Une journée de rencontres. Episode 3 : le Musée Cernuschi

Je vous ai déjà narré l’exposition et la démonstration vues dans ce musée. Je ne vous en dirai pas beaucoup plus, mais ne voulais pas le « quitter » sans avoir parlé du peu de collections permanentes que j’y ai vue, et qui m’ont donné envie de le découvrir davantage lorsque les travaux seront finis. En effet, ne sont ouvertes actuellement que les salles consacrées à l’Antiquité. Heureusement, les couloirs et escaliers offrent des espaces où l’on peut admirer de belles pièces. Mais faisons d’abord connaissance avec l’Hôte de ces lieux. Il y a deux ans, l’on pouvait fêter le deux centième anniversaire de la naissance, à Milan, d’Enrico Cernuschi.

S’étant souvent révolté contre les politiques de l’époque, il en vint à voyager de par le monde, et réunit une collection énorme d’objets, notamment du Japon et de Chine. Pour les abriter, il se fit construire la vaste demeure qui est devenue Musée, par suite du don qu’il en fit à la Ville de Paris, à la seule condition que ce Musée portât son nom francisé lorsqu’il fut naturalisé Français après la guerre de 70.

Les récits de l’époque montrent que sa demeure était déjà une sorte de musée, dans lequel étaient donnés les bals costumés qu’adorait le banquier.

Joli brûle-parfum, n’est-ce pas? Mais pas aisé à placer chez soi!

La verrière centrale est de toute beauté, véritable puits de lumière. J’ai tenté de la photographier…

La vitrine au fond comporte une collection de théières et de pots à eau chaude.


Comme je le disais, beaucoup de pièces sont fermées. Mais on peut avoir une idée de la mise en scène dès la première (section Antiquité).

Superbes poteries, donc. Et j’ai aussi admiré de nombreux objets datant d’un millier d’années avant JC. Parmi ceux-ci, je vous laisse deviner ce qu’est celui-ci. Je vous donnerai la réponse dans un prochain article, sauf si l’un-e d’entre vous la donne par commentaire, ce qui serait pour moi une très agréable surprise…

Une belle surprise, j’en eus une : ce fut une des rencontres que je vous avais annoncées en début de semaine. Dans la queue morose qui attendait pour entrer voir la démonstration de calligraphie, il y avait trois femmes dont l’attitude tranchait. Elles bavardaient gaiement, prenant visiblement cette longue attente de manière positive. Durant la démonstration, l’une d’entre elles engagea la conversation, durant les pauses. Ses réparties étaient justes, drôles, et elle irradiait la Vie. Nous nous dîmes « au revoir » à la fin. Mais, une fois sortie, je les retrouvai devant le Musée, et nous engageâmes la conversation. Elles se demandaient notamment où trouver le papier hanji, et je leur parlai de mes magasins de fourniture beaux-arts, Sennelier et… impossible alors de retrouver le nom du second (Adam, pourtant, j’aurais pu m’en souvenir!). Je leur promis de le leur envoyer (ce que je fis, après avoir vérifié qu’il en avait bien, notamment au magasin de Montmartre). C’est ainsi que furent échangées nos coordonnées et que s’initia une relation dont j’espère qu’elle va durer. En particulier parce que deux d’entre elles font du théâtre amateur, et que j’aimerais les voir jouer. Depuis, j’ai appris qu’elles partaient faire un trek au Maroc, pays où j’ai longtemps vécu, et j’ai hâte d’avoir leur récit… Une très belle rencontre de personnes aussi assoiffées de découverte et de partage que moi!

Une journée de rencontres. Episode 2 : l’encre en mouvements

Cet article fait suite au précédent, puisque nous allons retrouver 4 des personnes qui y étaient évoquées.
Mais avant d’en venir à elles, je souhaite vous faire partager tout l’intérêt que j’ai pris à la visite de l’exposition « L’encre en mouvement » qui se déroule actuellement au Musée Cernuschi.

Une chance incroyable! Une place de parking juste en face de l’entrée du musée! Dirigeons-nous donc vers lui…

Certains titres d’expositions sont un peu trompeurs, voire « propagandistes »… Ce n’est pas le cas ici. Et le terme « mouvement » est aussi riche que les perspectives qu’il permet. Vous remarquerez que, dans le titre, j’ai ajouté un « s », pour marquer la pluralité de ces dynamiques. Mouvements artistiques. Mouvements sociétaux. Et mouvements de la main des calligraphes… Tout est présent dans cette exposition qui explique bien comment les calligraphes asiatiques ont investi un art traditionnel et assez strict, s’en sont emparés, et l’ont adapté à leur créativité. Bref, une belle synergie entre passé et présent, entre tradition et création, entre culture et individualité…

Je ne peux pas vous montrer tout ce que j’y ai découvert, bien sûr, mais je peux vous présenter un petit florilège, avec encore toutes mes excuses pour la mauvaise qualité des photos. Elles n’ont ici comme prétention que celle d’un « reportage », pas d’une valeur artistique autre que celle de l’oeuvre photographiée.

Vous l’aurez deviné, c’est un ordre chronologique qui a été adopté pour la scénographie de cette exposition, qui présente des artistes du 20ème au 21ème siècle. Elle commence par la calligraphie au sens premier du terme (la « belle écriture »).

Mais qui était la Dame Qiao? Suis allée chercher sur le net… Merci Wikipédia!

« Da Qiao (entre 175 et 186 – entre 220 et 229) fut une épouse du seigneur de guerre chinois Sun Ce ainsi que la fille de Qiao Xuan lors de la fin de la dynastie Han en Chine antique.« Da Qiao (entre 175 et 186 – entre 220 et 229) fut une épouse du seigneur de guerre chinois Sun Ce ainsi que la fille de Qiao Xuan lors de la fin de la dynastie Han en Chine antique.

On raconte qu’elle était, avec sa petite sœur Xiao Qiao, la plus belle dame du royaume de Wu. On disait que la beauté de Da Qiao faisait tourner la tête à la Lune et même rougir la plus belle des fleurs.

Elle eut une fille avec Sun Ce, Sunshi, qui se maria avec le célèbre général Lu Xun du royaume de Wu, et qui eut pour enfant Lu Kang.« 

Mais l’encre ne sert pas qu’à « écrire ». Et, dans la plupart des oeuvres présentées, « écriture » et « peinture » se complètent. Les guillemets traduisent toutes mes réserves sur la distinction entre les deux, je pense que vous me comprenez… et comprendrez encore mieux en voyant les quelques oeuvres ci-dessous. Comme je n’ai pas l’intention de reproduire l’exposition ni de faire oeuvre de pédagogue, je ne vous présenterai pas les artistes concernés. Mais je pourrai répondre à vos questions, si vous le souhaitez.

La première oeuvre (Wang Zhen, 1922) représente le moine bouddhiste Huaisu, qui vécut au 8ème siècle. Ce célèbre calligraphe chinois aurait planté des bananiers autour de son ermitage pour pouvoir utiliser leurs feuilles comme support d’écriture.

Ce sont donc d’abord des caractères seuls qui sont présentés, puis on découvre comment ils viennent « compléter » (mais lesquels complètent les autres?) des « peintures » figuratives, plus ou moins esquissées, plus ou moins détaillées.

Plus on avance dans le temps, plus on a l’impression que les caractères s’effacent. Ainsi, la découverte des peuples de l’ouest, lorsque les artistes ont fui Pékin, a poussé certains à reproduire ce qui les étonnait.

Puis vint l’époque où les peintres s’intéressèrent aux nus. Telle cette artiste, Pan Yuliang (1895-1977) dans cette oeuvre intitulée « Nu assis au qipao rouge ». Un qipao, c’est une robe longue et ample, qui était autrefois de mise à la cour des Mandchous, avant de se rétrécir, se répandre et se populariser dans les années 1920.

Nous en arrivons à la naissance de l’abstraction, et aux artistes dont certains ont connu une renommée internationale. Je ne citerai que Zao Wou Ki, dont j’ai déjà parlé dans ce blog. Il ne pouvait être absent de cette exposition, bien sûr.

Dans la même salle, j’ai cru reconnaître Soulages, à ma grande surprise… Que faisait-il là? Mais non, ce n’était pas lui, mais un artiste chinois. Avouez que la méprise est explicable?

L’exposition se termine par des oeuvres récentes, dont celles-ci, que j’ai appréciées parce que, selon moi, elles poursuivent la tradition tout en innovant, dans des « styles » très différents.

Le chant de la Terre

Je dois avouer que parfois je suis complètement stupide… Ceci en est un exemple. J’avais envie de voir un spectacle de danse… Et l’affiche du Châtelet m’a inspirée… Places prises. Trajet vers le théâtre difficile en ce jour de grève. Mais m’y voici. Ravie, car je ne suis jamais retournée en ces lieux depuis… Hair, version initiale, vue du poulailler car, en tant qu’étudiante, je n’avais pas assez pour me payer autre chose. Et encore, c’était une folie!

Cette fois, fauteuil d’orchestre. Scène noire. Fumerolles. Empilement de branchages comme pour un feu.

Un homme, tout de noir vêtu, arrive sur scène. Et commence à chanter. En allemand, bien sûr, puisque c’est une oeuvre de Mahler. Malheureusement, traduite en français et en anglais sur des écrans bien visibles. Pourquoi « malheureusement »? Parce que cela distrait, d’abord. Mais c’est toujours le cas. Ce qui est plus rare, c’est de constater autant de divergences entre les deux traductions. Au point que, parfois, il n’y avait presque aucun rapport entre les deux phrases. Et pire : aucune ne traduisait vraiment les paroles en langue germanique (que je comprends vaguement).

La première moitié du spectacle m’a laissée peu enthousiaste. Je n’ai pas aimé les deux grands rideaux qui s’abaissaient et se levaient. Aucune esthétique, et cela me gênait. J’ai eu du mal à comprendre l’enchaînement des lieder, n’y trouvant aucune logique.

Par contre, la voix de la chanteuse m’a entraînée dans des émotions puissantes et des songes prenants. D’autant que cela s’accompagnait de déplacements gracieux sur la scène, dont le noir désormais jouait avec le blanc trouble des fumerolles ou le blanc pur de flocons de neige artificielle. Pas une danse. Mais presque…

Christina Daleska (alto) et Maximilian Schmitt (tenor)

Les recherches que j’ai effectuées concernant la chanteuse m’ont amenée à me questionner : pour certains, elle est « alto », pour d’autres, « soprano », voire « mezzo-soprano ». Je ne suis pas parvenue à y voir plus clair, mais les extraits écoutés sur Internet font entendre effectivement une variété de tessiture.

Au centre, le chef d’orchestre Emilio Pomarico, qui dirigeait l’ensemble Klangforum Wien

Avec toute l’équipe du spectacle

Le spectacle n’est pas en ligne à l’heure où j’écris ces mots, mais vous pourrez en entendre une autre version sur ce site ou une version plus ancienne sur celui-ci. Pour comprendre l’oeuvre, voici une explication claire et intéressante de celle que l’on considère comme l’oeuvre testamentaire de Gustav Mahler, avec un entretien de Reinhert de Leeuw, qui a composé la version musique de chambre de l’oeuvre, quelques jours avant sa mort, mais qui survivra « éternellement » comme son prédécesseur, grâce à cette oeuvre sublimant la mort…

« Ewig… Ewig.. »

« « Ewig » (« pour toujours ») qui est  répété plusieurs fois, est une sorte de mantra, accompagné d’accords soutenus par l’orchestre, qui comprend la mandoline,  les  harpes et le célesta. L’accord final, disait Benjamin Britten, laisse une impression désespérée de déchirement où la musique se perd dans le silence. »

Une autre explication, écrite celle-ci, met en lien l’oeuvre avec les poèmes chinois qui l’ont inspirée. J’y ai découvert que ce que j’avais préféré est le sixième morceau, « Der Abschied » (« Le Départ »).

FROM IN

Des rangées de personnes encapuchonnées dans des plastiques transparents, restant assises malgré une pluie battante… Que font-ils ou elles? Pourquoi rester ainsi stoïques sous la fraîcheur de la pluie? Pourquoi ne pas aller se mettre à l’abri sous le portique voisin? Et que regardent-elles pour demeurer immobiles, figées, captivées?

Une vaste scène, au sol partiellement mouillé…

Et, sur cette scène, des corps qui virevoltent, s’entremêlent, jouent l’un de l’autre, l’un sur et sous l’autre, s’enlacent et se délacent…

J’ai vu beaucoup de spectacles de danse, mais celui-ci surpasse de loin les autres en grâce et en souplesse. A se demander s’il y a un squelette dans chacun de ces corps. Ou si ce sont des ectoplasmes qui offrent aux regards une danse de vie. A la limite de l’érotisme, parfois, mais d’un érotisme pur.

Les corps glissent sur le sol sombre. Les tissus aux nuances de blanc et de gris amplifient les mouvements gracieux. La violence est contenue mais transparaît parfois, comme s’il était nécessaire de rappeler que l’Amour est violent, que la Passion est dévastatrice, que l’Autre Aimant peut aussi détruire…

Si ma route croise à nouveau celle de cette troupe, je ne manquerai pas de retourner la voir… Au fait, j’en ai oublié de vous donner son nom, pour que vous puissiez faire de même si vous voulez partager un moment de pur bonheur : Xie Xin Dance Theater. Je n’ai pas trouvé leur site, mais une vidéo est accessible ici.