare électrique.

Le son du oud – vous vous souvenez, j’avais dit que nous y reviendrions sans doute ! c’est fait, et plus tôt que prévu! – jouant avec celui de la clarinette… et le musicien s’agenouillant devant l’autre. Ceci pour la seconde partie.

J’ai donc passé un moment d’envoûtement en écoutant Dhafer Youssef dans Soupir Eternel.

Evidemment, par la suite je suis allée voir quels autres morceaux avait joué ou chanté l’artiste. Il en est une liste assez longue sur You Tube. Le panel est important, mais la diversité est remarquable.

Un quatuor évocateur de la mer parfois, et devenant jazz à d’autres, dans un mouvement croissant de puissance, de rythme et de sonorités, avec Les Ondes orientales, en première partie instrumentale. Puis la voix, cette fois grave, qui entonne un air lent dont j’aimerais comprendre les paroles, pour passer ensuite à cet aigu si particulier, et revenir au grave et au rythme jazz. Quel contraste!

Très différent, ce morceau si émouvant : Fly Shadow Fly, où l’on retrouve cependant toute l’amplitude sonore de la voix. Mais le jazz et le oud reviennent, en seconde partie cette fois. A la fin, de nettes inspirations de la musique soufie, que j’aime tant… certains passages m’ont fait penser à Nusrat Fatih Ali Kahn, par moments.

Enfin, une pièce très prenante, Humankind, ou encore cette autre, Sweet Blasphemy.

Et pour finir, ce poème militant, dit par Mohamed Sghaïer Ouled Ahmed, accompagné par Dhafer Youssef et son orchestre, Cantus lamentus. J’en profite pour évoquer la mémoire de ce poète tunisien, décédé en 2016. Pour moi exemple d’un combattant contre toute forme d’oppression. Croyant réellement laïc, militant contre les pouvoirs non acceptables, et poète engagé… A découvrir si vous ne l’avez jamais vu/lu…

Je n’ai pas de problème

Je n’ai pas de problème

Tout chat que je vois seul errant

Je l’embrasse

Tu es mon fils le grand

Et m’en retourne

À ma solitude

Jamais 

Je n’ai de problème

Après dix bouteilles vertes

Dont je ferai les bases de ma cité parfaite

Et nommerai mon commensal à sa tête

Puis ma poésie dictera sa loi

Je ramènerai les soldats à leur devoir sentimental

Et m’en irai

À mon verre oublié

Je n’ai pas de problème

Quand je serai mort

Seuls auront marché derrière moi ma plume

Mes chaussures

Et le rêve des bourreaux

(…)

Je n’ai pas de problème

Quand les fleurs irritent mes poches

Je les dessine avec la plume

Et le drapeau

Et quand ce drapeau dénude mes fils

Je le déchire étoile par étoile

Tandis que je recouds leur nudité

Tandis que j’embrasse la terre sans nommer Dieu

Je n’ai pas de problème

Je n’ai pas de problème.

Traduit de l’arabe par Tahar Bekri. Source : L’Orient littéraire

Vous l’aurez compris, c’est plus que de la musique, c’est un univers à découvrir, écouter, encore et encore, si vous appréciez la rencontre musique dite orientale et jazz.

Post scriptum

Cela fait près de trois heures que j’écris cet article, et je ne me lasse pas d’écouter la grande variété des oeuvres interprétées par Dhafer Youssef… et j’ajoute encore un morceau, si vous permettez… Digital Prophecy

Raccommodages

La raccommodeuse, Louis Tiffoli (1970)

L’autre jour, l’auteur du blog UN jour UN tableau m’a fait souvenir de l’art du raccommodage… Que ce soit une activité intime ou une activité d’extérieure, elle m’a toujours fascinée. Je m’explique.

Femme reprisant un bas, Vincent Van Gogh (1881)

Qui d’entre vous a vu un jour un-e de ses grands-parents se saisir d’un de ces superbes oeufs en bois ou en onyx, pour le glisser dans une vieille chaussette et ensuite, patiemment, en boucher le trou en croisant les fils me comprendra.

On vend encore de ces oeufs à repriser

Cela, pour « l’intime »… Quoique…

Un soldat de l’Union répare un uniforme dans ce stéréogramme de la vie quotidienne dans un campement pendant la Guerre civile américaine. [Library of Congress 1s02987] (source)

« La chaussette à l’endroit, mettre un “œuf”
(une grenade ferait tout aussi bien l’affaire)
en dessous du trou. »Instructions pour repriser
une chaussette dans l’article « Needle Pointers »
(« Brodeurs », NDT),
Yank, The Army Weekly, février 1943.

Soit dit entre parenthèses, n’hésitez pas à vous référer à la source indiquée en légende de la photo, c’est succulent! On y découvre que les soldats canadiens aimaient recevoir leur trousse de couture… Mais en recherchant davantage, je me suis aperçue que la trousse à couture faisait partie du paquetage des soldats, déjà lors de la Première Guerre Mondiale.

Raccommoder, repriser et recoudre les boutons… 1914-1918

Qui d’entre vous a observé un jour des marins en train de raccommoder des filets de pêche ou une voile abîmée me comprendra. Cela, pour « l’extérieur ». Quoique…

Pêcheur réparant son filet, Gabriel Augizeau

Partir !
Aller n’importe où,
vers le ciel
ou vers la mer,
vers le montagne
ou vers la plaine !
Partir !
Aller n’importe où,
vers le travail
vers la beauté,
ou vers l’amour !
Mais que ce soit avec une âme pleine
de rêves et de lumières,
avec une âme pleine
de bonté, de force et de pardon !

S’habiller de courage et d’espoir,
et partir,
malgré les matins glacés,
les midis de feu,
les soirs sans étoiles.
Raccommoder, s’il le faut,                                                        
nos cœurs
comme des voiles trouées,
arrachées
au mât des bateaux.
Mais partir !
Aller n’importe où
et malgré tout !

Mais accomplir une œuvre !
Et que l’œuvre choisie
soit belle,
et qu’on y mette tout son cœur,
et qu’on lui donne toute la vie.

Cécile Chabot

J’ai déjà vu des tableaux et/ou photographies expliquant comment autrefois on réparait les voiles de ces merveilles des ondes, mais impossible d’en retrouver sur le net…

Un métier oublié que celui de raccommodeur… de porte-monnaies, par exemple. Si, si, ça existait! Le voici, peint par celui qui avait représenté aussi une touchante raccommodeuse de filet.

Le raccommodeur de porte-monnaie, Adolphe-Félix Cals

Dans certains cas, les parapluies aussi étaient raccommodées, comme en témoigne cet intéressant site sur Saint Sulpice Laurière.

Voilà qui fait écho au tableau suivant.

Le raccommodeur de parapluies, François Roeder (1879)

On raccommodait aussi la vaisselle cassée. Ainsi, on pouvait rencontrer dans la rue le raccommodeur de faïences.

Une chanson a été consacrée à ce métier, interprétée par Berthe Sylva.

Raccommoder, repriser, réparer… les limites sont floues, comme on l’a vu. N’oublions pas le désuet « rapiécer », qui a valu à la génération de 68 de faire du faux rapiéçage, lorsqu’il était de mode d’avoir des vêtements avec des « pièces ». Mais on est alors bien loin du raccommodage!

Et le langage figuré s’est emparé des verbes pour nourrir les analogies, comparaisons ou métaphores… Un mot donc, bien d’actualité, pour que « Gardarem lou moral »!

 » La présence réelle raccommode en quelques minutes ce qu’a gâté l’absence.« 
Henri-Frédéric Amiel, Les fragments d’un journal intime

Et si nous faisions dans la dentelle?

Je me demandais si ce type de « série » ne vous lassait pas… merci de me le faire savoir par un commentaire, si vous le voulez bien… Moi j’aime, parce que cela me permet aussi de revisiter mon passé. Mais j’avoue que ce n’est sans doute pas passionnant pour certain-e-s. Donc, dites-moi. Et, de ce fait, cela me donne une idée. Si vous ne voulez pas contribuer, ce que je puis comprendre, vous pouvez par contre me demander des thèmes, soit uniques, soit pour une série, et je répondrai autant que possible… Ce pourrait être une autre forme de partage, non? Par exemple, j’ai en préparation le thème « nuciculture », demandé par un de mes amis. Je ne sais pas si je vais y parvenir, mais c’est un challenge intéressant, non? Si vous avez des idées…

Mais revenons à nos chiffons… Aujourd’hui j’ai envie de vous parler de dentelle.

Coussin, fuseaux, épingles, carton… il suffit de faire!

Lorsque j’étais petite, nous allions en vacances en Auvergne, à Saint-Nectaire. Il y avait, sur le seuil d’une boutique près la Cure thermale fréquentée par mon petit frère une vieille dentelière avec qui j’aimais aller discuter. J’admirais la danse de ses doigts fins entre fils et fuseaux, et je ne m’en lassais pas. Pas plus que du jeu des épingles ôtées, déplacées, repiquées, des épingles aux têtes multicolores… Il m’est arrivé, depuis, de voir travailler d’autres dentelières, et j’ai retrouvé une partie de cette magie, mais il manquait la Vieille Dame de mon enfance…

De oude kantklosser, Dyckmans (1846)

La Dentellière

De son voile frêle et joli la dentellière
coquette s’ est parée , et son visage heureux
a mis sur la blancheur du tulle vaporeux
un chatoyant reflet d’aurore printanière .

Elle rit de plaisir , enfant naïve et fière ;
pour sa merveille elle a des regards amoureux
et ses petites mains lisses de doigts peureux
le réseau traversé par la blonde lumière .

Elle rit , mais songeant que l’oeuvre caressée
sera demain peut être incomprise et froissée
son front , anxieux soudain , s’incline tristement .

Car l’humble jeune fille a laissé dans la trame
ou s’enroule un feston irréel et charmant
le rêve de beauté qui visite son âme .

Paul Roussoles (1903)

De kantwerkster, Vermeer (autour de 1670)

Si vous voulez plus de littérature sur la dentelle et les dentelières, j’ai découvert un joli blog intitulé « Les Malles de Marie », plein de ressources sur ce thème. C’est là que j’ai trouvé ce poème, parmi d’autres textes, dont certains en patois.

Et comme j’adore apprendre de nouveaux mots, j’en ai appris quelques-uns, dont le charmant « couvige ». Savez-vous ce que c’est? En voici un exemple, en photo.

Un couvige en 1858 (source)

Le couvige est à l’origine auvergnat. Si l’on « remonte » dans ma région de naissance, on trouve une autre fête des dentelières, et plus largement des filtiers (elle devint progressivement la fête du textile en général) , qui porte le nom du fuseau en ch’ti : « ch broquelet » – pour en savoir davantage : .

 » Il y a cinq sortes de broquelets :

1) Les bos. Ce sont les plus communs, tous les bois y sont propres.

2) Les gros fis (un peu plus gros que les bos) il contiennent le fil le plus gros pour faire les dessins.

3) Les bos d’ chuc, en ébène ou bois de Ste Lucie, dont l’odeur est agréable ;

4) Les dés d’ivoire sont en même temps des objets de luxe et d’utilité économique. Si la grosse tête d’un broquelet vient à casser, on la remplace par un dé d’ivoire qui n’est à proprement parler qu’une tête de remplacement.

5) Les buchers qui sont faits en buis. » (source : ce site)

Fête du Broquelet, Watteau (1803)

Cette fête, née au 16ème siècle, a disparu dans la seconde moitié du 19ème.

« L’historien Alain Lottin remarque qu’Ignace Chavatte, ouvrier sayetteur à Saint-Sauveur, qui évoque d’autres fêtes (Procession de Lille, fête de la Saint-Jean) ne la mentionne pas dans sa chronique des années 1660 à 1690. Alain Lottin considère le développement de cette fête au cours du XVIIIe siècle lié à la croissance du nombre de dentellières.

La sayetterie et la bourgetterie, activités artisanes masculines de tissage d’étoffes, prospères au XVIe siècle et première moitié du XVIIe siècle, ont décliné au XVIIIe siècle à la suite de la fermeture de marchés. La suppression en 1777 du monopole de fabrication de ces étoffes à Lille acquis en 1524 (arrêt donnant le droit aux campagnes de fabriquer ces tissus) leur porta un coup fatal. Ce déclin a été compensé par le développement de la dentellerie qui aurait employé près de la moitié de la population féminine de Lille en 1789 et celle de la filterie, activité masculine de transformation du lin en fil à coudre. Les métiers de filtiers et de dentellières se sont réunis au cours du XVIIIe siècle sous le patronage de Saint-Nicolas.

A partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la fête du Broquelet se déroulait à Wazemmes, faubourg à l’extérieur des remparts de Lille jusqu’à l’annexion de 1858, à la guinguette de la Nouvelle Aventure située à l’emplacement actuel de la place du Marché. Ce vaste établissement pouvait accueillir plusieurs milliers de personnes.

La fête durait plusieurs jours, huit jours puis trois jours. La fin du troisième jour était marqué par la translation de Saint-Nicolas consistant à noyer symboliquement le saint dans la Deûle au pont tournant du pont de la Barre

La fête déclina vers 1850 et disparut avec la fermeture de la guinguette de la Nouvelle Aventure démolie pour aménager la place du Marché. La dernière fête eut lieu du 9 au 13 mai 1861. » (Wikipedia)

J’aurais pu copier le texte d’Alexandre Desrousseaux (1820-1892), fils d’une dentelière, relatant ces festivités vues par une dentelière, dont vous connaissez peut-être une berceuse devenue célèbre – oui, bravo! Le P’tit Quinquin. Tiens, mais au fait, je viens de réaliser que celle qui chante est « eun vieil dintelière »… Souvenir d’enfance? Mais ce texte est vraiment long (et je n’ai toujours pas trouvé comment faire un texte en deux colonnes avec WordPress!). Vous le trouverez intégralement sur le même site.

Il existait des écoles pour apprendre à faire de la dentelle. Une trace en est apportée par ce tableau qui montre les différentes étapes de l’apprentissage et l’andragogie mise en oeuvre.

La scuola delle merlettaie, Gioacchino Toma (source)

Dans les héritages familiaux, la dentelle est omniprésente… A commencer par la robe de baptême. Notre robe familiale fait environ un mètre de haut, ce qui, avouez, est bien démesuré pour un nourrisson! Mais quel bel assemblage de dentelles! Cela continuait avec les gants blancs des petites filles pour la messe le dimanche, puis avec le voile et la robe de mariée, pour en arriver au voile de deuil, pour lequel le fil noir remplaçait le blanc… Et je ne parle pas du linge de maison… La dentelle est revenue par épisodes à la mode, pour un détail comme un col, ou un vêtement tel qu’un chemisier. Mais il faut reconnaître que la dentelle industrielle n’aura jamais le charme de la dentelle faite main au bruit des fuseaux s’entrecroisant et au ballet des fils autour des épingles…

Certain-e-s vont me reprocher d’avoir négligé le cinéma, et le célèbre film La Dentellière, dont le titre fait référence non à l’activité, mais à la citation finale « Il sera passé à côté d’elle, juste à côté d’elle, sans la voir parce qu’elle était de ces âmes qui ne font aucun signe, mais qu’il faut patiemment interroger, sur lesquelles il faut savoir poser le regard. Un peintre en aurait fait autrefois le sujet d’un tableau de genre. Elle aurait été lingère, porteuse d’eau ou dentellière« … Mais je préfère finir sur une note d’humour (avez-vous remarqué combien la quantité d’humour demandée ou recherchée est proportionnelle à celle du désarroi voire dés-espoir? Il n’est qu’à voir les émissions proposées sur le petit écran en ce moment…). Voici donc un moyen de faire de la dentelle durant le confinement…

Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage…

Le retour d’Ulysse, Pinturicchio (1508-1509)

Petit clin d’oeil à Monsieur Boileau, et, en passant, à Pénélope qui défaisait chaque nuit ce qu’elle produisait le jour, pour aborder la suite du filage, à savoir le tissage. Cette activité m’a intéressée tellement, à un moment de ma vie, que j’avais acheté un métier à tisser. Par la suite, j’ai eu l’occasion de voir l’art si particulier des tisserands guinéens… Tisserands, oui… Vous avez bien vu… du masculin. Car, comme toutes les activités qui touchent à l’habillement, nous retrouvons des questions de genre dans celle-ci. Parfois réservée aux femmes, parfois aux hommes, ou parfois connotée en fonction de ce que l’on tisse, elle est devenue affaire de « famille » à l’époque des Canuts. Mais avançons pas à pas, avant d’en arriver à Lyon…

Atelier de tisserand, Cornelis Guerritz Decker

Le tisserand

La cave est froide et sombre. Un escalier glissant.
Envahi par l’ortie et la mousse, y descend…
Dans le cadre béant de la vitre éborgnée,
Depuis le jour naissant, une grise araignée
Va, vient, croise ses fils, tourne sans se lasser,
Et déjà l’on peut voir les brins s’entrelacer,
Et dans l’air s’arrondir une frêle rosace,
Chef-d’oeuvre délicat de souplesse et de grâce.
Parfois, dans son travail, l’insecte s’interrompt,
Son regard inquiet plonge au caveau profond.
Là, dans un angle obscur, un compagnon de peine,
Un maigre tisserand, pauvre araignée humaine,
Façonne aussi sa toile et lutte sans merci.
Le lourd métier, par l’âge et la fraîcheur noirci,
Tressaille et se débat sous la main qui le presse ;
Sans cesse l’on entend sa clameur, et sans cesse
La navette de bois que lance l’autre main
Entre les fils tendus fait le même chemin…

Du métier qui gémit le tisserand est l’âme
Et l’esclave à la fois : tout courbé sur la trame,
Les pieds en mouvement, le corps en deux plié,
A sa tâche, toujours la même, il est lié
Comme à la glèbe un serf. Les fuyantes années
Pour lui n’ont pas un cours de saisons alternées ;
Dans son caveau rempli d’ombre et d’humidité,
Il n’est point de printemps, d’automne, ni d’été ;
Il ne sait même plus quand fleurissent les roses,
Car, dans l’air comprimé sous ces voûtes moroses,
Jamais bouton de fleur ne s’est épanoui…
Quand il sort, c’est le soir, pour rendre à la fabrique
Sa toile, et recevoir un salaire modique ;
Puis il rentre ployé sous son faix de coton.
Le dur métier l’attend ; les lames de laiton
Se partagent les fils dont la chaîne est formée
A l’oeuvre maintenant ! La famille affamée,
Si la navette hésite ou s’arrête en chemin,
La famille n’aura rien à manger demain.
O maigre tisserand, ô chétive araignée,
Vous avez même peine et même destinée,
Et, dans le même cercle aride, votre sort,
Pénible et résigné, tourne jusqu’à la mort.

André Theuriet

Le tisserand, Paul Sérusier (1888)
*

On remarque que le tisserand est représenté de face ou de côté sur presque tous les tableaux qui en représentent un. Il est toutefois des cas où on le voit de dos, ce qui trahit une volonté de représenter, au-delà du geste, l’environnement de la personne, pourtant déjà si présent dans les oeuvres ci-dessus – en particulier par le nombre impressionnant d’objets qui traînent à terre !

Je ne puis prouver l’existence effective de ces oeuvres, dont il n’y a à ma connaissance qu’un témoignage sur Internet, mais je ne résiste pas à l’envie de les publier. D’un côté, une peinture. De l’autre, une lithographie dont il est dit qu’elle est « tirée de mon tableau ». Quoi qu’il en soit, une curiosité que l’atelier de Jean-Baptiste Malézieux.

Il est une chose que j’ai apprise lors de ma vie en Afrique, alors qu’elle est d’une banalité affligeante : combien le matériel contraint l’artisan et l’artiste. Ainsi, que la largeur des bandes tissées dépendait… de la taille du métier! Je n’y avais jamais songé. Et maintenant, quand je regarde mes rideaux faits de bandes cousues, aux bleux d’indigo plus ou moins clairs, je revois les tisserands qui oeuvrent dans certains villages guinéens. Ce n’est pas l’un de ceux-là que représente la photo ci-dessous, car je ne leur ai jamais demandé le droit de diffuser la photo faite d’eux (dont je leur offrais, bien sûr, un exemplaire papier), mais un de leurs collègues pris sur une banque libre de droits.

Tisserand de Waranieni, village proche de Korhogo en Côte d’Ivoire

Voilà qui me donne une furieuse envie de vous parler une autre fois de teintures, un des autres arts que j’ai admirés au Maroc, en Guinée et en Côte d’Ivoire…

Pour revenir dans nos contrées, et à une époque qui m’est chère, le tissage fut au Moyen-Age affaire de femmes. En témoigne l’un de mes auteurs fétiches, Chrétien de Troyes…

Complainte des tisseuses de soie

Il vit jusqu’à trois cents jeunes filles,
Occupées à divers travaux.
Elles travaillaient des fils d’or et de soie
Chacune de son mieux,
Mais dans une telle misère
Que beaucoup étaient sans coiffe et sans ceinture…
Leurs robes étaient déchirées,
Et leurs chemises sales dans le dos.
De faim et de mal elles avaient
Cous grêles et visages pâles.

Nous tisserons toujours des étoffes de soie
Et n’en serons jamais mieux vêtues.
Toujours nous serons pauvres et nues
Et toujours nous aurons faim et soif ;
Jamais nous ne saurons gagner
Assez pour avoir à manger.
Nous avons du pain à grand-peine,
Un peu le matin, moins le soir ;
Car jamais du travail de ses mains,
Chacune n’aura pour vivre
Plus de quatre deniers à la livre.
Avec cela nous ne pouvons pas
Avoir assez de nourriture et d’étoffe ;
Car qui gagne chaque semaine
Vingt sols n’est pas hors de peine.
Sachez-le bien :
Il n’y a aucune de nous
Qui gagne vingt sous ou davantage.
Un duc serait riche avec cela !
Notre pauvreté est grande
Et il est riche de notre misère
Celui pour qui nous peinons.
Nous veillons une grande partie de la nuit
Et tout le jour pour avoir un gain ;

Mais que vous raconterai-je ?
Nous avons tant de mal et de honte
Que je ne puis vous en dire le cinquième.

Le « il » du début, c’est Yvain, dit « Le Chevalier au Lion ». Chrétien de Troyes, dans ses romans, allie le merveilleux du monde médiéval à l’Histoire des Chevaliers de la Table Ronde, mais n’oublie jamais d’évoquer de manière très réaliste la vie du peuple au 12ème siècle. C’est ce qui avait poussé la jeune étudiante que j’étais en Sorbonne jadis à faire un mémoire – qui devait constituer une partie d’une thèse – à « La réalité historique et sociale dans Erec et Enide de Chrétien de Troyes« …

Etrangement, pas de représentations d’ateliers trouvées dans les enluminures, mais le plus souvent, des Dames seules ou accompagnées d’autres gentes dames ou d’enfants…

Le poème a été mis en musique et interprété par la suite, notamment par Jacques Douai. La voici par l’ensemble Aelis, qui, soit dit en passant, s’est trompé en l’attribuant à Marie de France!

La misère observée par Yvain est telle qu’il croit ces ouvrières captives du Diable!

Le Chevalier au Lion combattant le Diable

De là à faire un saut de plusieurs siècles pour arriver dans la cité où l’on tissait la soie, il n’y a qu’un pas… Nous voici donc arrivé chez les Canuts, bien sûr! Vous vous y attendiez, je pense? Commençons donc par la chanson d’Aristide Bruant, merveilleusement interprétée par Yves Montand.

Intérieur d’un atelier de canuts de la rue des Epies, attribué à Balthazar Alexis (19ème)

Je finirai par la Bretagne. J’ai trouvé, sur un blog très intéressant, Le Lien Tissé, la carte postale ancienne que j’ai reproduite en fin, et une vidéo sur le métier de Tisserand à Locronan, un village devenu hélas un peu trop touristique mais qui garde son charme hors saison… Vous pourrez ensuite continuer à découvrir le métier de tisserand dans différents milieux. Les Landes, le Sénégal et la Côte d’Ivoire, où vous retrouverez le village dont nous traitions plus haut. Et vous pourrez finir par la modernisation racontée par ce descendant d’une entreprise de tissage en Pays Basque. Bon visionnement!

Et un dernier mot… J’ai appris à tisser, vous pouvez donc le faire. D’abord, en tissant la laine sur des carcasses d’abat-jour (que je ne puis hélas vous montrer, ils sont loin et on ne peut se déplacer…). Puis en apprenant à me servir d’un petit métier… Un plaisir simple, loin des contraintes des ouvrières du Moyen-Age…

A la femme le rouet, à l’homme le métier… Bretagne, 19ème

La quenouille en bonne compagnie : fusain ou rouet ?

Las Hilanderas, Velasquez (vers 1857)

Pour pouvoir coudre, il faut la matière. Truisme, me direz-vous… Certes… Qu’elle soit peau de bête plus ou moins tannée ou tissu fabriqué par l’Homme… Peut-être un jour vous parlerai-je de Préhistoire, qui fut une de mes passions. Mais aujourd’hui j’ai envie de parler des fileuses. Vous deviez vous y attendre, si vous savez à quel point cette figure est présente dans la littérature et dans la peinture…

La fileuse, chevrière auvergnate, Millet (1868 ou 69)

La fileuse

Assise, la fileuse au bleu de la croisée

Où le jardin mélodieux se dodeline ;

Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée.

Lasse, ayant bu l’azur, de filer la câline

Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,

Elle songe, et sa tête petite s’incline.

Un arbuste et l’air pur font une source vive

Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose

De ses pertes de fleurs le jardin de l’oisive.

Une tige, où le vent vagabond se repose,

Courbe le salut vain de sa grâce étoilée,

Dédiant magnifique, au vieux rouet, sa rose.

Mais la dormeuse file une laine isolée ;

Mystérieusement l’ombre frêle se tresse

Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.

Le songe se dévide avec une paresse

Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule,

La chevelure ondule au gré de la caresse…

Derrière tant de fleurs, l’azur se dissimule,

Fileuse de feuillage et de lumière ceinte :

Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.

Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte,

Parfume ton front vague au vent de son haleine

Innocente, et tu crois languir… Tu es éteinte

Au bleu de la croisée où tu filais la laine.

Paul Valéry, Album de vers anciens

Loin de moi l’idée de faire un exposé sur le filage et son interprétation à travers l’Histoire et la Mythologie. Depuis le mythe des Parques jusqu’au conte de Perrault où cela valut 100 ans de sommeil à la Belle, en passant par la triste histoire d’Arachnée narrée par Ovide, on le retrouve à toute époque et quasiment en tout lieu (bon, d’accord, je ne suis pas allée voir chez les Inuits…).

Fileuse, Perse (autour de 1000 av. J.-C.)

A propos, ou plutôt hors de propos, au moins partiellement… Vous vous souvenez peut-être qu’hier je vous ai défié-e-s de trouver un « couturier » autre que grand dans un tableau… Pour ce qui concerne le filage, j’ai ce qu’il faut… eh oui!

Pieter Pietersz (16ème siècle)

Lorsque j’étais petite, je me suis beaucoup amusée avec le rouet présent dans la pièce à vivre de mes grands-parents, au grand désespoir de ma grand-mère qui craignait de le voir détruit. Il faut dire que le jeu consistait à faire tourner la roue de plus en plus vite, en actionnant la pédale… à la main, jusqu’à être assez grande et forte pour le faire au pied!

Le rouet de mon enfance

Nombreuses sont les chansons qui ont trait au filage… Loin de moi l’idée d’en faire un inventaire exhaustif.

Beaucoup évoquent le temps passé, comme celle qu’interprète le groupe Décibal, ou encore celle de Théodore Botrel, chantée par Louis Bory, illustrée dans ce diaporama par de belles photos de Bretagne, qui fait allusion à l’Ankou. La chanson « Filez la laine » a été reprise par divers chanteurs/euses, dont Isabelle Aubret, et par la chorale à laquelle participe un de mes amis, la chorale Philomèle…. et une voix à fondre, celle de Fabrizio de Andre. Des chansons en langues vernaculaires sont aussi légion. En occitan, Las Fielairas, ici ou .

Enfin j’aime beaucoup cette chanson de Julos Beaucarne.

En écho au poème de Valéry, ce beau texte de Philippe Soupault chanté par Catherine Sauvage ou la belle voix de Fabienne Thiebault
J’espère qu’avec tout cela, vous n’allez pas filer « Le Mauvais Coton » (Brigitte Fontaine)… et au contraire passer un bel après-midi en filant… le parfait amour? Mais un petit trait d’humour avant de nous quitter…

En marge Book of Hours, Use of Maastricht (‘The Maastricht Hours’), 14ème

Avril en fête(s)

Leone di San Marco, Vittore Carpaccio (1546)

Il faisait hier une journée de printemps typique de ces régions septentrionales : à l’aube, de la brume… Puis un ciel bleu et pur… Mais un vent froid qui ne permet pas d’apprécier la chaleur du soleil autrement qu’à l’abri des auvents… Mais les oiseaux s’en sont donné à coeur joie, à choeur voix, pour fêter l’Italie, la Révolution des Oeillets et les soixante-huitard-e-s…

Revolucion de las Claveles

Alors, en ce dimanche matin, je vous propose d’écouter le chant des oiseau, et d’abord, pour celles et ceux qui n’ont pas la chance de se promener par monts et par vaux, par bois et par prés, il y a un moyen de le faire virtuellement… Diffusez des huiles essentielles qui vous rappellent la nature, et regardez les magnifiques vidéos réalisées par certain-e-s amateurs/trices ou ornithologues, avec des vues splendides et des enregistrements authentiques… Par exemple, puisque c’est l’oiseau qui séduit le poète (et philosophe) que j’ai eu envie de vous faire découvrir ce matin, la linotte…

Une belle vidéo sur la linotte

Printemps du Nord

Linotte
Qui frigotte,
Dis, que veux-tu de moi ?
Ta note,
Qui tremblote,
Me met tout en émoi.

Journée
Illuminée,
Soleil riant d’avril,
En quel songe
Se plonge
Mon cœur, et que veut-il ?


Sur la haie,
Où s’égaie
Le folâtre printemps,
La rosée,
Irisée,
Sème ses diamants.

Violette
Discrète,
Devant Dieu tu fleuris ;
Primevère,
A la terre,
Bouche d’or, tu souris.

Petite
Marguerite,
Conseillère du cœur,
Ta couronne
Mignonne
Epèle mon bonheur.

Blanche et fine
Aubépine,
A tes pieds, la fourmi
Déjà teille
Et réveille
Son brin d’herbe endormi.


La mousse
Qui repousse
Attend l’or du grillon ;
La rose,
Fraîche éclose,
Rêve au bleu papillon.

Mais, fidèle
Hirondelle,
Au nid toi qui reviens,
La tristesse
M’oppresse…..
Où donc sont tous les miens ?

L’eau sans ride
Et limpide
Ouvre de ses palais,
Où tout brille
Et frétille,
Les réduits les plus frais.

Sur la branche
Qui penche,
Vif, l’écureuil bondit ;
La fauvette
Coquette
Se lustre dans son nid.


La grue
En l’étendue
A glissé, trait d’argent ;
Dans l’anse
Se balance
Le cygne négligent.

La follette
Alouette,
Gai chantre des beaux jours,
Dans l’azur libre
Vibre,
Appelant les amours.

Journée
Illuminée,
Soleil riant d’avril,
En quel songe
Se plonge
Mon cœur, et que veut-il ?

Dans l’onde
Vagabonde,
Aux prés, sur les buissons,
Sous la ramée
Aimée,
Aux airs, dans les sillons,


Tout tressaille
Et travaille,
Germe, respire et vit,
Tout palpite
Et s’agite,
Va, chante, aime et bénit.

Mais mon âme
Est sans flamme…..
Beaux jours en vain donnés,
Nature
Calme et pure,
O printemps, pardonnez !

Linotte
Qui frigotte,
Dis, que veux-tu de moi ?
Ta note
Qui tremblote
Met mon cœur en émoi.

Henri-Frédéric Amiel, Heringsdorf, sur la Baltique, 1847.

Les mots qui désignent la linotte parfois sont aussi mélodieux… Oublions le « linnet » anglais, trop proche du nôtre, mais le « fanello » italien le « pardillo » ou le « jilguero » espagnol, voire le makolagwo polonais chantent aussi…

Par contre, pourquoi avoir, en français, stigmatisé ce pauvre volatile qui est devenu symbole de l’étourderie?

Je me suis amusée à rechercher si c’était aussi vrai dans les autres langues… Eh non! Nulle part, si l’on en croit le tableau comparatif emprunté à ce site.

PaysLangueExpression équivalenteTraduction littérale
Pays de GallesGalloisPen dafadTête de mouton
AllemagneAllemandSpatzenhirn Cerveau de moineau
AngleterreAnglaisBirdbrain Tête d’oiseau
AngleterreAnglaisEmpty headed person Personne à la tête vide
États-UnisAnglaisAirhead Tête d’air
États-UnisAnglaisBird brain Cerveau d’oiseau
États-UnisAnglaisScatterbrain Cerveau éparpillé
IrlandeAnglaisFeather brain Cerveau à plumes donc d’oiseau
ArgentineEspagnolCabeza de chorlito Tête de linotte ou de chevalier (oiseau)
ArgentineEspagnolCabeza de novia Tête de fiancée
ArgentineEspagnolCabeza hueca Tête creuse
EspagneEspagnolCabeza de chorlito Tête de linotte
CanadaFrançaisCervelle d’oiseau
CanadaFrançaisPetit cerveau
CanadaFrançaisTête de piocheImbécile
HongrieHongroisSzeleburdiEtourdi
ItalieItalienCervello di gallina Cerveau de poule
BelgiqueNéerlandaisKip zonder kop Poule sans tête
BelgiqueNéerlandaisMèteko (Leuvense / Louvain) Stupide (patois, racine inconnu)
Pays-BasNéerlandaisEen hoofd als een vergiet hebben Avoir une tête comme une passoire
Pays-BasNéerlandaisLeeghoofd Tête vide
BrésilPortugaisCabeça de bagre Tête de silure (poisson-chat)
BrésilPortugaisCabeça oca Tête creuse
RoumanieRoumainCap sec Tête vide
RussieRusseдырявая голова Une tête à trous
SlovaquieSlovaqueVetroplachLa personne qui dissipe le vent

« Chorlito », j’ai vérifié, c’est le pluvier, pas la linotte! Comme vous le voyez, la linotte n’est pas le seul avidé visé… Il y a aussi le moineau (pour nous, c’est sa cervelle!), le pluvier, la poule… et l’oiseau en général… parfois associé aux femmes… Et si on faisait l’inverse, donner une « tête de femme » aux oiseaux? Il y en a qui ont déjà eu l’idée… Les Egyptiens par exemple…

Sans compter les Harpies… Mais c’est une autre histoire…

Connaissez-vous cette chanson interprétée par Annie Cordy? Heureusement, Grou se réclame de ce qualificatif… un moment d’humour par auto-dérision…

Il était temps de réhabiliter la linotte… Michèle Bernard s’en est chargée, heureusement!

Plus d’ piles dans la télécommande
Et l’aquarium n’a plus de poissons
L’écran est vide et tu t’ demandes
« Mais qui donc a pu couper le son ? »

Ton magnéto, ta calculette
Qui pataugent dans le goudron chaud
Foutus tes dicos, tes disquettes
Et même ta souris qu’a dit ciao !

Tout ce que t’avais mis en mémoire
Ton disque dur, comme une armoire
Bourrée de linge et d’ naphtaline
Un gros bug et y a tout qui s’ débine

C’était une blague, non, c’est pas vrai

Pas b’soin d’ te faire hara-kiri
Mais quand même, si ça t’arrivait
Écoute-moi, est-ce que t’as appris

Au moins une chanson par cœur
Dans ta tête de bois, ta caboche
Celle que tu veux : Le p’tit bonheur
La Javanaise ou Les trois cloches

Rien qu’une chanson qui t’ fait du bien
Mais tout entière, couplets, refrain
Et va pas m’ raconter d’histoires
Que t’aurais pas l’ temps, pas d’ mémoire

Dans une tête de linotte
Y a toujours quelques notes
Un trésor tout petit
Qui chantera toute sa vie


J’ veux pas jouer les rabat-joie
Mais la vie, ça fait pas qu’ des risettes
T’as plein d’ gadgets au bout des doigts
Mais t’as comme du brouillard dans ta tête

À voir le monde par des lucarnes
Un beau jour, on se retrouve tout nu
Sans rien, pas d’ami, pas de larmes
Et la peur de traverser la rue

Un coup d’ blues, une vacherie du sort
Nous v’là projetés dans l’ décor
D’un mauvais film où, sans doublure,
Faut quand même savoir faire bonne figure

À la guerre ou même en cabane
Dans un scanner, on s’ sent tout p’tit

Et dans le silence de son âme
On est content d’avoir appris

Au moins une chanson par cœur
Dans ta tête de bois, ta bobine
Celle que tu veux : Le déserteur
Frou-frou, Laisse béton, Nuits de Chine

Rien qu’une chanson pour t’nir le coup
Quoi qu’il arrive et jusqu’au bout
Et va pas m’ raconter d’histoires
Que t’aurais pas l’ temps, pas d’ mémoire

Dans une tête de linotte
Y a toujours quelques notes
Un trésor tout petit
Qui chantera toute sa vie


Dans une tête de linotte
Y a toujours quelques notes
Un trésor tout petit
Qui chantera toute sa vie

Composition, Pierre Tal Coat (1954)

A tire d’ailes

Etretat Interior, Matisse (1920)

J’ai reçu dernièrement un joli cadeau… Une chanson basque, que j’ai beaucoup aimée. D’où mon envie de vous la faire découvrir… Voici la vidéo reçue… La chanson est interprétée par John Kelly & Maite Itoiz. C’était en 2008, l’année de la disparition de celui qui l’a mise en musique et interprété le premier, en 1974, Mikel Laboa. Une autre version en est présentée, filmée en 2011, que je trouve moins authentique, plus « travaillée ». Mais il faut reconnaître qu’elle prend de l’ampleur avec le choeur… En 2018, la chanteuse la reprend seule, en s’accompagnant d’une harpe, avec le choeur Son Espases. Très émouvant… Et mon coeur balance entre cette dernière et la magnifique interprétation de Laura Latienda et Gaztelu Zahar (2016), avec une voix plus grave, un choeur d’hommes et un orchestre plus « populaire ». Une autre chanteuse s’en est emparée, Anne Etchegoyen. Très belle voix également…. Bref, je ne me suis pas lassée de l’écouter encore et encore…

Femme et oiseau dans la nuit, Miro (1942)

Mais je n’ai pu m’empêcher d’en rechercher les paroles… Les voici donc, en basque puis traduite en français.

Txoria txori

Hegoak ebaki banizkio
nerea izango zen,
ez zuen aldegingo.
Hegoak ebaki banizkio
nerea izango zen,
ez zuen aldegingo.

Bainan, honela
ez zen gehiago txoria izango
Bainan, honela
ez zen gehiago txoria izango
eta nik…
txoria nuen maite
eta nik…
txoria nuen maite.

L’oiseau

Si je lui avais coupé les ailes

il aurait été à moi

il ne serait jamais reparti

Si je lui avais coupé les ailes

il aurait été à moi

il ne serait jamais reparti. 

Mais, ainsi, il n’aurait plus été un oiseau,

Mais, ainsi, il n’aurait plus été un oiseau,

et moi… j’aimais l’oiseau !

et moi… j’aimais l’oiseau !

Source traduction

Hassan Massoudy (copyright)

Et, bien sûr, j’ai voulu en savoir plus, non seulement sur la chanson, mais sur ceux qui l’ont créée.

« En 1968, Mikel est allé dîner un soir avec sa femme dans un restaurant de Saint-Sébastien, ainsi qu’avec Joxean Artze. Le poème Txoria Txori de Joxean Artze (alors âgé d’environ 25 ans), a été écrit sur une serviette ce soir là ! C’était un acte de résistance contre l’interdiction faite par le régime franquiste d’utiliser la langue basque. Sa femme le lui a lu, et lui a dit que c’était un beau poème. Il l’a lu à son tour, et il lui a beaucoup plu aussi. Quand ils sont rentrés à la maison, il l’a mis en musique en très peu de temps. Mikel Laboa a présenté pour la première fois la chanson au théâtre Astoria de Saint-Sébastien. »

Voici ce qu’en dit son auteur dans un interview (source)

« J’avais 24-25 ans lorsque je l’ai écrit. Le thème de l’oiseau figure souvent dans nos vieux recueils de chants. Il m’avait semblé que l’on pouvait l’assimiler à l’image de la liberté. Ici apparaît le dilemme de la liberté de la personne proche que l’on souhaite posséder. Mais la liberté de ces personnes existe… il faut choisir . Ou vous attachez la personne et vous la possédez comme un oiseau en cage, ou vous aimez la personne telle qu’elle est, et alors, si elle souhaite partir, vous devez la laisser partir. C’est pour cela que je n’ai jamais possédé d’oiseau en cage. Je leur jette du pain par la fenêtre et s’ils viennent se nourrir, je les observe et je me contente de cette contemplation. Parce que c’est comme cela que je veux que les oiseaux soient… »

Un bel hommage a été rendu aux deux amis, décédés à dix ans d’intervalle, par Maialen Lujanbio.

Wikipédia recense 17 interprètes différents pour cette chanson, dont Joan Baez, qui l’a interprétée au Concert pour la Paix, aux arènes de Bilbao – certain-e-s se sont quelque peu amusé-e-s de sa prononciation! Totalement différente, la version d’Arraya : on passe du romantisme à la contestation forte… Un autre choeur d’hommes, Pyrénéens, Vaya con Dios, l’a reprise un peu dans le même sens. Car cette chanson a connu beaucoup d’avatars… Le mieux est de revenir à son co-créateur, Mikel Laboa. Une vidéo avec de belles images du pays et des sous-titres en espagnol, et une autre avec des photos de lui et des illustrations parlantes…

Mikel Laboa avait fondé le groupe culturel Ez Dok Amairu, dont la signification est « Il n’y a pas de treize » (pas de « malédiction ») – d’ailleurs, le chanteur avait l’habitude de numéroter ses albums, mais passe du 12 au 14…

Quelques membres de Ez Dok Amairu
Il n’y a pas de treize…

Souvenirs d’adolescence – 1 –

Des parents gaullistes excédés envoient leur ado révolutionnaire en RDA (en allemand, DDR) : « Tu vas voir ce que c’est, le communisme! »
Elle y va, elle y retourne, encore une fois… jusqu’à ce que la vie en décide autrement.

Un témoin de cette époque, son ami de l’époque, vient de réapparaître dans sa vie, bien, bien, bien longtemps après. Pas tout à fait « réapparaître », car il n’avait jamais disparu réellement, et elle avait notamment pensé à lui lors de la chute du mur de Berlin, puis l’avais cherché sur le net quand celui-ci a commencé à se densifier – en vain, son nom était si fréquent!, et l’avait trouvé, quelques temps auparavant, découvrant qu’il était devenu expert de littérature… française!

Et voici que lui-même s’est mis à la rechercher, et l’a contactée…

Réminiscences obligent, j’ai envie de partager ce matin quelques airs qu’il et elle aimaient écouter ensemble, parfois en compagnie d’autres jeunes, dont la jeune fille de la famille qui l’hébergea une année, ou Klaus, l’étudiant d’Erfurt…

Deux noms surgissent à sa mémoire, en premier : Ferrat et Reggiani. Des airs entendus et réentendus, chantés, des paroles connues par coeur… J’ignore pourquoi, ce ne sont que des airs sombres, tristes, effrayants… qui correspondent à l’ambiance morose de ce triste jour gris de confinement. Mais en même temps, qui évoquent des souvenirs d’affects forts, d’amour et d’amitié, de chaleur partagée, d’une interculturalité dont nous ne connaissions pas le nom. Je vous laisse imaginer 2, 3, 4 ou plus… selon les jours… adolescent-e-s allemand-e-s et une jeune Française – dont ils et elles adoraient se moquer de l’accent dans leur langue – discutant pendant des heures, échangeant leurs idées, refaisant le monde, se révoltant en permanence, et écoutant, chantant, fredonnant…

Jean Ferrat

1965-1966

Dé Ferrat, c’est Nuit et Brouillard qui vient en premier. Peut-être par écho à l’histoire et au quotidien de cette « Allemagne de l’Est » où mes ami-e-s vivaient si mal le manque de liberté et la pression des envahisseurs? Le film d’Alain Resnais était pourtant déjà ancien… Vous le savez sans doute, Nacht und Nebel est le nom de code des directives « Richtlinien für die Verfolgung von Straftaten gegen das Reich oder die Besatzungsmacht in den besetzten Gebieten » qui ont entraîné la déportation et l’extermination de toutes les personnes représentant « un danger pour la sécurité de l’armée allemande » (saboteurs, résistants, opposants ou réfractaires à la politique ou aux méthodes du Troisième Reich). Enfants nés pourtant bien après la fin de la guerre, c’était un groupe d’ados révoltés, qui portaient en eux les stigmates d’une histoire propre aux générations précédentes… Trois générations, pour trois guerres redoutables, chacune dans son style. Et des ados allemands et français, qui plus est, uni-e-s dans cette même haine de la dictature, de la stigmatisation, de la guerre et des violences.

Même symbole des combats qui étaient menés, tout au moins par les idées et dans les échanges, à ce moment, que la chanson Potemkine, et tout ce que véhiculait l’histoire de cette mutinerie mise en image par Eisenstein…

En particulier la haine contre les Soviétiques. Non pour l’idéologie de base, mais pour l’interprétation politique qui en avait été faite, et qui s’était traduite en invasions, ingérences, ou autres violences qui n’étaient pas que symboliques.

La troisième chanson écoutée quasiment en boucle était La Montagne. On ne parlait pas encore d’écologie, à cette époque, ou fort peu… Mais c’était une bande d’écologistes avant l’heure… Et la désertification des campagnes et montagnes les inquiétaient profondément. Et puis, écouter cette évocation des sommets, dans une chambre un peu sombre en plein mois de juillet, leur permettait de « respirer » l’air pur qu’elle insuffle à qui l’entend.

1964

Serge Reggiani

1965

Un autre chanteur apprécié du groupe d’ami-e-s était Serge Reggiani. 1965, c’est l’année où il interprète Le Déserteur. En bons antimilitaristes à tout crin, ils et elles ne pouvaient pas ne pas aimer cette chanson, mise en musique du poème de Boris Vian. La version de l’époque était précédée par la lecture du poème de Rimbaud, Le Dormeur du Val, qui en quelque sorte « introduisait » le second texte, en le contextualisant tout en montrant son universalité.

Album 2, 1967

L’année suivante, nouvelle attaque contre la guerre et ses ravages, cette fois au travers de « Les loups« . Les loups, qui ont tout de suite étaient vus comme des symboles de ces envahisseurs qu’étaient, en 1940… les Allemands… (alors que les paroles, signées Vitalie, parlaient de véritables loups qui avaient envahi Madrid). Cette chanson va devenir emblématique pour les soixante-huitards… jusqu’à ce que son titre soit repris, bien des années plus tard, par un philosophe français pour dénoncer l’élection du président actuel… Mais c’est une autre histoire…