Dîner au Restaurant du Lycée Guillaume Tirel

Hier soir, découverte du restaurant d’application du Lycée Hôtelier Guillaume Tirel. Je devrais plutôt dire « d’un restaurant », car il y a plusieurs salles et plusieurs types de restauration dans cet établissement qui compte aux alentours de 500 élèves. Il faut y ajouter un hôtel dont les tarifs, comme dans tous les hôtels d’application, font rêver, en plein Paris : de 74 à 110 euros la chambre, de la « classique » à la « prestige ».

Trois restaurants, disais-je : Astérie, type gastronomique; Côté Jardin, cuisine de saison; enfin, Orée, brasserie. C’est dans le premier que je vous emmène… Une vaste salle aux immenses baies vitrées.

Ces baies caractérisent d’ailleurs le lycée lorsqu’on le voit depuis le Boulevard Raspail.

Des tables rondes essentiellement, de tailles diverses, recouvertes de nappes blanches. De beaux couverts argentés. Une armée de jeunes gens et jeunes filles impeccablement coiffé-e-s et revêtu-e-s de costumes ou tailleurs noirs et chemises/chemisiers blancs. En discutant avec elles et eux, j’apprendrai que ce sont des élèves en seconde année de BTS. L’un veut ouvrir son propre restaurant « classe », l’autre souhaite intégrer l’équipe d’un grand restaurant gastronomique… Les ambitions varient, mais on les sent très volontaires…

Des dessertes vont et viennent dans la salle tout au long de la soirée, avec des réchauds destinés à flamber les plats.

Car deux d’entre eux le seront.
Amuse-bouche : du jambon de Bayonne finement découpé et roulé, avec du pain bis.

Pour l’entrée, ce soir-là, des huîtres. Je découvrirai en les goûtant qu’il s’agit de fines de clair. Puis un canard au poivre, flambé sous nos yeux, avec des pommes de terre cuites à point.

C’est le seul point faible du repas : l’ensemble est servi un peu tiède. Sans doute parce que la découpe a été plus longue que prévue? Enfin, des pruneaux, eux aussi flambés, avec une boule de délicate glace à l’Armagnac.

Le tout pour 25 euros, avec un service digne d’un grand restaurant. Quant aux vins, leurs prix sont très abordables.

Beaucoup de tables sont occupées par des petits groupes, de type OVS ou Quintonic. Mais d’autres accueillent des convives dont on sent qu’ils ou elles sont des habitué-e-s. L’ambiance est à la fois calme, côté client-e-s, et ruche, côté service, avec un enseignant qui court de ci de là pour expliquer, conseiller, compléter, etc. Sa soirée a dû être épuisante!

Bien sûr, je me suis demandé qui était Guillaume Tirel. On le connaît davantage sous le nom de Taillevent. Le voici, entre ses deux épouses.

« Taillevent fut enfant de cuisine de Jeanne d’Évreux, queux du roi de France Philippe de Valois et du duc de Normandie, premier queux et sergent d’armes de Charles V et premier écuyer de cuisine du roi. » (Wikipédia)

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b0/Jeanne_de_Bourgogne_et_Jean_de_Vignay.jpg
Jeanne de Bourgogne, petite-fille de Saint-Louis, épouse de Philippe VI de Valois, dite Jeanne la Boiteuse

Nous avons du mal à imaginer un cuisinier sergent ou écuyer, n’est-ce pas? Mais à l’époque, les cuisines étaient peuplées d’officiers… Erreur, pas « à l’époque »… C’est encore le cas maintenant. Dans les fiches RNCP, j’ai découvert le « plongeur officier de cuisine ». Définition? « Personnel chargé de la cuisine et du service de la table, dans une grande maison. Hauts officiers; bas officiers; officiers commensaux. » (CNRTL)

Guillaume Tirel est né vers 1310 à Pont-Audemer.

« Vers 18 ans, en 1328, Guillaume entre au service de la reine Jeanne la Boiteuse, femme de Philippe VI de Valois. Il y reçoit son premier poste de responsabilités, qu’il remplit avec succès puisque le roi l’engage et le nomme queux (de coquus, cuisinier, en latin). Tirel décide de se marier. Il jette son dévolu sur une orpheline dotée, Jeanne Bonard, dont il réclame aussitôt l’héritage. La France est alors sous la double menace des Anglais et de la peste noire.« 

Pas bien édifiant, cela! Mais poursuivons…

« Après le décès de Philippe VI (en 1350), Taillevent rejoint l’hôtel du Dauphin, le futur Charles V. D’entrée de jeu, les deux hommes – qu’une génération à peu près sépare – s’apprécient. Le Dauphin fait anoblir son «aimé queux», l’honore de missions tantôt militaires, tantôt diplomatiques. L’écuyer Tirel, qui troque constamment le tablier contre l’armure, s’en tire avec honneur. Il est vrai qu’en ces temps troublés un cuisinier qui ne manie pas également l’épée et la cuillère n’a aucun avenir. Lors des « compressions de personnel » inaugurées sous l’éphémère dictature d’Étienne Marcel (1357-1358), plusieurs queux sont mis à pied. Peut-être étaient-ils plus à l’aise aux fourneaux qu’au feu ? Quant au valeureux Taillevent, il reste non seulement en place, mais il voit ses gages augmentés. »

Charles V le Sage
Charles V dit « Le Sage » (1338-1380)

Bref, il échappe aux conséquences de la restructuration… et se voit même promu…

« En 1364 Charles monte sur le trône et place d’emblée son règne sous le signe de la paix. Notre preux cuisinier met avec soulagement sa cotte de mailles au rancart. Il ressent toutefois le besoin d’une diversion, qu’il trouve aussitôt en la personne d’Isabeau Le Chandelier. Amoureux et veuf, il épouse la belle, que l’on devine pourvue de plus de charmes que de fortune. Partagé entre le lit et le rôt, l’éternellement jeune Taillevent pratique avec un égal entrain l’art d’aimer et l’art de la table. Ces années sont les meilleures de sa vie : promu maître-queux, il orchestre des banquets somptueux où ses talents culinaires rivalisent avec ses dons d’architecte. Charles V est ravi et pousse son premier queux au dépassement.

Banquet donné lors de la venue de l’empereur. À gauche Charles IV, au centre Charles V, et à droite Wenceslas le roi de Rome. Grandes Chroniques de France, Fr.6465, fo 444 vo. (source)

Mais le roi sage meurt prématurément avant d’avoir pu couvrir Taillevent de la dignité suprême à laquelle aspire tout tourne-broche. Son fils Charles VI y pourvoit et nomme le maître-queux de son père écuyer de cuisine. Il lui confie, en outre, le gouvernement de sa cave.

Fichier:Charles VI of France.jpg — Wikipédia
Charles VI jeune (1368-1422)

Vers 1395 Taillevent expire à 85 ans – âge exceptionnel pour l’époque -, après une longue et brillante carrière.« 

Stèle, Eglise Saint Léger de Saint Germain en Laye (Source)

Vous avez maintenant compris pourquoi sa sépulture le montre en « militaire » et entouré de deux épouses. D’un côté, la riche orpheline épousée par intérêt. De l’autre, la belle (et plus jeune?) dame épousée par amour… En tout cas, retenons qu’il fut cuisinier de Philippe de Valois et de Charles Quint.
On lui a (il s’est?) attribué « Le Viandier », alors que son ouvrage était le Plenusamoris.

Le Viandier", le plus vieux livre de recettes françaises au monde, est  toujours d'actualité

« Il est structuré selon un plan directement axé sur la technique culinaire et classé par types de plats : potages liants de chair ; rôts ; entremets ; potages liants sans chair ; recettes pour malades ; poissons d’eau douce, d’eau de mer, ronds, plats ; sauces bouillies et non bouillies ; recettes pour carême. »

Le Viandier de Taillevent - L'Auberge d'un hobbit

« Grâce à ce livre unique, l’apport exact de Tirel à l’art culinaire peut être déterminé. Le queux royal ne se borne pas à introduire en France la mode de l’aigre-doux2, originaire d’Italie. Il invente des combinaisons nouvelles et imagine de marier le vinaigre à l’hypocras (vin sucré et épicé). Tirel est également le promoteur de plats composés qui assemblent diverses chairs délicates dans une voluptueuse harmonie de saveurs. » (source, comme pour les textes précédents: L’Histoire)

Si vous avez envie de lire ‘Le Viandier de Taillevent », deux solutions : consulter l’original ou ses copies à la Bibliothèque Nationale, ou vous procurer une édition plus moderne, car il en existe plusieurs. Avantage dans ce cas : une langue plus facile à comprendre! Vous pouvez aussi le lire en ligne sur Gallica.

Mais revenons en ce soir de janvier… Avant ou après le repas, je vous conseille un verre au café situé de l’autre côté du carrefour… Mais c’est une autre histoire, celle du Lithographe…

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