L’autre jour, l’auteur du blog UN jour UN tableau m’a fait souvenir de l’art du raccommodage… Que ce soit une activité intime ou une activité d’extérieure, elle m’a toujours fascinée. Je m’explique.
Femme reprisant un bas, Vincent Van Gogh (1881)
Qui d’entre vous a vu un jour un-e de ses grands-parents se saisir d’un de ces superbes oeufs en bois ou en onyx, pour le glisser dans une vieille chaussette et ensuite, patiemment, en boucher le trou en croisant les fils me comprendra.
Un soldat de l’Union répare un uniforme dans ce stéréogramme de la vie quotidienne dans un campement pendant la Guerre civile américaine. [Library of Congress 1s02987] (source)
« La chaussette à l’endroit, mettre un “œuf” (une grenade ferait tout aussi bien l’affaire) en dessous du trou. »Instructions pour repriser une chaussette dans l’article « Needle Pointers » (« Brodeurs », NDT), Yank, The Army Weekly, février 1943.
Soit dit entre parenthèses, n’hésitez pas à vous référer à la source indiquée en légende de la photo, c’est succulent! On y découvre que les soldats canadiens aimaient recevoir leur trousse de couture… Mais en recherchant davantage, je me suis aperçue que la trousse à couture faisait partie du paquetage des soldats, déjà lors de la Première Guerre Mondiale.
Raccommoder, repriser et recoudre les boutons… 1914-1918
Qui d’entre vous a observé un jour des marins en train de raccommoder des filets de pêche ou une voile abîmée me comprendra. Cela, pour « l’extérieur ». Quoique…
Pêcheur réparant son filet, Gabriel Augizeau
Partir ! Aller n’importe où, vers le ciel ou vers la mer, vers le montagne ou vers la plaine ! Partir ! Aller n’importe où, vers le travail vers la beauté, ou vers l’amour ! Mais que ce soit avec une âme pleine de rêves et de lumières, avec une âme pleine de bonté, de force et de pardon !
S’habiller de courage et d’espoir, et partir, malgré les matins glacés, les midis de feu, les soirs sans étoiles. Raccommoder, s’il le faut, nos cœurs comme des voiles trouées, arrachées au mât des bateaux. Mais partir ! Aller n’importe où et malgré tout !
Mais accomplir une œuvre ! Et que l’œuvre choisie soit belle, et qu’on y mette tout son cœur, et qu’on lui donne toute la vie.
Cécile Chabot
J’ai déjà vu des tableaux et/ou photographies expliquant comment autrefois on réparait les voiles de ces merveilles des ondes, mais impossible d’en retrouver sur le net…
Un métier oublié que celui de raccommodeur… de porte-monnaies, par exemple. Si, si, ça existait! Le voici, peint par celui qui avait représenté aussi une touchante raccommodeuse de filet.
Le raccommodeur de porte-monnaie, Adolphe-Félix Cals
Raccommoder, repriser, réparer… les limites sont floues, comme on l’a vu. N’oublions pas le désuet « rapiécer », qui a valu à la génération de 68 de faire du faux rapiéçage, lorsqu’il était de mode d’avoir des vêtements avec des « pièces ». Mais on est alors bien loin du raccommodage!
Et le langage figuré s’est emparé des verbes pour nourrir les analogies, comparaisons ou métaphores… Un mot donc, bien d’actualité, pour que « Gardarem lou moral »!
» La présence réelle raccommode en quelques minutes ce qu’a gâté l’absence.« Henri-Frédéric Amiel, Les fragments d’un journal intime
Je me demandais si ce type de « série » ne vous lassait pas… merci de me le faire savoir par un commentaire, si vous le voulez bien… Moi j’aime, parce que cela me permet aussi de revisiter mon passé. Mais j’avoue que ce n’est sans doute pas passionnant pour certain-e-s. Donc, dites-moi. Et, de ce fait, cela me donne une idée. Si vous ne voulez pas contribuer, ce que je puis comprendre, vous pouvez par contre me demander des thèmes, soit uniques, soit pour une série, et je répondrai autant que possible… Ce pourrait être une autre forme de partage, non? Par exemple, j’ai en préparation le thème « nuciculture », demandé par un de mes amis. Je ne sais pas si je vais y parvenir, mais c’est un challenge intéressant, non? Si vous avez des idées…
Mais revenons à nos chiffons… Aujourd’hui j’ai envie de vous parler de dentelle.
Coussin, fuseaux, épingles, carton… il suffit de faire!
Lorsque j’étais petite, nous allions en vacances en Auvergne, à Saint-Nectaire. Il y avait, sur le seuil d’une boutique près la Cure thermale fréquentée par mon petit frère une vieille dentelière avec qui j’aimais aller discuter. J’admirais la danse de ses doigts fins entre fils et fuseaux, et je ne m’en lassais pas. Pas plus que du jeu des épingles ôtées, déplacées, repiquées, des épingles aux têtes multicolores… Il m’est arrivé, depuis, de voir travailler d’autres dentelières, et j’ai retrouvé une partie de cette magie, mais il manquait la Vieille Dame de mon enfance…
De oude kantklosser, Dyckmans (1846)
La Dentellière
De son voile frêle et joli la dentellière coquette s’ est parée , et son visage heureux a mis sur la blancheur du tulle vaporeux un chatoyant reflet d’aurore printanière .
Elle rit de plaisir , enfant naïve et fière ; pour sa merveille elle a des regards amoureux et ses petites mains lisses de doigts peureux le réseau traversé par la blonde lumière .
Elle rit , mais songeant que l’oeuvre caressée sera demain peut être incomprise et froissée son front , anxieux soudain , s’incline tristement .
Car l’humble jeune fille a laissé dans la trame ou s’enroule un feston irréel et charmant le rêve de beauté qui visite son âme .
Paul Roussoles (1903)
De kantwerkster, Vermeer (autour de 1670)
Si vous voulez plus de littérature sur la dentelle et les dentelières, j’ai découvert un joli blog intitulé « Les Malles de Marie », plein de ressources sur ce thème. C’est là que j’ai trouvé ce poème, parmi d’autres textes, dont certains en patois.
Et comme j’adore apprendre de nouveaux mots, j’en ai appris quelques-uns, dont le charmant « couvige ». Savez-vous ce que c’est? En voici un exemple, en photo.
Le couvige est à l’origine auvergnat. Si l’on « remonte » dans ma région de naissance, on trouve une autre fête des dentelières, et plus largement des filtiers (elle devint progressivement la fête du textile en général) , qui porte le nom du fuseau en ch’ti : « ch broquelet » – pour en savoir davantage : .
» Il y a cinq sortes de broquelets :
1) Les bos. Ce sont les plus communs, tous les bois y sont propres.
2) Les gros fis (un peu plus gros que les bos) il contiennent le fil le plus gros pour faire les dessins.
3) Les bos d’ chuc, en ébène ou bois de Ste Lucie, dont l’odeur est agréable ;
4) Les dés d’ivoire sont en même temps des objets de luxe et d’utilité économique. Si la grosse tête d’un broquelet vient à casser, on la remplace par un dé d’ivoire qui n’est à proprement parler qu’une tête de remplacement.
Cette fête, née au 16ème siècle, a disparu dans la seconde moitié du 19ème.
« L’historien Alain Lottin remarque qu’Ignace Chavatte, ouvrier sayetteur à Saint-Sauveur, qui évoque d’autres fêtes (Procession de Lille, fête de la Saint-Jean) ne la mentionne pas dans sa chronique des années 1660 à 1690. Alain Lottin considère le développement de cette fête au cours du XVIIIe siècle lié à la croissance du nombre de dentellières.
La sayetterie et la bourgetterie, activités artisanes masculines de tissage d’étoffes, prospères au XVIe siècle et première moitié du XVIIe siècle, ont décliné au XVIIIe siècle à la suite de la fermeture de marchés. La suppression en 1777 du monopole de fabrication de ces étoffes à Lille acquis en 1524 (arrêt donnant le droit aux campagnes de fabriquer ces tissus) leur porta un coup fatal. Ce déclin a été compensé par le développement de la dentellerie qui aurait employé près de la moitié de la population féminine de Lille en 1789 et celle de la filterie, activité masculine de transformation du lin en fil à coudre. Les métiers de filtiers et de dentellières se sont réunis au cours du XVIIIe siècle sous le patronage de Saint-Nicolas.
A partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la fête du Broquelet se déroulait à Wazemmes, faubourg à l’extérieur des remparts de Lille jusqu’à l’annexion de 1858, à la guinguette de la Nouvelle Aventure située à l’emplacement actuel de la place du Marché. Ce vaste établissement pouvait accueillir plusieurs milliers de personnes.
La fête durait plusieurs jours, huit jours puis trois jours. La fin du troisième jour était marqué par la translation de Saint-Nicolas consistant à noyer symboliquement le saint dans la Deûle au pont tournant du pont de la Barre
La fête déclina vers 1850 et disparut avec la fermeture de la guinguette de la Nouvelle Aventure démolie pour aménager la place du Marché. La dernière fête eut lieu du 9 au 13 mai 1861. » (Wikipedia)
J’aurais pu copier le texte d’Alexandre Desrousseaux (1820-1892), fils d’une dentelière, relatant ces festivités vues par une dentelière, dont vous connaissez peut-être une berceuse devenue célèbre – oui, bravo! Le P’tit Quinquin. Tiens, mais au fait, je viens de réaliser que celle qui chante est « eun vieil dintelière »… Souvenir d’enfance? Mais ce texte est vraiment long (et je n’ai toujours pas trouvé comment faire un texte en deux colonnes avec WordPress!). Vous le trouverez intégralement sur le même site.
Il existait des écoles pour apprendre à faire de la dentelle. Une trace en est apportée par ce tableau qui montre les différentes étapes de l’apprentissage et l’andragogie mise en oeuvre.
La scuola delle merlettaie, Gioacchino Toma (source)
Dans les héritages familiaux, la dentelle est omniprésente… A commencer par la robe de baptême. Notre robe familiale fait environ un mètre de haut, ce qui, avouez, est bien démesuré pour un nourrisson! Mais quel bel assemblage de dentelles! Cela continuait avec les gants blancs des petites filles pour la messe le dimanche, puis avec le voile et la robe de mariée, pour en arriver au voile de deuil, pour lequel le fil noir remplaçait le blanc… Et je ne parle pas du linge de maison… La dentelle est revenue par épisodes à la mode, pour un détail comme un col, ou un vêtement tel qu’un chemisier. Mais il faut reconnaître que la dentelle industrielle n’aura jamais le charme de la dentelle faite main au bruit des fuseaux s’entrecroisant et au ballet des fils autour des épingles…
Certain-e-s vont me reprocher d’avoir négligé le cinéma, et le célèbre film La Dentellière, dont le titre fait référence non à l’activité, mais à la citation finale « Il sera passé à côté d’elle, juste à côté d’elle, sans la voir parce qu’elle était de ces âmes qui ne font aucun signe, mais qu’il faut patiemment interroger, sur lesquelles il faut savoir poser le regard. Un peintre en aurait fait autrefois le sujet d’un tableau de genre. Elle aurait été lingère, porteuse d’eau ou dentellière« … Mais je préfère finir sur une note d’humour (avez-vous remarqué combien la quantité d’humour demandée ou recherchée est proportionnelle à celle du désarroi voire dés-espoir? Il n’est qu’à voir les émissions proposées sur le petit écran en ce moment…). Voici donc un moyen de faire de la dentelle durant le confinement…
Petit clin d’oeil à Monsieur Boileau, et, en passant, à Pénélope qui défaisait chaque nuit ce qu’elle produisait le jour, pour aborder la suite du filage, à savoir le tissage. Cette activité m’a intéressée tellement, à un moment de ma vie, que j’avais acheté un métier à tisser. Par la suite, j’ai eu l’occasion de voir l’art si particulier des tisserands guinéens… Tisserands, oui… Vous avez bien vu… du masculin. Car, comme toutes les activités qui touchent à l’habillement, nous retrouvons des questions de genre dans celle-ci. Parfois réservée aux femmes, parfois aux hommes, ou parfois connotée en fonction de ce que l’on tisse, elle est devenue affaire de « famille » à l’époque des Canuts. Mais avançons pas à pas, avant d’en arriver à Lyon…
Atelier de tisserand, Cornelis Guerritz Decker
Le tisserand
La cave est froide et sombre. Un escalier glissant. Envahi par l’ortie et la mousse, y descend… Dans le cadre béant de la vitre éborgnée, Depuis le jour naissant, une grise araignée Va, vient, croise ses fils, tourne sans se lasser, Et déjà l’on peut voir les brins s’entrelacer, Et dans l’air s’arrondir une frêle rosace, Chef-d’oeuvre délicat de souplesse et de grâce. Parfois, dans son travail, l’insecte s’interrompt, Son regard inquiet plonge au caveau profond. Là, dans un angle obscur, un compagnon de peine, Un maigre tisserand, pauvre araignée humaine, Façonne aussi sa toile et lutte sans merci. Le lourd métier, par l’âge et la fraîcheur noirci, Tressaille et se débat sous la main qui le presse ; Sans cesse l’on entend sa clameur, et sans cesse La navette de bois que lance l’autre main Entre les fils tendus fait le même chemin…
Du métier qui gémit le tisserand est l’âme Et l’esclave à la fois : tout courbé sur la trame, Les pieds en mouvement, le corps en deux plié, A sa tâche, toujours la même, il est lié Comme à la glèbe un serf. Les fuyantes années Pour lui n’ont pas un cours de saisons alternées ; Dans son caveau rempli d’ombre et d’humidité, Il n’est point de printemps, d’automne, ni d’été ; Il ne sait même plus quand fleurissent les roses, Car, dans l’air comprimé sous ces voûtes moroses, Jamais bouton de fleur ne s’est épanoui… Quand il sort, c’est le soir, pour rendre à la fabrique Sa toile, et recevoir un salaire modique ; Puis il rentre ployé sous son faix de coton. Le dur métier l’attend ; les lames de laiton Se partagent les fils dont la chaîne est formée A l’oeuvre maintenant ! La famille affamée, Si la navette hésite ou s’arrête en chemin, La famille n’aura rien à manger demain. O maigre tisserand, ô chétive araignée, Vous avez même peine et même destinée, Et, dans le même cercle aride, votre sort, Pénible et résigné, tourne jusqu’à la mort.
André Theuriet
Le tisserand, Paul Sérusier (1888) *
On remarque que le tisserand est représenté de face ou de côté sur presque tous les tableaux qui en représentent un. Il est toutefois des cas où on le voit de dos, ce qui trahit une volonté de représenter, au-delà du geste, l’environnement de la personne, pourtant déjà si présent dans les oeuvres ci-dessus – en particulier par le nombre impressionnant d’objets qui traînent à terre !
Je ne puis prouver l’existence effective de ces oeuvres, dont il n’y a à ma connaissance qu’un témoignage sur Internet, mais je ne résiste pas à l’envie de les publier. D’un côté, une peinture. De l’autre, une lithographie dont il est dit qu’elle est « tirée de mon tableau ». Quoi qu’il en soit, une curiosité que l’atelier de Jean-Baptiste Malézieux.
Il est une chose que j’ai apprise lors de ma vie en Afrique, alors qu’elle est d’une banalité affligeante : combien le matériel contraint l’artisan et l’artiste. Ainsi, que la largeur des bandes tissées dépendait… de la taille du métier! Je n’y avais jamais songé. Et maintenant, quand je regarde mes rideaux faits de bandes cousues, aux bleux d’indigo plus ou moins clairs, je revois les tisserands qui oeuvrent dans certains villages guinéens. Ce n’est pas l’un de ceux-là que représente la photo ci-dessous, car je ne leur ai jamais demandé le droit de diffuser la photo faite d’eux (dont je leur offrais, bien sûr, un exemplaire papier), mais un de leurs collègues pris sur une banque libre de droits.
Tisserand de Waranieni, village proche de Korhogo en Côte d’Ivoire
Voilà qui me donne une furieuse envie de vous parler une autre fois de teintures, un des autres arts que j’ai admirés au Maroc, en Guinée et en Côte d’Ivoire…
Pour revenir dans nos contrées, et à une époque qui m’est chère, le tissage fut au Moyen-Age affaire de femmes. En témoigne l’un de mes auteurs fétiches, Chrétien de Troyes…
Complainte des tisseuses de soie
Il vit jusqu’à trois cents jeunes filles, Occupées à divers travaux. Elles travaillaient des fils d’or et de soie Chacune de son mieux, Mais dans une telle misère Que beaucoup étaient sans coiffe et sans ceinture… Leurs robes étaient déchirées, Et leurs chemises sales dans le dos. De faim et de mal elles avaient Cous grêles et visages pâles.
Nous tisserons toujours des étoffes de soie Et n’en serons jamais mieux vêtues. Toujours nous serons pauvres et nues Et toujours nous aurons faim et soif ; Jamais nous ne saurons gagner Assez pour avoir à manger. Nous avons du pain à grand-peine, Un peu le matin, moins le soir ; Car jamais du travail de ses mains, Chacune n’aura pour vivre Plus de quatre deniers à la livre. Avec cela nous ne pouvons pas Avoir assez de nourriture et d’étoffe ; Car qui gagne chaque semaine Vingt sols n’est pas hors de peine. Sachez-le bien : Il n’y a aucune de nous Qui gagne vingt sous ou davantage. Un duc serait riche avec cela ! Notre pauvreté est grande Et il est riche de notre misère Celui pour qui nous peinons. Nous veillons une grande partie de la nuit Et tout le jour pour avoir un gain ;
Mais que vous raconterai-je ? Nous avons tant de mal et de honte Que je ne puis vous en dire le cinquième.
Le « il » du début, c’est Yvain, dit « Le Chevalier au Lion ». Chrétien de Troyes, dans ses romans, allie le merveilleux du monde médiéval à l’Histoire des Chevaliers de la Table Ronde, mais n’oublie jamais d’évoquer de manière très réaliste la vie du peuple au 12ème siècle. C’est ce qui avait poussé la jeune étudiante que j’étais en Sorbonne jadis à faire un mémoire – qui devait constituer une partie d’une thèse – à « La réalité historique et sociale dans Erec et Enide de Chrétien de Troyes« …
Etrangement, pas de représentations d’ateliers trouvées dans les enluminures, mais le plus souvent, des Dames seules ou accompagnées d’autres gentes dames ou d’enfants…
Le poème a été mis en musique et interprété par la suite, notamment par Jacques Douai. La voici par l’ensemble Aelis, qui, soit dit en passant, s’est trompé en l’attribuant à Marie de France!
La misère observée par Yvain est telle qu’il croit ces ouvrières captives du Diable!
Le Chevalier au Lion combattant le Diable
De là à faire un saut de plusieurs siècles pour arriver dans la cité où l’on tissait la soie, il n’y a qu’un pas… Nous voici donc arrivé chez les Canuts, bien sûr! Vous vous y attendiez, je pense? Commençons donc par la chanson d’Aristide Bruant, merveilleusement interprétée par Yves Montand.
Intérieur d’un atelier de canuts de la rue des Epies, attribué à Balthazar Alexis (19ème)
Je finirai par la Bretagne. J’ai trouvé, sur un blog très intéressant, Le Lien Tissé, la carte postale ancienne que j’ai reproduite en fin, et une vidéo sur le métier de Tisserand à Locronan, un village devenu hélas un peu trop touristique mais qui garde son charme hors saison… Vous pourrez ensuite continuer à découvrir le métier de tisserand dans différents milieux. Les Landes, le Sénégal et la Côte d’Ivoire, où vous retrouverez le village dont nous traitions plus haut. Et vous pourrez finir par la modernisation racontée par ce descendant d’une entreprise de tissage en Pays Basque. Bon visionnement!
Et un dernier mot… J’ai appris à tisser, vous pouvez donc le faire. D’abord, en tissant la laine sur des carcasses d’abat-jour (que je ne puis hélas vous montrer, ils sont loin et on ne peut se déplacer…). Puis en apprenant à me servir d’un petit métier… Un plaisir simple, loin des contraintes des ouvrières du Moyen-Age…
A la femme le rouet, à l’homme le métier… Bretagne, 19ème
Pour pouvoir coudre, il faut la matière. Truisme, me direz-vous… Certes… Qu’elle soit peau de bête plus ou moins tannée ou tissu fabriqué par l’Homme… Peut-être un jour vous parlerai-je de Préhistoire, qui fut une de mes passions. Mais aujourd’hui j’ai envie de parler des fileuses. Vous deviez vous y attendre, si vous savez à quel point cette figure est présente dans la littérature et dans la peinture…
La fileuse, chevrière auvergnate, Millet (1868 ou 69)
La fileuse
Assise, la fileuse au bleu de la croisée
Où le jardin mélodieux se dodeline ;
Le rouet ancien qui ronfle l’a grisée.
Lasse, ayant bu l’azur, de filer la câline
Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,
Elle songe, et sa tête petite s’incline.
Un arbuste et l’air pur font une source vive
Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose
De ses pertes de fleurs le jardin de l’oisive.
Une tige, où le vent vagabond se repose,
Courbe le salut vain de sa grâce étoilée,
Dédiant magnifique, au vieux rouet, sa rose.
Mais la dormeuse file une laine isolée ;
Mystérieusement l’ombre frêle se tresse
Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.
Le songe se dévide avec une paresse
Angélique, et sans cesse, au doux fuseau crédule,
La chevelure ondule au gré de la caresse…
Derrière tant de fleurs, l’azur se dissimule,
Fileuse de feuillage et de lumière ceinte :
Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.
Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte,
Parfume ton front vague au vent de son haleine
Innocente, et tu crois languir… Tu es éteinte
Au bleu de la croisée où tu filais la laine.
Paul Valéry, Album de vers anciens
Loin de moi l’idée de faire un exposé sur le filage et son interprétation à travers l’Histoire et la Mythologie. Depuis le mythe des Parques jusqu’au conte de Perrault où cela valut 100 ans de sommeil à la Belle, en passant par la triste histoire d’Arachnée narrée par Ovide, on le retrouve à toute époque et quasiment en tout lieu (bon, d’accord, je ne suis pas allée voir chez les Inuits…).
Fileuse, Perse (autour de 1000 av. J.-C.)
A propos, ou plutôt hors de propos, au moins partiellement… Vous vous souvenez peut-être qu’hier je vous ai défié-e-s de trouver un « couturier » autre que grand dans un tableau… Pour ce qui concerne le filage, j’ai ce qu’il faut… eh oui!
Pieter Pietersz (16ème siècle)
Lorsque j’étais petite, je me suis beaucoup amusée avec le rouet présent dans la pièce à vivre de mes grands-parents, au grand désespoir de ma grand-mère qui craignait de le voir détruit. Il faut dire que le jeu consistait à faire tourner la roue de plus en plus vite, en actionnant la pédale… à la main, jusqu’à être assez grande et forte pour le faire au pied!
Le rouet de mon enfance
Nombreuses sont les chansons qui ont trait au filage… Loin de moi l’idée d’en faire un inventaire exhaustif.
Beaucoup évoquent le temps passé, comme celle qu’interprète le groupe Décibal, ou encore celle de Théodore Botrel, chantée par Louis Bory, illustrée dans ce diaporama par de belles photos de Bretagne, qui fait allusion à l’Ankou. La chanson « Filez la laine » a été reprise par divers chanteurs/euses, dont Isabelle Aubret, et par la chorale à laquelle participe un de mes amis, la chorale Philomèle…. et une voix à fondre, celle de Fabrizio de Andre. Des chansons en langues vernaculaires sont aussi légion. En occitan, Las Fielairas, ici ou là.
En écho au poème de Valéry, ce beau texte de Philippe Soupault chanté par Catherine Sauvage ou la belle voix de Fabienne Thiebault… J’espère qu’avec tout cela, vous n’allez pas filer « Le Mauvais Coton » (Brigitte Fontaine)… et au contraire passer un bel après-midi en filant… le parfait amour? Mais un petit trait d’humour avant de nous quitter…
En marge Book of Hours, Use of Maastricht (‘The Maastricht Hours’), 14ème
En écrivant ce titre, je m’interroge sur une question… de genre… Lorsque je pense « couture », je pense d’abord à des hommes. Eh oui! Les femmes de ma famille ne cousaient pas, mais certains de mes amis cousent, et, dans les pays où j’ai vécu, les professionnel-le-s de la couture sont surtout des hommes. La preuve, cette photo que vient de m’adresser un de mes amis – encore une coïncidence!
La Folie des Masques
Il venait de coudre son troisième masque, pour répondre aux injonctions sanitaires…
On retrouve pour la couture le même phénomène que pour la cuisine, dans notre pays. Au quotidien, souvent une affaire de femmes. Mais en haut, avec adulation à la clef – amplifiée maintenant par les médias, et, en ces temps de confinement, on tombe dans le show quasi-permanent – en haut, disais-je, ce sont encore souvent des hommes, les « grands chefs », même s’il commence à exister des « grandes cheffes », comme il y a plus de « grands couturiers » (dont combien savent coudre???) que de « grandes couturières »…
Et en art, c’est frappant. Ce sont essentiellement des femmes qui sont représentées sur les tableaux ou en photographie. Mais je ne désespère pas de trouver des hommes… La quête commence, et vous pouvez bien sûr y participer…
A propos de participer, il fait plus que cela, « Karlhiver » sur son blog « UN jour, UN tableau »… Il m’a entendue, et a repris le thème avec ardeur, joignant de très beaux textes aux tableaux. Qu’il en soit remercié, c’est un vrai bonheur que de dialoguer par art interposé.
Mais revenons à la couture. Car, aujourd’hui, je me limiterai à cette activité, en oubliant ce que je dénommerai de manière un peu arbitraire et certes critiquable les « avant » (filage, tissage, coupe), les « à côté » (dentelle, tricot, patchwork) et les « plus » (broderie).
La petite couturière, Jules Breton (1858)
Vous pouvez donc lire ou écouter ce poème de Maurice Rollinat, que je trouve magnifique dit par Yvon Jean.
La petite couturière
Elle s’en vient à travers champs, Le long des buissons qui renaissent Pleins de murmures et de chants ; Elle s’en vient à travers champs. Là-bas, sur les chaumes penchants, Mes yeux amis la reconnaissent. Elle s’en vient à travers champs, Le long des buissons qui renaissent.
Elle arrive et dit ses bonjours Sans jamais oublier la bonne : Timidement, comme toujours, Elle arrive et dit ses bonjours. C’est l’ange de bien des séjours, Elle est si jolie et si bonne ! Elle arrive et dit ses bonjours. Sans jamais oublier la bonne.
La voilà donc tirant son fil, Assise devant la croisée ! Délicieuse de profil, La voilà donc tirant son fil. Aux rayons d’un soleil d’avril La vitre miroite irisée. La voilà donc tirant son fil, Assise devant la croisée.
Ses doigts rompus aux longs fuseaux, Coudraient une journée entière. Ils sont vifs comme des oiseaux Ses doigts rompus aux longs fuseaux. Comme ils manœuvrent les ciseaux Qui pendent sur sa devantière ! Ses doigts rompus aux longs fuseaux Coudraient une journée entière.
Elle sait couper un gilet Dans une vieille redingote, Et ravauder un mantelet ; Elle sait couper un gilet. Pour la boutonnière et l’ourlet, Que de tailleurs elle dégote ! Elle sait couper un gilet Dans une vieille redingote !
Elle coud du vieux et du neuf, Elle repasse et rapiécette, Draps de coton et draps d’Elbeuf, Elle coud du vieux et du neuf. Comme elle fait courir son œuf De bois peint dans une chaussette ! Elle coud du vieux et du neuf, Elle repasse et rapiécette !
Quand le déjeuner est servi, Ce n’est pas elle qui lambine ! Pour moi, je m’attable ravi, Quand le déjeuner est servi. Et nous dévorons à l’envi ! Adieu bouquin ! adieu bobine ! Quand le déjeuner est servi, Ce n’est pas elle qui lambine.
Enfin ! promenades ou jeu ! Sa récréation commence, Ensemble nous sortons un peu ; Enfin ! promenades ou jeu ! — Dans les taillis, sous le ciel bleu, Le rossignol dit sa romance Enfin ! promenades ou jeu ! Sa récréation commence.
Nous allons voir les carpillons Au bord de l’étang plein de rides, Et que rasent les papillons. Nous allons voir les carpillons ; Le soleil emplit de rayons Son beau petit bonnet sans brides. Nous allons voir les carpillons Au bord de l’étang plein de rides.
Quand on a rangé le dressoir, Elle se remet à mes nippes. Alors, en voilà jusqu’au soir, Quand on a rangé le dressoir. Auprès d’elle je vais m’asseoir Et jaser en fumant des pipes. Quand on a rangé le dressoir Elle se remet à mes nippes.
Je lui fais chanter de vieux airs Qui me rappellent mon enfance, Quand j’errais par les champs déserts ! Je lui fais chanter de vieux airs. Et nous causons ! rien dans mes airs, Ni dans mes termes qui l’offense. Je lui fais chanter de vieux airs Qui me rappellent mon enfance.
Ses histoires de revenant Me font peur ! je le dis sans honte. Je les écoute en frissonnant, Ses histoires de revenant, C’est toujours drôle et surprenant, Les choses qu’elle me raconte : Ses histoires de revenant Me font peur ! je le dis sans honte.
Et la mignonne disparaît Comme on allume la chandelle ! Elle quitte son tabouret ; Et la mignonne disparaît. « Bonsoir ! dit-elle, avec regret. — A bientôt ! ma petite Adèle ! » Et la mignonne disparaît Comme on allume la chandelle !
Maurice Rollinat
La couturière, Willian-Adolphe Bouguereau
Le lien entre conte et couture est fort, et j’y reviendrai sans doute. A l’heure actuelle, on en trouve encore traces, dans le nombre de blogs qui allient les deux… Emanant soit de personnes aimant la couture, participant à des ateliers, partageant leurs travaux, comme « Il était une fois des points contés » soit de conteurs ou conteuses qui relient leur art à cette activité, comme « La Cassoun« , « Flo, conteuse et couturière d’histoires ».
A propos de contes, connaissez-vous celui-ci de La Fontaine ? (attention, classé X ! )
Certaine soeur, dans un Couvent, Avoit certain amant en ville, Qu’elle ne voyoit pas souvent La chose, comme on sait, est assez difficile. Tous deux eussent voulu qu’elle l’eût été moins ; Tous deux, à s’entrevoir, apportoient tous leurs soins. Notre soeur en trouva le secret la première : Nonnettes, en ceci, manquent peu de talent. Elle introduisit le galant, Sous le titre de couturière, Sous le titre et l’habit aussi. Le tour ayant bien réussit, Sans causer le moindre scrupule, Nos amants eurent soin de fermer la cellule, Et passèrent le jour assez tranquillement Á coudre, mais Dieu sait comment. La nuit vint ; c’étoit grand dommage, Quand on a le coeur à l’ouvrage. Il fallut le quitter : » Adieu, ma soeur, bonsoir !Couturière, jusqu’au revoir ! « Et ma soeur fut au réfectoire, Un peu tard, et c’est là le fâcheux de l’histoire. L’abbesse l’aperçut, et lui dit en courroux : » Pourquoi donc venir la dernière ?
Madame, dit la soeur, j’avois la couturière.
Vos guimpes ont donc bien des trous, Pour la tenir une journée entière ? Quelle besogne avez-vous tant chez vous Où jusqu’au soir elle soit nécessaire ?
Elle en avoit encor, dit-elle, pour veiller ; Au métier quelle a fait, on a beau travailler, On y trouve toujours faire. «
Il est toujours ambivalent de fêter le muguet du Joli Mai… quand on en connaît l’histoire. Ce n’est donc point ce que je vais évoquer ici, même si je souhaite à toutes mes lectrices et à tous mes lecteurs tout le bonheur possible – au sens philosophique du terme, n’est-ce pas, Pangloss?
J’avais échangé avec un de mes commentateurs fidèles, dernièrement, sur l’idée d’une nouvelle « série », autour cette fois non du lavage du linge, mais de la couture sous toutes ses variantes, car nous avions remarqué qu’il y a moultes représentations de cette activité dans les arts, et en particulier en peinture. A nouveau mois, nouvelle série…
Atelier de couture à Arles, Antoine Raspal (vers 1785)
J’initie donc celle-ci, par un poème d’une écrivaine non reconnue par la littérature officielle, mais qui a reçu des prix de poésie. Comme j’aime les jeux de mots, les jeux avec les mots, je vous laisse retrouver dans celui-ci ceux qui évoque les activités manuelles en lien avec le linge, le tissu, les vêtements… une introduction amusante donc…
Patchwork de rêves, couture de mots
Je voyage souvent sur les ailes du temps,
Des souvenirs d’antan, jusqu’aux moments présents,
Quand la nuit tisse trame à l’étoffe des rêves,
Elle file mon âme au rouet des ténèbres,
Effiloche les jours, rafistole mon coeur,
Le borde de velours en sa douce tiédeur,
Elle aiguille les rimes au fil des heures blanches,
La mère de l’artiste cousant, Charles Angrand (1885)
En observant ce qui est écrit ou représenté picturalement sur cette activité, saute aux yeux l’antinomie collectif/individuel. Alors j’ai choisi de commencer par le collectif, comme vous l’avez remarqué. J’aime beaucoup ce tableau, et vous?
Bretonische Schneiderinnen, Jean Baptiste Jules Trayer (1854)
Je te salue, ô Terre, ô Terre porte-grains, Porte-or, porte-santé, porte-habits, porte-humains, Porte-fruits, porte-tours, alme, belle, immobile, Patiente, diverse, odorante, fertile, Vestue d’un manteau tout damassé de fleurs Passementé de flots, bigarré de couleurs. Je te salue, ô coeur, racine, baze ronde, Pied du grand animal qu’on appelle le Monde, Chaste espouse, du Ciel, asseuré fondement Des estages divers d’un si grand bastiment. Je te salue, ô soeur, mere, nourrice, hostesse Du Roy des animaux. Tout, ô grande princesse, Vit en faveur de toy. Tant de cieux tournoyans Portent pour t’esclairer leurs astres flamboyans ; Le feu pour t’eschauffer sur les flotantes nues Tient ses pures ardeurs en arcade estendues ; L’air pour te refreschir se plait d’estre secoux Or’ d’un aspre Borée, or’ d’un Zephyre doux ; L’eau, pour te destremper, de mers, fleuves, fonteines Entrelasse ton corps tout ainsi que de veines
Hé ! que je suis marri que les plus beaux esprits T’aient pour la plupart, ô Terre, en tel mépris : Et que les coeurs plus grands abandonnent superbes, Le rustique labeur et le souci des herbes Aux hommes plus brutaux, aux hommes de nul prix, Dont les corps sont de fer, et de plomb les esprits …
Guilhem Sallusti deu Bartàs (1544-1580)
Dans le jardin du bey, John Frederick Lewis
Que faire quand on ne sait plus de quoi sera fait l’avenir et qu’on ne peut plus faire tout ce que l’on aime? Nous assistons en ce moment, pour une partie de la population, à un vrai retour à la terre. Celles et ceux qui ont fui dans les campagnes se réfugient dans les plaisirs – corvées ou corvées – plaisirs de la culture. Retour aux sources ancestrales? Besoin de se sentir « vivant-e-s », en accord avec Gé, la Terre Mère? Activité démontrant l’utilité, sinon sociale, du moins personnelle? Défoulement individuel, à défaut de fêtes collectives? Toujours est-il que nous sommes, je pense, un certain nombre à bêcher, piocher, biner, sercler… tous mots plus ou moins oubliés, qui ressurgissent de nos passés de descendant-e-s d’agriculteurs, de fermiers, de propriétaires terriens, de cultivateurs en un mot. Nomade redevenue par force et contrainte policière sédentaire, je n’échappe pas à cette vogue…
Et le cadeau d’anniversaire offert par mes jeunes ami-e-s et voisin-e-s m’y a encore plus poussée : plants de framboisiers, de groseillers, et de fraisiers… Vous l’avez deviné, j’aime les fruits rouges! Sans compter un paquet joliment emballé du fumier de leurs équidés et un autre de paillage. Le moment de renouer avec l’enfance, quand j’aidais ma grand-mère dans son vaste jardin. Et de me dire « Mais comment faisait-elle pour entretenir tout cela et nous régaler ainsi de fraises de diverses espèces, depuis la petite fraise des bois jusqu’aux juteuses grosses fraises, de groseilles blanches, roses, rouges et à maquereaux? de liqueur de cassis, de cerises à l’eau de vie et de poires au chocolat? » Elle dont ce n’était ni le choix, ni la vie rêvée… Pas plus que la mienne, soit dit en passant…
L’offrande des fraises, Mathurin Méheut (1933) Source
Et de repenser à l’un des écrivains qui a nourri mon adolescence et que j’ai tenté de faire aimer à de plus jeunes, Voltaire… Ne sommes-nous pas toutes et tous un peu « Candide » en ce moment ? Et puis, « germinal », « floréal », « prairial », quels jolis noms pour désigner un temps qui est, serait ou pourrait être perdu… Germinal est fini, nous sommes entré en Floréal…
A ce propos, avez-vous lu l’étonnant rapport de Fabre d’Eglantine (un nom prédestiné!!!) ? Il est accessible en ligne, jetez-y un oeil…
Je vous invite donc, si vous participez au grand décompte national, d’utiliser ces noms de jours… plus beaux que les chiffres, non ? en attendant « Fritillaire »… Mais au fait, savez-vous ce qu’est une fritillaire?
Il faisait hier une journée de printemps typique de ces régions septentrionales : à l’aube, de la brume… Puis un ciel bleu et pur… Mais un vent froid qui ne permet pas d’apprécier la chaleur du soleil autrement qu’à l’abri des auvents… Mais les oiseaux s’en sont donné à coeur joie, à choeur voix, pour fêter l’Italie, la Révolution des Oeillets et les soixante-huitard-e-s…
Revolucion de las Claveles
Alors, en ce dimanche matin, je vous propose d’écouter le chant des oiseau, et d’abord, pour celles et ceux qui n’ont pas la chance de se promener par monts et par vaux, par bois et par prés, il y a un moyen de le faire virtuellement… Diffusez des huiles essentielles qui vous rappellent la nature, et regardez les magnifiques vidéos réalisées par certain-e-s amateurs/trices ou ornithologues, avec des vues splendides et des enregistrements authentiques… Par exemple, puisque c’est l’oiseau qui séduit le poète (et philosophe) que j’ai eu envie de vous faire découvrir ce matin, la linotte…
Linotte Qui frigotte, Dis, que veux-tu de moi ? Ta note, Qui tremblote, Me met tout en émoi.
Journée Illuminée, Soleil riant d’avril, En quel songe Se plonge Mon cœur, et que veut-il ?
Sur la haie, Où s’égaie Le folâtre printemps, La rosée, Irisée, Sème ses diamants.
Violette Discrète, Devant Dieu tu fleuris ; Primevère, A la terre, Bouche d’or, tu souris.
Petite Marguerite, Conseillère du cœur, Ta couronne Mignonne Epèle mon bonheur.
Blanche et fine Aubépine, A tes pieds, la fourmi Déjà teille Et réveille Son brin d’herbe endormi.
La mousse Qui repousse Attend l’or du grillon ; La rose, Fraîche éclose, Rêve au bleu papillon.
Mais, fidèle Hirondelle, Au nid toi qui reviens, La tristesse M’oppresse….. Où donc sont tous les miens ?
L’eau sans ride Et limpide Ouvre de ses palais, Où tout brille Et frétille, Les réduits les plus frais.
Sur la branche Qui penche, Vif, l’écureuil bondit ; La fauvette Coquette Se lustre dans son nid.
La grue En l’étendue A glissé, trait d’argent ; Dans l’anse Se balance Le cygne négligent.
La follette Alouette, Gai chantre des beaux jours, Dans l’azur libre Vibre, Appelant les amours.
Journée Illuminée, Soleil riant d’avril, En quel songe Se plonge Mon cœur, et que veut-il ?
Dans l’onde Vagabonde, Aux prés, sur les buissons, Sous la ramée Aimée, Aux airs, dans les sillons,
Tout tressaille Et travaille, Germe, respire et vit, Tout palpite Et s’agite, Va, chante, aime et bénit.
Mais mon âme Est sans flamme….. Beaux jours en vain donnés, Nature Calme et pure, O printemps, pardonnez !
Linotte Qui frigotte, Dis, que veux-tu de moi ? Ta note Qui tremblote Met mon cœur en émoi.
Henri-Frédéric Amiel, Heringsdorf, sur la Baltique, 1847.
Les mots qui désignent la linotte parfois sont aussi mélodieux… Oublions le « linnet » anglais, trop proche du nôtre, mais le « fanello » italien le « pardillo » ou le « jilguero » espagnol, voire le makolagwo polonais chantent aussi…
Par contre, pourquoi avoir, en français, stigmatisé ce pauvre volatile qui est devenu symbole de l’étourderie?
Je me suis amusée à rechercher si c’était aussi vrai dans les autres langues… Eh non! Nulle part, si l’on en croit le tableau comparatif emprunté à ce site.
« Chorlito », j’ai vérifié, c’est le pluvier, pas la linotte! Comme vous le voyez, la linotte n’est pas le seul avidé visé… Il y a aussi le moineau (pour nous, c’est sa cervelle!), le pluvier, la poule… et l’oiseau en général… parfois associé aux femmes… Et si on faisait l’inverse, donner une « tête de femme » aux oiseaux? Il y en a qui ont déjà eu l’idée… Les Egyptiens par exemple…
Bâ
Sans compter les Harpies… Mais c’est une autre histoire…
Connaissez-vous cette chanson interprétée par Annie Cordy? Heureusement, Grou se réclame de ce qualificatif… un moment d’humour par auto-dérision…
Il était temps de réhabiliter la linotte… Michèle Bernard s’en est chargée, heureusement!
Plus d’ piles dans la télécommande Et l’aquarium n’a plus de poissons L’écran est vide et tu t’ demandes « Mais qui donc a pu couper le son ? »
Ton magnéto, ta calculette Qui pataugent dans le goudron chaud Foutus tes dicos, tes disquettes Et même ta souris qu’a dit ciao !
Tout ce que t’avais mis en mémoire Ton disque dur, comme une armoire Bourrée de linge et d’ naphtaline Un gros bug et y a tout qui s’ débine
C’était une blague, non, c’est pas vrai
Pas b’soin d’ te faire hara-kiri Mais quand même, si ça t’arrivait Écoute-moi, est-ce que t’as appris
Au moins une chanson par cœur Dans ta tête de bois, ta caboche Celle que tu veux : Le p’tit bonheur La Javanaise ou Les trois cloches
Rien qu’une chanson qui t’ fait du bien Mais tout entière, couplets, refrain Et va pas m’ raconter d’histoires Que t’aurais pas l’ temps, pas d’ mémoire
Dans une tête de linotte Y a toujours quelques notes Un trésor tout petit Qui chantera toute sa vie
J’ veux pas jouer les rabat-joie Mais la vie, ça fait pas qu’ des risettes T’as plein d’ gadgets au bout des doigts Mais t’as comme du brouillard dans ta tête
À voir le monde par des lucarnes Un beau jour, on se retrouve tout nu Sans rien, pas d’ami, pas de larmes Et la peur de traverser la rue
Un coup d’ blues, une vacherie du sort Nous v’là projetés dans l’ décor D’un mauvais film où, sans doublure, Faut quand même savoir faire bonne figure
À la guerre ou même en cabane Dans un scanner, on s’ sent tout p’tit
Et dans le silence de son âme On est content d’avoir appris
Au moins une chanson par cœur Dans ta tête de bois, ta bobine Celle que tu veux : Le déserteur Frou-frou, Laisse béton, Nuits de Chine
Rien qu’une chanson pour t’nir le coup Quoi qu’il arrive et jusqu’au bout Et va pas m’ raconter d’histoires Que t’aurais pas l’ temps, pas d’ mémoire
Dans une tête de linotte Y a toujours quelques notes Un trésor tout petit Qui chantera toute sa vie
Dans une tête de linotte Y a toujours quelques notes Un trésor tout petit Qui chantera toute sa vie
J’ai reçu dernièrement un joli cadeau… Une chanson basque, que j’ai beaucoup aimée. D’où mon envie de vous la faire découvrir… Voici la vidéo reçue… La chanson est interprétée par John Kelly & Maite Itoiz. C’était en 2008, l’année de la disparition de celui qui l’a mise en musique et interprété le premier, en 1974, Mikel Laboa. Une autre version en est présentée, filmée en 2011, que je trouve moins authentique, plus « travaillée ». Mais il faut reconnaître qu’elle prend de l’ampleur avec le choeur… En 2018, la chanteuse la reprend seule, en s’accompagnant d’une harpe, avec le choeur Son Espases. Très émouvant… Et mon coeur balance entre cette dernière et la magnifique interprétation de Laura Latienda et Gaztelu Zahar (2016), avec une voix plus grave, un choeur d’hommes et un orchestre plus « populaire ». Une autre chanteuse s’en est emparée, Anne Etchegoyen. Très belle voix également…. Bref, je ne me suis pas lassée de l’écouter encore et encore…
Femme et oiseau dans la nuit, Miro (1942)
Mais je n’ai pu m’empêcher d’en rechercher les paroles… Les voici donc, en basque puis traduite en français.
Txoria txori
Hegoak ebaki banizkio nerea izango zen, ez zuen aldegingo. Hegoak ebaki banizkio nerea izango zen, ez zuen aldegingo.
Bainan, honela ez zen gehiago txoria izango Bainan, honela ez zen gehiago txoria izango eta nik… txoria nuen maite eta nik… txoria nuen maite.
Et, bien sûr, j’ai voulu en savoir plus, non seulement sur la chanson, mais sur ceux qui l’ont créée.
« En 1968, Mikel est allé dîner un soir avec sa femme dans un restaurant de Saint-Sébastien, ainsi qu’avec Joxean Artze. Le poème Txoria Txori de Joxean Artze (alors âgé d’environ 25 ans), a été écrit sur une serviette ce soir là ! C’était un acte de résistance contre l’interdiction faite par le régime franquiste d’utiliser la langue basque. Sa femme le lui a lu, et lui a dit que c’était un beau poème. Il l’a lu à son tour, et il lui a beaucoup plu aussi. Quand ils sont rentrés à la maison, il l’a mis en musique en très peu de temps. Mikel Laboa a présenté pour la première fois la chanson au théâtre Astoria de Saint-Sébastien. »
Voici ce qu’en dit son auteur dans un interview (source)
« J’avais 24-25 ans lorsque je l’ai écrit. Le thème de l’oiseau figure souvent dans nos vieux recueils de chants. Il m’avait semblé que l’on pouvait l’assimiler à l’image de la liberté. Ici apparaît le dilemme de la liberté de la personne proche que l’on souhaite posséder. Mais la liberté de ces personnes existe… il faut choisir . Ou vous attachez la personne et vous la possédez comme un oiseau en cage, ou vous aimez la personne telle qu’elle est, et alors, si elle souhaite partir, vous devez la laisser partir. C’est pour cela que je n’ai jamais possédé d’oiseau en cage. Je leur jette du pain par la fenêtre et s’ils viennent se nourrir, je les observe et je me contente de cette contemplation. Parce que c’est comme cela que je veux que les oiseaux soient… »
Un bel hommage a été rendu aux deux amis, décédés à dix ans d’intervalle, par Maialen Lujanbio.
Wikipédia recense 17 interprètes différents pour cette chanson, dont Joan Baez, qui l’a interprétée au Concert pour la Paix, aux arènes de Bilbao – certain-e-s se sont quelque peu amusé-e-s de sa prononciation! Totalement différente, la version d’Arraya : on passe du romantisme à la contestation forte… Un autre choeur d’hommes, Pyrénéens, Vaya con Dios, l’a reprise un peu dans le même sens. Car cette chanson a connu beaucoup d’avatars… Le mieux est de revenir à son co-créateur, Mikel Laboa. Une vidéo avec de belles images du pays et des sous-titres en espagnol, et une autre avec des photos de lui et des illustrations parlantes…
Mikel Laboa avait fondé le groupe culturel Ez Dok Amairu, dont la signification est « Il n’y a pas de treize » (pas de « malédiction ») – d’ailleurs, le chanteur avait l’habitude de numéroter ses albums, mais passe du 12 au 14…
Quelques membres de Ez Dok Amairu Il n’y a pas de treize…