De la crue aux bougies… une Chandeleur inattendue

Je ne sais pourquoi, mais je me suis toujours figurée que la Chandeleur était une fête païenne… Une partie de journée tout à fait inattendue, hier, m’a appris qu’il n’en était rien, et qu’elle correspondait à la présentation de l’Enfant Jésus au Temple… Un rituel social, donc, mais qui, pour les « croyants », correspond à la reconnaissance du Messie, au travers de la parole du vénérable Syméon.

Gerbrand van der Eeckhout (1672)

Mais comment en suis-je arrivée là, me direz-vous?

Tout simplement parce qu’il faisait doux hier, et qu’au milieu d’une journée de comptabilité – sous l’effet de la menace de suppression de mon autorisation, il y avait urgence! -, je suis allée voir si la Seine était bien cette vieille dame paresseuse qui était « sortie de son lit ». D’accord, j’emprunte cette image à l’équipe de Yann Barthès qui se moquait, hier soir, des chaînes d’informations qui avaient relayé des images catastrophiques de l’inondation alors qu’elle ne touche qu’une petite partie des berges.

Aux alentours des îles de mon quartier, il y avait bien inondation… Mais d’abord, une bonne surprise! La culture est de retour… Eh oui, un bouquiniste a ouvert son échoppe, et offre à mes yeux médusés une série de « Budé », cette collection qui a embelli ma jeunesse.

Je ne sais comment les habitant-e-s des péniches voisines peuvent aller les voir, car leurs passerelles sont devenues inutiles! Elles ressemblent à des rames mal coordonnées…

Côté rive droite, ce n’est pas mieux. Les péniches qui offrent l’été des terrasses si vivantes sont aujourd’hui menacées par la montée des eaux.

Les arbres des berges ont les pieds dans l’eau, et la pointe de l’île ne peut plus accueillir les musicien-ne-s ni les amoureux/euses. Le réverbère se transforme en balise…

Je poursuis mon chemin vers une église que je n’ai encore jamais visitée, bien qu’elle jouxte l’un de mes cafés-restaurants préférés, l’Ebouillanté, dont je vous ai déjà largement parlé, et la Maison des Compagnons du Devoir, où j’ai déjà déjeuné dans une ambiance conviviale, et que des apprentis m’ont fait visiter un jour. j’emprunte donc la pittoresque rue de l’Hôtel de Ville et débouche sur la Place de l’Orme, où des policiers sont en train de vérifier l’identité de porteurs et porteuses de banderolles (en ce moment, peu de jours sans manifestation dans la capitale!), au milieu d’un troupeau de camions de CRS. Hésitation… faire demi-tour pour fuir cette ambiance? Mais finalement, je décide de pénétrer dans l’église Saint Gervais Saint Protais.

Comme je n’ai pas pu photographier la façade en ces temps perturbés et par la météo et par la révolte grondante, j’emprunte cette photo à Wikipédia, pour que vous puissiez imaginer la taille de cette église.

Façade de l'église, vue l'ouest

A l’époque de la construction de la basilique qui l’a précédée (entre 387 et 576), on était plus malin qu’au XXème siècle, et on construisait à l’abri des inondations… ce qui explique l’emplacement de ce qui fut une église très fréquentée, d’abord par les commerçants et artisans des quartiers proches, puis par la haute bourgeoisie, avant de devenir l’église des offices d’une communauté religieuse.

Celles et ceux qui me suivent depuis longtemps connaissent mon penchant pour l’art romain. Mais il faut avouer que parfois le gothique « en jette » – pour reprendre une expression naguère vulgaire et aujourd’hui bien surannée… Toutefois, je ne vais pas vous saoûler avec l’histoire et l’architecture de l’édifice, que vous pourrez trouver sur le net – attention, il y a plusieurs églises dédiées à ces deux frères, en France, comme l’atteste la base Mérimée. Je vais plutôt vous livrer quelques impressions, non pas « soleil levant » mais méridiennes.

Un émerveillement d’abord. Devant les vitraux. Certes, ils sont très divers : époques gothique, Renaissance, et plus tardives. Vitraux transparents blancs, comme ce fut la mode à une période donnée (que je ne suis pas parvenue à identifier, mais non, ce ne sont pas les vitraux de Soulages à Conques…). Et des vitraux très modernes, aux magnifiques couleurs vives.

Il est impossible de « rendre » l’effet d’un vitrail par des photographies, et je le regrette. Car le vitrail est vivant. Il change, varie, se transforme, en jouant avec la lumière… c’est ce qui fait pour moi tout son attrait, dont je ne me lasse pas.
Le ciel était pourtant bien gris ce jour, comme vous avez pu le constater sur les photos de la Seine. Mais les vitraux donnaient un air un peu méditerranéen, faisant oublier la grisaille ambiante. Les bleus et les jaunes, notamment, sont superbes, avec une palette aussi étendue que les couleurs de la mer, du ciel et du soleil…

Un vitrail tranche parmi les autres, par la géométrie de ses formes, un peu rugueuses, et la violence du jaune, presque trop « resplendissant ».

Et cela s’explique par l’Histoire. Le jour du vendredi saint, des croyant-e-s étaient rassemblé-e-s dans l’église pour célébrer la mort du Christ. Soudain un obus toucha l’édifice, faisant plus de 100 victimes. Ce vitrail a été construit sur la symbolique de la Porte du Paradis, ouverte à celles et ceux qui trouvèrent la mort en pleine prière.

Un autre vitrail m’a profondément touchée. Ou plutôt, un détail de vitrail, plus ancien, celui-là.

Comme un écho à travers le temps…

La musique est omniprésente dans l’église. Bien sûr, en premier lieu par l’orgue des Couperin – qui demeuraient dans la maison jouxtant l’édifice, orgue qui donne lieu à de nombreux concerts… actuellement tous annulés. Mais c’est une autre espèce d’orgue qui a attiré mon regard, à la fois par sa forme et par sa décoration.

Ce qui m’a interpelée?

La forme, en premier lieu…

La mise en avant de quatre instruments, psaltère, cithare, harpe et… ? je ne suis pas parvenue à trouver le nom français du quatrième… un nouveau jeu pour vous!

A chacun est associé un « saint », dont le nom est écrit mais incompréhensible pour moi… j’ai cru voir « Aron »…

L’écriture d’un texte, en bas, en hébreu… et, d’une manière générale, l’impression d’influence orientale qui s’en dégage.

Et l’on retrouve celle-ci dans divers détails, dont par exemple les icônes qui encadrent l’accès au choeur et celle qui orne l’autel, ainsi que le menorah, le chandelier à 7 branches… A quoi est-elle due? Une hypothèse serait que l’église est fortement reliée à Jérusalem, par la communauté qui la fréquente. Et j’ai fait une nouvelle découverte: j’ignorais qu’il se créât encore des communautés religieuses.

« … c’est à Paris qu’est née la première fraternité de Jérusalem. (…) La genèse de cette première fondation citadine commence au… Sahara ! C’est là au milieu du désert de pierres de l’Assekrem que Frère Pierre-Marie a reçu cette intuition que le véritable désert est aujourd’hui dans les villes. Alors est né en lui ce désir de faire jaillir un oasis de prière au cœur de Paris, cette ville qui l’a déjà adopté depuis plusieurs années. Parallèlement, le Cardinal François Marty, alors archevêque de Paris, a lancé un appel pour que s’installent dans la capitale des moines pour l’an 2000. Ce désir et cet appel vont faire alliance dans une rencontre mémorable entre Frère Pierre-Marie et le Cardinal Marty. Le fameux « c’est d’accord » de ce dernier deviendra un ordre de mission pour cette première fraternité dite « de Saint-Gervais ». Celle-ci verra le jour avec douze frères pour les premières vêpres de la fête de Toussaint en 1975. » (source)

Et j’ai vu les moines et les moniales. Car trois messes sont célébrées chaque jour. Et l’une d’entre elles avait lieu en ce mardi de la Chandeleur, à midi et demie. J’ai donc eu le privilège d’assister à une belle cérémonie, à la fois simple et émouvante. Plusieurs officiants, une trentaine de religieux/euses en aube d’un blanc éclatant, dans le choeur. Et, dans la nef, une assemblée très diverse, contrairement à d’autres qui ressemblent à des Ehpad… Une quinquagénaire souriante a offert une bougie (avec une jolie corolle de papier blanc) à mon voisin, et l’a allumée. Une vieille Africaine est venue m’en apporter une, et a fait de même. Quelques minutes plus tard, tout le monde tenait en main une bougie avec flamme vive… Le choeur a été soudain éclairé par une lumière vive. Et la messe a commencé.

J’en retiens trois points saillants.

Les chants, purs, s’élevaient, conduits par une voix très cristalline, qui m’a rappelée l’héroïne d’une nouvelle écrite par un ami. J’ai regretté de ne pouvoir les enregistrer!

L’échange des regards, entre les « fidèles », dont j’ai appris plus tard par un ami pratiquant assidu qu’il remplaçait les poignées de mains souvent pratiquées. Mais ces « regards de paix » – pour reprendre le qualificatif du prêtre – prenaient en cette période cruelle un signification forte, et cela m’a beaucoup émue.

Et le fait que la communauté, contrairement aux autres, ne portait pas de masques. Comme une famille, en quelque sorte?

Si vous voulez avoir une idée de celle-ci, les Laudes sont retransmises sur You Tube. Voici la retransmission de celles d’aujourd’hui et d’une messe du dimanche, qui vous permettra de mieux comprendre (non, non, je ne fais pas de prosélytisme!)

Et, pour en finir avec cet épisode dont je pourrais parler plus longuement, un détail qui m’a frappée…

A la sortie de l’église, me voici à nouveau sur la place de l’Orme, en réalité Place Saint Gervais, ancien Carrefour de l’Orme.

Image illustrative de l’article Place Saint-Gervais (Paris)
Photo copiée sur Wikipedia

 » Il était autrefois un usage général de planter un orme, protégé par une chaîne, devant la grande porte des églises. Après la messe, on se réunissait à l’ombre de cet arbre, les juges y rendaient la justice et l’on y acquittait les rentes. Cet arbre, appelé « orme Saint-Gervais », était entretenu par la fabrique de Saint-Gervais, il servait également de point de rencontre et plusieurs peintures et gravures en gardent témoignage, ainsi que des représentations de cet orme sur les stalles à l’intérieur de l’église et sur des bâtiments voisins.

Ce carrefour est cité dans Le Dit des rues de Paris, de Guillot de Paris, sous le nom de « l’Ourmetiau », car à cette époque, vers 1300, l’orme était jeune1. »

« Vers 1790, l’arbre est arraché pour agrandir et débarrasser la place ; il servit à la construction d’affûts de canons. »

« L’orme actuel fut planté en 1935. »

Comme un panonceau explique l’historique de la place et indique que l’orme est représenté sur les façades de la rue qui longe le côté septentrional (gauche, sur cette photo) de l’église, me voici à la recherche de celui-ci… Il fallait le trouver! En réalité, il s’agit d’un motif de la ferronnerie des balcons.

Orme, détail d’une demeure de la rue François-Miron

Il ne me restait plus

qu’à longer les quais nus

traverser le pont chenu

sur la Seine toujours en crue…

2 commentaires sur “De la crue aux bougies… une Chandeleur inattendue

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