Un dimanche après-midi radiophonique…

En revenant de week-end, j’écoute toujours France Musique, car je reste étonnée de la conversation quasi-surréaliste pour moi entre les expert-e-s musicaux/ales, qui commentent des interprétations différentes d’un même air. Aujourd’hui, il s’agissait de quelques Polonaises de Chopin.

Frédéric Chopin / d'après le portrait de P. Schick (1873) | Gallica

Le ton sentencieux, les débats derrière une entente cordiale, les coups bas au-delà de l’apparente courtoisie, le jargon utilisé sans souci de la compréhension possible par les auditeur-e-s… tout cela me laisse pantoise. Le tout pendant une heure et demie… de quoi faire Le Tréport-Beauvais, en admirant au passage la superbe vallée de la Bresle. C’est finalement Rubinstein qui l’a emporté, malgré des dissensions évidentes autour des 5 autres pianistes (pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas cette émission, codés par des lettres, de A à F. Premier morceau : deux éliminés. Deuxième : un éliminé. Restent en lice 3 interprètes pour le dernier morceau, en l’occurrence l’Opus 53, connu sous le nom d’Héroïque.

Un podium où l’on ne retient que la médaille d’or, en quelque sorte. Je ne sais pas si c’est exactement cette version, mais j’ai trouvé pour vous en ligne ce film, où on le voit jouer en personne…

Pour finir le trajet, en entrant dans la banlieue parisienne, je me suis redirigée sur France Inter car j’avais entendu le programme : c’est Claude Lelouch qui était l’invité dans l’émission Hors Piste, à l’occasion de la sortie de son nouveau film « L’Amour, c’est mieux que la vie ».

Plusieurs surprises à l’écoute de cette émission. Mais je dois d’abord dire que, si j’aime des films de Lelouch, je ne le connais pas spécialement en tant qu’homme. J’ai apprécié sa sincérité. Il ne cherche pas à frimer, visiblement. Et semble extrêmement émotif. Une première surprise : les hommes qu’il a déclaré admirer. Dans l’ordre où ils ont été cités : Bernard Tapie, Jean-Paul Bnelmondo, Johnny Hallyday, et… Dupond-Moretti, dont j’ai appris à cette occasion qu’il avait joué un procureur dans ce film :

Soudain, un chanteur. Une affreuse chanson, totalement « has been », une voix comme je ne les aime pas… surprise, à nouveau : c’est… Tapie… Vous pouvez le voir ici, chantant « Réussir sa vie » (le titre vous étonne?). De lui, Lelouch dit « Il était sincère, quand il trichait ».

Autre surprise, belle, celle-ci : une chanson interprétée par Jean Gabin, une chanson qui me parle : « Je sais ». Si vous avez un moment, écoutez-la… , ici par exemple. Je ne l’ai malheureusement pas en film authentique…

Une autre encore : 7 enfants (de plusieurs femmes), dont chacun-e porte un prénom commençant pas un S : Salomé, Stella, Simon, Sarah, Sachka, Shaya et Sabaya. En l’honneur de son père Simon… et d’ajouter que les mères n’avaient pas le choix…

Enfin, la dernière : dans la chanson célèbre du film Un homme et une femme, ce n’est pas « Chabadabada », mais « dabadabada », qui a été inventé au départ pour combler les vides des paroles non encore écrites, puis gardé pour laisser, dit-il, à chacun et chacune la possibilité d’imaginer sa propre histoire. Je vous ai proposé la version avec film, mais la véritable version de la chanson, la voici, sur une archive de l’INA.

Quelques phrases de l’entretien…

« La seule chose qui nous appartienne, c’est le présent ».

« La mort est une récompense, c’est une promotion… je crois beaucoup au recyclage, au recyclage des âmes… On a tous les qualités de nos défauts… »

Petite parenthèse : une déception après l’émission, car il n’a pas inventé cette expression. Elle court sur le net, sans que j’aie pu comprendre qui l’avait initiée…

« Je crois que si je crois en Dieu, c’est parce que j’ai beaucoup observé le monde ».

Enfin, l’épitaphe qu’il souhaiterait sur sa tombe : « A suivre »

Hommage

En cette journée du 23 novembre – jour de son anniversaire -, j’espère que vous ne m’en voudrez pas de rendre hommage à mon frère disparu.

En effet, je viens de trouver une archive de l’INA où on le voit jouer sur scène, avec son orchestre, l’oeuvre qu’il a composée pour Roland Petit, le Mariage du Ciel et de l’Enfer.

Vous trouverez ici cet extrait.

J’avais vu une représentation de ce ballet à l’Opéra de Marseille, en 1985…

Obsolescence non programmée

Il est des mots comme des hommes : certains deviennent grabataires. Ils ne sont pas comme les objets techniques actuelles : leur obsolescence n’est pas programmée. Non, elle survient sans que l’on ne sache comment ni pourquoi. Ils ne sont plus exploités, utilisés, modifiés, ils n’évoluent plus. Pire, ils tendent à disparaître de notre belle langue. On pourrait penser : « Normal, il en est d’autres qui ont la même signification ». Mais non. Pas toujours. Celui dont j’ai envie de vous parler ce matin est de ceux qui n’ont pas vraiment de synonymes. On pourrait faire remarquer : « Normal, il est trop difficile à écrire » ou encore « à prononcer » ou encore « à mémoriser ». Mais non. L’objet de cet article est simple. A écrire, prononcer et mémoriser. Alors, pourquoi est-il enterré vivant ?

Hier soir, dans une conversation anodine avec mes convives, il a surgi au détour d’une phrase, prononcé par un ami qui aime les belles-lettres (encore une expression grabataire!). « Ingambe ».

Je l’ai aussitôt repris. Avec délectation. « Ingambe ».

Et j’ai vu renaître des « vieillards » d’autrefois, de naguère comme de jadis. Gambadants, allègres, par monts et par vaux. Vous vous souvenez de Georges Hautecourt dans Les Aristochats ?

Qui, soit dit en passant, me fait penser à Voltaire… Etait-il ingambe, notre cher François-Marie ? En tout cas, Jean-Baptiste Pigalle y a pensé avant moi…

Voltaire nu ou le Vieillard Idéal, Pigalle

Bien sûr, on en arrive à ce petit village breton, vous savez, celui qui osa résister au grand César? Et à l’un de ses habitants, plus ingambe que quiconque…

Pas de femmes ingambes? Mais si, j’en ai trouvé! Dans l’article « Funambules » de l’Encyclopedia Universalis. Il y est question d’une funambule qui se produisait encore à 80 ans. Elle dansait sur la corde, cette Madame Saqué!

Ce mot fait la nique à l’âgisme!

Vous ne vous en souvenez pas, vous non plus? Mais si… faites un effort. « Gambadant », vous avez compris ? Et vous connaissez « in », le contraire de « out »… Vous avez même peut-être utilisé le joli terme « gambettes »… ou l’expression plus rare « être en jambes »… Voilà. Vous y êtes! Allons le chercher chez un autre vieux coproduit par une bande de vieux…

Tout en bas, à gauche, sur cette page du Dictionnaire de l’Académie Française

Si vous ne parvenez pas à lire, je recopie pour vous :  » Léger, dispo, alerte. Il n’est que du styke familier« . Allons donc, moi qui le trouvait plutôt aristocratique, le voici réduit au rang de vulgaire!

La dernière attestation que j’en ai trouvée, lors de mes premières recherches sur le net, se trouve dans une oeuvre littéraire est due à… un Américain. Certes, parfaitement bilingue, puisqu’il devint le premier membre étranger de l’Académie Française, après avoir refusé l’offre de Pompidou de lui attribuer la nationalité française : Julian Hartridge Green, dans son oeuvre « fleuve », son Journal (19 volumes, Roger Martin du Gard est largement distancié!), l’utilise pour décrire la démarche d’un de ses personnages.

« Je regarde marcher la vieille. Elle est intéressante; elle ne titube pas, au contraire, elle danse un peu, elle est ingambe, c’est une alerte pocharde » (Green, Journal,1948, p. 219).

Mais, depuis, j’en ai découvert une plus récente. La citation de ce terme est aussi le fait d’un étranger d’origine. Jorge Semprun, dans son oeuvre « Exercices de survie« . Au fait, la connaissez-vous? Voici un extrait de la quatrième de couverture.

« J’étais dans la pénombre lambrissée, discrètement propice, du bar du Lutetia, quasiment désert. Mais ce n’était pas l’heure ; je veux dire, l’heure d’y être en foule, l’heure d’y être attendu ou d’y attendre quelqu’un. D’ailleurs, je n’attendais personne. J’y étais entré pour évoquer à l’aise quelques fantômes du passé. Dont le mien, probablement : jeune fantôme disponible du vieil écrivain que j’étais devenu.
J’avais tout juste le désir d’éprouver mon existence, de la mettre à l’épreuve

Jorge Semprun Mora est espagnol, lui. Après l’Américain, voici un Espagnol qui remet sur pied notre grabataire.

 » D’abord, tous les Polonais rassemblés étaient jeunes, ingambes, apparemment en bonne santé. Les chefs de la communauté polonaise avaient abandonné derrière eux les vieillards, les malades, les naufragés. — (Jorge Semprún, Exercices de survie, 2012, p. 120) »

Je vous laisse la parole, si vous trouvez plus récent. Et vous propose un défi : faire revivre le mot. Si vous l’employez, le prononcez, l’écrivez, le diffusez sur les réseaux sociaux, revivra-t-il? Retrouvera-t-il sa place, « in gambe« , « sur ses jambes »?

Lorsque j’entendis ce mot, je pensai immédiatement à un instrument dont le nom m’a souvent interpellée : « viole de gambe ». Mais quel rapport entre les deux? Et d’abord, y a-t-il un rapport?

Eh oui, il en est un : la « viola da gamba » se différencie de la « viola da bracchio », tout simplement parce qu’elle se pose sur un genou ou entre les genoux, donc contre la ou les jambes, alors que la seconde se tient « à bras ». Regardez le tableau de Mathias Grünewald (vous savez, celui pour qui Paul Hindemith composa une symphonie en 1934 – j’y reviendrai peut-être un jour, car l’oeuvre a fait couler beaucoup d’encre)… on boucle en revenant à la musique! car notez que le tableau est présenté en fond de la page). Au premier rang, elle est « da gamba ». Au deuxième, « da braccio »…

Image illustrative de l’article Viola da braccio
Extrait du retable d’Issenheim, Mathias Grünewald

… et si vous voulez en savoir davantage sur cet instrument, suivez les explications de Myriam Rignol, violiste de l’un de mes ensembles préférés, les Arts Florissants.

Joueuse de viole de gambe, Bernardo Strozzi (source)

Julia Fischer

Certain-e-s m’ont reproché de rédiger en ce moment des articles trop longs… Celui-ci sera donc très bref.

Juste l’envie de vous faire découvrir ou réentendre une violoniste que j’apprécie beaucoup : Julia Fischer.

D’abord, parce que j’apprécie beaucoup son jeu, à la fois sincère, dynamique et engagé. Bref, vivant.
Une semaine lui a été consacrée par Emilie Munera et Rodolphe Bruneau-Boulmier sur France Musique, au mois de janvier dernier. Vous pourrez donc vous y délecter d’informations sur elle et d’écoute de divers morceaux.

Vous trouverez aussi beaucoup d’interprétations de pièces très variées sur Spotify ou d’autres applications.

Mais il y a une autre raison : l’artiste partage sa passion pour la musique et le violon sous forme d’un « club » qu’elle a créé sur le net. Certes, c’est payant : 5 euros par mois ou 50 euros par an. Mais c’est tellement riche, que cela en vaut la peine. Et peut-être un modèle économique qui permettrait aux musicien-ne-s de « survivre » en période de crise comme celle que nous vivons… et, vu le nombre d’oeuvres que l’on peut écouter… franchement, ça vaut la peine!

« Dès l’âge de 3 ans, d’abord au piano puis au violon, je me suis sentie musicienne, avec toutes les responsabilités que cela implique. Cela vient peut-être de mon éducation. Ma mère pianiste, d’origine slovaque, mon père, mathématicien vivant en Allemagne de l’Est dans un pays communiste où l’art était une nécessité vitale. Je n’ai jamais eu peur de rien. Je crois que j’étais une gentille petite fille, mais avec un goût immodéré du risque. » (extrait d’un article du journal Le Monde).

A écouter sans modération…

Chants corses à Saint Louis en l’Ile

En ce sinistre dimanche de septembre, où Paris respire tellement bien qu’elle est pratiquement vidée de tous ses passant-e-s, sous un ciel de plomb, entre deux averses et parcourue par une bise glacée, l’idée d’aller voir un concert a été partagée par un certain nombre de personnes, à en juger par la quantité de spectateurs/trices en l’église Saint Louis… J’étais de ce nombre, pour entendre l’ensemble Sarocchi que je ne connaissais que de nom.

Et je n’ai pas été déçue.

Une très grande variété, telle est l’expression qui me vient en tête en revivant ce concert.

Bien sûr, de la polyphonie. Chants sacrés, mais aussi chants profanes. J’ai particulièrement apprécié l’Ave Maris Stella pour les premiers… tout en appréciant l’Introït, le Kyrie Eleison, etc. Et j’en ai profité pour apprendre ce que sont les paghjelle. En voici une présentation sur un site qui répertorie 300 textes de paghjelle…

« La paghjella est une des formes du chant polyphonique traditionnel. C’est le chant de fête par excellence car on l’entonne durant toutes les manifestations festives (fêtes patronales, banquets, noces etc.) Ne pas confondre la paghjella avec d’autres formes de polyphonies qui s’en inspirent dans le style de chant comme les « Terzetti » ou « Terzine » (tercets hendécasyllabiques le plus souvent rédigés en toscan), les « madricali » (chants d’amour à métrique libre en toscan également) et surtout le chant religieux tiré de la liturgie romaine, la plupart du temps en latin parfois appelé « messa in paghjella » (messe en paghjella).
Il s’agit d’une poésie profane composée d’un sixtain d’octosyllabes, certains pensent qu’il s’agit plutôt de 3 vers de seize pieds. »

Mais aussi, des chants traditionnels ou plus « modernes »… Un sacré voyage dans les montagnes corses fleurant bon le thym sauvage… L’Alcudina du sud de la Corse, particulièrement… « L’enclume »… dont je connais surtout Bavella comme beaucoup de « continentaux »… ou les églises des villages, quand un prêtre dénonçait un vol d’instrument agraire en chantant… Ou encore dans les auberges, quand une aubergiste vilipendait l’arrivée du train qui menaçait son activité d’accueil des muletiers dont les chemins se croisaient à sa porte… Vous trouverez les paroles de A canzona di u trenu sur ce site, qui répertorie de nombreuses paroles de chansons traditionnelles. Le violon jadis présent dans le groupe a été remplacé par la contrebasse qui a eu bien du mal à essayer d’imiter le sifflet du train, pour la plus grande joie du public!

Une autre forme musicale typique : le lamento. Celui du berger, U lamentu di u pastore, interprété en solo par un jeune chanteur du groupe, Ghjuvan Petru Pieve. Ou encore celui du bandit d’honneur Ghjuan Camellu Nicolai, assassiné à 25 ans, dont j’ai trouvé une version datant de plus de cinquante ans ici.

« Je suis devenu bandit,

Un bandit à la fleur de l’âge,

Parce que le destin maudit

A frappé mon frère au village… »

Ecouter tout un concert de polyphonie est parfois un peu difficile… Mais permet d’en saisir toutes les facettes. La variété des pièces est un pari un peu risqué. Que j’ai trouvé pour ma part gagné. Car le public était conquis, comme je l’ai été. Les instruments aussi m’ont surprise.

La cetera était accompagnée d’instruments « classiques », mais aussi à un moment donné d’un instrument indien, shruti box…

Shruti box

Une autre originalité du groupe, dont les membres sont au nombre de 4, alors qu’habituellement une polyphonie corse concerne trois voix… (pour les membres du groupe, voir ici).

Démonstration du jeu de mora, en plein concert!

Et bravo au groupe, et à son fondateur qui a réussi ce pari, de faire rire avec le jeu de la mora, ou pleurer d’émotion à l’écoute de certains morceaux… jusqu’à l’hymne final, réunissant le public et les musiciens…

Point de tige

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s’est vestu de brouderie,
De soleil luyant, cler et beau.

    Il n’y a beste, ne oyseau,
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissié son manteau !

    Riviere, fontaine et ruisseau
Portent, en livree jolie,
Gouttes d’argent, d’orfaverie,
Chascun s’abille de nouveau :
Le temps a laissié son manteau !

Charles d’Orléans (1394-1465)

Plusieurs voix l’ont déclamé. Parmi celles-ci, j’ai retenu pour vous celle d’Alain Bashung. Le Trio Selima en fait une très belle interprétation musicale et vocale. Mais j’ai aussi apprécié, dans son authenticité, la chorale d’enfants / jeunes Les Evolènards. Enfin, on ne peut oublier l’oeuvre de Debussy, la première des 3 Chansons de France.

Primavera, Botticelli (autour de 1480)

Je sais que certain-e-s d’entre vous commencent à se lasser des articles tournant autour du tissu et du linge. Mais je ne pouvais terminer cette « série » de confinement sans aborder ce qui me permit une relation privilégiée avec une de mes grands-mères et une occupation durant mes maladies… la broderie…

Yuri Yakovlevitch Leman

Son apprentissage correspondait à un véritable parcours initiatique.
Au début était le petit canevas, sur lequel nous croisions les fils pour… le point de croix. Le canevas pouvait être vierge. Mais, le plus souvent, il représentait un animal ou un paysage, comme les fonds sur lesquels, petit-e-s, nous organisions les cubes pour représenter ce qui y figurait, et, plus tard, ceux qui guidaient l’assemblage de nos premiers puzzles. Il ne fallait pas se tromper, et croiser toujours dans le même ordre…

Comment résister à la magie des couleurs des échevettes?

A ma grande surprise, j’ai découvert hier en tête de gondole d’un supermarché… des écheveaux de fils et des canevas pour enfants… Occupation de confinement? Et je viens de découvrir, en faisant les recherches pour cet article, que la maison DMC, marque des fils de mon enfance, existe toujours… Elle date de 1746…

Un meuble à échevettes encore vendu actuellement sur le site de DMC

Je ne suis pas de ces générations de femmes qui ont appris à broder l’alphabet avec toutes sortes d’ornements, pour préparer leurs trousseaux ou ceux de leurs filles. Mais je possède encore nombre de draps, serviettes, mouchoirs qui offrent au regard les initiales familiales, depuis les RP des mes grands parents jusqu’aux miennes, en passant pas les HR de mes parents. Et voici peu, le jour de Pâques, la petite voisine a adoré la belle nappe brodée par ma grand-mère…

Et je viens aussi de découper la bordure à mes initiales d’un drap plus qu’usé dans sa quasi-totalité. J’ai jeté le reste, mais gardé « pieusement » le motif brodé.

Mme Arthur peinte par Odilon Redon (1901)

Ah! Le point de tige! Je ne sais pourquoi, mais il m’emballait – beaucoup plus que le point de chaînette, allez savoir pourquoi… Et, lorsqu’à 14 ans j’ai fait une longue maladie, dite « du baiser » (si, si!), c’est ce point qui m’a distraite. J’ai toujours, sagement enfermé dans un coffre, le long napperon brodé de fils colorés sur une toile écrue, au motif floral apuré mais aux couleurs trop vives, souvenir de mes souffrances et de l’apprentissage de la patience.

Après le point de croix, j’ai appris à ourler. Qu’est-ce que j’ai pu passer de temps à ourler des torchons faits à partir de draps anciens que ma grand-mère découpait! Et je détestais cela. je trouvais ces points en U affreux et le processus répétitif. Mais cela m’a permis aussi d’apprendre le point de tige.

Source

Le « tambour » me fascinait, mais je ne l’ai, pour ma part, jamais utilisé… Dommage!

La période de confinement se termine… Le blog va pouvoir progressivement reprendre ses thèmes plus ancrés dans la Vie quotidienne et les plaisirs qu’elle procure. Une dernière image pour clore ce chapitre…

Natasha Milashevich /Наталья Милашевич, 1967
Source

Accords parfaits et contrastes

En réponse au Relais musical, vient d’être posté un lien vers un morceau que je découvre. Et je ne résiste pas à l’envie de vous en parler immédiatement, tant il m’a enthousiasmée. Au sens premier du terme, relatif à la divinité.

Une voix étrange, pouvant atteindre des aigus extrêmes, en harmonie avec l’instrument à vent qui l’accompagne. Ceci pour la première partie, où intervient aussi une guitare électrique.

Le son du oud – vous vous souvenez, j’avais dit que nous y reviendrions sans doute ! c’est fait, et plus tôt que prévu! – jouant avec celui de la clarinette… et le musicien s’agenouillant devant l’autre. Ceci pour la seconde partie.

J’ai donc passé un moment d’envoûtement en écoutant Dhafer Youssef dans Soupir Eternel.

Evidemment, par la suite je suis allée voir quels autres morceaux avait joué ou chanté l’artiste. Il en est une liste assez longue sur You Tube. Le panel est important, mais la diversité est remarquable.

Un quatuor évocateur de la mer parfois, et devenant jazz à d’autres, dans un mouvement croissant de puissance, de rythme et de sonorités, avec Les Ondes orientales, en première partie instrumentale. Puis la voix, cette fois grave, qui entonne un air lent dont j’aimerais comprendre les paroles, pour passer ensuite à cet aigu si particulier, et revenir au grave et au rythme jazz. Quel contraste!

Très différent, ce morceau si émouvant : Fly Shadow Fly, où l’on retrouve cependant toute l’amplitude sonore de la voix. Mais le jazz et le oud reviennent, en seconde partie cette fois. A la fin, de nettes inspirations de la musique soufie, que j’aime tant… certains passages m’ont fait penser à Nusrat Fatih Ali Kahn, par moments.

Enfin, une pièce très prenante, Humankind, ou encore cette autre, Sweet Blasphemy.

Et pour finir, ce poème militant, dit par Mohamed Sghaïer Ouled Ahmed, accompagné par Dhafer Youssef et son orchestre, Cantus lamentus. J’en profite pour évoquer la mémoire de ce poète tunisien, décédé en 2016. Pour moi exemple d’un combattant contre toute forme d’oppression. Croyant réellement laïc, militant contre les pouvoirs non acceptables, et poète engagé… A découvrir si vous ne l’avez jamais vu/lu…

Je n’ai pas de problème

Je n’ai pas de problème

Tout chat que je vois seul errant

Je l’embrasse

Tu es mon fils le grand

Et m’en retourne

À ma solitude

Jamais 

Je n’ai de problème

Après dix bouteilles vertes

Dont je ferai les bases de ma cité parfaite

Et nommerai mon commensal à sa tête

Puis ma poésie dictera sa loi

Je ramènerai les soldats à leur devoir sentimental

Et m’en irai

À mon verre oublié

Je n’ai pas de problème

Quand je serai mort

Seuls auront marché derrière moi ma plume

Mes chaussures

Et le rêve des bourreaux

(…)

Je n’ai pas de problème

Quand les fleurs irritent mes poches

Je les dessine avec la plume

Et le drapeau

Et quand ce drapeau dénude mes fils

Je le déchire étoile par étoile

Tandis que je recouds leur nudité

Tandis que j’embrasse la terre sans nommer Dieu

Je n’ai pas de problème

Je n’ai pas de problème.

Traduit de l’arabe par Tahar Bekri. Source : L’Orient littéraire

Vous l’aurez compris, c’est plus que de la musique, c’est un univers à découvrir, écouter, encore et encore, si vous appréciez la rencontre musique dite orientale et jazz.

Post scriptum

Cela fait près de trois heures que j’écris cet article, et je ne me lasse pas d’écouter la grande variété des oeuvres interprétées par Dhafer Youssef… et j’ajoute encore un morceau, si vous permettez… Digital Prophecy

Contre l’absurdité, la musique…

Hier soir superbe lever de pleine lune sur le village et la forêt…

En quête de lune se levant à l’Orient…
Ah! Voici la coquine…

Et ce matin, le soleil brille sur la campagne picarde. Après avoir évoqué le rendez-vous raté cher à Trenet, je me suis mise à écouter une de mes « voix » préférées, celle d’Alfred Deller.

Je ne connaissais pas la pièce intitulée « Solitude », qui convient si bien à ces tristes moments… mais you Tube m’a proposé ensuite cet air que je veux partager avec vous, tant je le trouve beau : The Plaint from « The Faeries Queene« .

Melakoli, Edvard Münch (1894)

La musique, avec l’écriture, est ce qui m’aide à « tenir » pendant la durée interminable de cette privation de libertés et surtout de « société en présence ». Car la communication à distance, médiée par les TIC (un clin do’eil à Jorry et Eric…), ne remplace pas tout…

J’ai lancé dernièrement un « relais musical » sur une application que je me refusais à utiliser jusqu’au début du confinement, et je suis ravie de tout ce qui est proposé par les un-e-s et les autres. Mais comme le « jeu » consiste à ne rien dire des choix, je ne puis m’empêcher de revenir sur quelques-uns dans ce blog. Comme aujourd’hui.

Pour mon anniversaire, des ami-e-s m’ont offert des « morceaux » à distance, beau cadeau s’il en est en ces temps de retraite forcée. Cela m’a amenée à écouter avec délice et amertume les Rückert Lieder, parmi lesquels Ich bin der Welt abhanden gekommen, magnifique… et en résonnance absolue avec certains de mes états d’âme actuels…

Ich bin der Welt abhangen gekommen,
mir der ich sonst viele Zeit verdorben,
sie hat so lange nichts von mir vernommen,
sie mag wohl glauben, ich sei gestorben !


Es ist mir auch gar nichts daran gelegen,
ob sie mich für gestorben hält,
ich kann auch gar nichts sagen dagegen,
denn wirklich bin ich gestorben der Welt.


Ich bin gestorben dem Weltgetümmel,
und ruh in einem stillen Gebiet.
Ich leb allein in meinem Himmel
in meinem Lieben, in meinem Lied.

Emil Nolde

Comme vous ne comprenez peut-être pas tout, et que je ne sais toujours pas faire deux colonnes (quelqu’un-e peut m’aider, en commentaire ou courriel?), voici une traduction proposée en français sur ce site intéressant.

Me voilà coupé du monde
dans lequel je n’ai que trop perdu mon temps;
il n’a depuis longtemps plus rien entendu de moi,
il peut bien croire que je suis mort !

Et peu importe, à vrai dire,
si je passe pour mort à ses yeux.
Et je n’ai rien à y redire,
car il est vrai que je suis mort au monde.

Je suis mort au monde et à son tumulte
et je repose dans un coin tranquille.
Je vis solitaire dans mon ciel,
dans mon amour, dans mon chant
.

Parmi les interprétations vocales, je vous en propose deux très différentes : celle du baryton Dietrich Fiescher-Diskau, parce qu’elle est réputée (sous-entendu je l’aime moins), et celle de Jessie Norman (un peu trop « suave » à mon goût). Pour ma part, je préfère celle d’Elisabeth Schwartzkopf, que je trouve plus « profonde », ou encore la splendide version de Kathleen Ferrier, si riche et émouvante.

Kinder Toten Lieder, Jacques Darras (2004) (source)
Inspiré par une autre oeuvre de Mahler, mais qui pour moi fait aussi écho à celle-ci

Cela m’a permis aussi de me laisser envoûter par la violoncelliste Sonia Wieder Atherton avec par exemple ce morceau, Prière Juive, ou entraîner par des airs plus dansants, comme dans cette vidéo A l’est.

« Je voudrais que des sons, des récits, des chants, tout ce que je n’imagine pas encore vienne peupler mon Odyssée et rencontre la voix de mon violoncelle. Je voudrais que des évènements cachés quelque part dans la mémoire, des rêves éveillés ou endormis, des sensations ou des émotions soient dits, et que ces paroles soient protégées et hébergées par l’Odyssée » (site SWA).

D’autres me proposent chaque jour des airs ou chansons à écouter. Pour certains, c’est un retour dans le passé. J’ai ainsi pu réentendre des airs en toile de fond d’histoires de ma vie, précieusement conservés par d’Autres. Mais je découvre aussi des univers musicaux inconnus ou peu connus de moi…

Le dimanche, j’ai rendez-vous avec un chanteur que j’admire, Mathieu Salama, et avec un jeune organiste, Frédéric Deschamps, qui nous fait découvrir, de sa demeure, les orgues de différentes églises et cathédrales… Je vous en ai déjà parlé, je ne vais donc pas y revenir.

Bref, la musique est, avec la nature et l’écriture, ce qui permet de survivre à l’absurdité… Voilà qui me fait penser à la compositrice Michèle Reverdy et à son oeuvre « De l’ironie contre l’absurdité d’un monde », dont voici le texte de présentation sur le site babelscores.

« Ces poèmes posent les questions sans réponse qui accompagnent notre vie tout en exprimant l’absurdité apparente de notre existence dans ce monde étrange où nous avons échoué comme par mégarde…

Mieux vaut chanter comme Du Bellay plutôt que se laisser dévorer par « l’importun souci qui sans fin nous tourmente ».

Mieux vaut s’extasier devant la simple beauté d’une scène quotidienne magnifiée par l’écriture sobre et belle de Sandro Penna.

Cette vie n’est-elle qu’un rêve – demande sans cesse à travers ses livres Lewis Carroll -?

Nous pensons naïvement que nos pauvres divertissements auront le pouvoir de nous distraire de la finitude inéluctable…

L’ombre gagne. C’est déjà le soir dans le jardin de Hans Werner Henze à Marino, où j’ai rencontré il y a longtemps – et si peu de temps – Hans Ulrich Treichel.Reste le papier à musique!

Alors, finissons sur une chanson bien rythmée de Federico Garcia Lorca, avec accompagnement de cloches! »