Lilas en fleurs… et en arômes

Lilas au soleil, Monet (1872)… Il existe aussi un Lilas par temps gris…

Une petite fille est venue, le jour de mon anniversaire, m’apporter des branches de lilas. Elle avait appris que j’adorais le parfum du lilas, et la voici, devant ma porte, les bras chargés de fleurs odoriférantes. Mauves, violettes et blanches. Chaque matin je les hume avec bonheur. La blanche est discrète. La violette est sèche. C’est la mauve qui exhale selon moi l’arôme le plus délicat… et je regrette qu’on ne puisse avoir un Internet diffuseur d’huiles essentielles…

The Bunch of Lilacs, James Tissot (1875)

Mais les jours passent, et je vois chaque jour dépérir « mon » lilas.
D’où l’idée de rechercher quel poète avait écrit sur ces fleurs.
Mallarmé, bien sûr, « mordant la terre chaude où poussent les lilas » (Renouveau), Mallarmé que je retrouve à chaque détour de ma vie. Mais un peu triste pour vous l’offrir… Charles Cros, plus joyeux, trop peut-être en ces temps moroses. Et puis, le lilas est noyé parmi les autres fleurs, dans Le Printemps : muguet, cytise et réséda surtout lui font concurrence. Rosemonde Gérard ensuite, pour qui avril a des « cheveux de lilas » (Calendrier), lilas sur lequel « mars jette des grelons » (La Ronde des mois). Alors j’ai pensé à ce bref poème mis en musique par Gabriel Fauré en 1874..

Ici-bas

Ici-bas tous les lilas meurent,
Tous les chants des oiseaux sont courts ;
Je rêve aux étés qui demeurent
Toujours…

Ici-bas les lèvres effleurent
Sans rien laisser de leur velours ;
Je rêve aux baisers qui demeurent
Toujours…

Ici-bas tous les hommes pleurent
Leurs amitiés ou leurs amours ;
Je rêve aux couples qui demeurent
Toujours…

Sully Prudhomme, Stances et Poèmes (1865)

C’est incroyable le nombre d’interprétations, instrumentales ou vocales, de cette oeuvre à deux talents, deux mains… Accompagnement piano, La Tonya Rosetta Ring; Lerna Baloglu, J’aime plus particulièrement en soprano Ileana Cotrubas (1978) et en mezzo-soprano Courtney Jameson. Les interprétations par des hommes sont plus rares… Intéressante, celle du baryton Gérard Souzay; celle de Giuseppe di Stefano est trop suave à mon goût… Je vous laisse continuer à chercher, si vous avez envie d’autres versions, elles ne manquent pas. En totalement différent, la Compagnie des Indes.

Saviez-vous que « Lilas blancs », de son titre original  » Wenn der weiße Flieder wieder blüht « , « Quand le lilas blanc refleurira » – notez le passage du singulier en allemand au pluriel en français -, sorti en 1953 (Hans Deppe), fut le premier film de Romy Schneider, dans lequel elle interprète le rôle de la fille d’une mère jouée par… sa propre mère?

Plus d’un demi-siècle plus tard, c’est un cinéaste russe qui intitulera son film Ветка сирени,  » Lilas ». Celui-ci, sorti en 2007, porte sur la vie de Rachmaninov.

Par contre, si vous pensez à  » Porte des Lilas », qu’il s’agisse du lieu, de la chanson ou du film, ne me demandez pas pourquoi elle s’appelle ainsi, je ne suis pas parvenue à en trouver une explication acceptable…

Un petit mot encore, et pas en musique celui-là, pour citer cette belle métaphore de Christian Bobin, qui a résonné en moi, en pensant à certain-e-s de mes ami-e-s.

 » Certains êtres sont comme le lilas qui sature de son parfum, jour et nuit, l’air dans lequel il trempe, condamnant ceux qui entrent dans son cercle embaumé à éprouver aussitôt une ivresse intime qui fait s’entrechoquer, comme des verres de cristal de Bohême, les atomes de leurs âmes. »

Et un tout dernier pour évoquer un souvenir d’enfance. Lorsque j’étais petite, ma meilleure amie s’appelait Lilas. Elle venait d’arriver en France avec ses parents algériens. C’était l’époque de l’emploi massif dans les usines sidérurgiques du Nord… Ce n’est que beaucoup plus tard, devenue adulte – et l’ayant perdu de vue – que j’ai compris que son prénom devait être, en réalité… Leïla… Mais Leïla, « la Nuit » dans toute sa splendeur et sa profondeur, c’est une autre histoire…

Matin, j’ai tout aimé

Matin, j’ai tout aimé, et j’ai tout trop aimé ;

À l’heure où les humains vous demandent la force

Pour aborder la vie accommodante ou torse,

Rendez mon cœur pesant, calme et demi-fermé.

Les humains au réveil ont besoin qu’on les hèle,

Mais mon esprit aigu n’a connu que l’excès ;

Je serais tel qu’eux tous, Matin ! s’il vous plaisait

De laisser quelquefois se reposer mon zèle.

C’est par mon étendue et mon élan sans frein

Que mon être, cherchant ses frères, les dépasse,

Et que je suis toujours montante dans l’espace

Comme le cri du coq et l’ouragan marin !

L’univers chaque jour fit appel à ma vie,

J’ai répondu sans cesse à son désir puissant

Mais faites qu’en ce jour candide et fleurissant

Je demeure sans vœux, sans voix et sans envie.

Atténuez le feu qui trouble ma raison,

Que ma sagesse seule agisse sur mon cœur,

Et que je ne sois plus cet éternel vainqueur

Qui, marchant le premier, sans prudence et sans peur,

Loin des chemins tracés, des labours, des maisons,

Semble un dieu délaissé, debout sur l’horizon.

Anna de Noailles

Candide en Floréal…

Le jardin de Millet à Barbizon, Millet

Je te salue, ô Terre, ô Terre porte-grains,
Porte-or, porte-santé, porte-habits, porte-humains,
Porte-fruits, porte-tours, alme, belle, immobile,
Patiente, diverse, odorante, fertile,
Vestue d’un manteau tout damassé de fleurs
Passementé de flots, bigarré de couleurs.
Je te salue, ô coeur, racine, baze ronde,
Pied du grand animal qu’on appelle le Monde,
Chaste espouse, du Ciel, asseuré fondement
Des estages divers d’un si grand bastiment.
Je te salue, ô soeur, mere, nourrice, hostesse
Du Roy des animaux. Tout, ô grande princesse,
Vit en faveur de toy. Tant de cieux tournoyans
Portent pour t’esclairer leurs astres flamboyans ;
Le feu pour t’eschauffer sur les flotantes nues
Tient ses pures ardeurs en arcade estendues ;
L’air pour te refreschir se plait d’estre secoux
Or’ d’un aspre Borée, or’ d’un Zephyre doux ;
L’eau, pour te destremper, de mers, fleuves, fonteines
Entrelasse ton corps tout ainsi que de veines

Hé ! que je suis marri que les plus beaux esprits
T’aient pour la plupart, ô Terre, en tel mépris :
Et que les coeurs plus grands abandonnent superbes,
Le rustique labeur et le souci des herbes
Aux hommes plus brutaux, aux hommes de nul prix,
Dont les corps sont de fer, et de plomb les esprits …

Guilhem Sallusti deu Bartàs (1544-1580)

Dans le jardin du bey, John Frederick Lewis

Que faire quand on ne sait plus de quoi sera fait l’avenir et qu’on ne peut plus faire tout ce que l’on aime? Nous assistons en ce moment, pour une partie de la population, à un vrai retour à la terre. Celles et ceux qui ont fui dans les campagnes se réfugient dans les plaisirs – corvées ou corvées – plaisirs de la culture. Retour aux sources ancestrales? Besoin de se sentir « vivant-e-s », en accord avec Gé, la Terre Mère? Activité démontrant l’utilité, sinon sociale, du moins personnelle? Défoulement individuel, à défaut de fêtes collectives? Toujours est-il que nous sommes, je pense, un certain nombre à bêcher, piocher, biner, sercler… tous mots plus ou moins oubliés, qui ressurgissent de nos passés de descendant-e-s d’agriculteurs, de fermiers, de propriétaires terriens, de cultivateurs en un mot. Nomade redevenue par force et contrainte policière sédentaire, je n’échappe pas à cette vogue…

Et le cadeau d’anniversaire offert par mes jeunes ami-e-s et voisin-e-s m’y a encore plus poussée : plants de framboisiers, de groseillers, et de fraisiers… Vous l’avez deviné, j’aime les fruits rouges! Sans compter un paquet joliment emballé du fumier de leurs équidés et un autre de paillage. Le moment de renouer avec l’enfance, quand j’aidais ma grand-mère dans son vaste jardin. Et de me dire « Mais comment faisait-elle pour entretenir tout cela et nous régaler ainsi de fraises de diverses espèces, depuis la petite fraise des bois jusqu’aux juteuses grosses fraises, de groseilles blanches, roses, rouges et à maquereaux? de liqueur de cassis, de cerises à l’eau de vie et de poires au chocolat? » Elle dont ce n’était ni le choix, ni la vie rêvée… Pas plus que la mienne, soit dit en passant…

L’offrande des fraises, Mathurin Méheut (1933) Source

Et de repenser à l’un des écrivains qui a nourri mon adolescence et que j’ai tenté de faire aimer à de plus jeunes, Voltaire… Ne sommes-nous pas toutes et tous un peu « Candide » en ce moment ? Et puis, « germinal », « floréal », « prairial », quels jolis noms pour désigner un temps qui est, serait ou pourrait être perdu… Germinal est fini, nous sommes entré en Floréal…

Floreal2.jpg
Gravure Salvatore Tresca d’après Louis Lafitte, vers 1797-1806.
120 avrilRose
221 avrilChêne
322 avrilFougère
423 avrilAubépine
524 avrilRossignol
625 avrilAncolie
726 avrilMuguet
827 avrilChampignon
928 avrilHyacinthe
1029 avrilRâteau
1130 avrilRhubarbe
121er maiSainfoin
132 maiBâton-d’or
143 maiChamérisier
154 maiVer à soie
165 maiConsoude
176 maiPimprenelle
187 maiCorbeille d’or
198 maiArroche
209 maiSarcloir
2110 maiStatice
2211 maiFritillaire
2312 maiBourrache
2413 maiValériane
2514 maiCarpe
2615 maiFusain
2716 maiCivette
2817 maiBuglosse
2918 maiSénevé
3019 maiHoulette

A ce propos, avez-vous lu l’étonnant rapport de Fabre d’Eglantine (un nom prédestiné!!!) ? Il est accessible en ligne, jetez-y un oeil…

Je vous invite donc, si vous participez au grand décompte national, d’utiliser ces noms de jours… plus beaux que les chiffres, non ? en attendant « Fritillaire »… Mais au fait, savez-vous ce qu’est une fritillaire?

Avril en fête(s)

Leone di San Marco, Vittore Carpaccio (1546)

Il faisait hier une journée de printemps typique de ces régions septentrionales : à l’aube, de la brume… Puis un ciel bleu et pur… Mais un vent froid qui ne permet pas d’apprécier la chaleur du soleil autrement qu’à l’abri des auvents… Mais les oiseaux s’en sont donné à coeur joie, à choeur voix, pour fêter l’Italie, la Révolution des Oeillets et les soixante-huitard-e-s…

Revolucion de las Claveles

Alors, en ce dimanche matin, je vous propose d’écouter le chant des oiseau, et d’abord, pour celles et ceux qui n’ont pas la chance de se promener par monts et par vaux, par bois et par prés, il y a un moyen de le faire virtuellement… Diffusez des huiles essentielles qui vous rappellent la nature, et regardez les magnifiques vidéos réalisées par certain-e-s amateurs/trices ou ornithologues, avec des vues splendides et des enregistrements authentiques… Par exemple, puisque c’est l’oiseau qui séduit le poète (et philosophe) que j’ai eu envie de vous faire découvrir ce matin, la linotte…

Une belle vidéo sur la linotte

Printemps du Nord

Linotte
Qui frigotte,
Dis, que veux-tu de moi ?
Ta note,
Qui tremblote,
Me met tout en émoi.

Journée
Illuminée,
Soleil riant d’avril,
En quel songe
Se plonge
Mon cœur, et que veut-il ?


Sur la haie,
Où s’égaie
Le folâtre printemps,
La rosée,
Irisée,
Sème ses diamants.

Violette
Discrète,
Devant Dieu tu fleuris ;
Primevère,
A la terre,
Bouche d’or, tu souris.

Petite
Marguerite,
Conseillère du cœur,
Ta couronne
Mignonne
Epèle mon bonheur.

Blanche et fine
Aubépine,
A tes pieds, la fourmi
Déjà teille
Et réveille
Son brin d’herbe endormi.


La mousse
Qui repousse
Attend l’or du grillon ;
La rose,
Fraîche éclose,
Rêve au bleu papillon.

Mais, fidèle
Hirondelle,
Au nid toi qui reviens,
La tristesse
M’oppresse…..
Où donc sont tous les miens ?

L’eau sans ride
Et limpide
Ouvre de ses palais,
Où tout brille
Et frétille,
Les réduits les plus frais.

Sur la branche
Qui penche,
Vif, l’écureuil bondit ;
La fauvette
Coquette
Se lustre dans son nid.


La grue
En l’étendue
A glissé, trait d’argent ;
Dans l’anse
Se balance
Le cygne négligent.

La follette
Alouette,
Gai chantre des beaux jours,
Dans l’azur libre
Vibre,
Appelant les amours.

Journée
Illuminée,
Soleil riant d’avril,
En quel songe
Se plonge
Mon cœur, et que veut-il ?

Dans l’onde
Vagabonde,
Aux prés, sur les buissons,
Sous la ramée
Aimée,
Aux airs, dans les sillons,


Tout tressaille
Et travaille,
Germe, respire et vit,
Tout palpite
Et s’agite,
Va, chante, aime et bénit.

Mais mon âme
Est sans flamme…..
Beaux jours en vain donnés,
Nature
Calme et pure,
O printemps, pardonnez !

Linotte
Qui frigotte,
Dis, que veux-tu de moi ?
Ta note
Qui tremblote
Met mon cœur en émoi.

Henri-Frédéric Amiel, Heringsdorf, sur la Baltique, 1847.

Les mots qui désignent la linotte parfois sont aussi mélodieux… Oublions le « linnet » anglais, trop proche du nôtre, mais le « fanello » italien le « pardillo » ou le « jilguero » espagnol, voire le makolagwo polonais chantent aussi…

Par contre, pourquoi avoir, en français, stigmatisé ce pauvre volatile qui est devenu symbole de l’étourderie?

Je me suis amusée à rechercher si c’était aussi vrai dans les autres langues… Eh non! Nulle part, si l’on en croit le tableau comparatif emprunté à ce site.

PaysLangueExpression équivalenteTraduction littérale
Pays de GallesGalloisPen dafadTête de mouton
AllemagneAllemandSpatzenhirn Cerveau de moineau
AngleterreAnglaisBirdbrain Tête d’oiseau
AngleterreAnglaisEmpty headed person Personne à la tête vide
États-UnisAnglaisAirhead Tête d’air
États-UnisAnglaisBird brain Cerveau d’oiseau
États-UnisAnglaisScatterbrain Cerveau éparpillé
IrlandeAnglaisFeather brain Cerveau à plumes donc d’oiseau
ArgentineEspagnolCabeza de chorlito Tête de linotte ou de chevalier (oiseau)
ArgentineEspagnolCabeza de novia Tête de fiancée
ArgentineEspagnolCabeza hueca Tête creuse
EspagneEspagnolCabeza de chorlito Tête de linotte
CanadaFrançaisCervelle d’oiseau
CanadaFrançaisPetit cerveau
CanadaFrançaisTête de piocheImbécile
HongrieHongroisSzeleburdiEtourdi
ItalieItalienCervello di gallina Cerveau de poule
BelgiqueNéerlandaisKip zonder kop Poule sans tête
BelgiqueNéerlandaisMèteko (Leuvense / Louvain) Stupide (patois, racine inconnu)
Pays-BasNéerlandaisEen hoofd als een vergiet hebben Avoir une tête comme une passoire
Pays-BasNéerlandaisLeeghoofd Tête vide
BrésilPortugaisCabeça de bagre Tête de silure (poisson-chat)
BrésilPortugaisCabeça oca Tête creuse
RoumanieRoumainCap sec Tête vide
RussieRusseдырявая голова Une tête à trous
SlovaquieSlovaqueVetroplachLa personne qui dissipe le vent

« Chorlito », j’ai vérifié, c’est le pluvier, pas la linotte! Comme vous le voyez, la linotte n’est pas le seul avidé visé… Il y a aussi le moineau (pour nous, c’est sa cervelle!), le pluvier, la poule… et l’oiseau en général… parfois associé aux femmes… Et si on faisait l’inverse, donner une « tête de femme » aux oiseaux? Il y en a qui ont déjà eu l’idée… Les Egyptiens par exemple…

Sans compter les Harpies… Mais c’est une autre histoire…

Connaissez-vous cette chanson interprétée par Annie Cordy? Heureusement, Grou se réclame de ce qualificatif… un moment d’humour par auto-dérision…

Il était temps de réhabiliter la linotte… Michèle Bernard s’en est chargée, heureusement!

Plus d’ piles dans la télécommande
Et l’aquarium n’a plus de poissons
L’écran est vide et tu t’ demandes
« Mais qui donc a pu couper le son ? »

Ton magnéto, ta calculette
Qui pataugent dans le goudron chaud
Foutus tes dicos, tes disquettes
Et même ta souris qu’a dit ciao !

Tout ce que t’avais mis en mémoire
Ton disque dur, comme une armoire
Bourrée de linge et d’ naphtaline
Un gros bug et y a tout qui s’ débine

C’était une blague, non, c’est pas vrai

Pas b’soin d’ te faire hara-kiri
Mais quand même, si ça t’arrivait
Écoute-moi, est-ce que t’as appris

Au moins une chanson par cœur
Dans ta tête de bois, ta caboche
Celle que tu veux : Le p’tit bonheur
La Javanaise ou Les trois cloches

Rien qu’une chanson qui t’ fait du bien
Mais tout entière, couplets, refrain
Et va pas m’ raconter d’histoires
Que t’aurais pas l’ temps, pas d’ mémoire

Dans une tête de linotte
Y a toujours quelques notes
Un trésor tout petit
Qui chantera toute sa vie


J’ veux pas jouer les rabat-joie
Mais la vie, ça fait pas qu’ des risettes
T’as plein d’ gadgets au bout des doigts
Mais t’as comme du brouillard dans ta tête

À voir le monde par des lucarnes
Un beau jour, on se retrouve tout nu
Sans rien, pas d’ami, pas de larmes
Et la peur de traverser la rue

Un coup d’ blues, une vacherie du sort
Nous v’là projetés dans l’ décor
D’un mauvais film où, sans doublure,
Faut quand même savoir faire bonne figure

À la guerre ou même en cabane
Dans un scanner, on s’ sent tout p’tit

Et dans le silence de son âme
On est content d’avoir appris

Au moins une chanson par cœur
Dans ta tête de bois, ta bobine
Celle que tu veux : Le déserteur
Frou-frou, Laisse béton, Nuits de Chine

Rien qu’une chanson pour t’nir le coup
Quoi qu’il arrive et jusqu’au bout
Et va pas m’ raconter d’histoires
Que t’aurais pas l’ temps, pas d’ mémoire

Dans une tête de linotte
Y a toujours quelques notes
Un trésor tout petit
Qui chantera toute sa vie


Dans une tête de linotte
Y a toujours quelques notes
Un trésor tout petit
Qui chantera toute sa vie

Composition, Pierre Tal Coat (1954)

A tire d’ailes

Etretat Interior, Matisse (1920)

J’ai reçu dernièrement un joli cadeau… Une chanson basque, que j’ai beaucoup aimée. D’où mon envie de vous la faire découvrir… Voici la vidéo reçue… La chanson est interprétée par John Kelly & Maite Itoiz. C’était en 2008, l’année de la disparition de celui qui l’a mise en musique et interprété le premier, en 1974, Mikel Laboa. Une autre version en est présentée, filmée en 2011, que je trouve moins authentique, plus « travaillée ». Mais il faut reconnaître qu’elle prend de l’ampleur avec le choeur… En 2018, la chanteuse la reprend seule, en s’accompagnant d’une harpe, avec le choeur Son Espases. Très émouvant… Et mon coeur balance entre cette dernière et la magnifique interprétation de Laura Latienda et Gaztelu Zahar (2016), avec une voix plus grave, un choeur d’hommes et un orchestre plus « populaire ». Une autre chanteuse s’en est emparée, Anne Etchegoyen. Très belle voix également…. Bref, je ne me suis pas lassée de l’écouter encore et encore…

Femme et oiseau dans la nuit, Miro (1942)

Mais je n’ai pu m’empêcher d’en rechercher les paroles… Les voici donc, en basque puis traduite en français.

Txoria txori

Hegoak ebaki banizkio
nerea izango zen,
ez zuen aldegingo.
Hegoak ebaki banizkio
nerea izango zen,
ez zuen aldegingo.

Bainan, honela
ez zen gehiago txoria izango
Bainan, honela
ez zen gehiago txoria izango
eta nik…
txoria nuen maite
eta nik…
txoria nuen maite.

L’oiseau

Si je lui avais coupé les ailes

il aurait été à moi

il ne serait jamais reparti

Si je lui avais coupé les ailes

il aurait été à moi

il ne serait jamais reparti. 

Mais, ainsi, il n’aurait plus été un oiseau,

Mais, ainsi, il n’aurait plus été un oiseau,

et moi… j’aimais l’oiseau !

et moi… j’aimais l’oiseau !

Source traduction

Hassan Massoudy (copyright)

Et, bien sûr, j’ai voulu en savoir plus, non seulement sur la chanson, mais sur ceux qui l’ont créée.

« En 1968, Mikel est allé dîner un soir avec sa femme dans un restaurant de Saint-Sébastien, ainsi qu’avec Joxean Artze. Le poème Txoria Txori de Joxean Artze (alors âgé d’environ 25 ans), a été écrit sur une serviette ce soir là ! C’était un acte de résistance contre l’interdiction faite par le régime franquiste d’utiliser la langue basque. Sa femme le lui a lu, et lui a dit que c’était un beau poème. Il l’a lu à son tour, et il lui a beaucoup plu aussi. Quand ils sont rentrés à la maison, il l’a mis en musique en très peu de temps. Mikel Laboa a présenté pour la première fois la chanson au théâtre Astoria de Saint-Sébastien. »

Voici ce qu’en dit son auteur dans un interview (source)

« J’avais 24-25 ans lorsque je l’ai écrit. Le thème de l’oiseau figure souvent dans nos vieux recueils de chants. Il m’avait semblé que l’on pouvait l’assimiler à l’image de la liberté. Ici apparaît le dilemme de la liberté de la personne proche que l’on souhaite posséder. Mais la liberté de ces personnes existe… il faut choisir . Ou vous attachez la personne et vous la possédez comme un oiseau en cage, ou vous aimez la personne telle qu’elle est, et alors, si elle souhaite partir, vous devez la laisser partir. C’est pour cela que je n’ai jamais possédé d’oiseau en cage. Je leur jette du pain par la fenêtre et s’ils viennent se nourrir, je les observe et je me contente de cette contemplation. Parce que c’est comme cela que je veux que les oiseaux soient… »

Un bel hommage a été rendu aux deux amis, décédés à dix ans d’intervalle, par Maialen Lujanbio.

Wikipédia recense 17 interprètes différents pour cette chanson, dont Joan Baez, qui l’a interprétée au Concert pour la Paix, aux arènes de Bilbao – certain-e-s se sont quelque peu amusé-e-s de sa prononciation! Totalement différente, la version d’Arraya : on passe du romantisme à la contestation forte… Un autre choeur d’hommes, Pyrénéens, Vaya con Dios, l’a reprise un peu dans le même sens. Car cette chanson a connu beaucoup d’avatars… Le mieux est de revenir à son co-créateur, Mikel Laboa. Une vidéo avec de belles images du pays et des sous-titres en espagnol, et une autre avec des photos de lui et des illustrations parlantes…

Mikel Laboa avait fondé le groupe culturel Ez Dok Amairu, dont la signification est « Il n’y a pas de treize » (pas de « malédiction ») – d’ailleurs, le chanteur avait l’habitude de numéroter ses albums, mais passe du 12 au 14…

Quelques membres de Ez Dok Amairu
Il n’y a pas de treize…

Re-composition

C’est aujourd’hui l’anniversaire d’un de mes amis… Je me souviens du jour où il m’a parlé de ce qui a fait basculer sa vie, le suicide de son fils, jeune homme beau, brillant, intelligent, sensible. Un arbre a été planté près de sa tombe à Aix, un olivier… Zitouni… Arbre oh combien symbolique pour moi, qui avais aussi déposé un olivier sur la tombe de mon père.

Oliviers dans les Alpilles, Van Gogh (1889)

L’ami dont je vous parle est un Homme solidaire, un Ami sincère, un Etre rare qui vit et fait vivre par les liens qu’il crée, les combats qu’il mène et les chansons qu’il interprète au sein d’une chorale… C’est à lui que j’ai pensé en choisissant le poème de ce jour. Mais qui, je pense, s’adresse à chacun-e de nous.

Oliviers avec ciel jaune et soleil, Van Gogh (1889)

Encore frissonnant
Sous la peau des ténèbres
Tous les matins je dois
Recomposer un homme
Avec tout ce mélange
De mes jours précédents
Et le peu qui me reste
De mes jours à venir.
Me voici tout entier,
Je vais vers la fenêtre.
Lumière de ce jour,
Je viens du fond des temps,
Respecte avec douceur
Mes minutes obscures,
Épargne encore un peu
Ce que j’ai de nocturne,
D’étoilé en dedans
Et de prêt à mourir
Sous le soleil montant
Qui ne sait que grandir.

Jules Supervielle, La Fable du Monde

L’Homme à la fenêtre, Henri de Braekeleer (1876)

En recherchant les tableaux de Van Gogh sur le net, j’ai assisté à une nouvelle co-incidence. Je l’ignorais, mais, en 2012, il y avait eu une double exposition Hiroshige, l’art du voyage – Van Gogh, rêves du Japon par la Pinacothèque. Hiroshige, ça vous rappelle quelque chose?

Eric Stachowiak tous droits réservés © (source)

Retour aux sources

Le repos au bord du ruisseau, Sisley (1872)

Il y a sept sources dans le terrain de la demeure où je suis « confinée ». Et, chaque jour, les voir jaillir, entendre sourdre l’eau claire entre bruyères et primevères me redonne confiance en la vie, me « re-source »… Je me sens nymphe, sylphide… je me vois sirène… Et je vais chaque jour dégager l’espace, nettoyer le lit, ouvrir les vannes pour que s’écoule l’eau, que coule le ruisseau, portant vers la rivière, puis le fleuve, puis la mer mes rêves d’évasion…

Les tourbillon de Naruto à Awa, Hirochige (1855)

Le Ruisseau

Du creux de la roche moussue
La petite source jaillit.
Du Grand-Salève elle est issue
Et deux brins d’herbe font son lit.

Dans l’ombre on l’entend qui bégaie
Comme un enfant sur les genoux,
Bientôt plus forte elle s’égaie
Et s’amuse avec ses cailloux.

Elle brode de cascatelles
Les blocs à remuer trop lourds,
Comme l’on coudrait des dentelles
Sur une robe de velours.

Les filles de la flore alpestre,
Prenant le frais près de ses eaux,
Écoutent son joyeux orchestre
Soutenant le chant des oiseaux.

De tous les coins de la montagne
Elles s’y donnent rendez-vous,
Chacune amène sa compagne
Et les baisers y sont plus doux.

On n’a que quatre pas à faire
Pour trouver au bord du ruisseau
Le cyclamen que Sand préfère
Et la pervenche de Rousseau.

Théophile Gautier, 1869

Cyclamen de Naples

« Un ruisseau coule dans la cannelure formée par la rencontre des deux pans. Au point où leur écartement cesse, il se précipite dans des profondeurs effrayantes, et forme, au lieu de sa chute, un petit bassin entouré de roseaux et couvert d’une fumée humide. Autour de ses rives et sur les bords du filet d’eau alimenté par le trop- plein du bassin, croissent des bananiers, des letchis et des orangers, dont le vert sombre et vigoureux tapisse l’intérieur de la gorge. C’est là que Ralph fuyait la chaleur et la société ; toutes ses promenades le ramenaient à ce but favori ; le bruit frais et monotone de la cascade endormait sa mélancolie.

Quand son cœur était agité de ces secrètes angoisses si longtemps couvées, si cruellement méconnues, c’est là qu’il dépensait, en larmes ignorées, en plaintes silencieuses, l’inutile énergie de son âme et l’activité concentrée de sa jeunesse.« 

George Sand, Indiana (1832) Source

« .. Je donnerai de ces souvenirs un seul exemple qui pourra faire juger de leur force et de leur vérité. Le premier jour que nous allâmes coucher aux Charmettes, maman était en chaise à porteurs, et je la suivais à pied. Le chemin monte ; elle était assez pesante ; et, craignant de trop fatiguer ses porteurs, elle voulut descendre à peu près à moitié chemin pour faire le reste à pied. En marchant elle vit quelque chose de bleu dans la haie, et me dit : « Voilà de la pervenche encore en fleur. » Je n’avais jamais vu de la pervenche, je ne me baissai pas pour l’examiner, et j’ai la vue trop courte pour distinguer à terre les plantes de ma hauteur. Je jetai seulement en passant un coup d’oeil sur celle-là, et près de trente ans se sont passés sans que j’ai revu de la pervenche, ou que j’ai fait attention. En 1764, étant à Cressier avec mon ami M.du Peyrou, nous montions une petite montagne au sommet de laquelle il a un joli salon qu’il appelle avec raison Bellevue. Je commençais alors d’herboriser un peu. En montant et regardant parmi les buissons, je pousse un cri de joie : »Ah ! Voilà de la pervenche ! et c’en était en effet. »… »

Jean-Jacques Rousseau, Confessions, tome 1 (1836)

Moorgraben, Paula Mendelson-Becker (autour de 1900)

Papillonnons…

Chaque jour où je le puis, je vais me coucher dans l’herbe de la prairie, au bord de l’étang, et je lis, je rêve, je contemple les cimes des arbres… en ce moment, j’ai l’impression de « voir » l’herbe pousser, les orties s’envoler, les feuilles grandir… Et, chaque après-midi, l’aurore vient me rendre visite… L’aurore, direz-vous? en plein après-midi? Mais oui, l’aurore… qui volète autour de moi, butine les fleurs de pissenlit qui abondent, puis s’éloigne, se rapproche, voltigeant gaiement.

L’aurore

Alors ce matin, pour que volètent vers vous les ailes du bonheur, j’ai choisi de fêter ces êtres si symboliques de la vie/mort, et d’une forme de liberté… « Minuscule voilier des airs maltraité par le vent en pétale superfétatoire, il vagabonde au jardin. » (Francis Ponge)… écho donc aux voiliers d’hier… entre air et mer / air et terre… air éther…

De toutes les belles choses
Qui nous manquent en hiver,
Qu’aimez-vous mieux ? – Moi, les roses ;
– Moi, l’aspect d’un beau pré vert ;
– Moi, la moisson blondissante,
Chevelure des sillons ;
– Moi, le rossignol qui chante ;
– Et moi, les beaux papillons !

Le papillon, fleur sans tige,
Qui voltige,
Que l’on cueille en un réseau ;
Dans la nature infinie,
Harmonie
Entre la plante et l’oiseau !…

Quand revient l’été superbe,
Je m’en vais au bois tout seul :
Je m’étends dans la grande herbe,
Perdu dans ce vert linceul.
Sur ma tête renversée,
Là, chacun d’eux à son tour,
Passe comme une pensée
De poésie ou d’amour !

Gérard de Nerval, Les Papillons

Bon, d’accord, celles et ceux qui connaissent la fin du poème savent que j’ai un peu triché, et qu’elle est sinistre… Mais oublions cela… ce passage est tellement en miroir que je n’ai pas voulu m’en ni vous en priver.

Stéphane Hette, Art of butterfly (MEP)

J’ai beaucoup hésité avec un autre poème que j’aime, et qui met aussi en scène ces charmants voltigeurs. Pour ne pas alourdir le texte, mais aussi parce qu’hier j’avais déjà emprunté à Lamartine, le voici lu par une inconnue… Je l’ai choisi parce que vous y verrez le texte, mais je préfère de loin la version d’Alain Carré, même si elle est assez classique. Pour un petit moment de musique et de douceur, écoutez sa mise en musique – et en chant – par Caroline Tursun.

Bien sûr, je ne pouvais pas oublier un de mes auteurs favoris, Rûmi… A déguster sans modération…

J’ai en vain recherché de belles séquences de danse autour du papillon. Et j’ai bien trouvé la Valse du Papillon, mais sur un morceau… de Clapton. Néanmoins, à voir, si vous aimez les valses… des interprétations diverses du Papillon d’Offenbach sont accessibles sur la toile, comme celle-ci (mal filmée, mais intéressante) par le Ballet de Santiago. On aime ou on n’aime pas, mais difficile de rester indifférent-e.

Encore un papillon qui se brûle les ailes, mais, cette fois, pour permettre l’amour entre la jeune servante Farfalla et le prince Djalma!

J’avais vu dans un exposition, récemment, un film de la fin du XIXème siècle, présentant cette danse. Une photo qui « fige » la danseuse, Annabel Whitford, en 1897…

De la même époque, une autre danseuse, mais ici, statique, dans sa robe papillon, Loie Fuller.

Loie Fuller, Studio Reutlinger, 1899

Et si vous préférez imaginer en écoutant simplement la musique, pas de problème! Dans un tout autre style, Schmetterlingslieder, Vicious Beatz.

Un petit clin d’oeil à un de mes lecteurs, dont la fille est experte en Pole Dance, avec ce « Butterfly » aérien…

Un autre à mes amis basques…

«  La mariposa (signifiant papillon en espagnol) est une passe de cape inventée par Marcial Lalanda dans les années 1920 dans laquelle le toro de ne passe pas mais suit de la tête la cape que le torero tient dans son dos et la fait passer tantôt à gauche, tantôt à droite en reculant avec le revers de la cape. L’inconvénient de cette passe est d’inciter le toro à donner des coups de tête et le met sur une attitude défensive.La mariposa (signifiant papillon en espagnol) est une passe de cape inventée par Marcial Lalanda dans les années 1920 dans laquelle le toro de ne passe pas mais suit de la tête la cape que le torero tient dans son dos et la fait passer tantôt à gauche, tantôt à droite en reculant avec le revers de la cape. L’inconvénient de cette passe est d’inciter le toro à donner des coups de tête et le met sur une attitude défensive.La mariposa (signifiant papillon en espagnol) est une passe de cape inventée par Marcial Lalanda dans les années 1920 dans laquelle le toro de ne passe pas mais suit de la tête la cape que le torero tient dans son dos et la fait passer tantôt à gauche, tantôt à droite en reculant avec le revers de la cape. L’inconvénient de cette passe est d’inciter le toro à donner des coups de tête et le met sur une attitude défensive. » (source)

Et un moment de rire, avec un groupe autrichien qui a pris le nom de « papillons », « Schmetterlinge », et qui a présenté, en 1977, à l’Eurovision, une chanson satirique sur l’industrie du disque, Boom Boom Boomerang.

L’appel du large

Oeuvre de Gauchepatte

Les voiles

Quand j’étais jeune et fier et que j’ouvrais mes ailes,
Les ailes de mon âme à tous les vents des mers
Les voiles emportaient ma pensée avec elles,
Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers.

Je voyais dans ce vague où l’horizon se noie
Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin
Des continents de vie et des îles de joie
Où la gloire et l’amour m’appelaient de la main.

J’enviais chaque nef qui blanchissait l’écume,
Heureuse d’aspirer au rivage inconnu,
Et maintenant, assis au bord du cap qui fume,
J’ai traversé ces flots et j’en suis revenu.

Et j’aime encor ces mers autrefois tant aimées,
Non plus comme le champ de mes rêves chéris,
Mais comme un champ de mort où mes ailes semées
De moi-même partout me montrent les débris.

Cet écueil me brisa, ce bord surgit funeste,
Ma fortune sombra dans ce calme trompeur ;
La foudre ici sur moi tomba de l’arc céleste
Et chacun de ces flots roule un peu de mon cœur.

Lamartine, oeuvre posthume

Pommere Jagst Hoffnung, Rostock 2013
Source

Une princesse lavandière…

L’orage gronde, le ciel est sombre… Envie de mer, de soleil, de chaleur… Alors je pense à la Méditerranée, à son bleu si profond… à la Grèce que j’aime tant… et, mettant cela en lien avec la thématique que j’ai choisie cette semaine, tant elle m’a semblé symbolique, vivante, purifiante, source de plaisir et d’évasion, je ne puis m’empêcher de revoir Nausicâ aux bras blancs, au bord du fleuve, partie rencontrer l’amour sous prétexte de laver le linge de la maisonnée (un beau passage sexiste que celui où elle évoque sa mission de fille dans une famille pleine d’hommes!). Pour celles et ceux qui lisent la belle langue d’Homère, ou veulent apprendre à la lire, je donne le texte initial. Que les autres filent directement à la traduction, qui leur permettra éventuellement de revenir par la suite essayer de reconnaître certains mots dans le texte. A cet effet, je proposerai un petit jeu de décodage à la suite des textes… Et, comme souvent, un air pour vous accompagner durant votre lecture : Nausicaa, extrait de La Moldau, par le contre-ténor Luc Arbogast.

Τοῦ μὲν ἔβη πρὸς δῶμα θεά, γλαυκῶπις Ἀθήνη,
νόστον Ὀδυσσῆι μεγαλήτορι μητιόωσα.
Βῆ δ᾽ ἴμεν ἐς θάλαμον πολυδαίδαλον, ᾧ ἔνι κούρη 15
κοιμᾶτ᾽ ἀθανάτῃσι φυὴν καὶ εἶδος ὁμοίη,
Ναυσικάα, θυγάτηρ μεγαλήτορος Ἀλκινόοιο,
πὰρ δὲ δύ᾽ ἀμφίπολοι, Χαρίτων ἄπο κάλλος ἔχουσαι,
σταθμοῖιν ἑκάτερθε· θύραι δ᾽ ἐπέκειντο φαειναί.
Ἡ δ᾽ ἀνέμου ὡς πνοιὴ ἐπέσσυτο δέμνια κούρης, 20
στῆ δ᾽ ἄρ᾽ ὑπὲρ κεφαλῆς, καί μιν πρὸς μῦθον ἔειπεν,
εἰδομένη κούρῃ ναυσικλειτοῖο Δύμαντος,
ἥ οἱ ὁμηλικίη μὲν ἔην, κεχάριστο δὲ θυμῷ.
Τῇ μιν ἐεισαμένη προσέφη γλαυκῶπις Ἀθήνη·

25 « Ναυσικάα, τί νύ σ᾽ ὧδε μεθήμονα γείνατο μήτηρ; 25
εἵματα μέν τοι κεῖται ἀκηδέα σιγαλόεντα,
σοὶ δὲ γάμος σχεδόν ἐστιν, ἵνα χρὴ καλὰ μὲν αὐτὴν
ἕννυσθαι, τὰ δὲ τοῖσι παρασχεῖν, οἵ κέ σ᾽ ἄγωνται.
Ἐκ γάρ τοι τούτων φάτις ἀνθρώπους ἀναβαίνει
ἐσθλή, χαίρουσιν δὲ πατὴρ καὶ πότνια μήτηρ. 30
Ἀλλ᾽ ἴομεν πλυνέουσαι ἅμ᾽ ἠοῖ φαινομένηφι·
καί τοι ἐγὼ συνέριθος ἅμ᾽ ἕψομαι, ὄφρα τάχιστα
ἐντύνεαι, ἐπεὶ οὔ τοι ἔτι δὴν παρθένος ἔσσεαι·
ἤδη γάρ σε μνῶνται ἀριστῆες κατὰ δῆμον
πάντων Φαιήκων, ὅθι τοι γένος ἐστὶ καὶ αὐτῇ. 35
Ἀλλ᾽ ἄγ᾽ ἐπότρυνον πατέρα κλυτὸν ἠῶθι πρὸ
ἡμιόνους καὶ ἄμαξαν ἐφοπλίσαι, ἥ κεν ἄγῃσι
ζῶστρά τε καὶ πέπλους καὶ ῥήγεα σιγαλόεντα.
Καὶ δὲ σοὶ ὧδ᾽ αὐτῇ πολὺ κάλλιον ἠὲ πόδεσσιν
ἔρχεσθαι· πολλὸν γὰρ ἀπὸ πλυνοί εἰσι πόληος. » 40

41 Ἡ μὲν ἄρ᾽ ὣς εἰποῦσ᾽ ἀπέβη γλαυκῶπις Ἀθήνη
Οὔλυμπόνδ᾽, ὅθι φασὶ θεῶν ἕδος ἀσφαλὲς αἰεὶ
ἔμμεναι. Οὔτ᾽ ἀνέμοισι τινάσσεται οὔτε ποτ᾽ ὄμβρῳ
δεύεται οὔτε χιὼν ἐπιπίλναται, ἀλλὰ μάλ᾽ αἴθρη
πέπταται ἀνέφελος, λευκὴ δ᾽ ἐπιδέδρομεν αἴγλη· 45
τῷ ἔνι τέρπονται μάκαρες θεοὶ ἤματα πάντα.
Ἔνθ᾽ ἀπέβη γλαυκῶπις, ἐπεὶ διεπέφραδε κούρῃ.

48 Αὐτίκα δ᾽ Ἠὼς ἦλθεν ἐύθρονος, ἥ μιν ἔγειρε
Ναυσικάαν ἐύπεπλον· ἄφαρ δ᾽ ἀπεθαύμασ᾽ ὄνειρον,
βῆ δ᾽ ἰέναι διὰ δώμαθ᾽, ἵν᾽ ἀγγείλειε τοκεῦσιν, 50
πατρὶ φίλῳ καὶ μητρί· κιχήσατο δ᾽ ἔνδον ἐόντας·
ἡ μὲν ἐπ᾽ ἐσχάρῃ ἧστο σὺν ἀμφιπόλοισι γυναιξὶν
ἠλάκατα στρωφῶσ᾽ ἁλιπόρφυρα· τῷ δὲ θύραζε
ἐρχομένῳ ξύμβλητο μετὰ κλειτοὺς βασιλῆας
ἐς βουλήν, ἵνα μιν κάλεον Φαίηκες ἀγαυοί. 55
Ἡ δὲ μάλ᾽ ἄγχι στᾶσα φίλον πατέρα προσέειπε·

57 « Πάππα φίλ᾽, οὐκ ἂν δή μοι ἐφοπλίσσειας ἀπήνην
ὑψηλὴν ἐύκυκλον, ἵνα κλυτὰ εἵματ᾽ ἄγωμαι
ἐς ποταμὸν πλυνέουσα, τά μοι ῥερυπωμένα κεῖται;
καὶ δὲ σοὶ αὐτῷ ἔοικε μετὰ πρώτοισιν ἐόντα. 60
Βουλὰς βουλεύειν καθαρὰ χροΐ εἵματ᾽ ἔχοντα.
Πέντε δέ τοι φίλοι υἷες ἐνὶ μεγάροις γεγάασιν,
οἱ δύ᾽ ὀπυίοντες, τρεῖς δ᾽ ἠίθεοι θαλέθοντες·
οἱ δ᾽ αἰεὶ ἐθέλουσι νεόπλυτα εἵματ᾽ ἔχοντες
ἐς χορὸν ἔρχεσθαι· τὰ δ᾽ ἐμῇ φρενὶ πάντα μέμηλεν. » 65

Ὣς ἔφατ᾽· αἴδετο γὰρ θαλερὸν γάμον ἐξονομῆναι
πατρὶ φίλῳ. ὁ δὲ πάντα νόει καὶ ἀμείβετο μύθῳ·

68 « Οὔτε τοι ἡμιόνων φθονέω, τέκος, οὔτε τευ ἄλλου.
Ἔρχευ· ἀτάρ τοι δμῶες ἐφοπλίσσουσιν ἀπήνην
ὑψηλὴν ἐύκυκλον, ὑπερτερίη ἀραρυῖαν. » 70

Ὣς εἰπὼν δμώεσσιν ἐκέκλετο, τοὶ δ᾽ ἐπίθοντο.
Οἱ μὲν ἄρ᾽ ἐκτὸς ἄμαξαν ἐύτροχον ἡμιονείην
ὥπλεον, ἡμιόνους θ᾽ ὕπαγον ζεῦξάν θ᾽ ὑπ᾽ ἀπήνῃ·
κούρη δ᾽ ἐκ θαλάμοιο φέρεν ἐσθῆτα φαεινήν.
Καὶ τὴν μὲν κατέθηκεν ἐυξέστῳ ἐπ᾽ ἀπήνῃ, 75
μήτηρ δ᾽ ἐν κίστῃ ἐτίθει μενοεικέ᾽ ἐδωδὴν
παντοίην, ἐν δ᾽ ὄψα τίθει, ἐν δ᾽ οἶνον ἔχευεν
ἀσκῷ ἐν αἰγείῳ· κούρη δ᾽ ἐπεβήσετ᾽ ἀπήνης.
Δῶκεν δὲ χρυσέῃ ἐν ληκύθῳ ὑγρὸν ἔλαιον,
ἧος χυτλώσαιτο σὺν ἀμφιπόλοισι γυναιξίν. 80
Ἡ δ᾽ ἔλαβεν μάστιγα καὶ ἡνία σιγαλόεντα,
μάστιξεν δ᾽ ἐλάαν· καναχὴ δ᾽ ἦν ἡμιόνοιιν.
Αἱ δ᾽ ἄμοτον τανύοντο, φέρον δ᾽ ἐσθῆτα καὶ αὐτήν,
οὐκ οἴην, ἅμα τῇ γε καὶ ἀμφίπολοι κίον ἄλλαι.

Αἱ δ᾽ ὅτε δὴ ποταμοῖο ῥόον περικαλλέ᾽ ἵκοντο, 85
ἔνθ᾽ ἦ τοι πλυνοὶ ἦσαν ἐπηετανοί, πολὺ δ᾽ ὕδωρ
καλὸν ὑπεκπρόρεεν μάλα περ ῥυπόωντα καθῆραι,
ἔνθ᾽ αἵ γ᾽ ἡμιόνους μὲν ὑπεκπροέλυσαν ἀπήνης.
Καὶ τὰς μὲν σεῦαν ποταμὸν πάρα δινήεντα
τρώγειν ἄγρωστιν μελιηδέα· ταὶ δ᾽ ἀπ᾽ ἀπήνης 90
εἵματα χερσὶν ἕλοντο καὶ ἐσφόρεον μέλαν ὕδωρ,
στεῖβον δ᾽ ἐν βόθροισι θοῶς ἔριδα προφέρουσαι.
Αὐτὰρ ἐπεὶ πλῦνάν τε κάθηράν τε ῥύπα πάντα,
ἑξείης πέτασαν παρὰ θῖν᾽ ἁλός, ἧχι μάλιστα
λάιγγας ποτὶ χέρσον ἀποπλύνεσκε θάλασσα. 95
Αἱ δὲ λοεσσάμεναι καὶ χρισάμεναι λίπ᾽ ἐλαίῳ
δεῖπνον ἔπειθ᾽ εἵλοντο παρ᾽ ὄχθῃσιν ποταμοῖο,
εἵματα δ᾽ ἠελίοιο μένον τερσήμεναι αὐγῇ.
Αὐτὰρ ἐπεὶ σίτου τάρφθεν δμῳαί τε καὶ αὐτή,
σφαίρῃ ταὶ δ᾽ ἄρ᾽ ἔπαιζον, ἀπὸ κρήδεμνα βαλοῦσαι· 100
τῇσι δὲ Ναυσικάα λευκώλενος ἤρχετο μολπῆς.

Homère, Odyssée, chant 6

C’est dans son palais que s’arrête Athéna, la déesse aux yeux pers, méditant en son âme le retour du courageux Ulysse. D’abord elle pénètre dans la superbe chambre où repose une jeune vierge que sa taille élégante et ses formes divines égalent aux immortelles, Nausica, la fille du magnanime Alcinoüs ; deux suivantes, qui reçurent des Grâces la beauté en partage, dorment à l’entrée de cette chambre dont les magnifiques portes sont étroitement fermées. Comme un souffle léger, Athéna s’approche du lit de la jeune vierge, se penche vers sa tête et lui parle en se montrant semblable à la fille du célèbre nautonier Dymante, compagne du même âge qu’elle et la plus chère à son cœur. Athéna aux yeux pers, sous les traits de la fille du nautonier, lui dit :

25 « Nausica, ta mère, en te donnant le jour, te rendit bien négligente ; car tes beaux vêtements sont jetés ça et là sans aucun ordre. Cependant le jour de ton mariage approche, ce jour où lu dois revêtir de riches parures, et en offrir à ceux qui te conduiront vers ton époux. Les vêtements somptueux font acquérir parmi les hommes une renommée qui rend joyeux un père et une mère vénérables. Nausica, dès que brillera la déesse Aurore, allons ensemble plonger ces vêtements dans les ondes du fleuve ; moi, je t’accompagnerai pour t’aider, afin que tout soit prêt promptement ; car tu ne seras pas longtemps vierge. Déjà les plus illustres d’entre les Phéaciens te recherchent en mariage, parce que toi, tu es aussi d’une noble origine. Ainsi donc, dès le lever de la matinale Aurore, engage ton glorieux père à faire préparer les mulets et le char qui doivent transporter tes ceintures, tes manteaux et tes riches vêtements. Il sied certainement mieux à une fille de roi d’aller sur un char plutôt que de se rendre à pied vers ce fleuve, qui est très-éloigné de la ville. »

41 En achevant ces paroles, Athéna aux regards étincelants monte vers l’Olympe où, dit-on, est l’inébranlable demeure des dieux, séjour qui n’est pas agité par les vents, qui n’est point inondé par les pluies et où la neige ne tombe jamais ; mais où circule toujours un air pur, et où règne constamment une éblouissante clarté. Athéna, après avoir donné de sages conseils à la belle Nausica, se dirige vers les célestes demeures où les dieux fortunés se réjouissent sans cesse.

48 La déesse Aurore au trône éclatant parait aussitôt, et elle réveille Nausica aux riches parures. La jeune fille, toute surprise du songe qu’elle vient de faire, se hâte de traverser les appartements pour en prévenir sa mère et son père chéris, qu’elle trouve retirés dans l’intérieur du palais. — La reine, assise près du foyer, et entourée des femmes qui la servent, filait avec des laines teintes de pourpre. Alcinoüs était sur le seuil de la porte : il se rendait, appelé par les nobles Phéaciens, au conseil des illustres chefs de l’île de Schérie. — Nausica s’approche de son père et lui dit :

57 « Père chéri, ne me feras-tu point préparer un char élevé, un char aux belles roues, afin que je puisse plonger dans les eaux du fleuve mes riches vêtements tout couverts de poussière ? Lorsque tu délibères dans le conseil avec les premiers d’entre les Phéaciens, il faut que tu sois couvert de manteaux sans souillure. Eh bien ! mon père, tu as cinq fils dans ce palais : deux sont mariés, et les trois plus jeunes ne le sont pas encore ; ceux-ci veulent toujours, tu le sais, des tuniques d’une blancheur éclatante pour se rendre dans les chœurs et dans les danses, et le soin de préparer leurs tuniques repose sur ta fille chérie. »

Elle dit. Nausica, par prudence, n’osait parler à son père de son prochain mariage. Mais Alcinoüs pénétrant la pensée de sa fille lui répond par ces mots :

68 « Mon enfant, je ne te refuserai ni mes mules, ni rien de ce que tu me demandes. Va, mes serviteurs te prépareront un chariot élevé muni d’une corbeille habilement tressée. »

Aussitôt il donne des ordres à ses esclaves, et tous s’empressent d’obéir. Les uns font sortir de la cour le chariot aux belles roues ; les autres conduisent les mules hors du palais et les attellent au chariot. La jeune fille apporte ses riches vêtements et les dépose sur l’élégant chariot. Sa mère place dans une corbeille des viandes de toute espèce, des mets délicieux, et verse du vin dans une outre de peau de chèvre ; (la jeune fille monte sur le char)

et la reine lui donne une huile ondoyante contenue dans une fiole d’or pour qu’après le bain elle puisse se parfumer avec les femmes qui l’accompagnent. Nausica saisit alors le fouet et les rênes brillantes ; elle frappe les mules pour les exciter à courir, et l’on entend aussitôt le bruit de leurs pas. Les mules s’avancent rapidement en emportant les riches vêtements de la jeune princesse suivie des femmes qui la servent.

85 Bientôt elles arrivent vers le limpide courant du fleuve ; là, dans des bassins intarissables, coule avec abondance une eau pure qui enlève rapidement toutes les souillures. Les suivantes de Nausica détellent les mules et les dirigent vers les rivages du fleuve pour qu’elles broutent les doux pâturages ; puis les femmes sortent du char les somptueux vêtements de la jeune fille, les plongent dans l’onde, et les foulent dans les bassins en luttant de vitesse les unes avec les autres. Lorsqu’elles ont ôté toutes les souillures qui couvraient ces riches étoffes, elles étendent les vêtements sur la plage en un lieu où la mer avait blanchi les cailloux ; elles se baignent ensuite, se parfument d’une huile onctueuse et prennent leur repas sur les rives du fleuve en attendant que les rayons du soleil aient séché les superbes parures de la belle Nausica.

Si vous voulez jouer… je vous propose quelques mots, autour, bien sûr, de l’eau et de la lessive, vous vous en doutiez… A vous de « remonter » au texte grec pour les retrouver, sachant que les numéros des vers sont là pour vous aider aussi!

Vous pouvez aussi préférer une traduction juxtalinéaire comme celle-ci.

Mais avant, prenez l’alphabet grec et reconnaissez les noms propres…

Facile, non? Vous pourrez remarquer que des mots assez longs sont souvent placés auprès d’eux. C’est un trait de style caractéristique des poèmes homériques. Un exemple? γλαυκῶπις Ἀθήνη = Athéna aux yeux pers.

Une difficulté toutefois : comment reconnaître « Ulysse », alors que vous ne trouverez aucun mot grec qui lui ressemble? Eh bien, il est ici : Ὀδυσσῆι μεγαλήτορι… Oui, vous l’avez compris, « Ulysse », en grec, c’est « Odysseus », comme le titre de l’oeuvre… le i dit grec n’existant justement pas en grec est un upsilon… Nouveau jeu : qui a droit en grec au même adjectif qu’Ulysse, alors que, dans le texte en français, il est traduit différemment? Et, puisqu’on y est, quel point commun entre cet adjectif et la « mégalomanie » ou une « magalopole »?

Revenons à Nausicâ…. Quels sont les qualificatifs qui lui sont donnés? Trouvez les en français, mais surtout en grec… Car malheureusement la traduction en une expression parfois un peu lourde trahit la beauté des mots grecs. Prenons cet exemple : « Ναυσικάαν ἐύπεπλον »… au passge, notez le préfixe « eu », qui signifie « bien » cf « euphémisme », et la seconde partie du mot qui peut évoquer certains mauvais films mettant un scène une Antiquité de pacotille… On retrouve le préfixe « eu » dans l’épithète liée à l’Aurore « Ἠὼς… ἐύθρονος », littéralement « au beau trône ». Avouez qu’on a plutôt l’habitude de la voir sur un char, non?

Pour rire un peu, une interprétation plus que tardive de cet épithète… sur une plaque de cheminée!

Je vous laisse poursuivre ce petit jeu, et en arrive au second. Il consiste à retrouver quelques mots en lien avec notre thème, la lessive, de l’eau à l’air… sans passer par les cendres, ici…

On lave dans le fleuve.. Si vous pensez à un gros mammifère qui vit dans l’eau douce, vous n’aurez pas de mal à trouver le terme grec dans le texte. Quant à la mer, facile! Pensez à une émission de télévision, à un bateau célèbre ou à des cures bien agréables… Ce fleuve est « plus que beau », « περικαλλέ᾽ », où vous reconnaissez peut-être le « kalos » de l’autre jour… Il a une rive escarpée « ὄχθη », et se jette dans la mer sur une belle plage de sable, « une rive en pente douce, avec du sable « θίς »…

Un très beau passage sur l’eau, je ne sais si vous l’avez remarqué? Essayez de le lire à haute voix, pour en apprécier les sonorités…

Αἱ δ᾽ ὅτε δὴ ποταμοῖο ῥόον περικαλλέ᾽ ἵκοντο, 85
ἔνθ᾽ ἦ τοι πλυνοὶ ἦσαν ἐπηετανοί, πολὺ δ᾽ ὕδωρ
καλὸν ὑπεκπρόρεεν μάλα περ ῥυπόωντα καθῆραι,
ἔνθ᾽ αἵ γ᾽ ἡμιόνους μὲν ὑπεκπροέλυσαν ἀπήνης

Maintenant que vous connaissez le terme qui désigne le fleuve, vous pouvez trouver, juste à côté, celui qui a trait à son cours, au flux… et qui est présent dans des mots français sous la forme « rhée »… dont des liquides moins limpides! Le rho n’est pas suivi d’un « h » en grec, mais surmonté d’une sorte de croissant de lune tourné vers la droite (comme lun descendante)… C’est ce qu’on appelle un « esprit », qui transcrit une aspiration, que l’on retrouve dans la graphie actuelle sous forme de « h »… Du coup, allez-vous trouvez le mot qui désigne l’eau? Vous le repérez? Pensez à tous les mots composés avec lui, en français : mesure de l’humidité, avion capable de se poser sur l’eau, choc thermique dû à la différence de température entre l’eau et la peau, etc… Il y en a bon nombre! L’eau est vive… Nous avons déjà évoqué son flux, on peut y ajouter les tourbillons « δινήεις, εντος : tourbillonnant » qui ont creusé la roche « βόθρος, ου : trou naturel, bassin ».

On trouve même un lexique très spécifique, lié à la lessive – le fait de laver ce qui est sale « πλύνω : laver, et son composé conjugué : ἀποπλύνεσκε : « lavait d’habitude »; ῥύπα : ce qui est sale » – comme στεῖβον < στείβω : fouler aux pieds du linge pour le nettoyer. Les jeunes filles foulent le linge au pied, avant de l’étendre sur des pierres blanchies par les flots et chauffées par le soleil. Elles en profitent alors pour s’adonner au plaisir du bain, puis s’oignent d’huile… Je vous laisse imaginer… ou lire… la suite… Un indice dans ce tableau (pour une iconographie assez fournie sur le héros et les Phéaciens, voir ce site)

Ulysse et Nausicaa, Bernard Buffet (1994)